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(1)

Que le sang coule!

Des femmes et leur expérience des menstruations

Nesrine Bessaib

Études supérieures en anthropologie

Université McGill, Montréal

Juillet 2003

©

Nesrine Bessaih, 2003

Mémoire de maîtrise soumis à l'université McGill en vue de l'obtention du diplôme de maîtrise.

(2)

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(3)

Table des matières

1.:"

A

CELLES ET CEUX UI RENDENT LES CHOSES POSSmLÈS ... : ... ll

RÉsUMÉ •••••••••••••••••••••••.••.••.•.•..•••••••••••••••.•••••••••.••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.•••••••••••••••••••••

ID

REVENIR AU MONDE •.•..•••.••••.•.••..••..•...•.•.•••.••••••••••.••.•••.•...••••••.•••••...•••••.•••••••.•...•.•.•••.•. 1

LES UNIVERS DE DISCOURS SUR LES MENSTRUATIONS ... 3

1 DE L' .ANTIQUITÉ AQ XV'IIIE sIÈCLE •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 4

II Au XIXE

SIÈCIB ...

5

1-DISCOURS BIO-MÉDICAL ... ~· ... ; ...

5

.2-STATUT DE LA MÉDECINE ... 6

3-

STATUTETR6LEDES~S ...

6

4-lE

DISCOURS MÉDICAL, UN OUTIL pOLmQUE ... : ... ; ... : ...

7

5- LA PRATIQUE MÉDICALE ... ~ ... 8 a) Neurasthénie ... 8 b) Hystérie ... ~ ... 9 6-DISCOpRS FÉMINISTEs ... ~ ... 9

'7-

CONCLUSION ...

10

DI AU

nE

SmCI.E ••••••••••••• : •••••••••••••••

~

•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 4111

1- LE FÉMINISlIffi ...

11

2-

LEs MÉDECINS ET LES PSYCIDA TRES ...

12

3-

UN TOURNANT MÉDICAL RÉCENT ...

14

4-

LA CRITlQUE ... 16 , a) Méthodologique ... 16 b) Ethnographique ... 17 c) Fénliniste ... 17 d) I.es manques ... 18 N 1...ITIÉRATURE .ANTHROPOLOGIQUE ...

20

V CONCLUSION ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• ~ ... 21

L'EXPERIENCE: ENTRE STRUCTURES ET SUB ECTIVITE ... 23

1

.ANTHROPOLOGIE DE L'EXPÉRIENCE •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

23

1-LEs DISCOURS ET LES PRATIQUES ... 24

a) Discours ... ' ... 24

b) Pratiques ... 26

c) I.es discours sur le corps ... 28

(4)

II

MÉTHODOLOGIE ••••••••••••.•••••••••••••••••••••.••••.•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

30

)

1- OBJECTIF DE LA RECHERCHE •.• '" ... 2-SffES DE RECHERCHE ... 30 31

3-DÉMARCHE MÉmoDOLOGIQUE ... 32

ETHNOGRAPHIES DE 2 CENTRES FÉMINISTES MONTRÉALAIS ... 33

1

INTRODUCTION •.•••••••••..•.•.••..•.••....•....•.•..•...•...•.•...•...•...•.•...•...•.•..

33

II

ETHNOGRAPHIE

n'ELLE

CORAZON .•••••••••.••••••••••••••••••••••••••••••••..•••••••.•.••••••..••••••.•••.•••••

34

1-DE ZONE ROUGE À ELLE CORAZON ... 34

a) La naissance de Zone Rouge ... 34

b) La ttùssion et l'évolution de Zone Rouge ... 34

2-EN LIEN AVEC LE MONDE ... 36

a) Avez-vous votre Coupe-Elle? ... 36

b) Un milieu militant féministe et alternatif ... 37

3- LA PLACE DU GENRE ET DU SEXE ... 38

4-LA CIRCULATION DES DISCOURS ... 39

5- LE STATUT DE LA MARGIN&IT'É ... 41

III ETHNOGRAPHIE DU CENTRE DES FEMMES D'ICI ET

ri'

AILLEURS ... .42

1- LEs SYNDICATS DE~S ... ~ ... 42

2-EN LIEN AVEC LE MONDE ... 43

a) Pourquoi s'adresse-t-on au centre? ... 43

b)Un milieu coromunautaire ... 44

3-LA PLACE DU GENRE ET DU SEXE ... 45

4-.

LA CIRCULATION DES DISCOURS ... 46

5-LE STATUT DE LA MARGINALITÉ ... 47

IV CONCLUSION •.••.•.••..•••••.•...•••••••.•••..•.•.•••.••••••.••.••••...•.•...•••...•.•.••.•.••...•....•••...•... 47

.ANALYSE DES ENTREVUES ... 48

1

INTRODUCTION .•••.••••••••••••••.••••••..•••....•..•••••.•.•••.••..•.••.•..•....•.•.•....•.•...•...••.•••••...•••••.•.•.•

48

II

COMMENT SONT VÉCUES LES MENSTRUATIONS? ...

50

1-LES TACHES ... 51

2- LES DISPOSITIFS DE RÉTENTION DE L'ÉCOULEMENTMENSTRUEL ... 53

a) Les tampons ... 53

b) Les produits alternatifs ... 54

3- ETRE UNE FEMME ET AVOIR DES MENSTRUATIONS ... 57

a) Les menstruations: naturelles ou inévitables? ... 57

b) Les menstruations: un passage au statut de femme? ... 58

c) Les menstruations: une frontière entre les sexes? ... 60

4-L'ATIITUDEADOPTÉE DURANT LES MENSTRUATIONS ... 61

5-CONCLUSION ... 62

III LA

S"YMBOUQUE DES MENSTRUATIONS ...

63

(5)

) U t , . t1' b' 1 . ' . 64

a ne carac e.t1S que 10 ogtque ... ... ~ .. , ... , ... .

h) Un signe de santé et de jeunesse ... 64

c) Un corollaire de

la

féminité ... 65

2- ELLE CORAZON :

LEs

MENSTRUATIONS ET LA RELATION A SOI. ... 65

a) A Elle Corazon ... : ... 66

b) Au CFIA ... 67

3-CFIA : EN RÉACTION FACE A UNE VISION NÉGATIVE DES MENSTRUATIONS ... 69

a)

I.a

maladie ...

69

b) :Le tabou ... 71

4-

CONCLUSION ...

72

IV

PROVENANCE ET CONSTRUCTION DES RÉCITS ...

73

1-

DISCOURS BIO-~ICAL ... ~ ...

74

2-

DISCOURS HYGIÉNISTE ...

76

3-DISCOURS POPULAIRES ... : ... 78

4-

DISCOURS FÉl\flNISlES ... 81

a) L'éco-féministne et le tnouvetnent de santé des fennnes ... 81

b) D'autres féministnes ... 82

'5-

CONCLUSION ...

83

CONCLUSION ... 84

ANNEXE A: TAMPONS ET SERVIETTES SELON ZONE ROUGE ... IV

ANNEXE B : ACTIVITÉS DANS LE CADRE DU TERRAIN DE RECHERCHE

VI .

BIBLIOGRAP lE ...

'VllI ,

(6)

,

A

CELLES ET CEUX QUI RENDENT LES CHOSES POSSIBLES

Merci au Pro Ellen Corin pour sa rigueur et sa douceur. Votre encadrement m'a permis de comprendre le sens et la méthode du métier d'anthropologue. Je serais comblée d'avoir retenu ne serait-ce que le millième de tout ce que vous m'avez donné. Je vous suis inflniment

reconnaissante de l'attention que vous avez accordé à mes balbutiements théoriques, du respect que vous avez eu pour mes idées et de vos conseils illuminants. Les obstacles administratifs ont été nombreux. Sans votre support moral et vos commentaires, je ne serais jamais allée jusqu'au bout de cette aventure.

Je remercie les femmes qui ont accepté de se confler à moi. Les entrevues que vous m'avez accordées étaient instructives, riches, sensibles et touchantes. J'aurai voulu leur laisser toute la place qu'elles méritaient mais des directives administratives m'ont obligée à réduire l'espace que je leur avais initialement accordé. Vos entrevues m'ont donné envie d'interviewer toutes les femmes de Montréal juste pour le plaisir de parler d'un sujet trop souvent relégué à des questions techniques. Je remercie Elle Corazon et le Centre des Femmes d'Ici et d'Ailleurs de m'avoir accueillie pour ma recherche de terrain.

Merci à Myriam Hivon du département de Médecine Familiale de McGill pour son écoute, ses conseils, ses encouragements et sa compréhension.

Merci à Shree Mulay du MCR1W (McGill Centre for Teaching and Research on Women) pour ses conseils de lectures. Merci à Margaret Lock du SSOM (Social Studies of Medicine) pour le don généreux de plusieurs articles sur les menstruations et pour ses références bibliographiques. Merci à Sandra Hyde pour son temps.

Merci à tous les petits chercheurs en herbe de STANDD (Center for Society Technology and Developpement). J'avais vraiment besoin d'un milieu où partager et débattre avec des gens engagés dans le même processus d'apprentissage. Même si vous portez tous des lunettes, vous savez voir plus loin que le bout de votre nez! Merci à l'administration de STANDD pour m'avoir prêté une machine pour transcrire mes entrevues et pour m'avoir permis d'intégrer votre centre de recherche.

Merci à Khadija, ma mère, pour m'avoir aidée à trouver un sujet de recherche, pour nos discussions et pour tes commentaires sur mon mémoire. J'ai adoré entendre tes messages du samedi matin sur mon répondeur, et l'énergie avec laquelle tu liais mon sujet à une multitude d'autres aspects de notre société.

Les larmes, la sueur et les crises n'ont pas manqué pendant ces derniers deux ans. Merci Etienne d'avoir été là pour les essuyer et d'avoir tenu le coup. Merci aussi de m'avoir écoutée pendant toutes ces heures parler encore et toujours de menstruations. Ton approche de mon sujet et tes réflexions post-modernes ont nourri nos conversations nocturnes, mon imaginaire et mon travail d'analyse.

(7)

RÉSUMÉ

Cette recherche porte sur l'expérience des menstruations telle que vécue et énoncée par des femmes montréalaises qui sont activement membres de groupes féministes.

L'hégémonie du discours médical dans la production d'un discours sur le corps féminin s'est vue tour à tour renforcée et contestée par les divers courants féministes du

:xx

e siècle. Les

entrevues révèlent que malgré l'influence des discours féministes, l'expérience des femmes interrogées semble marquée de manière importante par les discours de type bio-médical et hygiéniste et être sensible aux stéréotypes négatifs qui circulent face aux menstruations dans la société en général. Les discours féministes permettent à ces femmes d'ouvrir des espaces de critique et de liberté dans leurs pratiques et dans leurs réflexions face aux mens~ations.

Abstract

This research is concerned with menstruation as it is experienced and presented by women involved in feminist groups in Montreal. Biomedical discourse hegemony in the production of a discourse on women's body has been sometimes reinforced and sometimes questioned by feminist movements. The interviews reveal that despite the impact of feminist discours es, women's experience seems deeply influenced by biomedical and hygienist

discours es and by negative stereotypes commonly found in society at large. Feminist

discours es allow these women to open spaces of freedom and criticism in their practices and thoughts regarding menstruation.

(8)

REVENIR AU MONDE

Effrayée à l'idée d'être enfermée dans une tour d'ivoire, j'ai voulu m'assurer que le sujet que je choisirais aurait de l'intérêt pour quelqu'un, quelque part qui en ferait quelque chose de concret. C'est à travers le GRIP (Groupe de Recherche en Intérêt Public) que j'ai pris connaissance d'une proposition de recherche faite par Zone Rouge, un groupe montréalais. Le projet consistait à enquêter sur l'expérience que les femmes ont de leurs menstruations.

Tandis que je réfléchissais à l'idée, j'en parlais aux femmes que je rencontrais. En entendant que plusieurs étaient dégoûtées par leurs menstruations, les vivaient comme un fardeau, les percevaient comme une défécation, j'ai été surprise et j'ai pris de plus en plus d'intérêt à ce sujet. Plus encore, la plupart voyaient leur dégoût comme allant de soi. On pourrait penser que c'est l'expérience douloureuse et pénible des règles (SPM, dysménorrhée) qui les rend indésirables pour certaines. Pourtant, malgré des expériences similaires, d'autres femmes ne rejettent pas leurs menstruations.

Le numéro de février 2002 de la Gazette des Femmes1 avec son titre, « la fin des menstruations, avancée médicale ou folie furieuse? », et son contenu, visiblement partisan de «l'avancée médicale », ont achevé de me convaincre que le sujet que j'ai choisi est bel et bien d'actualité.

Les intérêts financiers reliés aux menstruations sont énormes. Les menstruations représentent un marché de 3 milliards d'être humains, 3 milliards de femmes qui sont de potentielles consommatrices de serviettes, de tampons, d'anti-douleurs, d'hormonothérapie, de contraceptifs, etc. J'ai noté également que les nouveaux produits, publicisés dans la littérature populaire et les revues féminines, posent le processus physiologique en lui-même comme un problème (seasonale, norplant, depo-provera).

Avant de ruer dans les brancards des compagnies pharmaceutiques et des médias corporatistes, je veux savoir si le fait de présenter les menstruations comme un fardeau dont tout le monde veut se débarrasser reflète l'expérience des femmes. Je veux savoir surtout comment s'est construite cette expérience; dans quelle mesure les intérêts financiers reliés à ce . marché et un certain discours bio-médical peuvent participer à façonner une vision pathologique et indésirable des menstruations. Mais aussi, comment les femmes répondent à

(9)

ces pressions diverses. Je me placerai dans ce travail sous un point de vue particulier: celui de ce que des femmes engagées dans une perspective féministe ont à dire de leurs menstruations et des menstruations en général. Cela me permettra d'explorer l'influence du discours féministe sur l'expérience des menstruations.

Pour commencer, il me semble important d'effectuer un 'survol des uruvers de discours concernant les menstruations. Le premier chapitre sera consacré à cette tâche. J'y traiterai de la façon dont la médecine aborde les menstruations et de la contribution que les critiques anthropologiques et féministes ont apportée dans ce domaine. Ce portrait global me permettra de dégager plus précisément les objectifs de ma recherche et le deuxième chapitre présentera mon cadre théorique ainsi que ma méthodologie. Dans le troisième chapitre, je décrirai les sites de recherche que j'ai choisis: deux centres de femmes féministes à Montréal. Le quatrième chapitre présentera l'analyse des entrevues que j'y ai effectuées. Il y sera question des pratiques que les femmes interrogées rattachent aux menstruations et des significations qu'elles y associent. Je m'interrogerai ensuite sur la provenance et la construction de l'ensemble des comportements et des symboles qui traversent leur discours.

(10)

LES UNIVERS DE DISCOURS SUR LES MENSTRUATIONS

La médicalisation est un processus selon lequel une condition ou un comportement et son traitement deviennent définis dans des termes médicaux alors qu'ils ne l'étaient pas auparavant (Kohler 1998, Lock & Kaufert 1998). Pour parler de médicalisation, il faut que cette condition ou ce comportement soient reconnus par les institutions médicales et législatives (Lock & Kaufert 1998). Des chercheurs en sciences sociales ont aussi examiné le degré d'appropriation et d'utilisation des termes médicaux par la population et l'ont considéré comme faisant partie du processus de médicalisation.

En ce qui concerne les menstruations, nous verrons que la médecine a toujours eu des théories sur ce phénomène. Cependant la situation actuelle se distingue par le fait que la médecine vise à réguler les cycles menstruels et à stabiliser l'état émotionnel des femmes. Aujourd'hui, de nombreuses cliniques et spécialités médicales se consacrent au traitement d'un syndrome précisément lié aux menstruations (Davis 1996), tandis que des gynécologues mettent au point des hormones qui suspendent les écoulements mensuels2•

Dans ce chapitre, je traiterai de la médicalisation des menstruations en Amérique du Nord en approfondissant les développements de ce processus durant le XIXe et le XXe siècles. L'Amérique du Nord étant rattachée à la culture anglo-saxonne, certaines de mes références seront puisées dans des écrits sur le Royaume-Uni. Je présenterai les discours médicaux et féministes comme étant à la fois complémentaires et conflictuels quant à la définition d'un corpus de connaissances et d'expertise en ce qui a trait aux menstruations. Mon approche situera les propos ayant trait à la santé dans le cadre plus global des dynamiques politico-économiques et s'interrogera ainsi sur les conditions d'appropriation collective d'une expérience. Elle permettra de mettre en évidence les principales caractéristiques sur lesquels la médecine met l'accent dans ses travaux et dans son traitement du corps de la femme. Je traiterai également de l'émergence d'un discours médical récent qui dénonce le danger des menstruations et qui se catactérise par une perspective qui rejoint celle

de la médecine de la fin du XIXe. Tout au long de ce chapitre, je prendrai appui sur la

littérature anthropologique concernant la médicalisation des menstruations. Dans la dernière

2 Pour ce qui est du système judiciaire, il reste très ambivalent envers le syndrome prémenstruel, étant donné qu'il

(11)

partie, un portrait succinct du traitement des menstruations par l'anthropologie en général me permettra de dégager les pistes de travail que mon projet de recherche vise à explorer.

1 De l'antiquité au XVIIIe

siècle

Aristote (IVe av. J-C) expliquait que le sang menstruel était le signe de l'infériorité de la femme. Son corps ne produisant pas assez de chaleur, elle est incapable d'aller jusqu'au bout des transformations qui feraient du sang une semence. Tandis que la femme ne produit qu'un matériau brut (le sang), l'homme seul produit une semence (le sperme) qui va sculpter un corps et une vie dans ce matériau. Jusqu'au XVIIe siècle, cette théorie, qui voulait que le sang menstruel constitue la chair du bébé et que le sperme soit ce qui la modèle et donne une âme à l'enfant, fait consensus parmi les hommes de science (Delaney, 1976).

Une théorie concurrente, énoncée par Galen (médecin grec, Ile ap. J-C) voulait que le sang menstruel soit dû à la pléthore. Au XVIIIe, John Freind, un médecin anglais, présentait les deux théories comme complémentaires. Le sang menstruel constitue effectivement la chair du bébé, et ce sang se forme par le processus de la pléthore. Tout ce qui est consommé par un individu est soit transformé en chair soit éliminé. Le corps des femmes étant plus faible, comme le montre « la langueur de leur pouls» et « la tissure plus délicate de leur corpS» (1730:28), elles éliminent moins par la sueur. Cette accumulation, la pléthore, est drainée par le corps et forme le sang menstruel. Freind s'accorde avec Hippocrate (IVe av. J-C) pour dire que « le corps de la femme, au toucher et à la vue est plus mou que celui ?es hommes» (1730:30). Cela est dû à la pléthore.

Freind, après Hippocrate, réaffirme que les règles commencent généralement à 14 ans et cessent vers 50 ans. Elles durent 3-4 jours mais peuvent durer jusqu'à 10 jours chez certaines femmes. La quantité moyenne de sang est de 20 onces par cycle de 20 à 27 jours. Freind cite Hippocrate également pour appuyer la justesse de ses mesures du phénomène menstruel, prouvant par-là l'intérêt de la médecine pour les menstruations depuis l'antiquité. Il

s'accorde avec lui pour dire que la « plupart des maladies de femmes procèdent de quelques vices de leurs menstrues» (1730:4). En plus d'être la cause de tous les maux de la femme, les règles elles-mêmes sont un mal. Il parle de « symptômes qui annoncent l'arrivée des menstrues: douleur ardente aux régions des reins et des hanches C ... ), la céphalalgie, le dégoût, la lassitude », et pendant les règles « les malades souffrent de nausées, de langueurs et de faiblesses »(1730:6). L'utilisation de termes comme « symptômes» et « malade» montre la

(12)

signification négative que Freind attribue aux menstruations, alors que le fait d'être médecin aurait dû lui indiquer que seules les femmes souffrantes venaient le consulter.

Depuis l'antiquité grecque jusqu'au XVIIIe, la médecine a présenté le corps de la femme comme un corps plus faible que celui de l'homme et, plus souvent qu'autrement, problématique. Elle traite le corps comme un ensemble de phénomènes physiques, observables et mesurables en quantité et en durée et fournit des informations quantifiables et vérifiables. Il serait intéressant de savoir quelle était l'interprétation populaire du sang menstruel durant cette période.

II Au X/Xe siècle

1- discours bio-médical

Comme durant les siècles précédents, au XIXe siècle, la médecine caractérise le corps de la femme avant tout par la délicatesse. Les muscles et le squelette des femmes sont plus frêles et plus fragiles que ceux des hommes. Le système nerveux est plus fin et par conséquent plus irritable et sujet à l'épuisement, ce qui explique que l'émotivité soit inhérente au corps de la femme. L'utérus est lié directement au système nerveux central et donc très sensible à la stimulation excessive des nerfs. (Smith-Rosenberg 1973)

Les théories concernant le fonctionnement biologique du corps de la femme reposent sur deux postulats. Le premier établit que le corps humain a une quantité limitée d'énergie dont il fait une gestion parcimonieuse: si trop d'énergie est allouée à une certaine partie du corps il y en aura moins pour les autres. Le deuxième postulat affirme que la fonction reproductrice est la fonction centrale de la vie biologique de la femme. Les deux se combinent pour donner la loi de la conservation de l'énergie: les organes reproducteurs de la femme (utérus et ovaires) lui prennent toute son énergie. (Smith-Rosenberg 1973, Ehrenreich & English 19733) Nous verrons plus loin que cette perspective réapparaît à la fin du XXe siècle.

Cela ne veut pas dire que la femme a une sexualité débordante, bien au contraire. Les prostituées étant une catégorie de la population très touchée par la tuberculose, on les considérait comme une preuve du danger de l'hyper-sexualité pour la santé des femmes. D'une manière ou d'une autre, tout problème de santé chez la femme (du mal de gorge au mal de dos) était relié à l'utérus et aux ovaires. « Diseases will be found [ ... ]to be in reality no

(13)

disease at ail, but merely the sympathetic reaction or the symptoms of one disease namely, a disease of the womb » (médecin cité par Smith-Rosenberg 1973:13).

En 1871, Dr W.c. Taylor, déclare que les menstruations, la grossesse et la ménopause sont des maladies nécessitant le repos le plus complet (cité dans E&E, 1973). Ce qui déclenche les menstruations est sujet à débat; en 1830 John Power lie les menstruations à l'ovulation mais peu de médecins s'accordent avec lui. En 1861, E.F.W. Pflüger établit que l'ovulation déclenche aussitôt, par stimulation nerveuse, les menstruations (Bullough & Voght 1973).

La médecine du XIXe conçoit le corps comme un système fermé qui fonctionne en vase clos. Celui de la femme est encore vu comme plus faible et il est défini avant tout comme un corps dédié à la reproduction.

2- Statut de la médecine

La profession médicale devra attendre le début du XXe siècle pour se voir reconnaître une existence légale. Dans la première moitié du XIXe, la microbiologie n'ayant pas encore fait ses découvertes déterminantes (Kohler 1998:52), les médecins n'étaient pas plus efficaces que n'importe quel autre guérisseur. C'est au cours du XIXe siècle que les médecins éliminent les autres guérisseurs et s'assurent une clientèle à la fois en recourant à certaines pressions politiques et en manipulant la perception de la maladie (E&E 1973, Kohler 1998).

Les femmes de la haute société ont été la cible privilégiée de cette expansion de la clientèle médicale (E&E 1973, Kohler 1998). En cultivant le mythe du « female invalidism » (sur lequel nous reviendrons), les médecins s'assurent de nombreuses patientes. Les bourgeoises constituent un marché lucratif à travers les consultations à domicile, la création d'établissements de repos et la vente de guides sur la santé des femmes (E&E 1973). En 1895, Mary Putnam Jacobi déclare « 1 think finally it is in the increased attention paid to women and especially in their new function as lucrative patients [ ... ] that we find explanation for much of

ill health among women freshly discovered today" (citée par E&E 1973:25)

La médecine avait défmi une faiblesse inhérente au corps de la femme, elle trouvait

maintenant le moyen d'asseoir notoriété et fortune sur ce postulat d'infériorité.

3- statut et rôle des femmes

Au XIXe siècle, l'arrivée massive, aux Etats-Unis, d'immigrants du sud de l'Europe ou d'Irlande assure une main d'œuvre bon marché et abondante à l'industrialisation en pleine expansion. Dans ce contexte de capitalisme et d'exploitation sauvage, c'est un luxe et même

(14)

une marque de prestige, dans la classe des possédants, d'avoir une femme oisive (E&E 1973). Le fait de se trouver cloisonnée dans des intérieurs opulents, l'ennui, les théories médicales qui parlent d'une faiblesse inhérente au corps de la femme, et la valorisation de cet état de délicatesse et de fragilité comme une marque de distinction associée à la richesse convergent pour créer un véritable culte de l'hypocondrie. Avec le « female invalidism », le fait d'avoir une migraine et de se retirer lorsqu'on se sent lasse devient une mode. Les romans de l'époque regorgent d'héroïnes à la santé fragile, toujours alitées ou sur le point de mourir. (E&E 1973).

Cependant, le mouvement féministe commence alors à prendre de l'ampleur. Les revendications des femmes s'étendent du droit de vote (E&E 1973) et du droit à l'éducation au droit à la contraception (Bullough & Vogh,t 1973, Smith-Rosenberg 1973). Plusieurs auteures (Bullough & Voght 1973, E&E 1973, Martin 1987, Smith-Rosenberg 1973, Weitz 1998) affirment qu'il n'est pas surprenant que cette demande de libération corresponde à la recrudescence d'une répression dont la médecine a été la principale orchestratrice. "Medical opposition to feminine emancipation began to increase as the physician himself felt threatened by the few women attempting to enter medical schools" (Bullough & Voght 1973:29).

Le « female invalidism» ainsi que le mouvement d'émancipation de la femme sont tous deux des phénomènes sociaux circonscrits à la haute société. C'est ce même milieu social qui sera la cible du développement de traitements médicaux spécifiques.

4- Le discours médical, un outil politique

La science médicale allait être un des chefs de file de la lutte contre l'émancipation des femmes et ce faisant, elle devenait une idéologie. « In so far as science either makes daims, or is used to legitimate claims to regulate the larger socio-politic-economic-morallife, it is in fact an ideology in the double sense of maskingthe interests that back it and legitimizing those at the satne rime." (fambiah 1990). La disparition des impératifs religieux à travers la révolution des Lumières laissait place aux justifications scientifiques des inégalités en tout genre.

La théorie de l'évolution expliquait que la biologie favorise ceux qui sont les mieux adaptés. Les inégalités sociales se trouvaient ainsi justifiées par le fait que la classe aisée était présentée comme une catégorie privilégiée par la biologie elle-même. La rébellion et la révolte étaient considérées comme des anomalies de la nature, autrement dit, comme une maladie (E&E 1973). On expliquait l'infériorité des femmes par la théorie de l'évolution: les hommes, dans une compétition pour un succès reproducteur, amélioraient leur « espèce» alors que les femmes, n'étant pas soumises à la sélection naturelle, étaient moins évoluées (Weitz 1998) :

(15)

« Graduellement les faiblesses physiques supposées de la femme ont pris le dessus sur les défauts moraux dans la justification de la supériorité masculine» (E&E 1973:6, ma traduction)

La théorie d'Edward H. Clarke, en 1873, afflrmait que toutes les femmes qui étudiaient (surtout à la puberté) verraient leur utérus s'atrophier. Selon la loi de la conservation de l'énergie, l'utérus et le cerveau ne pouvaient se développer simultanément (Bullough &Voght 1973, Weitz 1998) Une femme désirant étudier ou simplement trop intellectuelle allait nécessairement donner naissance à des enfants chétifs et malades (Smith-Rosenberg 1973). À

l'inverse "The instinct connected with ovulation made her by nature gentle, affectionate and nurturant." (Smith-Rosenberg 1973:14) Les femmes étaient tenues pour responsables du faible taux de natalité dans la haute société ; elles étaient trop faibles et malades et leur tendance à vouloir étudier et utiliser leur cerveau ne servait pas la cause de la survie de leur classe.

La société victorienne est une société contraignante pour tous. Les hommes aisés ont pour fonction de penser et sont sommés cl' économiser leur énergie sexuelle. Ils reçoivent (et s'attribuent) la tâche la plus noble et la science justifie leur supériorité sur les autres catégories sociales. Aux femmes bourgeoises, l'idéologie médicale réserve une place de reproductrice et de mère de la nation. Elle protège ainsi sa propre profession et la société bourgeoise.

5- La pratique médicale

a) Neurasthénie

Le « Female invalidism » donne naissance au diagnostic médical de neurasthénie. En 1869, le psychiatre américain G. M. Beard, en définit les principaux symptômes comme étant la lassitude, l'irritabilité, le manque de concentration, l'anxiété, et l'hypochondrie (King 1989). La psychiatrie définit à la même époque la nymphomanie dont les symptômes comportementaux sont la masturbation et/ou la propension à l'érotisme. En dehors de la neurasthénie et de la nymphomanie, le système nerveux faible et fragile des femmes peut donner lieu à toute une panoplie de troubles: trop manger, se sentir persécutée, tenter de se suicider, avoir un esprit de contradiction. Les crampes menstruelles et le mal de dos, que l'on regroupe aujourd'hui sous le terme de dysménorrhée, constituent aussi une des diverses « maladies de femmes» que l'on soigne au XIXe.

Les femmes dont les troubles sont considérés légers se voient prescrire l'alitement, le repos mental, l'isolement, et/ou une diète sans nourriture animale ni épices. Les traitements médicaux habituels consistent en des purges, des saignées et des drogues au mercure.

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Cependant dans le cas des femmes atteintes d'une de ces maladies et pour qui les symptômes sont sévères, on peut recourir à l'hystérectomie et à la clitoridectomie. (E&E 1973:34)

b)Hystérie

Les femmes de la haute société sont les principales concernées par tous ces troubles nerveux. Il en va de même avec l'hystérie, cette maladie qui supplante parfois la neurasthénie. Elle se caractérise par un regard vide, une perte de voix et d'appétit, dans ses manifestations les plus reposantes. Mais elle peut susciter des comportements d'un tout autre ordre, et la patiente peut mordre, projeter ses membres avec convulsion, se contorsionner violemment, se frapper la poitrine, se tirer les cheveux, tousser, éternuer, rire et pleurer. (E&E 1973)

L'hystérie est au départ considérée comme une maladie de l'utérus et son meilleur traitement est l'hystérectomie, prescrite pour plusieurs « maladies de femmes ». Les chirurgiens de la Société Gynécologique de Chicago et de la Société Obstétrique de New-York (parmi d'autres) développent un véritable engouement pour cette opération grâce aux publications de Robert Battey, un des fondateurs de cette opération. De 1870 à 1900 entre 15 000 et 150 000 opérations sont pratiquées, surtout chez les femmes riches et dans les asiles de femmes, pour soigner l'épilepsie, la nymphomanie, l'hystérie, la dysménorrhée et la folie (Longo 1984). Il faut souligner que la chirurgie, avec la minutie et la connaissance anatomique qu'elle suppose, fait partie de ce qui a distingué les médecins des autres guérisseurs (K.ohler 1998).

La mode de ce qui était devenu l'opération de Battey en inquiétait plus d'un. Dans un congrès médical international en 1886, Battey, qui avait opéré plus de cent femmes, déclare qu'il. n'a rencontré que 15 cas où l'opération était nécessaire. La majorité des ovaires retirées ne démontrant aucune trace de pathologie, elles auraient pu encore servir! Le fait que de nombreux médecins (T.A.Reamy, S.Wells, ].W.Williams, E.Novak) brandissent cet argument, indique que leur inquiétude concerne essentiellement les fonctions reproductrices des femmes plus qu'elle ne s'adresse aux étiologies farfelues de la médecine. D'autres médecins (hôpital pour femme de New York, T.A.Emmet) dénoncent le faible taux de réussite de l'opération

(25%) etle taux élevé de décès post-opérationnel (30%) (Longo 1984). 6- Discours féministes

Les femmes médecins étaient généralement en désaccord avec les théories biologiques concernant la faiblesse des femmes. Pour elles, le problème était dû à la mode vestimentaire. Alice Stockman, une médecin de l'époque, afftrme que ses paires « cannot bear compressed viscera, tortured stomachs and displaced uterus » (Smith-Rosenberg 1973 : 17) De 1890 à 1920,

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Clélia Mosher observe des jeunes filles du niveau collégial. Elle montre que l'inconfort durant les menstruations (ainsi que la difficulté à respirer, la mollesse des muscles abdominaux, la déformation du corps) est lié au poids des jupes et à la largeur du tour de taille. En 1894, 80% des filles se plaignaient de douleurs menstruelles alors que les jupes pesaient jusqu'à 7 kg et que les tours de tailles étaient de 50 cm. En 1916, les tailles s'étaient élargies de 40% et 70% des jeunes filles avaient des règles sans problème. (Bullough & Voght 1973)

Ces femmes adhéraient à l'enthousiasme général pour la science et le progrès, comme le montre leur volonté de devenir médecins. Elles ne participent cependant pas à la mercantilisation de la santé des femmes. Lydia Ellis Pinkham, une femme d'affaire présentée comme féministe par ses biographes (Davis 1989), mit sur pied la Lydia Pinkham Medical Company en 1876. La LPMC a construit sa réussite sur la vente de produits qui s'adressent spécifiquement aux maladies de femmes. Elle fut une des rares personnes à considérer les femmes de la classe ouvrière comme un marché potentiel. Ses activités font d'elle une membre du mouvement des femmes pour le droit au travail. Sa position, face au discours médical et masculin, est significative: elle adhère au modèle médical et en tire profit tout en aspirant à un rôle social alors défini comme masculin.

7- Conclusion

La littérature anthropologique contemporaine propose diverses interprétations au «Pemale invalidism». Le fait que les médecins n'aient à faire qu'aux cas problématiques est une source d'erreur (Bullough 1973). On a aussi évoqué la contradiction symbolique entre les rôles sociaux (responsabilité d'éducatrice) et la nature des femmes définie par la société (faiblesse et manque de jugement) (King 1989, Smith-Rosenberg 1972). Des auteurs soulignent que cette notion a pu être utilisée pour éviter les relations sexuelles lors de mariages arrangés (E&E 1973). Enfin, plusieurs symptômes comportementaux des «maladies de femmes» évoquent une tentative d'échappatoire à des conditions de vie étouffantes.

Au XIXe siècle, le corps de la femme reste un corps méconnu. La femme bourgeoise est à la fois un objet de luxe et de parade, et un objet lucratif qui fait l'objet d'une exploitation marchande par le milieu médical. L'intérêt financier des médecins à considérer les femmes riches comme malades concorde avec leurs intérêts professionnels et avec une idéologie sociale qui veut maintenir les femmes à l'écart du marché du travail. Dans le même ordre d'idée, les théories (centralité de l'utérus) et la pratique (impopularité de l'opération de Battey) médicales soutiennent l'idéologie politique générale quant au rôle assigné aux femmes: la

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reproduction. Ainsi les forces conjuguées du marché du travail, des médecins et de l'idéologie politique attribuent à la femme aisée un rôle de reproductrice qui, bien qu'important, conserve un statut inférieur à celui des hommes. Les femmes n'ont pas présenté de réponse commune à cette convergence de discours. Certaines se sont inscrites dans la mode du « Female Invalidism» alors que d'autres l'ont rejetée et ont aspiré à des rôles définis comme masculins.

III

A U XXe siècle

1-Le féminisme

Weitz (1998) dénonce le « backlash» contre le féminisme qui, dans les annees 70, pousse les femmes à contrôler leur apparence physique, soutient la formation de groupes anti-avortement et augmente les pressions pour que l'on reconnaisse le syndrome prémenstruel (SPM) et la ménopause comme des maladies. Pourtant, parmi les féministes, nombreuses sont celles qui semblent avoir fait appel à la médecine. Lock & Kaufert (1998) soulignent la participation active et volontaire des femmes à la médicalisation de leur propre corps dans le but de répondre à des besoins pratiques. Le féminisme du XXe siècle n'est pas un mouvement plus homogène que ne l'a été celui du XIXe. Je présenterai brièvement deux courants principaux qui tendent en fait à être associé à deux périodes successives.

Durant les années 70, les femmes font une entrée massive dans le monde du travail. Pour la première fois il ne s'agit pas de combler un manque de main d'œuvre provoqué par une guerre mais d'une véritable offensive contre les rôles et l'image qui leur sont assignés. Dans les milieux scientifiques, certaines femmes ont plaidé pour la reconnaissance du SPM. Des années 50 jusqu'à la fin des années 70, Katharina Dalton s'intéresse aux effets du SPM sur les performances scolaires et au travail. Elle presse les médecins de traiter les femmes atteintes de ce syndrome en insistant sur la quantité d'argent perdue par les entreprises à payer des quasi-invalides (Dalton [1977] 1984). Des auteures comme Ehrenreich et English, dont le travail atteste de la motivation féministe, appellent les médecins à la rescousse. « Le système médical peut libérer les femmes de toutes les peurs et les plaintes inavouées qui ont handicapé les femmes à travers l'histoire » (E&E 1973:5). Afin de pouvoir être aussi performantes que les hommes dans les domaines qui sont définis comme masculins, des femmes auraient besoin d'anti-douleurs, de tampons, d'hormonothérapie, etc.

Par contre, dans les années 80 et 90, des femmes choisissent de présenter une autre vision de la femme. Au lieu d'aspirer à des activités et à des valeurs masculines, elles font la

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promotion de valeurs féminines qu'elles disent liées à des expériences corporelles propre aux femmes. Certaines auteures se rapprochent du paganisme, mouvement « pagan» nord-américain, et affirment qu'à travers le rythme de son corps, la femme est plus proche de la nature. Sa capacité à l'introspection, sa sensibilité et son sixième sens sont autant de points positifs qu'elle devrait à sa proximité à la terre et à la lune (Owen, 1993, Starhawk [1979] 1989). Les symptômes lié à la dysménorrhée ou ceux regroupés sous le SPM sont vécus comme des expériences enrichissantes desquelles on ne se soustrait (tampons, anti-douleurs) qu'au prix de la nature même de femme (Mus cio 1998).

Des académiciennes reconnues tentent également de transformer la perception du corps de la femme dans notre société et plus particulièrement dans le milieu médical. Elles visent à modifier l'approche médicale dans son ensemble. Christiane Northrup présente le cycle menstruel comme une fenêtre sur soi; un processus, où à certaines périodes, les besoins et les malaises sont ressentis avec plus d'intensité (1998). A travers l'étude de processus physiologiques féminins (ménopause, menstruations, grossesse), des médecins et des chercheures en science sociale remettent en question la dichotomie occidentale traditionnelle entre corps et esprit. Elles montrent que les deux entités n'en forment qu'une dans leur construction, leur expression et dans leur guérison (Lock & Kaufert 1998, N orthrup 1998).

La réponse des femmes à la médicalisation est teintée à la fois de « pragmatisme et de résistance» (Lock & Kaufert 1998). Elles participent activement à la construction et à la destruction des concepts et des théories. La médicalisation actuelle est certes le résultat de pressions de la part des médecins, mais elle est aussi liée aux revendications féministes. Le mouvement féministe n'est pas uniforme et c'est là une des richesses de ce mouvement.

2- Les médecins et les psychiatres

Depuis les années 70, le SPM est défini comme le « retour cyclique de changements physiques, biologiques et comportementaux pénibles et assez sévères pour entraîner une détérioration des relations inter-personnelles (discorde conjugale, isolement social), absentéisme ou inefficacité au travail, vol, meurtre, battre ses enfants» (Davis 1998:58).

Selon Davis (1996), certains textes de médecine affirment que jusqu'à 80% des femmes sont atteintes du SPM. Robert Reid (1991) soutient que les changements émotionnels et physiques mineurs qui précèdent les menstruations sont si fréquents qu'ils doivent être considérés comme normaux. Il leur associe tout de même un terme médical: molimina. Pour lui, seules 3% à 5% des femmes manifestent des changements similaires à un degré assez

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sévère pour être handicapant. Dans ce cas les problèmes sont considérés comme pathologiques et défInis en terme de SPM. Les symptômes, dont aucun n'est déterminant, sont: la dépression, les sautes d'humeur, l'irritabilité, l'angoisse, la fatigue, l'insomnie, les migraines, l'augmentation d'agressions physiques ou verbales, des envies suicidaires, le manque de concentration, la chute de performance, le ballonnement, etc. Comme aucune caractéristique hormonale ne différencie une femme atteinte du SPM d'une autre femme (Reid 1991, King 1989), le diagnostic doit se faire en prenant note de tous les changements comportementaux, physiques et psychologiques vécus par une femme durant 1 ou 2 cycles menstruels. Cette méthode permet de distinguer les états permanents des états cycliques.

Reid (1991) présente le SPM comme étant dû aux chutes rapides d'œstradiol ou d'œstradiol et de progestérone qui surviennent chez toutes les femmes durant la phase lutéale. Le facteur endocrinien fait consensus dans le milieu médical (Hailey 1988) bien que Reid et d'autres montrent que les symptômes peuvent se manifester durant la phase folliculaire. Conscient du caractère «incertain et confus)} du SPM, Reid indique que le sujet est attirant pour ceux qui voudraient promouvoir « des traitements non-orthodoxes en vue de gains

personnels)} (1991:1209, ma traduction). Lui-même propose l'aide psychopédagogique, le changement de diète et l'exercice, des médicaments visant des symptômes particuliers et des antidépresseurs ; pour les cas graves, l'hystérectomie accompagnée d'hormonothérapie.

Bien que l'on admette que le système endocrinien est responsable du SPM, ce syndrome fIgure depuis 1993 dans le DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual), un ouvrage de référence psychiatrique. Les syndromes reconnus et formalisés associés aux menstruations sont le PMDD (premenstrual Depressive Disorder) et le LLPDD (Late Luteal Phase Dysphoric Disorder) (Davis 1996). Reid lui-même se demande si le SPM est dû au système endocrinien ou à des facteurs psychosociaux puisque des études montrent que les femmes sujettes à des troubles affectifs majeurs sont plus susceptibles de se plaindre de SPM (1991).

Le SPM rejoint, sur plusieurs points, les maladies de femmes de la fIn du XIXe siècle. Si l'on considère la liste non-exhaustive de près de 50 symptômes associés au SPM et à la neurasthénie on constate des recoupements (Ex: la lassitude, l'irritabilité, le manque de concentration, l'anxiété). De plus, il n'existe pas de diagnostic précis pour l'un ni pour l'autre de ces troubles; toutes les femmes sont potentiellement sujettes à des états dont le caractère pathologique sera évalué par le médecin en fonction de la gravité qu'il y perçoit (King 1989). La thérapie n'est pas scientifIquement prouvée et manque souvent d'effIcacité.

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Elle tend à être composée de cocktails pharmacologiques et· de la diète à la mode. La neurasthénie et le SPM ont attaché une signification pathologique aux comportements de certaines femmes. Reid avertit que l'introduction dans la nomenclature psychiatrique de (Cany such sex-specific diagnosis carries the risk of stigmatization and unwarranted generalization about all women» (1991:1208). Enfin, dans les deux cas, de nombreuses hypothèses cherchent

à identifier la cause des problèmes, aussi bien dans les milieux biomédicaux que psychiatriques, mais aucune ne fait l'objet de consensus (Davis 1996, King 1989).

Dans une recherche sur la ménopause, Lock (1993) établit que les contradictions au sein des interprétations scientifiques, et entre ces dernières et l'expérience des femmes se reflètent dans la pratique clinique. Une enquête a été effectuée auprès de 51 généralistes et gynécologues en milieu rural (Hailey 1988). Les praticiens s'estimaient généralement assez bien informés sur le SPM, mais plus des % voulaient avoir davantage d'informations médicales. Plus de la moitié d'entre eux n'avaient pas observé le cycle de la patiente avant de poser un diagnostic et la plupart avaient prescrit des médicaments, en particulier des analgésiques. Les traitements pharmacologiques et les réponses des médecins s'accordent quant à la source physiologique de la « maladie». Pourtant, parmi les docteurs qui pensaient que le SPM se retrouve dans une même famille, plus de la moitié l'attribuaient à un comportement appris et non à l'hérédité. Cette enquête sur les comportements des médecins face au SPM reflète la confusion qui règne dans les milieux scientifiques par rapport à ce syndrome.

La médecine considère le corps de la femme comme instable et énigmatique, même incompréhensible si on en juge par l'expérience clinique. La profession médicale a cependant bien changé de statut dèpuis le XIXe siècle. Le discours médical se présente comme entouré d'un halo de certitude pour les non-initiés tandis que pour les initiés, il reste la principale, sinon l'unique, source de connaissances même lorsqu'il se révèle inefficace ou confus.

3- Un tournant médical récent

De l'antiquité jusqu'à très récemment, la médecine a abordé les menstruations comme un processus problématique mais commun du corps féminin. Elle a même été jusqu'à considérer l'aménorrhée (absence de menstruation) comme une cause de problèmes de santé ou encore comme le signe d'une mauvaise santé. «In societies strongly influenced by the Hippocratic model, an absence of menstruation is considered to be a cause of disease, whereas in several contemporary non-western societies [ ... ] its symptom is viewed as a symptom of ill

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accompagnent les menstruations chez une minorité de femmes ont reçu une attention particulière. Cependant, au cours des dernières années, un nouveau type de discours médical a surgi. Il s'agit d'un discours qui repose sur des postulats qui rejoignent ceux de la fin du X1Xe mais qui s'en distingue par le fait que le processus même des menstruations est présenté comme une menace pour la santé. Elsimar Coutinho (1999) en est un exemple. Son point de vue présenté dans la Gazette des Femmes (février 2002) rejoint celui d'autres gynécologues. Lors de conversations informelles, des femmes m'ont rapporté que leur gynécologue partageait un point de vue similaire. Ainsi, alors qu'elles ne se plaignent d'aucun trouble, des femmes se voient dire que les menstruations sont mauvaises pour la santé et qu'elles devraient songer à utiliser des traitements hormonaux afln d'en suspendre la récurrence. L'argument est généralement accompagné d'une rhétorique féministe sur la nécessité pour les femmes de prendre contrôle de leur corps.

A la lecture de 1s Menstruation Obsolete? (Coutinho, 1999), on se rend compte que cette théorie ne provient pas de recherches cliniques. Ainsi, sans cette recherche, Coutinho (1999) afflrme que le fait d'avoir de nombreux cycles menstruels peut causer la dysménorrhée, l'endométriose ou le cancer du col de l'utérus. Il affIrme également que jusqu'au milieu du XXe siècle, nous vivions dans l'ère de la reproduction permanente: les femmes n'avaient presque pas de menstruations puisqu'elles enchaînaient périodes d'allaitement et grossesses sans interruption pendant toute leur vie. Le corps de la femme serait ainsi mésadapté à notre mode de vie actuel et n'aurais pas été conçu pour avoir des menstruations en si grand nombre. Cette afflrmation repose sur un postulat qui présente le corps de la femme comme étant strictement destiné à la reproduction. Sans grossesse, ce corps devient dis fonctionnel.

Coutinho avance également que les menstruations placent les femmes dans un état d'anémie légère permanente. Il s'appuie pour cela sur une recherche, effectuée à Baltimore, dont il ne présente ni les objectifs ni le contexte ; elle prouverait l'effet bénéflque de supplément de fer administré à un groupe d'adolescentes. Le groupe qui avait reçu des suppléments en fer a obtenu des résultats signiflcativement supérieurs à un examen de logique et de mémoire par rapport au groupe qui avait reçu un placebo. Coutinho en conclut que, les adolescentes étant toutes légèrement anémiques sans s'en rendre compte, toutes les femmes sont potentiellement en manque de fer et ont des problèmes de mémoire et de logique. En d'autres termes, les femmes sont handicapées intellectuellement à cause des menstruations.

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Or Coutinho travaille depuis les années 60

à

la nuse au point de contraceptifs hormonaux. Il est à la tête du laboratoire pharmaceutique qui a breveté le Dépo-Provéra approuvé par le Food and Drug Administration (FDA) des Etats-Unis en 1992. Son livre plaide pour la distribution massive de contraceptifs injectables ou de pilules qui suppriment les menstruations à travers des programmes de santé publique à travers le monde et surtout dans le Tiers-Monde. De la même façon, les femmes qui m'ont rapporté de façon informelle que leur gynécologue leur disaient que les menstruations sont dangereuses se sont fait conseiller de prendre la pilule contraceptive sans interruption ou du Dépo-Provera.

A la fin du XXe siècle, certains gynécologues interprètent les menstruations de la même façon que le faisait la théorie de la conservation de l'énergie de la fin du XIXe siècle: la fonction centrale du corps de la femme est la reproduction et ces fonctions reproductrices utilisent toute son énergie et l'empêchent de réfléchir aussi bien que le feraient des personnes qui n'ont pas de menstruations. Toutefois, au lieu de prescrire aux femmes l'arrêt de tout travail intellectuel, ces gynécologues de la fin du XXe siècle prescrivent des contraceptifs hormonaux qu'ils ont tout intérêt à faire vendre. Ils présentent le processus physiologique des menstruations en lui-même comme une menace pour la santé.

4- La critique

a) Méthodologique

L'étude quantitative des menstruations la plus connue est le MDQ (Menstrual Distress Questionnaire). On a critiqué son caractère biaisé: elle repose sur l'identification de symptômes psychosociaux, psychologiques, psychosomatiques et biologiques (parlee 1974, Davis 1996) et ne prête aucune attention aux expériences positives que certaines femmes ont durant les menstruations (Martin 1988). Parlee indique que les résultats s'assimilent aux stéréotypes à propos des femmes et des menstruations. Une enquête effectuée auprès de femmes et d'hommes montre une forte corrélation entre les réponses des personnes des deux sexes quant à ce que vivent les femmes durant leur cycle menstruel. Selon Parlee (1974), cela prouverait que les réponses tiennent plus du stéréotype que d'une réalité vécue et ressentie.

Davis (1996) reproche au MDQ un amalgame entre le SPM et la dysménorrhée. Celle-ci, dont les symptômes sont les crampes abdominales, le mal de dos et le ballonnement, survient au début des règles et a été attribuée à un niveau élevé de prostaglandine. Les nouveaux traitements qui la concernent semblent être efficaces (Davis 1996). Alors que la dysménorrhée semble être une expérience universelle, le SPM ne le serait pas.

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b) Ethnographique

L'OMS a effectué une étude auprès de 5322 répondantes réparties dans 14 pays différents (OMS, 1981). Bien qu'elle ne fasse pas de distinction entre les symptômes de la dysménorrhée et du SPM, l'étude révèle que, partout, 50% à 70% des femmes rapportent des maux de dos et d'abdomen durant les règles (dysmenorrhée). De plus, si on les compare à l'échantillon de femmes anglaises, les femmes du Tiers-Monde se plaignent moins de sautes d'humeur ou de dépression et quand elles le font, c'est généralement pendant les menstruations et non pas avant. Cela appuierait la thèse qui veut que le SPM ne soit pas un phénomène universel. Le SPM a été interprété comme un « culture specific disorder » : il est circonscrit en terme de diagnostic et de traitement à une technologie et à une idéologie propres aux pays occidentaux (Johnson, 1987).

c) Féministe

Pour Emily Martin, la recrudescence de théories médicales qui qualifient les menstruations de handicap est clairement liée à une tentative pour éloigner les femmes du marché du travail: la fin du XIXe et les 1 ers mouvements d'émancipations féministes; 1930 et

l'ère de la dépression économique; 1970 et l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail. A l'inverse, durant la 1 ère et la 2e guerres mondiales, des études médicales soutiennent

que les règles ne constituent pas un facteur limitatif (1987). Cet argument, bien qu'intéressant, omet le fait que, durant les années 70, des femmes ont exigé des traitements pour pouvoir travailler. D'autre part, Martin soutient que le SPM n'est un problème que dans le contexte de performance dans lequel nous vivons. De par son expérience corporelle différente, la femme est un bastion de résistance à l'offensive de l'idéologie productiviste capitaliste (Martin 1988).

Des critiques féministes soulignent que la médicalisation d'un phénomène ou d'un état s'accompagne de la minimalisation de l'influence de facteurs sociaux et psychologiques pourtant déterminants (Lock & Kaufert 1998). Ne pas tenir compte des causes sociales entraîne une déformation des problèmes humains et l'usage de termes médicaux réduit la possibilité de débats publics (Kohler 1998). De plus, la désignation d'un état comme pathologique contribue à sa marginalisation. Enfin, accentuer l'influence du SPM sur la violence conjugale ne rend pas compte du fait que ce sont les hommes qui restent les principaux initiateurs de violence domestique et de comportements anti-sociaux (Weitz 1998).

Il n'en reste pas moins que, depuis les années 70, de nombreux articles de médecine et dans des revues pour femmes entretiennent l'idée que les femmes ont besoin de médicaments

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pour étudier, travailler ou contrôler leur colère (Weitz 1998). En présentant le SPM comme une notion scientifiquement valide, les médias seraient même un des principaux facteurs de la persistance de ce syndrome et de la diffusion d'une certaine image de la femme dans tous les milieux sociaux (Davis 1996, Martin 1988). Les critiques faites à la définition du SPM demeurent circonscrites au milieu académique. Des magazines officiellement consacrés à l'intérêt publique comme La Gazette des Femmes présentent des dossiers sur la soi-disant nocivité des menstruations sans preuve à l'appui. On peut se demander ce qui pousse la presse populaire à promouvoir une telle image de la femme. Une partie de la réponse tient s~ns doute aux enjeux financiers de la médicalisation. Kohler (1998) souligne l'intérêt qu'y ont les compagnies pharmaceutiques. Dans le cadre de l'économie de marché, les fabricants de médicaments sont des géants multinationaux, dont le contact direct avec la population est de plus en plus facilité par les législations sur la publicité (Mintzes 2003).

d) Les manques

Très peu de critiques se sont fait entendre par rapport aux propos tenus par certains gynécologues quant aux caractère dangereux des menstruations. Cependant, aux É-U et au Brésil, des groupes de femmes s'organisent pour contrer l'offensive pharmaceutique amorcée depuis plusieurs années. Dans sa courte histoire le Dépo-Provéra a été administré surtout à des femmes dans le Tiers-Monde ou à des femmes pauvres, noires ou immigrantes dans les pays occidentaux (BWHBC 1998:323). Les dérèglement hormonaux qu'il provoque ne se restreignent pas à l'arrêt des menstruations comme le suggère Elsimar Coutinho (1999). Les effets secondaires vont de l'ininterruption de l'écoulement menstruel à la dépression en passant par les maux de tête, de dos et de ventre, les engourdissements, la baisse de libido, etc. (BWHBC) Les autres dispositifs de suppression hormonale des menstruations reposent sur un principe similaire au Dépo-provera et comportent certainement autant d'effets secondaires.

En ce qui a trait à l'anémie et au caractère intellectuellement déficient des femmes menstruées, les propos de Coutinho sont quelques peu saugrenus. Il est prouvé depuis longtemps que les menstruations sont un facteur de risque anémique pour les femmes souffrant de famine, de malnutrition ou de sous-alimentation. Dans les pays sur-industrialisés, les régimes alimentaires riches en gras et en sucre plus qu'en minéraux et en vitamines sont loin d'être bénéfiques pour la santé. Dans les deux cas, le problème relève plus d'une question alimentaire (mal-nutrition ou sous alimentation) que des menstruations comme telles.

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Dans un autre ordre d'idées, il pourrait être incomplet de n'inscrire les menstruations que dans le cadre du système reproducteur. Margie Profet (1993) a lié le phénomène des menstruations au système immunitaire. Le renouvellement des tissus utérins contribuerait à protéger l'organisme de l'intrusion d'éléments pathogènes par voie vaginale. De plus, Profet soutient que les menstruations sont associées à un facteur adaptatif. « Among menstruating species, the average degree of menstrual bleeding for a given species is a function of the factors affecting menstruation's costs and benefits- in particular the degree of bleeding is positively correlated with the average body size and sexually transmitted pathogen load of that species.» (1993:335) Plus de recherche visant à comprendre les fonctions remplies par le cycle menstruel en dehors de la reproduction serait nécessaire avant d'entreprendre de l'éliminer.

L'affirmation selon laquelle les femmes auraient de tous temps porté des enfants et allaité sans interruption est non-fondée. L'historien de la pharmacologie, John Riddle (1992, 1997), ou le livre Regulating Menstruation (Van de Walle & Renne 2001) ouvrent sur la gamme des plantes abortives et emménagogues qui sont ou ont été utilisées à travers le monde et dont les propriétés devraient être testées systématiquement. Dans le même ordre d'idée, un ouvrage sur la chasteté comme celui d'Elizabeth Abbott (2001) démontre indirectement que, si certaines femmes avaient beaucoup d'enfants, d'autres en ont toujours eu peu ou pas du tout (les aristocrates, les nonnes, les vieilles filles, etc.) On pourrait se demander si les femmes qui n'avaient pas d'enfants étaient en moins bonne santé que les autres. Déjà, la recherche de Danner, Snowdon et Friesen (2001) sur la santé des nonnes indique que ces femmes vivent plus longtemps et en meilleur santé que les femmes en général. Il est primordial de relever que le fait de ne pas avoir d'enfants n'accentue pas l'incidence de maladies reliées aux organes de reproduction. De toutes façons des ouvrages comme ceux de Freind (1730) ou d'Hippocrate indiquent que des femmes se sont plaintes de douleurs et de troubles avant et pendant les menstruations à diverses époques au cours de l'histoire. Et cela même à des époques que Coutinho décrit comme caractérisées par des grossesses et des allaitements incessants. Il faut donc chercher ailleurs les causes de maladies qui touchent le système reproducteur féminin.

Tout au long de son livre, Coutinho se présente comme un ardent partisan des féministes, offrant aux femmes les moyens d'avoir le contrôle de leur propre corps. De la même façon, les médecins qui suggèrent à leurs patientes de prendre la pilule sans interruption les exhortent à ne pas se soumettre aux caprices de la nature. Il faudrait pourtant se demander comment les femmes perçoivent les menstruations avant de présumer qu'elles veulent toutes

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s'en débarrasser. L'anthropologie ouvre une voie dans ce domaine, tout comme les études sur les menstruations et sur l'expérience que les femmes en ont.

IV Littérature anthropologique

La littérature anthropologique sur les menstruations traite rarement de l'expérience des femmes dans ce domaine. Une bonne partie des textes se rapprochent des études psychologiques sur les menstruations et tentent d'évaluer les capacités intellectuelles et physiques des femmes menstruées ou en phase prémenstruelle. Le recueil Culture Society and Menstruation (Olesen & Woods 1986) se distingue par la diversité de ses approches et par sa perspective féministe." Un des articles de ce livre révèle que les cycles de la semaine (5 jours de travail et 2 jours de fin de semaine) ont plus d'impact sur la productivité et l'humeur des hommes et des femmes que les cycles menstruels les plus houleux (Englander-Golden 1986).

Une autre catégorie de recherche porte sur les valeurs et les coutumes rattachées aux menstruations dans diverses cultures, mais rarement dans la culture nord-américaine. Parmi ces études, le recueil réalisé par Buckley et Gottlieb (1988) se démarque clairement par sa volonté d'aller au-delà de la présumée universalité du tabou menstruel. Les auteurs suggèrent non seulement que chaque interdit soit analysé dans le cadre de sa culture propre mais qu'il soit de plus mis en relation avec les autres interdits rituels, même s'ils n'ont pas, de prime abord, de lien explicite avec eux. Les contributions à ce recueil illustrent ainsi la diversité des sens associés aux huttes d'isolement selon les cultures.

Plus récemment un ouvrage a été consacré aux pratiques reliées aux menstruations en Afrique, en Amérique Latine et en Amérique du Nord. Regulating Menstruation (Van de Wal1e & Renne 2001) prétend rendre compte de l'expérience que les femmes ont des menstruations à travers le monde. Il s'agit en fait d'une enquête sur l'utilisation des emménagogues, où sont passées en revue les plantes ou méthodes qui sont et ont été utilisées ainsi que les motivations de leur utilisation. Il s'avère que dans plusieurs cultures, la récurrence régulière des menstruations est encouragée sans pour autant que leur induction se fasse avec l'intention d'avorter. Pour ce qui a trait à l'Amérique du Nord du XIXe et du XXe siècle, les auteurs s'attachent plutôt aux caractéristiques attribuées aux plantes emménagogues par des médecins qu'à l'utilisation qu'en font les femmes. Assez étrangement, les textes du recueil Regulating Menstruation sont traversés de commentaires quant à la manière dont les femmes et les cultures acceptent l'idée de l'absence de menstruation. On ne peut manquer de s'interroger sur le caractère intéressé de ces recherches ou tout au moins sur la manière dont

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