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Femmes engagées : pour une pratique alternative de développement

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Christiane Bérubé

Femmes engagées: pour une pratique

alternative de développement

Témoignages et analyses Numéro 6

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La collection «Témoignages et analyses» est publiée par le Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l'Est du Québec.

Les propos tenus dans cet ouvrage n'engagent que la responsabilité de l'auteure. Révision et édition

Jean Larrivée

Photographie de la page couverture: D'après une oeuvre de l'artiste Hélène Couture

Traitement de texte Annie Tremblay

Maquette de la page couverture Richard Fournier

Distribution et information Use Blanchette

GRIDEQ

300, allée des Ursulines Rimouski (Québec) GSL 3Al

Tél. : (418) 724-1440 Fax: (418) 724-1847

Données de catalogage avant publication (Canada) Bérubé, Christiane

Femmes engagées : pour une pratique alternative de développement (Témoignages et analyses; no 6)

Comprend des réf. bibliogr. ISBN 2-920270-59-1

1. Femmes dans le développement communautaire - Québec (province) - Bas-Saint-Laurent. 2. Bas-Saint-Laurent (Québec) - Conditions économiques. 3. Développement rural - Québec (Province) - Bas-Saint-Laurent. 1. Université du Québec à Rimouski. Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l'Est du Québec. II. Titre. III. Collection.

HQ1240.5.C3B47 1996 305.42'09714'77 © TOUS DROITS RÉSERVÉS Université du Québec à Rimouski (GRIDEQ)

Dépôt légal, 1er trimestre 1996

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Native de l'Assomption, Hélène Couture demeure dans la région du Bas-Saint-Laurent depuis bientôt 20 ans. Elle a réalisé de courts films d'animation, illustré des contes pour enfants et fondé un groupe de recherche en aérographie. Elle a été deux fois boursières du ministère des Affaires culturelles du Québec. Elle est également chargée de cours en arts visuels à l'Université du Québec à Rimouski.

Cet artiste axe ses recherches principalement sur des personnages et des animaux mythiques. Elle utilise des techniques mixtes et le dessin à l'encre de Chine y est constant.

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Avant-propos

Bien que les mots traduisent parfois difficilement certaines réalités et certaines émotions comme la gratitude et la reconnaissance, je tiens à transmettre un merci sincère d'abord et avant tout aux deux codirectrices de mémoire, Danielle Lafontaine et Nicole Thivierge, professeures à l'Université du Québec à Rimouski. D'abord à Danielle Lafontaine, pour l'intérêt, la disponibilité, l'encouragement de tous les instants, mêmle et surtout dans les moments de doute et de questionnement. Sa compétence en développement régional, en sociologie et pour la «cause» féministe ne font aucun doute. Un merci tout aussi sincère à Nicole Thivierge qui s'est jointe comme codirectrice de mémoire un peu plus tard. En plus de ses compétences en développement régional, en histoire et en féminisme, Nicole Thivierge a su m'apporter encouragement et stimulation qui ont été des éléments appréciés et appréciables dans l'atteinte du résultat de dépôt de ce mémoire. Je me considère privilégiée d'avoir pu compter sur la générosité à partager les connaissances de ses deux cod i rectri ces.

Je dois également remercier tous les professeurs du programme de la maîtrise en développement régional qui ont su faire découvrir la complexité entourant les concepts de région et de développement, qui ont amené les étudiantes et les étudiants à analyser et à confronter les théories en regard du développement régional.

Dans toutes les démarches requises par ce travail de recherche et de rédaction, j'ai pu compter sur la collaboration de plusieurs personnes, très majoritairement des femmes et j'aimerais les présenter et les remercier très chaleureusement, en espérant ne pas en oublier. D'abord les quatorze femmes qui ont accepté de collaborer à l'étude, par leur entrevue. Des femmes qui ont su trouver le temps de me rencontrer, de répondre à un volumineux questionnaire et ainsi d'identifier les événements marquants et significatifs, tant personnels que collectifs, eu égard à leur engagement et aux actions menées pour améliorer leur qualité de vie et de travail ainsi que celle de leur communauté. En somme, elles ont accepté de partager sur les lieux et les paliers d'implication dans des actions de développement, de développement local et régional particulièrement et sur

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les motifs d'une telle implication. La richesse et la pertinence des propos entendus valent tous les efforts consentis à une telle entreprise.

Le soutien au quotidien dans la transcription et la correction des textes m'a été apporté de façon indéfectible par Andrée Hurteau et Gisèle Beaulieu. Leur disponibilité et leur appui ont largement dépassé mes attentes et mes exigences les plus ambitieuses. À Andrée, un merci spécial pour la confiance et l'encouragement témoignés particulièrement dans le «sprint» final où la ligne entre le possible et l'impossible est si ténue.

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Table des matières

Page

Avant-propos...

vii

Introduction ...

1

Chapitre 1:

Problématique et cadre théorique ... 5

1.1 Problématique ... 5

1.2 Le changement social porté par les femmes... Il 1.3 Le développement régional... 14

Chapitre 2:

Mouvement des femmes et développement régional, une double quête d'émancipation ... "... 21

2.1 Le mouvement des femmes au Québec... 22

2.1.1 2.1.2 Mouvement d'affirmation et d'émancipation ... .. Dans un Québec qui s'affirme ... .. 22 31 2.2 Le mouvement régional du Bas-Saint-Laurent... ... ... 36 2.3 Les femmes du Bas-Saint-Laurent: un portrait socio-économique 42

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Page

Chapitre 3:

Portraits de femmes engagées... ... 51

3.1 Le rapport des femmes au développement: une pratique à découvrir ... 51

3.2 Quatorze femmes du Bas-Saint-Laurent en action... ... 52

3.2.1 3.2.2 3.2.3 3.2.4 3.2.5 3.2.6 3.2.7 3.2.8 3.2.9 3.2.10 3.2.11 3.2.12 3.2.13 3.2.14 Cécile Vignola ... . Colette Marquis ... . Monique V ézina ... . Denise Levesque ... . Violette Alarie-Gendron ... . Micheline Laroche ... . Suzanne Tremblay ... . Simone Gagné-Lepage ... . Paulette Griffin ... . Monique Dumais ... . Ariane Olivier-OueUet. ... . Madeleine Aubin ... . Ginette St-Amand ... . Andrée Gauthier ... . 52 56 60 63 67 70 74 77 81 85 89 93 97 101

Chapitre 4:

Les déclencheurs de l'action... 105

4.1 Les facteurs qui provoquent... 106

4.1.1 La condition des femmes ... 106

4.1.2 L'appartenance locale ou régionale... 109

4.1.3 L'héritage de la jeunesse... 110

4.2 Les modèles à l'origine de l'action ... 117

4.2.1 La famille ... 117

4.2.2 Des modèles du milieu scolaire, du milieu du travail, de la société en généraL... ... 123

(9)

Page

Chapitre 5:

De la mobilisation aux changements souhaités... 135

5.1 Une perpétuelle remise en question: mobilisation et choix d'interaction... ... ... ... ... 135

5.1.1 La personne... 136

5.1.2 Le collectif pour la cause des femmes... 137

5.1.3 Le collectif pour la région ... ... 142

5.2 L'auto-analyse des résultats perceptibles et souhaitables. ... ... 147

5.3 Résultats souhaités: porteurs d'avenir pour la mobilisation des femmes en région ... 153

Conclusion ... '...

161

Bibliographie ... '... ...

163

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Introduction

«La vraie richesse d'une communauté moderne n'est pas dans sa productivité, son produit national brut ou ses biens tangibles, mais dans l'intelligence créative de ses citoyens».

Malylyn Ferguson

Depuis plus de trente ans, les mouvements de femmes ainsi que les mouvements régionalistes portent leurs revendications sur la place publique, revendications ayant pour thèmes principaux l'affirmation et l'émancipation. L'affirmation et l'émancipation des femmes, l'affirmation et l'émancipation de la région comme groupe, comme mouvement, comme force et comme potentialité. Le lien entre ces deux mouvements nous a semblé intéressant à analyser, d'autant que plusieurs études au cours des années ont permis de mïleux comprendre, non seulement le cheminement des femmes et les changements portés et revendiqués par le mouvement des femmes, mais aussi le cheminement des régions ainsi que les changements portés par le mouvement régionaliste.

Des femmes ont eu à définir leur rapport à l'État, leur rapport à l'espace, leur rapport à la région bas-laurentienne. Elles ont souhaité être entendues et reconnues comme partenaires privilégiées du développement de leur région. Elles ont réclamé des changements dans les pratiques du développement régional pour que ce développement tienne compte de leur réalité, de leurs expériences de femmes, un vécu de femmes vivant en région. La régionalisation est de plus en plus affirmée et réclamée, les théoriciens du développement reconnaissent les effets bénéfiques du développement «par le bas», c'est-à-dire d'un développement initié, porté par des gens du milieu, où l'objectif recherché est de rapprocher de plus en plus le pouvoir et le centre des décisions du quotidien sur le terrain, près de l'action. Dans ce contexte, il semblait important d'identifier quelle place et quels rôles étaient réservés aux femmes dans le développement, même si les revendications de ces dernières étaient connues, d'autant qu'elles remettent en cause les pratiques de développement portées par une majorité d'hommes, les femmes étant peu

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présentes à des postes décisionnels orientant le développement régional. Étaient-elles même reconnues comme actrices de changement ou comme agentes de développement? Bien sûr, quelques femmes étaient connues par leur engagement et par leurs actions. Mais au-delà de ces quelques exceptions, le mouvement des femmes, comme initiateur et porteur de changements fondamentaux dans le développement régional était peu reconnu, particulièrement le rôle des actrices de ces changements luttant contre cette exclusion en oeuvrant à l'intérieur de divers groupes régionaux.

Pour mettre en lumière le rôle tenu et joué par des femmes du Bas-Saint-Laurent comme actrices de changement, nous avons rencontré quatorze femmes de la région, identifiées par plusieurs groupes comme des femmes d'action et engagées au sein de la communauté bas-Iaurentienne. C'est grâce aux témoignages de ces quatorze femmes que nous analyserons comment des femmes de la région ont pu être des actrices de changement et des agentes de développement.

Le premier chapitre de cette recherche définit la problématique du rapport des femmes au développement régional en précisant l'objet de la recherche, les hypothèses vérifiées, les concepts retenus en regard du changement social porté par des femmes et du développement souhaité et envisagé. Dans un deuxième chapitre, nous situons le mouvement des femmes et celui des régions comme double mouvement émancipatoire en retraçant les principales étapes du mouvement des femmes, dans un Québec aussi en quête d'affirmation. Nous rappelons également les grandes étapes de la recherche d'émancipation du mouvement régionaliste, en illustrant les modifications des approches du développement régional au cours des dernières années au Québec. Enfin, pour mieux saisir qui sont les femmes de la région bas-Iaurentienne, nous en tracerons un bref portrait.

Dans un troisième chapitre, nous mettons en lumière la pratique de développement portée par des femmes de la région en présentant les portraits des quatorze femmes engagées dans le milieu que nous avons rencontrées. Au chapitre quatrième, nous analysons les actions menées par ces femmes sous un premier angle, celui des déclencheurs, des modèles et des conditions à la source de leurs actions. S'agit-il de situations et de sujets précis dans leur famille ou de leur milieu d'origine, s'agit-il plutôt de situations ou de sujets identifiés à l'âge adulte, s'agit-il de modèles auxquels elles désirent ou non ressembler, enfin quelles sont les conditions qui rendent réalisables les actions qu'elles ont menées? Au chapitre cinquième nous examinons les témoignages entendus sous un deuxième angle, celui de la mobilisation des quatorze répondantes en analysant les motifs qui ont nourri à long terme leur engagement, puis leurs champs

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d'intervention ainsi que les résultats qu'elles estirnent avoir atteints, démontrant ainsi comment des femmes du Bas-Saint-Laurent peuvent être actrices de changement et agentes de développement, et ce, sur plusieurs plans: social, culturel, économique et politique.

(14)
(15)

Chapitre 1

Problématique et cadre théorique

1.1

Problématique

Depuis les années 1960, le paysage économique, social, culturel et politique du Québec a beaucoup changé. Celui de la région du Bas-Saint-Laurent également. Modernisation, rattrapage et développement qualifient souvent la période de 1960 à nos jours. Pour moderniser, rattraper et développer, il faut poser des gestes, agir, faire des changements, ce qui ne se fait pas sans questionner, sans bousculer l'ordre établi, sans engendrer certains heurts, sans choquer même. Le changement est possible, à ce prix. Des changements dans les conditions de vie et de travail des femmes, en somme des changements dans leur rapport à la société et à l'État, sont aussi inclus dans ce qu'il est convenu d'appeler modernisation, rattrapage et développement tant du Québec que d'une région en mutation, le Bas-Saint-Laurent. Une région qui a voulu, ces derniers trente ans, affirmer sa différence dans sa façon d'occuper son territoire, de s'y répartir, dans la manière de gérer et de développer ce territoire, de répondre aux besoins engendrés par ces différences touchant l'emploi, l'économie, la vie communautaire, la formation, les services et la culture. Et ce, dans un contexte économique plus difficile qui remet en cause le rôle joué par un État-providence, rôle questionné quant à la forme centralisatrice, uniformisante utilisée par l'État dans la mise en place des structures et des services1.

C'est dans ce climat effervescent et dynamique à la fois que se sont de plus en plus affirmés le désir et le besoin d'autonomie de la région bas-laurentienne, désir et besoin partagés et même attisés par les mouvements de femmes de la région, du moins en faisons-nous l'hypothèse. Cette volonté affirmée de prise en charge de la région, volonté aussi appuyée par les femmes elles-mêmes en démarche d'affirmation, a été porteuse de changements, dans la mesure où elle provoque des remises en question et propose des solutions autres que celles apportées aux problèmes soulevés, des alternatives aux choix retenus.

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priori, dans ce mouvement, un dénominateur commun, celui de la quête d'autonomie et d'affirmation. À cet égard quelques historiens et sociologues2 voient dans cette démarche d'autonomie et d'affirmation du Québec, celle des régions et celle des femmes une certaine analogie: la recherche d'identité comme peuple, comme région et comme personne qui est intimement liée. Le rapport de la région à l'État et le rapport des femmes à l'État dans la définition de leur espace, dans la détermination de leur devenir sont de plus en plus mis en évidence en ce sens que la région du Bas-Saint-Laurent, à l'instar des autres régions du Québec, mais avec sa spécificité propre, et les femmes de la région bas-Iaurentienne exigent d'être partie prenante à la définition des orientations politiques, économiques et sociales du Québec, à celles de la région ainsi qu'à celles touchant plus spécifiquement les conditions de vie des femmes à l'intérieur même de ces politiques.

À cet égard, c'est Micheline Dumont qui analyse, dans un texte sur L'expérience historique des femmes face à l'avenir politique et constitutionnel du Québec, cette volonté des femmes à être présentes dans la détermination de leur propre devenir:

Mais compte tenu des rapports inextricables de la structure de l'emploi avec les responsabilités historiques des femmes dans la famille, compte tenu également de l'expérience historique des femmes dans le marché de l'emploi, compte tenu enfin des nouvelles exigences des femmes pour l'égalité et l'équité salariales, on peut penser que le point de vue des femmes est devenu indispensable pour définir les priorités politiques et économiques du Québec. Le rapatriement des pouvoirs économiques ne devrait pas se faire sans la participation des femmes ni sans leurs conceptions de la définition des priorités3 .

Le droit d'occuper un territoire, la recherche d'une certaine dignité humaine, la lutte pour le respect et la reconnaissance des droits d'une collectivité sont des prérogatives d'hommes et de femmes, admettent d'emblée la plupart des gens, du moins dans le discours, mais dans les faits, reconnaît-on aussi aisément aux femmes et aux hommes les mêmes capacités à en déterminer le comment, les moyens ainsi que les objets des actions qu'elles engendrent? Question pertinente, nous semble-t-il, puisque la région du Bas-Saint-Laurent a été, depuis plus de vingt ans, le témoin de manifestations et d'expériences de développement parfois initiées, parfois décriées, parfois encouragées, parfois exigées par des personnes, des groupes et des mouvements sociaux du Bas-Saint-Laurent. De façon non exhaustive, qu'il suffise de rappeler des expériences

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telles celles des suites au Rapport du B.A.E.Q., les Opérations Dignité et les luttes contre la fenneture de paroisses, celles non moins célèbres pour la venue d'industries papetières, soit dans la Vallée de la Matapédia ou à Matane ainsi que la venue d'industries manufacturières, l'opposition à la fermeture de bureaux de postes en milieu rural, celles contre la déperdition des milieux ruraux portées par la mouvement Urgence rurale et la promotion de projets novateurs tels celui en sylvicuIture4 pour lutter contre la fenneture de paroisses. Et bien d'autres encore. «Depuis 1970, plusieurs événements sont intervenus dans l'Est du Québec pour signifier et rappeler la détermination d'une population à se défendre et à provoquer le développement de son territoin?».

La présence des femmes ou des groupes de femmes à ces expériences, bien que plusieurs personnes ou groupes nous en font la mention, est officiellement peu reconnue. Les rôles, les approches privilégiées et les motivations des femmes de la région à participer à de telles expériences de développement sont peu documentés et peu d'écrits, à notre connaissance, éclairent la contribution des femmes à ces revendications et à ces luttes. Qu'il suffise d'en énumérer quelques-unes: l'action des femmes dans la Vallée de la Matapédia, celle des femmes agricultrices du Bas-Saint-Laurent, celle des femmes collaboratrices de leur mari dans l'entreprise familiale, etc. Le rapport des femmes au développement régional, leur contribution au développement régional dans sa formulation et son orientation même, sont cependant peu reconnus officiellement. Cette absence de visibilité est aussi remarquée au niveau national «puisque la bibliographie de 1985 de ['Institut canadien de recherche sur le développement régional compte plus de 4 300 références et qu'aucune d'entre elles, pourtant, ne traite directement du rapport des femmes au développement régional» 6.

Que comprendre ou déduire de cette absence ou à tout le moins de ce peu de visibilité reconnue aux femmes en développement régional? Certains pourraient conclure rapidement à un manque d'intérêt de leur part, à un manque de leadership, et déduire également que ces dernières ont peu été présentes aux changements, peu impliquées et par le fait même qu'il soit peu pertinent de les considérer comme actrices réelles de changement. Ce n'est pas l'hypothèse que nous fonnulons et nous croyons pertinent de questionner la distribution du pouvoir ou de l'autorité entre les personnes et les groupes qui composent la société régionale. Le fait que les femmes ont peu occupé et occupent encore peu des postes de pouvoir décisionnel pourrait, à notre avis, expliquer en partie leur manque de visibilité officielle, ce qui n'induit pas qu'elles étaient absentes dans les faits des discussions, des oppositions et des résistances organisées et menées pour contrer les orientations et les décisions de la classe dirigeante composée alors d'une majorité d'hommes. Par ailleurs, nous estimons que dans un avenir

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rapproché, de plus en plus de femmes se retrouveront à des postes-clés dans des structures de développement quelqu'en soit le niveau, local, régional ou international, et ce, grâce aux changements profonds apportés par les mouvements féministes de cette fin de siècle.

Tenter de comprendre davantage le rapport des femmes au développement régional sous l'angle du changement porté par les femmes comme actrices ou agentes de changement et de développement est un défi emballant, insécurisant aussi en se disant que bien d'autres avant nous ont dû s'interroger. En se disant aussi que plusieurs se demanderont ce qu'il y a de différent entre les actions de développement menées par des femmes et celles menées par des hommes. L'histoire du mouvement des femmes, en mettant en relief toutes les formes de domination subies par elles depuis des décennies, domination dans leurs rapports à l'environnement, à la communauté et à l'État, peut nous amener à croire qu'elles ont eu à vivre aussi de la domination dans leur rapport au développement régional porté, au niveau du discours et publiquement, par une forte majorité d'hommes. D'autres nous feront remarquer qu'il ya un danger de marginalisation en isolant un sujet ou un groupe à étudier. Et s'il fallait mettre l'accent sur la situation des femmes pour mieux comprendre et accepter leurs différences, pour entendre et reconnaître les revendications et les actions de changement et de développement portées par ces dernières?

Le rapport des femmes au développement régional ne fait que depuis quelques années l'objet de questionnements et de recherches officielles. Ces dernières années, une équipe membre du Groupe de recherche et d'intervention régionales de l'Université du Québec à Chicoutimi (GRIR) tente de l'analyser et propose des éléments théoriques et méthodologiques pour ce faire. Pour cette équipe, il devient impérieux que les femmes soient au fait

des enjeux que peuvent constituer pour elles les priorités du développement local/régional ainsi que leurs potentialités d'action à ce niveau. Non seulement les femmes doivent-elles produire une réflexion critique sur l'impact qu'ont les décisions de développement sur leurs conditions de vie et de travail, mais elles doivent travailler à en redéfinir les enjeux en fonction de leurs propres intérêts et de leurs aspirations7 .

L'aspect novateur des recherches menées par ce groupe consiste à introduire une perspective féministe dans le champ des études régionales8. Ce groupe démontre le peu de place des femmes dans les politiques de développement régional, leur absence comme objet des politiques de

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développement, souligne, à l'aide d'autres études, «que l'effet du développement est gender-spécific», en ce sens que les recherches montrent le renforcement

de la dépendance économique des femmes face au marché du travail, [. .. ] l'érosion du statut social des femmes, devenues simples salariées à temps partiel,

l ... ]

la précarité du travail des femmes, reléguées au rang de force de travail peu coûteuse, mobile et malléable9 .

Ce groupe de recherche met également en lumière les pratiques d'autodéveloppement portées par les femmes, développement «centré sur les besoins objectifs des femmes» et nous affirment que

leurs discours et pratiques (des femmes) nous orientent vers un développement autodirigé, reposant sur des solidarités féminines et communautaires et impliquant la constitution de nouveaux rapports d'alliance au sein des communautés locales 10.

Ces lectures permettent de mieux cerner le mouvement historique des femmes, le rapport de ces dernières au développement, particulièrement au développement régional.

Certaines autres recherches féministes menées en géographie ont eu aussi un impact capital en démontrant qu'il y avait des inégalités femmes-hommes non seulement dans la société mais aussi dans l'espace. De plus,

Si les premières recherches féministes sur l'espace exploraient surtout la place des femmes dans les structures urbaines ou encore la structure de l'emploi féminin suivant les régions, les recherches actuelles se rapportent davantage à une dynamique, celle du changement social, centrée spécifiquement autour d'enjeux liés à la redéfinition de la place des femmes dans l'économie et la société. L'analyse du développement passe ici par celle de l'action des groupes de femmes, à divers niveaux territoriaux, par l'analyse des formes de leurs organisaitons, de leurs réseaux, de leurs rapports à l'État ou aux autres groupes de la société civile. 1 1

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convient de souligner ici un point commun important entre les analyses féministes et celles du développement local et régional : leur orientation vers l'action».12

Et cette affirmation nous démontre de nouveau les formes d'implication des femmes dans le développement de leur communauté.

Enfin, des femmes actrices de changement, souvent engagées au sein de groupes féministes et au sein de groupes de développement, ont voulu imprimer leur vue sur le développement porté par et pour des femmes, un développement qui se veut holistique tel que le définissent Nicole Thivierge et Marielle Tremblay.

Car une conception holistique du développement ne se limite pas à la dimension économique, mais réintègre l'importance du social et du politique. Cette approche tient compte de l'ensemble des biens et des services produits dans les sphères de l'économie formelle et informelle, contre rémunération ou non, dans le but de satisfaire le bien-être collectip3.

À cet égard, plusieurs travaux de recherche ont été menés par des chercheures féministes14 d'abord pour indiquer et analyser les liens de convergence et de divergence entre le mouvement féministe et le mouvement régionaliste, ensuite pour démontrer qu'

elle (conception holistique du développement) considère les femmes comme des agentes et des actrices qui définissent de nouveaux paradigmes pour le développement. En ce sens, les femmes indiqueraient des pistes pour un développement «autre»et poseraient de nouveaux enjeux.15

Notre intérêt est donc grand de montrer à l'aide d'une quinzaine de témoignages de femmes du Bas-Saint-Laurent, qu'il y a, à l'intérieur de la région, des «leaders femmes» de changement et de développement régional. De montrer qu'il y a des femmes actrices ou agentes de changement et de développement qui ont combattu leur exclusion du développement, habituellement entendu comme étant le développement économique, en s'impliquant dans divers dossiers, groupes ou mouvements pour changer la conception, la vision et les orientations mêmes du développement, pour les changer de l'intérieur, dans des lieux d'action, avec des moyens à leur mesure et à leur portée, pour proposer et mettre en forme des pratiques de développement

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et des modes d'organisation du territoire autres afin d'être respectées dans leur réalité et d'être reconnues comme partenaires de ce développement, afin également d'améliorer les conditions de vie tant les leurs que celles de leur famille et de leur communauté.

Il s'agit d'une démarche de conscientisation collective, de prise de parole collective, une démarche qui entraîne des changements sociaux et des pratiques alternatives en développement régional portés par des femmes du Bas-Saint-Laurent. Des femmes du milieu régional qui, par leurs actions et leurs pratiques, par leur rapport à l'espace régional, ont pu intégrer le mouvement émancipatoire des femmes et celui des régions, d'une région, le Bas-Saint-Laurent, préoccupées qu'elles sont d'un développement qui fait place à l'ouverture, à l'accueil d'idées contradictoires, à la participation d'une large partie de la population, à la mobilisation, aux consensus, aux remises en question et qui donne priorité à des projets locaux.

1.2

Le changement social porté par des femmes

L'hypothèse que des femmes du Bas-Saint-Laurent, actives et impliquées dans divers groupes ou mouvements, soient des actrices de changement social ou des agentes de développement de leur milieu, nous amène à approfondir certains concepts théoriques sur lesquels s'appuient notre réflexion et notre démonstration.

A vant même de porter un regard sur le rôle des felnmes comme actrices sociales ou agentes de changement et de développement, soit individuellement, soit collectivement, il importe de comprendre le concept même de changement social et de mouvement social. Une première mise en garde, celle de ne pas confondre changement avec évolution sociale puisque cette dernière, nous dit Guy Rocher, est «l'ensemble des transformations que connaît une société pendant une longue période16». Notre objectif n'est pas de mesurer l'évolution sociale de l'engagement ou du mouvement des femmes. D'abord parce que cette évolution qui est multidimensionnelle s'étale sur une très longue période, c'est-à-dire sur un siècle tout entier et parfois plus. Enfin, parce qu'elle peut, dans la perspective de porter un jugement critique, nécessiter beaucoup de recul quant à la tenue des événements.

Le changement social, en contrepartie, est entendu comme un phénomène ou comme un ensemble de phénomènes pouvant être rapide et radical, être vérifiable dans le temps, comme un phénomène devant être également promu et

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partagé par plusieurs personnes, devant toucher une masse d'individus, devant entraîner un changement de structure, avoir une certaine permanence qui dépasse la mode passagère pour en ressentir véritablement les effets. On doit alors pouvoir décrire les modifications et surtout apprécier où, en quoi et comment les modifications ou les phénomènes ont changé le cours de l'histoire et de la vie en société 17. La notion «de mouvement dans 1 'histoire» apportée par Marx par la méthode dialectique, celle-ci étant «1' évolu tion dialectique des contradictions réelles de la société», est importante, car on peut se demander si les changements survenus depuis plus de trente ans pour améliorer les conditions de vie et de travail des femmes, en région, au Québec comme dans le monde entier, sont nés de la «confrontation des contradictions» menée par des femmes.

L'action collective ne peut être considérée comme la somme des résistances individuelles, ici celles des femmes,

mais ces actions des individus entraînent une lente érosion de certaines valeurs. Les résistances des individus aux normes prescrites, leurs revendications en faveur de ceci ou cela sont toujours orientées vers la désorganisation et vers la réorganisation simultanées des configurations culturelles 18.

En ce sens les résistances individuelles des femmes sont importantes en regard des effets déstabilisants et porteurs de changements qu'elles entraînent à la longue en regard des valeurs et des comportements, chez des individus, au sein de la famille et de la communauté. Des effets collectifs.

Par ailleurs, tout en ne niant pas cet apport, ce qui nous intéresse davantage, c'est de regarder la force groupale des femmes en tant que mouvement social qui existe seulement si «le système d'action historique et donc chacun de ses éléments est l'objet de visions opposées d'acteurs de classes antagonistes»19. En ce sens, il s'agit de voir que des femmes comme mouvement de femmes au sein de groupe organisé ou non, ont mené des luttes, ont revendiqué, proposé des changements en réaction et en opposition à des orientations, à des politiques apportées et même imposées par les membres de la classe dirigeante, formée d'hommes en majorité et ce, dans le but d'améliorer leurs conditions de vie et de travail ainsi que de bonifier la façon d'occuper leur territoire.

De fait «l'essentiel est de reconnaître que le mouvement social n'est pas l'expression d'une contradiction; il fait éclater un conflit» 20 . C'est pourquoi il nous apparaît pertinent de regarder comment des femmes, actrices de changement, femmes étant partie prenante au mouvement des femmes en région,

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ont initié, porté des changements majeurs, et ce, sur le plan social, économique, culturel, politique et éducationnel.

Au sein de la région, on peut penser que c'est au moment où les modèles ou les façons de faire ont été remis en question par des forces nouvelles issues du milieu, en l'occurrence celles-ci étant les femmes, que des changements ont pu s'amorcer grâce et par le mouvement (contradictions qui s'affrontent) des femmes. Des femmes donc actrices de changement ou agentes de changement dans le sens qu'elles proposent, appuyent, favorisent ou s'opposent à des changements21 .

Les agents (du changement) sont donc, comme le souligne Guy Rocher, les acteurs et les groupes dont l'action sociale prend, à certains égards, le caractère d'une action historique. Ce sont les acteurs et les groupes dont l'action est animée par des buts, des intérêts, des valeurs, des idéologies qui ont un impact sur le devenir d'une société.22

Divers groupes de femmes ont questionné l'État et ses politiques, ont remis en cause les règles du jeu établies, se sont opposés à des lois et à des choix d'organisation soit du territoire, soit de travail, soit de Xa vie en société, ont revendiqué des changements à leurs conditions d'existence, de vie et de travail. En ce sens, les décisions prises par l'État, par les tensions créées, les résistances suscitées et les oppositions manifestées, ont pu être à la base des changements provoqués. Le politique, en étant à la source de conflit, a de ce fait permis l'apprentissage de la démocratie en faisant surgir l'expression de l'opposition, et ce, de la part d'un mouvement social, celui des femmes en particulier. À cet égard, il est intéressant d'ajouter que

l'importance accordée aux mouvements sociaux n'est pas séparable de l'idée qu'une société, avant d'être un décideur est un champ d 'historicité, un système d'orientation et de rapports de classe

1 ...

J Leur existence rappelle que la société n'est pas un système piloté, mais la réalisation conflictuelle d'un système d'action historique, marquée par la domination, la protestation et le conflit, par le contraste de la lumière et de l'ombre.23

(24)

1.3

Le développement régional

Depuis plus de trente ans, nous avons pu constater plusieurs transformations tant sur le plan social qu'économique. Ainsi, à travers les bouleversements engendrés par la remise en question de l'État providence, ceux engendrés par la mondialisation des marchés, ceux engendrés par la crise économique mondiale, la question du développement d'une région, du développement régional, du développement porté par une partie de ses membres, les femmes, prend de l'importance et représente à nos yeux un enjeu de taille. Un enjeu et un défi dans le sens que le contexte économique et social oblige l'État à se poser des questions sur ses pratiques de gestion et de développement, l'oblige à revoir même sa façon de penser le développement, et surtout l'oblige à se demander comment impliquer les communautés locales et ses membres, dont les femmes, aux orientations et mesures de développement.

À cet égard nous pouvons constater le fossé entre une approche du développement pensé par le haut, de façon centralisée, avec une préoccupation d'uniformité dans un objectif d'intégration, conçu par des technocrates et des gens du politique loin des milieux de vie et celle du développement pensé par le bas, avec le concours des gens du milieu où sont valorisées des valeurs comme l'autonomie, la responsabilisation, la différence, le particulier et où l'humain prend davantage de place. Il s'agit donc de deux conceptions du développement, «descendant» et «ascendant» très distinctes.

Par ailleurs, puisque les actions de développement doivent s'incarner en quelques lieux et se vivre par des individus et des groupes situés dans un espace particulier, le concept même de «région» a besoin d'être mieux défini. En ce sens, l'espace région n'a généralement de réalité que par les rapports et les activités qui s'y passent. Ceux-ci peuvent être d'ordre économique, social, culturel et éducationnel. Lionel Robert nous dit à ce propos qu'«il (espace-région) reçoit sa spécificité des rapports sociaux qui le configurent» 24.

De plus, la région tout en étant souvent le résultat d'un découpage accepté par l'instance politique pour des fins administratives, est aussi en partie le résultat d'un découpage qui tient également compte des liens homogènes tissés au fil des ans par des générations. La région est de fait souvent définie par des géographes25 comme région naturelle ou «cadre spatial où s'étudient des combinaisons de phénomènes», dont celui de l'espace avec sa collectivité, phénomène qui nous apparaît très important.

(25)

qui se noue entre l'espace et la collectivité et aux rapports sociaux qui se tissent et qui orientent les choix d'activités et de vie sur le territoire. La région dans cette recherche est alors celle reconnue sur le plan administratif comme étant celle du Bas-Saint-Laurent où se vivent des phénomènes sociaux, économiques, culturels et politiques, tant sur le plan régional que local. Le local étant entendu comme la municipalité ou la M.R.C. où se vivent plusieurs de ces phénomènes, où

se tissent également les liens sociaux, où se vivent des tensions, des ruptures et donc des changements. D'autant que les municipalités prennent de plus en plus de place dans les discussions avec le pouvoir central et régional pour la définition des orientations et politiques les concernant.

Le concept même de «développement» retenu a intérêt à être explicité puisqu'il est souvent compris comme un ensemble de moyens à mettre en oeuvre pour assurer un bien-être économique. Selon Guy Rocher le développement, «c'est la totalité des actions entreprises pour orienter une société vers la réalisation d'un ensemble ordonné de conditions de vies collectives et individuelles, jugées désirables par rapport à certaines valeurs»26. En ce sens ce sont des actions menées par des individus, des femmes dans le cas de la présente recherche, qui peuvent entraîner des changements sociaux qui font donc des femmes des actrices de changement. En tenant compte de la définition du développement donnée par le B.A.E.Q. (Bureau d'aménagement de l'Est du Québec) comme étant «l'ensemble cohérent des transformations dans les structures économiques, administratives, politiques, sociales et psychologiques, qui permet l'apparition de la croissance et sa prolongation dans le temps»27 et de celle fournie par François Perroux qui dit que «le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux d'une population qui la rend apte à faire croître, cumulativement et durablement son produit réel et global»28, c'est la définition de François Partant qui retient particulièrement notre attention dans la mesure où celle-ci met en lumière un double potentiel, celui des personnes et celui des régions. Il écrit:

le développement ne peut être que la réalisation progressive d'un double potentiel : d'une part, le potentiel que représentent toute collectivité humaine et tous les individus qui la composent, d'autre part, celui que constitue le milieu physique dans lequel se trouve cette collectivité, un milieu 'lu' elle utilise pour assurer son existence et préparer celle des générations à venir. De même qu'un enfant se développe en devenant un adulte et non en enfilant un costume d'adulte, une société se développe à partir de ce qu'elle est elle-même, en mettant à profit les ressources qui l'entourent et qui varient beaucoup d'un

(26)

point à un autre de la planète29 .

Le développement, étant donc un mouvement qui vise à améliorer une situation, à atteindre un mieux-être des personnes ou des collectivités, est potentiellement engendré par des crises, des luttes ou des ruptures; il est aussi porté par des acteurs, des actrices ou agentes de changement et se déroule dans un espace donné, soit une région, une municipalité ou une M.R.C. On parle alors de développement local ou régional, de développement «endogène».

De plus en plus le concept de développement régionalement planifié reçoit des échos positifs, à tout le moins dans le discours, puisque les difficultés économiques vécues depuis plus de dix ans, tant au Québec qu'au Canada, amènent les gouvernements à repenser les théories du développement régional visant à assurer d'abord un rattrapage des régions sur le plan économique et ensuite réduire les disparités entre les régions, objectifs longtemps priorisés par les gouvernements québécois et canadien30. Apparaît donc de plus en plus dans le discours le concept de développement endogène, par le bas, où l'État ne devient qu'un partenaire de développement, devient un élément support de ce développement dans un milieu où émergent des leaders régionaux, des acteurs, des promoteurs qui peuvent être des personnes, des groupes, des institutions. «Le développement dit endogène est défini comme un phénomène socio-économique collectif, étroitement dépendant d'une planification décentralisée» qui laisse entrevoir que de «nouveaux enjeux se dessinent en matière d'intégration des diverses actions poursuivies à des fins de développement régional, depuis différents secteurs tant industriel ou coopératif, qu'éducatif ou social de la vie régionale»31.

Pour plusieurs l'enjeu ou le défi que représente l'intégration des divers secteurs d'activités repose sur la capacité du milieu à se concerter, alors que pour d'autres il s'agit davantage d'identifier non seulement ces lieux possibles de concertation mais d'en connaître le pouvoir réel, c'est-à-dire leur capacité effective de décider. De fait une économie largement dominée par des capitaux étrangers, peut difficilement répondre à des besoins d'enracinement et d'amélioration de qualité de vie des gens du milieu. À cet égard John Friedmann a souligné que

l'autonomie régionale se trouve limitée de deux façons: par ce qui constitue alors l'objectif de développement, soit la croissance économique, et par la capacité de la région à tirer profit des rapports entretenus avec le capital transnational et avec l'État32 .

(27)

Par leurs réflexions, Aydalot, Chevalier, Friedmann, Perrin et Weaver33 nous aident à mieux comprendre la signification d'un développement endogène signifiant pour le milieu régional. John Friedmann, quant à lui, distingue «autodépendance» et «autodéveloppement» où celui-ci, décrit comme développement par l'intérieur, doit tenir compte de l'économie nationale et internationale pour atteindre une qualité de vie améliorée. «L'autodéveloppement n'a de chance de réussir qu'à condition que cette approche s'alimente à une idéologie politique orientée vers le futur et se dote d'une système d'indicateurs sociaux renouvelés»34. Friedmann souligne de plus que ce sont «les régions polarisées par les villes mondiales» qui ont le plus de chance de s'autodévelopper pour diverses raisons: liens internes, taille des marchés, monopole géographique, abondance d'infrastructures, expertises disponibles. C'est pourquoi nous nous intéresserons davantage à son second concept de développement «au todépendant» dont «le premier trait caractéristique est la présence d'une stratégie de mobilisation sociale à des fins politiques»35. Aydalot le rejoint quant au sens à donner au développement endogène en soulignant qu'une des conditions pour réussir un développement endogène réside «dans l'existence d'un consensus local qui implique la participation aux décisions, la réduction des rigidités corporatives et sociales, l'abandon d'attitudes défensives attendant la survie du bon vouloir d'un pouvoir lointain»36.

Les mots-clés d'une démarche collective en vue d'un développement régionalement planifié sont donc tel que nous l'avons déjà mentionné, ouverture, accueil d'idées contradictoires, participation, animation, suivis, mobilisation, remises en question, priorité à des projets locaux. Et noUlS faisons l'hypothèse que le développement porté par des femmes du Bas-Saint-Laurent comme actrices de changement se réfère à cette forme de développement endogène qui propose également des modèles autres de développement, modèles favorisant le bien-être et la qualité de vie. Des femmes du milieu régional qui en somme ont combattu leur exclusion du champ du développement en s'impliquant dans des groupes, en luttant et en s'opposant à des mesures de développement qui ne convenaient ni à leur propre développement comme personne ni à celui de leur famille ni à celui du milieu local ou régional.

Notes

1. Uzette ]albert, «Décentralisation ou autonomie administrative: éléments de synthèse et de

réflexion sur la réforme municipale et régionale au Québec», Cahiers de recherche

sociologique, vol. 3, no 1 (avril 1985) : 77.

(28)

Trécarré, 1986, pp. 425-428. Micheline Dumont, «L'expérience historique des femmes face à l'avenir politique et constitutionnel du Que'bec», L'Action nationale, vol. LXXXI, no 5 (mai 1991) : p. 622. Gabriel G!lgnon, «Le mouvement autogestionnaire queôécois» dans Gabriel Gagnon et Marcel Rioux, A propos d'autogestion et d'émancipation, IQRC, 1988, pp. 119-132. 3. Micheline Dumont, op. cit., p. 620.

4. On parle ici de l'expérience de Léonard Otis de St-Damase qui a défendu l'approche suivante: «cultiver la forêt, la gérer avec efficacité, utiliser au maximum son potentiel afin

de créer le plus d'emplois possible», tiré de la préface de Bernard Lemaire dans Léonard

Otis, Une forêt pour vivre, collection Témoignages et analyses, no 1, GRIDEQ, 1989.

5. Hugues Dionne, «Le mouvement populaire en milieu rural, un certain parcours» dans Bruno Jean et Danielle Lafontaine, dir., Région, régionalisme et développement régional, cahiers du GRIDEQ, no 14, 1984, p. 137.

6. Dominique Masson, Marielle Tremblay et Pierre-André Tremblay, «Femmes et

développement régional : éléments d'une problématique et intuitions de recherche» dans Christiane Gagnon et aL, Le local en mouvement, UQAC, GRIR, 1989, p. 134.

7. Marta Anadon et aL, Vers un développement rose, Groupe de recherche et d'intervention régionales, UQAC, avril 1990, p. 1.

8. Ibidem, p. 3.

9.' Ibidem, p. 5. 10. Ibidem, pp. 12 et 36.

11. Caroline Andrew, Béatrice Sokoloff, «L'apport des recherches féministes aux analyses du développement local et régional» dans Revue canadienne des sciences régionales/Canadian Journal of Regional Science, numéro thématique: Femmes et développement régional sous la direction de Caroline Andrew et Béatrice Sokoloff, vol. XVI, no 2 (été 1993) : p. 160. 12. Ibidem, p. 161.

13. Nicole Thivierge et Marielle Tremblay, «Trajectoires de carrière et prise de parole des

femmes en région» dans Denyse Côté et al., J?u local au planétaire, Réflexions et pratiques de femmes en développement régional, Les Editions du remue-ménage, 1995, pp. 219-220. 14. Plusieurs auteur es chercheures féministes dont Francine Descaries et son équipe, Huguette

Dagnais, Oaire V. de la Durantaye, Nadia Famy-Eid, Danielle Lafontaine et l'équipe du GRIDEQ de l'Université du Québec à Rimouski, Marielle Tremblay et l'équipe du GRIR de l'Université du Québec à Chicoutimi ont développé et porté tout un corpus de réflexions épistémologiques et méthodologiques sur le lien entre le développement régional et la pensée féministe.

15. Nicole Thivierge et Marielle Tremblay, op. dt., p. 220.

16. Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale. 3. Le changement social, Hurtubise,

HMH, 1969, p. 322.

17. Cest Guy Rocher qui présente ces éléments du changement social dans Introduction à la sociologie générale 3. Le changement social, Hurtubise, HMIT, 1969, pp. 324-325.

(29)

18. Danielle Lafontaine, «Identité et créativité» dans Marisa Zavalloni, dir., L'émergence d'une culture au féminin, Éditions Saint-Martin, 1987, p. 46.

19. Alain Touraine, Production de la Société, Éd. du Seuil, Paris, 1973, p. 365. 20. Ibidem, p. 365.

21. Guy Rocher, op. cit., p. 329. 22. Ibidem, p. 329.

23. Alain Touraine, op. cit., p. 429.

24. Lionel Robert, «L'espace et l'État, politiques et mouvements urbains et régionaux au Québec», Critère, no 23 (automne 1978): p. 233.

25. Voir Étienne Juillard, «La région : essai de définitiom), Annales de géographie, no 387 (septembre-octobre 1962) : pp. 487-492. Armand Fréinond, «À chacun sa définition» dans Dossier région: Enquête sur un concept au-dessus de tout soupçon, revue Espace-Temps, no 10,11 (1979) : pp. 27-29. Marcel Bélanger, «À propos de la régionalisation », Critère, no 23 (automne 1978) : p. 38.

26. Guy Rocher, op. dt., pp. 453 et 454.

27. B.A.E.Q., «Les grands objectifs» dans Plan de développement, cahier no 1, Mont-Joli, 1966, p. 10.

28. François Perroux, L'économie du XX e siècle, Presses universitaires de France, chapitre: «La notion de développement», 1969, p. 191.

29. François Partant, La fin du développement, naissance d'une alternative, Éd. F. Maspero, 1982, p. 28.

30. Avec des visées et des approches différentes, tant la théorie contenue dans le rapport HMR (Higgins, Martin et Raynauld) que celle de Philippe Aydalot proposent des actions pour réduire les disparités entre les régions, régions ici entendues au sens large (province ou regroupement de provinces).

31. Définition tirée de : Les conférences socio-économiques et le pouvoir régional: une problématique, Comité scientifique GRIDEQ/ AQORCD, octobre 90, p. 133.

32. John Friedmann, «Autodéveloppement ou autodépendance) dans Redéploiement industriel et planification régionale, Montréal, Faculté de l'aménagement de l'Université de Montréal, 1985, pp. 290-291.

33. Voir Aydalot, Chevalier, Friedmann, Perrin et Weaver qui proposent ces mots clés POU! un développement régionalement planifié. Philippe Aydalot (sous la ~:iirection de), A la recherche des nouveaux dynamismes spatiaux, Crise et espace, Paris, Economica, 1984, pp. 56-67. Bernard Chevalier, «Développement micro-régional et planification locale, "expérience d'une planification par projet en pays d'Apt» dans Bernard Planque (sous la direction de), Le développement décentralisé : dynamisme spatial de l'économie et planification régionale, Paris, LITEC, 1983, pp. 269-283. John Friedmann,

(30)

régionale, Montréal, Faculté de l'aménagement de l'Université de Montréal, 1985, pp. 297-299. J.e. Perrin, «Théorie de la planification décentralisée» dans Bernard Planque (sous la direction de ), Le développement décentralisé: dynamique spatiale de l'économie et planification régionale, Paris, LITEC, 1983, pp. 167-175. Clyde Weaver, La théorie du développement et la question régionale: une critique de la planification spatiale et des détracteurs, Collection «notes de recherches» no 16, 1981-1984, Centre d'économie régionale, Aix-en-Provence, pp. 40-47.

34. John Friedmann, op. cit., p. 294. 35. Ibidem, p. 297.

(31)

Chapitre 2

Mouvement des femmes et développement régional,

une double quête d'émancipation

Pour mieux cerner et comprendre la place et le rôle des femmes du Bas-Saint-Laurent comme agentes de changement social des années 1960 à nos jours, particulièrement celui de quatorze femmes impliquées et engagées dans des actions de développement, il est important de tracer brièvement l'histoire du mouvement des femmes au Québec, un Québec également en quête d'affirmation. Secouer le joug de l'oppression et s'affirmer ont aussi été des luttes et des messages portés par les acteurs et les actrices d'une région, celle du Bas-Saint-Laurent.

On peut dès lors se demander ce qu'ont en commun le mouvement féministe et le mouvement régionaliste. À prime abord, il semble que ces deux mouvements poursuivent un même objectif, celui de la quête d'affirmation et d'émancipation, lequel est expliqué davantage plus loin. Bien qu'ils partagent cet important dénominateur commun, ces deux mouvements n'en conservent pas moins chacun leur spécificité et leurs acteurs essentiels. Le mouvement des femmes continue de défendre ses propres enjeux, notamment en ce qui concerne toutes les questions du contrôle par les femmes de leurs fonctions reproductives et de la reconnaissance de la valeur des tâches domestiques qu'elles assument encore souvent seules. Quant au mouvement régionaliste, ses préoccupations ont été longtemps essentiellement centrées sur des questions économiques et sur ses figures de proue surtout masculines. C'est la complexité de l'articulation des enjeux entre ces deux mouvements qui est à l'origine de plusieurs réflexions, discussions, revendications, voire même, oppositions. Comme le souligne le Groupe de recherche et d'intervention régionales de l'Université du Québec à Chicoutimi

avec la question des femmes, le développement régional est obligé de se réorienter et de se transformer, car les domaines d'intervention, les modes d'action et les interlocuteurs traditionnels du développement sont remis en question.

(32)

En effet, le renforcement des inégalités régionales, ainsi que la reconduction, dans le développement des régions, des inégalités sociales et de sexe nous force à nous questionner sur la capacité du modèle dominant de ce développement et de ses principaux acteurs -l'entreprise et l'État - à assurer le «bien-être des collectivités» [ .. .]

À notre avis, ce contexte rend encore plus nécessaire la connaissance, par les femmes, des enjeux que peuvent constituer pour elles les priorités du développement local/régional ainsi que leurs potentialités d'action à ce niveau. Non seulement les femmes doivent-elles produire une réflexion critique sur l'impact qu'ont les décisions de développement sur leurs conditions de vie et de travail mais elles doivent travailler à

en redéfinir les enjeux en fonction de leurs propres intérêts et de leurs aspirations.1

Dans cette perspective et dans le but de mieux concevoir le mouvement émancipatoire tant celui des femmes que celui des régions, il est nécessaire de situer ces luttes dans le cheminement historique du développement régional. Enfin, la réalité des femmes du Bas-Saint-Laurent, ce qu'elles sont, ce qui les caractérisent et les distinguent, est brièvement présenté pour mieux saisir le besoin de plusieurs d'entre elles à s'engager dans des revendications et des actions concrètes de changement.

2.1

Le mouvement des femmes au Québec

2.1.1 Mouvement d'affirmation et d'émancipation

Les démarches et les revendications des femmes du Québec pour faire reconnaître leurs droits comme individu et comme groupe ne sont pas un phénomène récent. À cet égard, bien avant la Révolution tranquille, les Québécoises menaient déjà plusieurs luttes et avaient acquis certains droits. Dès 1919 en fait, les femmes obtenaient le droit de vote au fédéral, droit reconnu un an plus tard dans la plupart des provinces canadiennes. Au Québec, il faudra attendre une vingtaine d'années (1940), avant que ce droit ne soit reconnu, à la suite des démarches répétées de féministes québécoises. En 1918 et 1922, ce sont les facultés de médecine et d'art dentaire de McGill qui ouvrent leurs portes aux femmes.

(33)

En 1931, à la suite du dépôt du rapport de la Commission Dorion sur la situation de la femme et bien que peu de modifica tions soient apportées au statut juridique de la femme mariée, une réforme importante en découle, soit celle du droit légal pour une femme mariée de toucher et de gérer son salaire. Ce changement est de taille puisqu'antérieurement une femme mariée sous la communauté de biens voyait souvent son salaire remis à son époux lequel était libre d'en disposer.

En 1940, la guerre et la pénurie de main-d'oeuvre amènent le gouvernement à faire appel à la participation active des femmes au marché du travail. Il les reconnaît donc capables et leur offre des stages de formation. Pour soutenir leur intégration au marché du travail, trois garderies sont mises sur pied à Montréal. La guerre terminée, en 1945, le gouvernement incite les femmes à réintégrer leur foyer. Les garderies ne sont plus alors subventionnées.

Le «baby-boom» prend son essor. Le gouvernement décide de verser aux familles de modestes «allocations familiales» et au Québec, c'est au père qu'elles le sont. Thérèse Casgrain se bat pour que les chèques aillent aux femmes et elle obtient gain de cause. Enfin, en 1954, c'est l'abolition du «double standard» qui stipulait qu'une femme ne pouvait demander une séparation pour cause d'adultère que dans le cas où le mari ferait vivre sa concubine dans la résidence familiale. Une telle situation ne s'appliquait pas au mari qui pouvait obtenir en tout temps la séparation de sa femme pour cause d'adultère2.

Ces victoires sont importantes pour la reconnaissance de certains droits sociaux des femmes. Cependant elles sont minimisées par le fait que la femme mariée est encore, à cette période, reconnue mineure par le Code civil. Les impacts des changements sont moins grands. Micheline Durnont-Johnson résume ainsi:

En 1945, 1951 et 1954, d'autres changements mineurs furent apportés. Il faut dire toutefois que chacune des mesures qui ont été prises entre 1930 et 1960, en particulier la suppression de la «loi du double standard» concernant la séparation en 1954-1955, ne doivent pas être considérées comme des victoires mais comme des exceptions qui s'intègrent mal dans un système juridique traditionnel qui consacre le principe général de l'incapacité de la femme mariée.3

Cette incapacité juridique de la femme mariée sera modifiée en 1964 par l'adoption de la célèbre loi 16, pilotée par Claire Kirklandl-Casgrain, première

(34)

femme élue en 1961 députée à l'Assemblée Nationale et devenue ensuite ministre sans portefeuille. C'est un tournant dans l'histoire des femmes québécoises tout aussi significatif et porteur de changement que la reconnaissance en 1940 de leur droit de vote. La loi 16 reconnaît l'égalité juridique des époux et le droit pour la femme d'exercer des responsabilités civiles ou financières, ce qui lui était auparavant interdit.

Moment historique certes, mais qui ne fait pas l'unanimité à l'époque, même auprès des femmes qui jugent cette loi ou trop partielle ou trop conservatrice. C'est que plusieurs femmes géraient déjà dans les faits le capital familial et que plusieurs autres aussi «n'avaient pas attendu 1964 pour exercer une profession différente de celle du mari, ce qui était interdit par l'article 181 du Code civil».4

Au début des années 1960, on constate que plusieurs femmes intègrent le marché du travail, utilisent la contraception, accèdent de plus en plus aux universités. Des femmes prennent publiquement la parole et occupent des postes dans les médias, radio, télévision et journaux. Ce sont des gestes individuels qui témoignent certes d'une volonté de changements et d'une conscience collective en mutation, qui demeure cependant assez silencieuse comme le soulignent les auteures du Collectif Clio. «En 1964, le silence collectif des femmes est assez impressionnant. Les bouleversements des cinq années qui suivent vont permettre l'émergence de la conscience collective féminine. C'est l'époque du féminisme tranquiIle.»5

C'est en 1965 et en 1966 que deux grandes organisations de femmes voient le jour, la Fédération des femmes du Québec (F.F.Q.) qui regroupe rapidement plusieurs organismes et l'Association féminine d'éducation et d'action sociale (AFEAS) qui naît de la fusion de deux organismes féminins existants, le premier en milieu rural, l'Union catholique des femmes rurales (U.C.F.R.) fondé en 1939, et le deuxième, les Cercles d'économie domestique (C.E.D.) fondé en 1945, mouvements qui totalisent plus de 30 000 membres très actifs, partout et particulièrement dans le Bas-Saint-Laurent. Par leurs sujets de discussions touchant les conditions de vie des femmes et les enjeux de leur présence active au sein de l'AFEAS, les femmes prennent de plus en plus la parole comme groupe. La force qu'elles représentent est due non seulement au poids de leur nombre, mais aussi à la qualité et à la constance de leurs revendications.

Les consultations menées par la Commission Bird (du nom de sa présidente), Commission royale d'enquête, instituée en 1967, par le gouvernement fédéral pour examiner la situation de la femme au Canada, ont un

(35)

impact significatif au Québec. Les groupes féminins et féministes québécois s'investissent par une large consultation auprès de leurs membres afin d'y présenter leurs revendications sous forme de mémoires. Ces activités d'animation constituent des temps déterminants de prise de conscience collective des femmes québécoises et d'amorce de leur résistance à l'«oppression». C'est la remise en cause des rapports entre les hommes et les femmes, du rapport des femmes à la société. C'est la remise en question de la société elle-même, façonnée et modelée jusque-là, par et pour des hommes.

La première phase de ce nouveau féminisme est donc celle de la contestation. Remise en question radicale, violente, déchirante même de la vie des femmes. Tout devient sujet à questionnement: mariage, sexualité, famille, éducation, marché du travail, stéréotypes de beauté et de comportement.6

Ainsi émerge au Québec, dans les années 1970, comme dans plusieurs pays occidentaux, un féminisme qualifié par plusieurs de radical, en ce sens qu'il s'oppose et résiste à l'oppression des femmes. Comme le souligne Danielle Lafontaine

[ .. .] la résistance des femmes à leur oppression prend à certains moments la forme d'une contestation globale du type de société qui est le nôtre et du type de développement qui est le sien : un développement fondé sur la domination, l'exploitation, le pillage et la destruction7 .

Plusieurs groupes féministes radicaux voient le jour et dénoncent la dépendance des femmes sous toutes ses formes. Québécoises, deboutte!, journal publié en 1971 par le Front de libération des femmes du Québec, fondé en 1970, devient «le slogan du féminisme radical». Entre novembre 1972 et mars 1974, c'est le Centre des Femmes qui prend la relève.

Dans Québécoises deboutte!, on traite de l'histoire des femmes au Québec et dans le monde; de la double exploitation des femmes (le patriarcat et le capitalisme); de l'exploitation des ménagères et des femmes sur le marché du travail; de l'exploitation sexuelle; de l'avortement et de la contraception; de la pornographie, du viol et de l'actualité d'alors; mais aussi beaucoup, naturellement, du féminisme, du féminisme révolutionnaire: ce qu'il est, comment le développer [ .. .]8

(36)

En raison des sujets traités et malgré sa courte vie, ces publications ont un impact très grand sur le mouvement des femmes au Québec. «Elles (des femmes) lancent l'idée d'un féminisme révolutionnaire qui lie la libération des femmes à un changement global de la société entière.»9 Ainsi donc «le courant du féminisme réformiste qui existe au Québec depuis plus de 70 ans reçoit une nouvelle infusion d'énergie et de détermination avec l'arrivée du message du féminisme radical» 1

a .

Durant la deuxième partie des années 1970, pendant que le mouvement féministe radical s'adoucit, le mouvement féministe global s'élargit, se modifie en ce sens que les «féministes de toutes sortes se côtoient. Dégagées de la domination du marxisme et du nationalisme, des femmes francophones se penchent de plus en plus vers un féminisme autonome»ll. De toute façon, tout au long des années 1970, les deux types de mouvement féministe témoignent d'un dynamisme certain, mais fonctionnent en parallèle et s'interinfluencent.

La coexistence de ces deux types de mouvement s'illustre aussi par la parution d'autres publications. À celle de «Québécoises deboutte!», il f~ut ajouter celle du journal «Les têtes de pioche» lancé par un collectif féministe qui publie entre mars 1976 et juin 1979. En 1977, c'est le bulletin de liaison «Pluri-elles» qui devient par la suite en 1978 la revue «Des luttes et des rires de femmes» .

Les femmes et les groupes de femmes impliqués conçoivent la revue comme un outil parmi tant d'autres pour la construction d'un mouvement autonome de femmes au Québec. Reflet de l'actualité du mouvement et des activitiés des groupes, elle veut aussi favoriser l'échange et le débat, à partir desquels pourra se dégager la «plate-forme» du mouvement autonome des femmes.12

D'autres publications voient aussi le jour. Ainsi les responsables de «La Vie en rose» indiquent leurs orientations. «Avec La Vie en rose, nous tâcherons de faire à contre-courant dans un monde où les communications sont de plus en plus centralisées et uniformisées, une presse subjective, une presse d 'opinion.»13

De plus, se développent et coexistent la Revue du RAlF (Réseau d'action et dtinformation pour les femmes), fondée en 1973, Communiqu'elles, bulletin du Centre d'information et de référence pour femmes de Montréal (1975), La Gazette des Femmes du Conseil du statut de la femme, et ce, depuis 1979, L'Autre Parole, bulletin de liaison des groupes de féministes chrétiennes (1976),

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