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Poésie et discours poétique au Canada français (1889-1909)

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Poésie et discours poétique au Canada français (1889-1909)

par

Sylvain Campeau

Thèse de doctorat soumise à la

Faculté des études supérieures et delarecherche

en vue de l'obtention du diplôme de Doctorat ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, QJlébec

Août 1999 © Sylvain Campeau, 1999

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Acquisitionsand BibliographieSeNices 385WeIIingIanStreet Ottawa ON K1A 0N4 Canada seNicesbibliographiques 395.rueWellington OttawaON K1A 0N4 canada

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0-612-64530-4

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ABSTRACT

In 1892, in one of bis characteristic attacks, Arthur Buies denounced the "deplorable" style of certain young French-Canadian writers of the day. The "jeunes barbares", as he called them, published in small magazines such as Le RecueilJitteraire and L:ÉCho des jennes, and were strongly influenced by French

fin-de-siècle writing (the decadent and Symbolist schools in

particular). The creation of the École litteraire de Montréal in

1895 can be seen as a continuation of these varied literary endeavours. Qpite aware of the critidsms leveled at young writers by Buies and others, the members of the Ecole viewed their association as bath a literary cirde and a training ground The Bulletin du parler franeais au Canada. founded in 1902, approached the issue of the poor quality of spoken and written French in French Canada from a more philological angle. It was

in the By.lletin... that Camille Roy published bis articles on French-eanadian literary history and bis famous conference on the nationalisation of French-eanadian literature (in 1904-1905). This text was ta have an influence so far-reaching that the École litteraire de Montréal, in its second incarnation, espoused - albeit with some reticence - certain of the "pre-regionalist" values it promoted. The texts published in the École's magazine, Le Terroir (1909), dearly indicate this.

(6)

pre-•

particular account the variations in their antagonism (which manifested itself in a number of short-lived quarrels), with a view to providing a more complete and nuanced picture of the

period than previous studies have done; it explores, in the

process, the less well-known antecedents to the period which was to follow, a period during which the opposition between the regionalists and the "exotiques" came to a head.

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Résumé

En 1892, Arthur Buies, dans une de ses charges caractéristiques, s'emporte contre le style déplorable de jeunes écrivains canadiens qu'il qualifie de "jeunes barbares". Ceux-ci sont en fait de jeunes littérateurs, gravitant autour de petites revues telles Le Recueil.littéraire des jeunes et Ijkho d,§ jeunes, fortement influencés par la littérature fin-de-siècle française et ses écoles décadentes et symbolistes. Ces revues vont engendrer de brèves polémiques entre 1889 et 1892. La fondation de l'École littéraire de Montréal, en 1895, se fait un peu dans le sillage de ces regroupements. Prenant acte du jugement de Buies, la jeune institution se présente à la fois comme cénacle et lieu de formation. Puis, en 1902, le Bulletin du parler francaïs au Çanada se veut une réaction plus forte et plus nettement philologique à la mauvaise qualité du français écrit et parlé au Canada français. C'est en cette revue que Camille Roy publie ses articles sur l'histoire littéraire du Canada

et sa conférence sur la nationalisation de la littérature canadienne. Cet écrit a un tel impact que l'École littéraire de Montréal, lors de sa première renaissance, se convertit, bien qu'avec réserves, à ce régionalisme naissant. Son Terroir de 1909 en témoigne. Nous avons voulu faire id l'analyse de ces discours modernistes et pré-régionalistes tout en traduisant l'amplitude variable de leur antagonisme qui se manifeste dans de courtes polémiques. Nous espérons apporter quelques

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précédents peu connus à la période subséquente où l'opposition entre régionalistes et exotiques connaît son apogée.

(9)

(10)

IN1RODucnON

Description et intérêt du sujet Bilan des études existantes

et nouveauté de notre approche Corpus et chronologie Méthodologie Plan Notes 1 2 S 10 12

lS

20

CHAPITRE PREMIER: j)écadentset symbQlistes:

Éléments d'une poétique sur fond d~

polémique itérative 24

La polémique: un genre exécutoire 26

La décadence au Canada français 40

Le Glaneur, Recuei1littéraire des jeunes

et L'Écho des

ieunes

52 La littérature décadente: résistances et polémiques 60

La polémique s'engage 65 Des manifestations polémiques en dents-de-scie 74 Polémique et cul-de-sac argumentatif 84 Suite et fin des échanges 94

Le cas Édouard-ZOtique Massicotte 98 -Édouard Mirat, le cordonnier 101 -Adam Mizare 103 -Édouard Cabrette 105 -Édouard-ZOtique Massicotte 107 Conclusion 108

(11)

CHAPITRE DEUXIEME: L'École littéraire de Montréal Les cercles amateurs

et la question des organes de presse

134 143 L'École littéraire de Montréal. Un bref rappel historique 149 Des séances publiques

aux Soirées du ChâteaU de RamezlY 151 - La Mère-patrie et ses littératures 152 Le symbolisme selon Jean Charbonneau 154

La littérature, l'insondable, le divin 158

Dansle sillage d'une confraternité littéraire 160 Esthétiques nouvelles et exigences formelles 166

À la défense de Nelligan 170

La "fièvre" de 1898-1900 176 Le fétiche et l'origine 179 Conclusion 184

Notes 188

CHAPITRE TROISIEME: Le Bulletin du parler français

au QUlil<ta 199

Historique 202 Défense et illustration de la réalité canadienne 208 Contenu et rubriques delarevue 211 La littérature 214

Camille Roy, le mouvement littéraire aucanada

(12)

CHAPITRE TROISIEME: Le Bulletin du parler français

au C.qnac/a (suite)

Conclusion 249

Notes 253

CHAPJIlΠQUATRIEME; Le Terroir dg 1909 264

Qp.elTerroir? 271

Une pensée poétique et esthétique 280

Le

Terroir: la célébration de la nature... canadienne 292 Un terroir esthétisant 294 Les thèmes d'une réactivation idéologique 297

Le nationalisme du Terroir Autres influences Conclusion Notes CONCLUSION L'avenir immédiat À l'horizon, laquerelle...

L'influence d'une modernité fin-de-siède

au Canada français

Polémique et analyse du discours poétique Notes 303 306 311 314 324 325 331 336 338 343

(13)

BIBLIOGRAPHm 346 A. Corpus des textes étudiés 347

1. Littérature canadienne-française 1.1 Poésie canadienne-française 347 1.2 Romans canadiens-français 351 1.3 Littérature française 351 1.4 Anthologies 354 2. Écrits critiques 2.1llvres 355 2.2 Articles et parties de volume 357 3. Revues et journaux 362 B. Études sur la littérature du Canada français

1. Livres 363

2. Articles et parties de volume 367 3. Numéros spéciaux de revue 373 4. Mémoire, thèses, communications 373

c.

Écrits critiques et théoriques

1. Livres 374 2. Articles et parties de volume 378 3. Numéros spéciaux de revue 384 O. OUvrages de référence

1. Livres 384 2. Article et parties de volume 386

(14)

(15)

fi Y a tout juste une quinzaine d'années, on considérait encore que le passage du XIXe au XXe siècle ne s'était accompagné d'aucune modification profonde dans le discours littéraire québécois. Entre le programme d'Henri-Raymond Casgrain et celui de CamUle Roy, penseurs l'un du mouvement littéraire au Canada et l'autre de la nationalisation souhaitée de

la littérature canadienne(-française) ne paraît exister que peu de différences. TI y a bien le fait que le programme du second montre une plus grande cohérence idéologique et que la position privilégiée de son auteur dans le camp professoral lui ait permis de travailler étroitement à la mise

en

place de modèles littéraires dits typiquement canadiens dans les plans de cours des institutions d'enseignement. Mais là paraît résider toute la différence. À cause de cette filiation que l'on imagine directe et sans heurts, les cas de l'École littéraire de Montréal et

de Nelligan ne semblent que deux épisodes, nécessairement

passagers, vite effacés par l'apparition, en 1902, du Bulletin du parler francais au canada où Camille Roy publiera son texte inaugural sur "La nationalisation de la littérature canadienne", puis du Terroirde 1909, revue de l'École littéraire de Montréal, deuxième manière.

pescrjption et intérêt du syjet

ce

portrait d'ensemble, par trop nnanimiste, est tout d'abord trompeur et ensuite paradoxal. Trompeur puisqu'au

(16)

posé d'une «demi-douzaine de petites revues», montre «une intertextualité foisonnante» et récupére des esthétiques et des «idéologèmes finiséculaires» perceptibles dans les productions littéraires des auteurs. Ces revues vivotent, fusionnent et, fina-lement, disparaissent pour laisserun souvenir à la fois vivace et confus chez des collaborateurs très actifs (et alors convaincus) comme Édouard-Zotique Massicotte et chez d'autres plus réser-vés et plus critiques comme Adjutor Rivard. L'interprétation «encore fort répandue

L••]

[d'une] littérature du XIXe siècle ~.J

vouée tout entière à la mission providentielle du peuple

fran-çais enAmérique du Nord, tenue au pas par un clergé jaloux de ses privilèges»De permettant guère «d'ouvertures vers l'exté-rieur»l, est donc contestée par l'existence de ces revues comme

Le

MondiLilIJ1stré,

Le

Glaneur, Le Recueitlittéraire, Le Glaneur.

Recueil littéraire des jeunes et L'Écho des jeunes, au sein des-quelles apparaissent des extraits de poésie française contempo-raine et des essais parfois audacieux de quelques littéraires ca-nadiens-français. Trompeur aussi parce que, si l'histoire littérai-re littérai-reconnaît généralement que l'École littérailittérai-re de Montréal se convertit au régionalisme avec l'épisode de sa revue Le Terroir, l'examen attentif et comparé du contenu de l'ouvrage collectif des Soirées du Château dJ!

RamezaY

et de la revue montre bien qu'il y a déjà une certaine présence de "sujets canadiens" dans le premier et que les textes où ils apparaissent, s'ils augmentent de façon assez importante dans la seconde, couvrent bien moins de la moitié du périodique. Voilà pour le côté discutable de cette

(17)

L'aspect paradoxal de l'interprétation, décrivant une com-munauté de pensée qui unirait sans discontinuité la fin du XIXe et le début du XXe, est sensible dans le peu de cas qui est aussi souvent fait d'une revue qui eut pourtant un rôle à jouer dans le développement de l'idée régionaliste de l'art littéraire,

1&

lmUetin du parler francajs

au

Canada. C'est en celui-ci que

l'ab-bé Camille Roy publiera

un

certain nombre de ses textes: leur orientation "nationalîsante" est en étroite relation avec les ob-jectifs philologiques de larevue qui tente de circonscrire la spé-cificité linguistique duCanadafrançais.

Ainsi, lorsque commencent à s'affronter, vers 1910, dans une querelle qui connaîtra son apogée en 1918 avec l'apparition du

,Ni&œ.

les régionalistes et ceux que l'on ne tardera pas à identifier comme "exotiques", l'on se plaît à considérer le mo-dernisme des seconds comme étant sans précédent notable. Les passes d'armes qui suivent les publications de Guy Delahaye, de Paul Morin et de Marcel Dugas semblent être en quelque sorte des polémiques-éclaireurs, qui annoncent celle, plus aiguë, de 1918. Or, il Y a bien eu, à la fin du siècle dernier, de brèves polémiques, gravitant toutes autour du genre poétique, dont la

courte durée est liée à la vie même des revues où elles naquirent; empoignades autour de la question d'une littérature aux accents plus modernes.

n

n'y aurait donc pas qu'une seule querelle qui ait opposé modernistes de toutes allégeances et

traditionalistes2

(18)

entre régionalistes et exotiques participe donc d'une sone de remodelage des faits de discours entourant la question, déjà présenteà la fin du siècle précédent, d'une littérature à saveur moderne (et française) ou de la création d'une littérature canadienne3

• Elle n'en est pas l'aboutissement strict, car cela

laisserait supposer que les mêmes préoccupations, semblablement mesurées et appréciées, se retrouvent invariablement d'une polémique à l'autre, ce qui n'est certes pas le cas.

Bilan des études existantes et nouveauté de notre

aPProche

Dans sa thèse de doctorar, Annette Hayward a fait une description détaillée du déroulement de celle-ci et des positions des intervenants. Son début, répète-t-e1le dix-huit ans plus tard dans un article, remonte à 19045

, si bien que les événements

qui précèdent l'échauffourée de 1918 proprement dite

sont

de nouveau considérés comme des signes avant-coureurs de cette querelle. Dans la période qui va de 1904 à 1918, la querelle serait d'une certaine manière en incubation. Elle est considérée, rétroactivement, comme relevant des mêmes enjeux. De cette

querelle, Annette Hayward fait en plus une description très méticuleuse, peu synthétisée mais surtout graduée. La querelle suit selon elle un parcours qu'elle présente de façon historiée. Comme le note Nadine Gelas, toute polémique suit

un

crescendo, un parcours bien particulier: elle "se déclenche", "s'ouvre", "éclate", "se poursuit", "s'envenime", "va bon train", "s'apaise",

(19)

cette querelle, laprédétermination qui accorde aux événements précédant 1918 un rôle purement préparatoire, nous apparaît très contestable. Elle amène à ne conférer aux polémiques des années 1890-1900 qu'un rôle accessoire, sorte de variantes satellites du grand affrontement.

Depuis la thèse de Annette Hayward, quelques ouvrages se sont consacrés à certains aspects de la querelle entre régionalistes et "exotiques". Le travail de Dominique Garand,

Yi

Griffe du polémigue, dans une étude axée sur le genre littéraire qu'est le polémique, a aussi renchéri en faisant un portrait de 1918, unique année de publication de la revue

Le

Nigog. C'est autour de sa fondation et de sa disparition que se cristallisent les différends opposant les deux "factions" littéraires.

Ces deux descriptions de la querelle régionalis-tes/"exotiques", aussi complètes et ciblées soient-elles, font peu de cas du fait que le terme d'"exotisme" apparaît comme devant rétroactivement, en 1918, s'identifier à des œuvres poétiques en fait fort différentes. Les poésies et proses d'Édouard-Zotique Massicotte, tels qu'on les retrouve dans différentes revues au cours des années 1890-1895, la poésie symboliste d'un Guy

DeJahaye, dont les retombées critiques façonnent sans aucun

doute les attentes d'une élite intellectuelle, les poèmes en prose de Marcel Dugas(~ audnéma) ne trouvent certes pas leur comptedans l'attribution du terme d,uexotique". D'autre part, an a donné aux exotiques d'autres qualificatifs7 que celui que

(20)

flou définitionnel est symptomatique d'une certaine insuffisance à les identifier; ils ne sont perçus que comme des manifestations extérieures, étrangères, "excentriques" à la réalité canadienne. Il nous apparaît donc nécessaire de revenir à une période précédant la création de l'École littéraire de Montréal pour redéfinir les tentations formalisantes (dont l'exotisme estla plus connue) à la lumière de querelles plus antiennes mais déterminantes.

Cette difficulté définitionnelle n'a pas, pour ainsi dire, été réellement traitée par les ouvrages qui se sont déjà employés à étudier cette période. Bien sûr, la thèse d'Annette Hayward et les articles subséquents8 écrits par celle-ci sur le sujet tracent

déjà un portrait chronologique préds des échanges et des fac-tions en cause dans cette querelle. De même, les travaux de Dominique Garand, de Lucie Robert et de Marie-Andrée Beaudet9 ajoutent à la connaissance que nous avons du début du

siècle. Mais elles semblent toutes, sauf pour la dernière, faire graviter leur objet d'étude autour de la question d'une poésie exotique et ramènent à celle-ci, par effet d'entraînement, toutes les tentations modernistes du début du siècle. fi y a, bien sûr, le numéro spétial de la revue ~j!s françaises qui porte sur "Qpébec, une autre fin de siècle" les deux articles qui étudient plus spécifiquement les influences littéraires décadentes ne vont pas au-delà de lafin du siède10

(21)

de manière englobante d'une période qui à la fois précède11 et chevauche celle étudiée par les auteurs précités. Nous nous emploierons donc, quant à nous, à tracer le portrait conjoint, en coïnteUigibilité, des différentes options éthiques qui sous-tendent les prises de position des décadents et de leurs adversaires, des "régionalistes", des membres de l'École littéraire de Montréal lors de l'aventure des Soirées du ChâteaU de Ramezay et lors de celle du TerrQir. fi est notable, à cet effet, que la poésie apparaisse invariablement, à la fin du XIXè siècle et au début du XXè, comme un objet à controverses. Mais, comme la réplique des opposants au régionalisme naissant se fait essentiellement sur la base d'une plus grande liberté au plan de lafonne avant que de l'être sur celui du contenu (sujet, avec la fonction de l'art, de la polémique de 1918), comme les plus récentes innovations littéraires françaises dépendent plus de celle-là que de celui-ci, il est inévitable que la poésie soit au centre de ce débat, même si le régionalisme ne se limite pas à ce seul genre littéraire.

Tout cela, nous dira-t-on, se distingueraitmal des objectifs des travaux d'Annette Hayward et de Dominique Garand si ce n'était que nous espérons en arriver à une mise en forme plus globale de cette question des influences modernistes grâce à

l'ajout et l'étude de prédéterminants et à un approfondissement de ces acquis. fi faut aussi convenir que ladémarche descriptive

(22)

présence alors que le travail de Garand est d'abord et avant tout préoccupé par l'étude de la polémique en tant que genre littéraire, étude centrée sur la série des échanges déclenchés par la création du Nigœ en 1918. Son portrait est certes très éclairant mais il est peu historié, ainsi qu'il le note lui-même, mené par l'objet de discours qui l'intéresse.

Q1Jant aux travaux de Marie-Andrée Beaudet sur la langue et la littérature au début du siècle et l'apport essentiel à ce sujet du Bulletin du parler français au canada, nous nous en démarquons par un historique plus complet de la Société du parler français au canada et de son ~ et du passage des considérations linguistiques aux préoccupations littéraires qui mènent, de <d'étude, la conservation et le perfectionnement du parler français au canada»12 au programme de nationalisation de la littérature canadienne de CarnjJJe Roy.

Par rapport à toutes les études qui précèdent, et jusqu'aux plus récentes contributions de Marie-Andrée Beaudet et Denis Saint-Jacques, de Michel Pierssens et Roberto Benardi sur la littérature décadente; de Micheline Cambron et François Hébert,

de Michel Biron sur l'École littéraire de Montréal et de François

Couture sur ~ , on peut avancer que notre travail se veut une mise en correspondance des résultats de toutes ces recherches. Jumelée à nos propres résultats, cette mise en corrélation va nous permettre de dessiner, dans le cadre d'une coupe synchronique différente de toutes celles que d'autres

(23)

échanges, passes-d'armes et quiproquos entourant l'apparition presque conjointe d'une littérature dite "régionaliste" et d'une autre axée sur l'expérimentation formelle héritée des plus récents courants littéraires français.

Pour ce faire, nous chercherons à porter prioritairement notre attention sur l'apparition d'une poésie d'inspiration d'abord décadente, puis symboliste. Refusant l'étrangeté radicalisante qu'on a trop souvent attribuée à cette poésie moderniste1 3

, nous chercherons à la resituer au sein des

discours littéraire du temps, à évaluer les conséquences de son apparition. Car la littérature des "jeunes barbares"14, jointe à la

pauvreté linguistique et littéraire qu'elle contribue à révéler, entraîne, d'une certaine manière, à la fois la création de l'École littéraire de Montréal et la constitution d'un discours attaché à

la révélation et au développement de la spécificité linguistique et littéraire du Canada français dans les pages, surtout, du Bulletin du parler francais au Canada. L'impact de cette dernière orientation sera tel que l'École littéraire de Montréal, lors de sa première renaissance, revêtira les couleurs du "régionalisme" naissant pour publierlarevue Le

Terroir.

Co[pus et chronolO&ie

Nous avons donc choisi de privilégier, quoique de façon non exclusive, la période allant de 1889 à 1909. C'est en 1889 qu'est publié15 le premier article où un écrivain se réclame de la

(24)

des jeunes qui, fusionné en 1892 avec Le Glaneur16, devient un des organes d'expression des jeunes écrivains. L'Écho des jeunes ne tarde pas non plus à recueillir des auteurs en mal de modernité littéraire. Quant à 1909, c'est l'année de création (et de disparition) de la (première) revue Le Terroir17 qui re-présente, en quelque sorte, la première renaissance de l'École littéraire de Montréal et son entreprise d'une certaine forme d'accommodement de façade avec les thèses defendues par le Bulletin du parler français au

canada

et ses penseurs les plus influents, Camille Roy et Adjutor Rivard.

Une mise en garde nous semble toutefois nécessaire. L'adoption de l'année 1909 comme limite finale de notre travail semble faire la part belle au régionalisme qui apparaît dès lors comme sortant victorieux de l'antagonisme qui foppose aux essais modernisants. Onsait bien qu'il n'en est rien. De même, n'est-il pas id de notre ressort de célébrer le triomphe de l'un ou de l'autre de ces mouvements. C'est parce qu'on connaît bien, grâce aux ouvrages qui ont fait l'étude des années 1910 à 1918 et au-delà, toutes les péripéties du conflit entre les régionalistes et les exotiques, confrontation à son apogée en 1918, que nous avons préféré faire l'économie d'une réévaluation de cette que-relle, à la lumière de ce que nous espérons id apporter sur ses antécédents. Nous laissons à d'autres ce travail de réexamen. Il consistera sans doute, non pas à reprendre in

extenso

le travail déjà effectué par Annette Hayward et à le mesurer aux

(25)

analyses de problèmes moins globaux, plus locaux, d'études plus pointues sur cette période. Nous suggérerons quelques pistes dans notre conclusion.

Nous ne respecterons pas toujours le cadre, qui va de 1889 à 1909, que nous nous sommes donné. Nous nous per-mettrons quelques entorses car il est difficile, au "Canada fran-çais", de s'en tenir à une coupe synchronique. Le petit nombre des institutions littéraires (revues, journaux de grand tirage et autres) ne le permet pas; le résultat, sur un échantillonnage aussi restreint, ne serait peut-être pas probant et pourrait tendre à une certaine univocité discursive.

-

La difficulté d'une sociologie de la littérature, comme le

rappelle Pierre Popovic18, repose sur la place accordée au texte

littéraire comme singleton particulier du discours social. Entre une sociocritique des textes et l'analyse du discours, le choix se présente ainsi: valoriser la production individuelle comme lieu privilégié de la totalité du discours ou prendre à bras-le-corps l'ensemble du dicible et dégager les règles conditionnant ces productions individuelles. Notre enjeu sera plus restreint. Nous nous emploierons à l'étude du discours littéraire sur la poésie des années 1889 à 1909, des implicites idéologiques qui transparaissent sous l'expression des opinions les plus significatives de chacune de ces jeunes et parfois éphémères

(26)

pour les discoureurs l'idée d'une poésie ou bien décadente ou bien symboliste ou bien du terroir (ou bien n'importe quelle combinaison de ces trois), le lecteur se trouve bien vite devant l'expression de ce que devrait être la littérature actuelle dans

un Canada français moderne. La brochette des options idéologiques que nous verrons dans le présent travail nous conduira de la décadence roublarde d'Édouard-Zotique Massicome, à la multiplicité des influences de l'École littéraire de Montréal (où s'exprime la poésie symboliste empruntée d'Émile Nelligan), en passant par la littérature "nationalisée" de Camille Roy, à la valorisation d'un "sujet canadien", défini

largement, du Terroir.

À l'instar de Marc Angenot (dont les travaux, avec ceux de Régine Robin, nous ont inspirés19

), nous tenons pour acquis que

le littéraire agit au sein de discours dont il rapporte la

«cacophonie interdiscursive, pleine de détournements et de glissements de sens et d'apories plus ou moins habilement colmatéeS»20. Forts de cette certitude, nous nous emploierons donc à suivre la ligne souvent brisée de ces détournements et güssements de sens qui font que ropposition élémentaire, à

partir de laquelle on croit comprendre le début du siècle, entre une littérature de contenus étroitement canadiens et une autre, modemisante et faite d'expérimentations formelles n'est pas sans montrer de surprenantes collusions•

(27)

modernistes françaises sur la poésie et la littérature canadiennes, révisant ce qu'il a été convenu jusqu'à présent de reconnaître comme les précédents du discours "exotique" ainsi que des conditions de la querelle qui a opposé ses adhérents aux régionalistes. Nous pourrons ainsi être à même de mieux

exposer les règles qui permettent et enrégimentent la poésie, le cadre auquel elle doit s'en tenir.

Puisque lapériode est marquée d'un nombre assez impor-tant de polémiques, puisque, aussi bien, la question est déjà présente à cause de celle de 1918, nous ne pouvons faire l'éco-nomie d'une étude, ne serait-ce que brève, de ce genre du dis-cours. Avec l'aide de ce que Dominique Garand, Catherine Kerbrat-Grecchioni et Dominique Maingueneau ont déjà pu en direZ1

, nous nous pencherons sur la question de la polémique, des règles auxquelles elle obéit et de la place qu'elle peut occuper au sein de l'ensemble qui constitue le discours littéraire. En celui-ci, nous verrons qu'elle forme comme un creuset où les idéologèmes épars se cristallisent, où les positions se durdssent, où l'acceptable et le non-acceptable se distinguent plus aisément.

Ces choix méthodologiques ne peuvent faire autrement que conditionner une certaine vision de l'histoire littéraire. Fn

faisant l'étude de polémiques brèves et nombreuses, relançant d'une fois à l'autre des éléments à la fois dissemblables et parents, nous nous inscrivons dans une idée de l'histoire

(28)

synchrone et continu. L'histoire n'est pas une promesse; elle ne doit pas être interprétée dans l'optique d'une «thématique historico-transcendantale», de certaines valeurs en prédétermi-nant l'étude comme

le destin de la rationalité et la téléologie des sciences, le long travail continu de la pensée à

travers le temps», l'éveil et le progrès de la

conscience, sa perpétuelle reprise par elle-même, le mouvement inachevé mais ininter-rompu des totalisations, le retour à une origine toujours ouverte, et finalement la

thématique historico-transcendantale22 •

Nous craignions de plus de nous abandonner à une prédétermination des éléments jugés pertinents, à la mesure de ce que nous savons de la suite de l'histoire. Instruits par l'exemple d'Annette Hayward pour qui tout ce qui précède 1918 ne peut manquer d'y conduire, comme si les événements de-vaient nécessairement y mener, nous avons cherché à éviter une attitude de rétrovision. Bref, nous avons tenté de ne pas analyser les essais décadents et symbolistes à la lumière de ce que l'histoire retiendra surtout des exotiques et de ne pas non plus aborder les tentatives de littérature nationalisée dans l'optique d'une conception régionaliste de la littérature qui est encore en gestationà l'époque.

Notre objectif sera donc de mettre en parallèle et de me-surer l'impact et l'importance du discours devant lequel le

(29)

ré-•

et des symbolistes. Pour réaliser cet objectif, il sera nécessaire d'étudier un premier type doxique naissant, celui qui s'identifie à lalittérature décadente de la fin du siècle dernier en France et dont on trouve au canada des échos dans

Le

Glaneur et le Recueil littéraire des jeunes, L'Écho des jeunes et, à l'occasion,

Le MQnd~.illustré.Tout cela couvre une période qui va de 1889

à 1895, année de la création de l'&:ole littéraire de Montréal. Cette dernière sera l'objet de notre deuxième chapitre. Nous y verrons en quoi et comment les membres de l'École, sans se positionner de manière formelle idéologiquement parlant (du moins, pour la plupart), se laissent gagner par des influences françaises de styles et de factures très différents. L'ikole étant

un regroupement assez informel, sans philosophie ou position communes, donnant libre cours aux esthétiques et musiques personnelles de chacun de ses membres, elle laisse une place importante à des écrits où un imaginaire moins paysan et terroÏriste que sylvestre commence à se développer et annonce déjà le tournant que prendra l'École en 1909, avec la fondation de la revue Le Terroir. Malgré cette latitude, dans son ouvrage collectif, Les Soirées du ChâteaU de Rameza,y, Jean Charbonneau

prend position contre le symbolisme dans une étude qui fait entendre ses préférences. On peut donc croire que ce texte, agréé par les membres de l'École, doit tout de même représenter sinon l'opinion générale, du moins le sentiment de beaucoup d'entre eux. fi en va très probablement de même de la préface de Louis Dantin lors de l'édition du livre Émiœ

(30)

les membres d'une École alors moribonde. Nous nous attarderons sur ces deux textes.

Le ByJletin du parler français au Canada sera ensuite étudié comme le lieu d'apparition du discours nationalisant du régionalisme. La revue est d'abord fondée dans l'objectif d'étu-dier, de préserver et d'épurer le parler français du Canada. Ble se consacre donc aux relevés méthodiques de tout ce qui fait la

particularité du parler canadien-français, valorise les ar-chaïsmes et particularités du cro, sanctionne et rectifie les an-glidsmes. C'est dans ce cadre de recherche et de conservation de

lalangue française parlée au Canada que se greffe peu à peu un discours qui cherche cette fois à circonscrire et développer une littérature canadienne représentative, distincte de ce qui se fait en France, propre aux moeurs, à l'âme et au caractère du peuple canadien-français. Cet objectif est clairement établi principale-ment dans les écrits de Camille Roy et devient un véritable pro-gramme, cohérent et achevé, avec sa conférence de 1904,

inti-tulée "la nationalisation de la littérature canadienne". Nous fe-rons l'historique de cette revue et l'histoire de ce glissement des préoccupations linguistiques au programme de nationalisation de la littérature canadienne.

Puis, nous reviendrons à l'École littéraire de Montréal dont

la renaissance s'accomplit sous la forme de la revue ~ ,

en 1909, revue où les membres épousent, du bout des lèvres, certaines des positions des régionalistes, mais non sans les

(31)

de la conférence de Camille Roy puisque certains des écoliers semblent bien vouloir se conformer à ce programme. Mais ce n'est pas dire que se manifeste là un monde rural magnifié et célébré. Les figures typiques les plus sollicitées sont plutôt sylvestres: amérindiens, colons-défricheurs, coureurs des bois. Cette adhésion au programme nationalisant n'est pas non plus un reniement des anciennes convictions puisque cette conver-sion ne met pas à mal l'univers esthétique et thématique cher à

chacun des auteurs. D'ailleurs, Les Soirées du Château

<le

Ramezay

contenait déjà un nombre respectable de textes privi-légiant le "sujet canadien".

À travers tout cela, nous essaierons de délimiter les en-jeux, aussi variables soient-ils, entre les différentes options et variations idéologiques. Cette étude faite, nous ne pouvons que convenir que, jusqu'en 1909, les idéologèmes spécifiques à

chacun des deux camps plus tard apparemment irréconciliables des régionalistes du Terroir et des exotiques du Nigog, vivent en une certaine collusion. fis se colletent, se mesurent, se condi-tionnent les uns les autres selon des ordres et des amplitudes variables, sans pour le moment s'exclure irrémédiablement. Ils sont encore dans un réseau d'influences réciproques, pas aussi fermement et exclusivement marqués qu'ils le seront en 1918, comme s'ils travaillaient à la constitution progressive de ces objets de discours dont débattra plus tard l'intelligentsia

(32)

nale soit telle et la pauvreté de celle-ci si cruellement ressentie, qu'elles prennent le pas sur les divergences qui paraissent mineures entre des options idéologiques différentes. Mais la tranquille et progressive mainmise des idées régionalistes sur la

critique littéraire, l'importance grandissante qu'elles prennent à travers le Bulletin du parler français auCanada, vont menerà la résurgence des esthétiques modernistes brièvement populaires à la fin du siècle dernier et tout de même maintenues vivantes, bien que dans une certaine irrésolution, grâce à la contribution

(33)

Notes

l Marie-Andrée Beaudet et Rainier Grutman, "Présentation", Études

francaises [numéro thématique "QJ.lébec, une autre îm de siècle"), vol.

xxxn,

no 3 (automne 1996), p.4

2Si nous préférons utiliser ces termes, c'est qu'il ne faudra pas que toutes les polémiques de la fin du XIXe et du début du XXe siècle autour de la littérature, moderne ou non, soient perçues comme résultant d'une opposition entre exotiques et régionalistes.

3 En fait, on pourrait risquer que ce n'est pas de l'embrigadement natio-nalisant et régionatio-nalisant que naît un contre-discours exotique mais qu'il en va plutôt du contraire. C'est autant pour des raisons de pauvreté linguistique et littéraire que pour contrer un engouement naissant pour des expérimentations trop modernistes, qui nous arrivent de France, qu'une réaction (le Bulletin du parler francais au Canada)

s'organise et tente d'encourager la création d'un patrimoine culturel typiquement canadien, par une nationalisation à la fois philologique et littéraire. À l'étude de l'échantillonnage effectué ici, cette conclusion est certes tentante. Mais peut-être serait-il plus adéquat, plutôt que de chercher une origine déterminante à la îm du XIXe siècle et de tout apprécier en fonction de celle-ci, de concevoir cette longue période qui va de 1889 à 1918 comme une sorte de réaction en chaîne, d'effets dominos, une sorte de ressassement où il devient difficile de distinguer les faits discursifs inédits des recyclés, modifiés, repris...

4 Annette Hayward, Le Conflit entre les régionalistes et les «exotiques» au

Ouébec (1900-1920), thèse de doctorat, Montréal, Université McGill, Département delangue et littérature françaises, 1980~ 1~f.

5 Annette Hayward, "Pamphlet, polémique et querelle: le cas des

régionalistes et des «exotiques»", dans Dominique Garand et Annette Hayward (dir.), États du polémique. Montréal, Éditions Nota bene, Collection "Les cahiers du centre de recherche en littérature québécoise

no 22, 1998,p. 147-173.

Dans un article de 1991,"la rivalité Qpébec-Montréal au début du siècle" (Voix& images, vol. XVI, no 3 [48] [printemps 1991], p. 514-524), Annette Hayward avait récidivé une première fois:

«Pour bien comprendre, il est essentiel de diviser l'historique de ce conflit en quatre étapes allant de 1904 à 1911 (<<La querelle en incubation», si l'on me permet cette métaphore), de 1912 à 1917 (<<La querelle fait ses premiers pas»), de 1918 à 1920 (<<La querelle atteint la maturité et montre ses vraies couleurs idéologiques») et de 1921 à 1931 ou, à la rigueur, 1937-1938 (<<La querelle vieillit, radote et périclite»),»

(p. 515)

6Nous nous inspirons ici de: Nadine Gelas, "Étude de quelques emplois du mot «polémique», dans Catherine Kerbrat-Orecchioni (dir.), Le Discours polémique, Lyon, Presses universitaires deLyon, 1980, p. 43.

(34)

7 Cela, aussi bien avant qu'après la conférence de Paul Morin (16

dé-cembre 1912) oùilse reconnaît implicitement dans cette appellation. 8 Annette Hayward, "Pamphlet, polémique et querelle: le cas des

régionalistes et des «exotiques»" et "La rivalité QJ1ébec-Montréal au début du siècle".

9 Marie-Andrée Heaudet, Tangue et littérature au Québec / 1895-1914,

Montréal, Éditions de l'Hexagone, Collection "&sais littéraires", 1991,221 p.; Dominique Garand, La Griffe du polémique, Montréal, Fditions de l'Hexagone, Collection "Essais littéraires", 1989, 235 p.; Lucie Roben, 1& Manuel d'histoire de la littérature canadieMe de Mgr Camille Roy. Qpébec, Institut québécois de recherche sur la culture, Collection "Edmond de Nevers", 1982, 196 p.; "Essais sur la littérature canadienne de Camille Roy", Djctionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 11 (1900à 1939), Montréal, fditions Fides, 1980, p. 457-461.; "Prolégomènes à une suite sur les transformations du marché du livre au Qpébec (1~

1940)", dans Yvan Lamonde (dir.), L'Imprimé au Québeç. Aspects historiques (I8e;2Qe siècles, Qpébec, Institut québécois de recherche sur la culture, Collection "Culture savante", 1983, p. 225-242.; "Camille Roy et la littérature", dans Paul Wyczynski, François Gallays et Sylvain Simard (dir.), L'Essai et la prose d'idées au Québec, Montréal, Editions Rdes, Collection "Archives des lettres canadiennes - VI", 1986, p. 411-423.; L'Institution du littéraire au Ouébec, Qpébec, Presses de l'université Laval, Centre de recherche en littérature québécoise, Collection "Vie des lettres québécoises", 1989, 272 p.

10 Marie-Andrée Heaudet et Denis Saint-Jacques, -Lectures et critiques de

la littérature française contemporaine au QlJébecà lafin du XIXè siècle", Études francaises. vol. XXXll, no 3 (automne 1996), p. 7-20.; Michel Pierssens et Robeno Benardi, "L'Écho des jeunes: Une avant-garde inachevée", Études francaises, vol.

xxxn,

no 3 (automne 1996), p. 21-50. Jacques Blais ("Décadence chez Nelligan: le cas du poème feUe veux m'éluder]»", Voix & images, vol. XXIV, no 2 (71) (hiver 1999), p. 264-288) et Emlle J. Talbot ("Nelligan and Decadence", Québec Studïes, no. Il, (automne 1990/hiver 1991), p. 83-91) se penchent aussi sur la question d'une influence décadente sur Émile Nelligan.

I l Nous sommes en fait assez proche de la période que privilégie

Marie-Andrée Beaudet dans son livre langue et littérature au Québec /

1895-~.

12 Adjutor Rivard, "Société du parler français au Canada"t Bulletin du

parler français auCanada vol. 1, no 1 (septembre 19(2), p. 9

13 Loin de nous l'idée d'établir une sone de cloisonnement entre une poésie agréant obséquieusement aux éléments les plus typés dela ooJaet une autre, plus originale, les réinterprétant et les redistribuant.

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1SUn décadent, "Incohérences décadentes". Le Recueil littéraire. vol. l, no

10, 1er juillet 1889, p. 83-84.

16 Le Recueil littéraire, de mars 1889 (vol. 1, no 1) au 2S mars 1892 (1ère

année, 2ème livraison); Le Glaneur, de novembre 1890 (vol. 1 no 1) à avril 1892 (vol. 1, no 12); Le Glaneur. Recueil littéraire des jeunes. de 10 juin 1892 (2èmeannée, 1ère livraison) au 10 octobre 1892 (2ème année, 9ème livraison); L'Écho des ieunes, de novembre 1891 (vol. l, no 1) àaoût ou septembre 1894 (vol. l, no 12); et de octobre 1894 (vol. II, no 13) à novembre 1895 (vol. II, no 21). lire à ce propos: Michel Pierssens et Robeno Benardi, C&L'Écho des jeunes: une avant-garde inachevée",

Études francaises. vol. XXXII, no 3 (automne 1996), p. 21-50.

17 Le Terroir. revue del'École littéraire de Montréal, Montréal, Arbour et

Dupont, janvier-décembre 1909, 384 p.

Paul Wyczynski, "L'École littéraire de Montréal. Origines. Évolution. Rayonnement", dans Paul Wyczynski, Bernard Julien et Jean Ménard (dir.), L'École littéraire de Montréal. Montréal, Éditions Fides, Collection "Archives des lettres canadiennes - II'', 1972, p. 11-36.

Lire sunout les pages 24à 27 au sujet de la fondation du Terroir.

18 Pierre Popovic, La Contradiction du poème. Poésie et discours social au

Ouébec de 1948 à 1953, Longueuil, Éditions Le Préambule, Collection "L'Univers des discours", 1992,455 pp.

Pour une histoire dela sociologie littéraire, voir son introduction, p. 13-40.

19 Marc Angenot, 1889. Un état du discours social, Longueuil, Éditions Le Préambule, Collection "L'Univers des discours", 1989, 1167 p.; "L'histoire en coupe synchronique", dans Clément Moisan (dir.) , Histoire littéraire: théories. méthodes. pratiques, Q1Jébec, Presses de l'Université Laval, 1989, p. 57-76; "QIe peut la littérature? Sociocritique littéraire et critique du discours social", dans Jacques Neefs et Marie-Claire Ropars (dir.), La Politique du texte: enjeux sociocritigues, Ulle, Presses universitaires de Ulle, 1992, p. 9-27; Régine Robin, "De la sociologie de la littérature àla sociologie de ('écriture ou le projet sociocritique", dans GrazieUa Pagliano et Antonio Gomez-Moriana (dir.), Écrire en France au XIXe siècle (Actes du colloque de Rome), Longueuil, Éditions Le Préambule, Collectioon "L'Univers des discours", 1989, p. 61-77; "Extension et incertitude de la notion de littérature", dans Marc Angenot, Jean Bessière, Douwe Fokkema et Eva Kushner (dir.), Théorie littéraire. Problème et perspectives. Paris, Presses universitaires de France, Collection "Fondamental", 1989, p. 45-49; "Pour une socio-poétique de l'imaginaire social", dans Discours social. Analyse du discours et sociocritigue des textes (numéro intitulé Le sodogramme en question/ Sociocritidsm Revisited), Montréal, CIADfSf (Centre interuniversitaire d'analyse du discours et de sociocritique des textes), vol. X, no 1-2, 1993, p. 7-32.

20 Marc Angenot, "Qpe peut la littérature? Sociocritique littéraire et

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21 Dominique Garand, La Griffe du polémique: Dominique Garand et Annette Hayward (dir.), États du polémique. Montréal, Éditions Nota bene, Collection "Les cahiers du centre de recherche en littérature québécoise" no 22, 1998, 327 p.; Catherine Kerbrat-Orecchioni,"La polémique et ses définitions", dans Catherine Kerbrat-Orecchioni (dir.),

Le Discours polémique, p. 3-40.; Dominique Maingueneau, Genèses du discours, Bruxelles, Pierre Mardaga éditeur, Collection "Philosophie et langage", 1984, 211 p.

22 ~lichel Foucault, L'Archéologie du savoir, Paris, &::litions Gallimard,

(37)

Décadents et symbolistes: Éléments d'une poétique

(38)

Pendant longtemps, les analyses consacrées à l'étude de la

querelle entre régionalistes et exotiques ont exercé sur cette période une sorte de jugement rétroactif. Nous entendons par là

qu'elles ont mesuré l'importance de ces mouvements à l'aune de l'état futur du champ littéraire et intellectuel. Si, de 1902 à 1918, la constitution d'un champ de préoccupations littéraires et esthétiques semble bien préparer la querelle et sa résolution subséquente par la disparition d'un des opposants, on ne peut toutefois convenir que tous les éléments définitionnels retracés dans cette synchronie convergent pour former une exclusive opposition entre régionalisme et exotisme. La période qui va de 1889 à 1895 est elle-même composée d'autres polémiques que l'on s'est plu par la suite à considérer comme des signes avant-coureurs de la querelle, polémiques qui mettent en cause des littérateurs qui se targuent de modernisme. C'est à cette période que nous allons consacrer le premier chapitre. Nous y avons trouvé un certain nombre de polémiques, brèves, il est vrai, autour de la question du mouvement décadent et de la littéra-ture décadente, donc de l'adoption par les littérateurs canadiens d'esthétiques modernes. Si, après 1904, les parutions jugées pas tout à fait confonnes au programme clérico-nationaliste de Camille Roy déclenchent leur lot de controverses, l'apparition d'une littérature d'inspiration moderne, calquée sur des esthétiques prisées par le monde littéraire français d'avant-garde, ne date pas de cette même année; elle précède en fait les essais de l'École littéraire de Montréal et la parution d'Émile

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NeUi&3D et son œuvre. C'est bien plutôt dès 1889, année de la

création de la revue Le Recueil littérajre, qu'un auteur se réclame pourlapremière fois de ladécadence1.De 1889 à 1895,

année de la disparition de la revue aux tendances modernistes L'Écho dgs jeunes,un certain nombre de polémiques éclateront.

Cette date, 1889, est

un

choix motivé

par

une raison très simple.

n

ne semble pas, en effet, que des références sérieuses à

la décadence apparaissent dans les revues, d'ailleurs moins nombreuses avant cette date, de l'époque. Marie-Andrée Beaudet juge déjà que l'époque 1895-1914 «coïndde avec la

montée d'une véritable critique littéraire et l'apparition de multiples groupes et associations à caractère littéraire»2. Certes, mais cette effervescence n'est pas sans précédent, comme on le verra plus tard.

Avant d'aborder le sujet de ces polémiques, nous aimerions avant tout nous interroger sur la question de la

polémique en tant que telle. Genre particulier qui sert à

l'affrontement des idées, guerre verbale avec ses règles propres, la polémique a fait le sujet d'études. Nous chercherons dans un

premier temps à en relever les traits fondamentaux pour mieux apprécier son travail dans les conflits qui nous occupent.

La polbnigue: un Beure exécutoire

Dominique Garand, dans son livre La Griffe du polémique, s'est justement employé, à l'aide de la querelle, en 1918, entre régionalstes et exotiques autour de la création du Nigog, à

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illustrer cette question. fi sollidte du coup les études et analyses qui proviennent d'un groupe de recherches sur le sujet, dit de Lyon, dont la direction est assurée par Catherine Kerbrat-OrecchionP. Pour cette dernière, la définition du polémique se caractérise par «trois signes généraux: discours-dialogique-synthétique»4. Ainsi,

[Plour que l'on puisse user adjective-ment du terme "polémique", il faut que l'on aitaffaire:

1) à un discours

2) qui attaque une dble

3) laquelle est censée tenir ou avoir tenu un discours adverse

4) que l'énoncé polémique intègre, et rejette "agressivement", c'est-à-dire en tennes plus ou moins véhéments, voire insultantss•

Plusieurs années plus tard, alors qu'il dirige un livre sur les États du pglémig,ue6

, Garand revient sur cette définition en

ajoutant ne pas vouloir la «rejeter complètement».

n

entend toutefois bien en «radicaliser laproblématisation et

L••l

proposer une méthode moins restrictive et connotative»7 que celle employée alors. Cette méthode est explicitée clans son texte; elle précise des points restés obscurs dans la Griffedu polémique, et étend la portée et la signification théoriques d'autres éléments. Nous nous référerons à cette étude pour approfondir ce qu'il écrit au sujet des régionalistes et exotiques.

La polémique, «conflit spectacularisé entre discours»), «c'est la guerre en puissance, le social comme espace de luttes et

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de contradictions, entre classes, entre valeurs»8, un rempart contrela néfaste influence de l'Autre:

La polémique n'est qu'un moyen parmi d'autres de se débarrasser imaginaire-ment de l'altérité qui marque le sujet de la parole; elle joue de l'argumenta-tion comme d'un blindage contre l'Autre, alors que l'Autre est Autre, c'est-à-dire ni rationnel ni irrationnel.

On pourrait dire du polémiste ce que l'on dit du raciste: l'autre qu'il hait, c'est l'autre qu'il esf~.

Le discours-patient, objet de la polémique qui se dé-clenche, n'est toutefois pas «attaqué de plein front» mais plutôt «ingéré, interprété, traduit par le discours-agent». Le discours-agent, l'attaquant, lui renvoie une image qui «n'est pas conforme avec la vision qu'il a de lui-même mais [qui] correspond plutôt à

ce que son dénonciateur veut qu'il soit, à son profit»10. fi en va donc de l'empoignade polémique comme d'une reprise d'arguties vaguement inadéquates qui, d'approximations en approxima-tions, de malentendus en malentendus, involontaires ou straté-giques, développent des thèmes et éléments nouveaux tendant à

l'éloigner de lasituation initiale. Comme «chaque prise de parole apparaît (...

l

àla fois comme une énonciation nouvelle et une ré-énonciation de la prise de parole précédente»11, il en résulte une sone de spirale qui fait que «l'objet autour duquel s'est enclen-ché le processus polémique est susceptible de se transformer, de dériver et même d'être oublié en cours de route»12.

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cas qui nous occupe puisque les prises de bec entre 1889 et 1895 s'apparentent parfois à un dialogue de sourds et paraissent «prendre fin avant d'être réglée[s]». À la lumière de ce qu'avance Garand, il semblerait bien que toute polémique est destinée à «ne pas se résoudre», mais bien à «se dissoudre dans l'imbroglio»13 •

Malgré tout, il importe, selon Garand, que les polémistes partagent un certain nombre de conceptions communes. Au niveau de l'énonciation, l'échange est sous le coup d'une «entente tadte», reposant elle-même sur la bonne foi des opposants, confiants de voir l'autre «la respecter» 14

n

est

évident qu'existe aussi entre les opposants, devenus complices

en cette intelligence, un certain nombre de présupposés idéologiques communs. En fait,

[d]ans la polémique, contrairement à ce qu'on pense spontanément, c'est la

convergencequi l'emporte sur la diver-gence, le désaccord supposantun accord sur un "ensemble idéologique commun",

sur les lois du champ discursif partagé.

La polémique se soutient de la convic-tion qu'il existe un code transcendant aux discours antagonistes, reconnu par eux, qui permettrait de trancher entre le juste et l'injuste1s

ce

code transcendant, écrit Garand, «intervient à la ma-nière d'un tiers». fi nous offre l'exemple de .Mim.UJJiLll'~I1D~

qui a agi comme «référent ultime»16 pour les littérateurs au temps de la polémique entre régionalistes et exotiques.

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Mais est-ce bien assez de le présenter et le décrire de façon, dirait-on, monolithique, comme le fait Dominique Maingueneau, comme l'«utopie d'une position partie prenante d'un conflit et extérieur à lui», de l'illustrer sous les termes du «Pape, le Parti, les savants, le bon sens», «tribunal habilité à trancher» qui «doit [bien] exister quelque part»17? Ce code, quand il apparaît ainsi, transcendant, devient une sone d'entité suprême et impartiale, lointaine et unique. N'est-il pas plutôt le fait de «lois tacites», de «tendances hégémoniques», tirées «de sous-ensembles interactifs, d'éléments migrants métaphoriques» qui fonnent l'«objet composé»18 qu'est le discours social; code

réductible aux faits discursifs qui à lafois en provient et les ali-mente, les régit?

De fait, dans les "Propositions méthodologiques pour l'étude du polémique" de Garand, cet essai pour une méthode "moins restrictive", le code transcendant est dissocié du Tiers qui se présente alors comme une sorte d'arbitre plus étroitement assodé à l'affrontement. Le code est devenu une référence qui agit au sein de la polémique et qui peut être négativement ou positivement marquée selon qu'elle se présente comme caution du sujet ou de l'anti-sujet. «Point d'ancrage» du discours, comparée au totem des sodétés primitives, elle se distingue de celui-ci par le fait qu'elle s'est, dans nos sociétés modernes, «fragmentée» et qu'elle est devenue <<plus occulte»19 et apparaît comme une <<pure

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point de fuite de son désÎr»21. Toutes ces caractéristiques la

rendent proches de la polémique, n'en font plus une instance totalement neutre, unique, ni complètement externe à l'empoi-gnade.

Quant à ce tiers auquel Garand faisait allusion, devenu Tiers arbitre, ilagit tel une «figure supposément externe à qui le discours en appelle pour juger, mais qu'il cherche de ce fait à

séduire, à convaincre, pour le rallier à ses vues». fi est même «susceptible de prendre la parole, qui le transforme en protagoniste»22. Ce Tiers est, en fait, «la masse des lecteurs ~.J

habilités à juger»23 commeil peut aussi être l'Énondataire.

Commentant l'étude de Catherine Kerbrat-orecchioni, Garand note, fort judicieusement, le fait que cette dernière se limite à l'objet discursif particulier qu'est la polémique24 et élude toute question sur son historicité. Elle en isole les caracté-ristiques, laformalisant en quelque sorte comme genre, théorise

à son sujet mais sait mal la suivre dans son actualisation conjoncturelle. il conviendrait, selon lui, d'approcher la polémique non comme un événement détaché dans le temps, comme événement reposant sur des présupposés à dégager et

analyser, mais bien plutôt d'une manière plus historique. Cette attitude sied parfaitement à notre propos puisque nous sommes confrontés, dans le cas des différends qui opposent les déca-dents et leurs détracteurs, à quelques polémiques dont on ne sait plus trop si ses différentes manjfestations se réduisent à

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s'éternise et ne sait plus mourir.

Une mise en garde s'impose. Toutes les observations qui précèdent pourraient nous inciter à nous représenter la

polémique comme «le fondement de ladiscursivité» ainsi que l'a fait Dominique Maingueneau2S

• Elle n'est somme toute qu'une

seule des divisions de cette discursivité générale. Si elle en est certainement un des systèmes d'échange les plus importants, nous ne nous risquerons pas à avancer qu'elle en est le seul. Ne négligeons quand même pas son importance, puisque «narreret

argumenter sont les deux grands modes de mise en discourS»26 et que polémiquer est certes une, sinon la plus importante des formes que prend l'argumentation.

Mais accorder une telle importance aux polémiques ne revient-il pas à dire que le discours social ne se retrouve jamais aussi bien saisissable qu'en elles, qu'il ne s'exprime qu'à travers elles et ne se révèle pas autrement27? cela semble un peu outré.

D'autres types de discours permettent de voir ce qu'il en est des présupposés idéologiques qui les façonnent. fi faudrait plutôt dire que ceux-ci, exposés de manière exacerbée par les polé-miques, sont des isotopies qui coexistent avec elles de façon latente ou visible dans d'autres modes discursifs, que ce soit dans la prose journalistique, publicitaire ou de fiction. Bles soulèvent aussi d'autres présupposés, les combinent dans des argumentaires nouveaux; bref, elles veillent sans doute à la

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la littérature fait un peu de même, avec ses moyens propres et ses exigences particulières. Elle apparaît comme «un supplément du discours social» dont le «moment est un après-coup» mais qui n'en redistribue pas moins, qui en relance constamment en fait, les éléments topiques, les choix idéolo-giques. La littérature, dans ce cadre, forme une «connaissance au second degré», une reprise qui dte, modifie, agrée, condamne, scotomise et reprend à sa guise «les autres secteurs discursifs» et leur manière propre de connaître le monde et de légitimer leurs connaissances28

• Elle est

~••] ce discours qui, présent dans le

monde, vient prendre la parole et tra-vailler avec ~~lesmots de la tribun après que tous les autres discours aient dit ce

qu'ils avaient à dire, notamment les discours de certitude et d'identité29.

Bref, le discours littéraire se manifeste à la fois comme un après- et un métadiscours, qui réutilise, avec certains moyens rhétoriques qui lui sont propres, des éléments topiques, partout présents dans l'interdiscursivité générale et sociale. Force critique, reprise et réexamen des "mots de la tribu", le texte littéraire redit du déjà-su, l'organise selon un ordre qui est propre à l'énonciateur et ajoute le résultat, le resoumet à l'ensemble discursif, le relance et le recycle dans le grand tout généralisé où tous les échos de tous les "dires" retentissent.

n

ne s'agit donc plus, à la lumière de cette systématisation toujours en travail de réfection, de va-et-vient mais de recyclage perpétuel, constant, forme mouvante du didble, sans cesse

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reformée.

Ainsi en va-t-il de la polémique. À ceci près que là où le littéraire transforme les énoncés, les soumet à sa manière propre de les présenter, les représente en des fictions où ils sont mis en action et en jeu, la polémique reste plus proche des ar-guties et de leur système argumentatif. Sans doute y a-t-il une autre différence: la polémique, plus encore que le texte littéraire, met à vif les oppositions de l'échange discursif; elle exacerbe et intensifie le fondement de la différence qui oppose les argumentations. Ble se fonde tout entière sur cette

mise

à

vif. Avec cela, viennent les avantages et inconvénients que comporte cette virulence âpre: certaines topiques sont accusées et accentuées et prennent le pas sur d'autres. La polémique joue au sein du politique; elle est lutte de pouvoir pour la

prédominance d'un ensemble topique sur un autre.

La polémique se distingue aussi par un rôle plus central; elle est plus intégrée à l'échange discursif. Loin de reprendre «"les mots de la tribu" après que tous les autres discours aient dit ce qu'ils avaient à dire, notamment les discours de certitude et d'identité»30, loin de se tenir dans ce second degré de l'énon-dation, lapolémique occupe au contraire le cœur des mots de la

tribu. Elle agit même comme un catalyseur. Ne bénéficiant d'au-cune distance, d'une moins grande possibilité de remodélisation narrative de parsa nature, elle est au centre de l'argumentation. Elle en est la branche armée, en même temps qu'une sorte d'éclaireur furibond. Les polémistes, dans leur empoignade, ne

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se perçoivent pas comme étant en train de réorganiser du déjà-su. fis se croient plutôt en voie de mettre à jour un déjà-su qu'on avait presque, par négligence ou décision arbitraire, relé-gué dans un déjà-ignoré ou scotomisé. Cette désinvolture in-digne le polémiste. Son recyclage des éléments topiques se fait au nom de ce qu'il croit être des oublis volontaires, des omis-sions stratégiques, signes d'une lâcheté ou d'une malhonnêteté ou d'une carence intellectuelles. D'où sa virulence, d'où la

nécessité de mettre à mal le discours adverse qui dérobe, par stratégie frauduleuse, ses thèmes tendandeux, véritablement menteur, abuseur de vérités évidentes devant lequel le polémiste refuse d'être dupé. fi se présente comme le redresseur d'affirmations bancales, vigile clairvoyant, capable de repérer le dérobé, laface cachée du ditible, derrière ce qui se dit en lui ouvertement. Car le polémiste est convaincu qu'il y a toujours du discours en dessous du discours et cette version souterraine ne le cède en rien au premier. fi lui apparaît que le fondement du discours est encore du discours. Pour lui n'existe aucune hiérarchie entre ces divers énoncés; tous opèrent au même niveau. il n'y a pas d'organisation supérieure, de deuxième niveau, de métadiscours. Seul les différentie le fait d'être ounon soustrait au public. Le discours qui n'est pas mis à jour a été détourné et sans doute pour des raisons coupables. C'est alors que le polémiste relève lafaute et s'indigne, attaque, accuse.

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sa pensée quant à la portée de l'échange polémique. Affirmant toujours que le conflictuel est le dénomjnateur commun de la

polémique, précisant qu'il se déploie «sur le théâtre de l'intersubjectivité», il distingue deux modes éthiques, «deux types d'investissement de lapart du sujet»: l'agôn et le polemos.

Alors que le polemos est ce «corps-à-corps dont l'enjeu principal est la primauté d'une identité sur l'autre», l'agôn touche le sujet non dans son rapport à l'autre, son anti-sujet, mais «dans son rapport à l'Autre, voire à l'inhumain». il «met aux prises le sujet et le Réel»:

l'objet n'est plus le moi en tant qu'identité devant être distinguée de l'autre, mais précisément la coupure entre les deux qui rend leur rapport impossible, confine le sujet dans sa solitude ontologique et maintient ouverte la question de son manque31

Dès lors que «l'opposant se met à exister comme autre Sujet aux yeux du Sujet et acquiert pour ce dernier la stature d'un Ennemi»32, dès lors qu'une sorte d'identification entre l'un et l'autre devient possible, qu'une sorte de reconnaissance mutuelle de part et d'autre du différend est apparente, l'angoisse existentielle de survie, de non-être-au-monde qui obsède le Sujet, s'atténue. il en va de cette dualité comme d'un rapport à l'Autre (le polemos) au travers lequel se révèle l'angoisse, agonique, d'un rapport à ce que cet Autre soulève d'interrogations non-résolues par rapport à l'existence même

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oppose deux ennemis mais aussi celle par laquelle chacun des deux se mesure à la mort et au non-être, puisque l'un doit id éliminer, symboliquement du moins, l'autre33

Les polémiques dont nous traiterons id se sont sans doute employées à nommer un enjeu et, autour de celui-ci, des opposants qui sont aussi des partenaires réunis autour de la

question de la pauvreté littéraire du Canada français. La polémique agirait id comme le forceps de la littérature. Elle la

force à être. Puisque l'on peut polémiquer sur celle-d, force nous est de constater qu'elle existe et, qu'à travers elle, les sujets qui s'escriment à sa cause, ceux qu'elle a la charge de représenter et de manifester, existent eux aussi.

Dominique Ganmd, dans

La

Griffe du polémique, concentre son attention sur les débats entre régionalistes et "exotiques" entourant la création et les publications du Niaog, pendant la

seule année 1918. Nous croyons que cette dernière querelle, sans littéralement conunencer au-delà des années 1900, ni

même dès 1904 comme l'avance Annette Hayward, s'appuie sur des idéologèmes (remaniés, reformulés, réaménagés mais toujours portant, sur le fond, à une opposition entre le bon sens classique et les expérimentations formelles modernistes) déjà en place dès 1889. En effet, certains des thèmes et isotopies communs sur lesquelles reposent cette incompréhension et ces différends trouvent leur source en cette période où de nombreuses revues canadiennes-françaises voient le jour et donnent une place aux jeunes littérateurs. Ces revues sont 1&

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Glaneur et Le Recueil littéraire (fusionnées dès 1892 en I&

Glaneur. Recueil littéraire des jeunes), ainsi que L'Écho des jeunes et, dans une moindre part, Le Monde Ulustré. Rappelons, de plus, que c'est dès 1892 qu'éclate une première altercation, assez brève, entre partisans des maîtres classiques, canadiens ou autres, et adeptes d'une littérature plus au diapason de ce qui se fait à ce moment en France; que c'est dès janvier 1888 que l'on fait référence une première fois à une littérature décadente, dans une conférence de Joseph Desrosiers donnée à l'Union catholique de Montréal et publiée dans La Revue canadienne34

C'est surtout l'article "Incohérences décadentes", signé "Un décadent", publié dans Le Recueil .littéraire le premier juillet

188935

, qui déclenche l'altercation. Une autre référence au

mouvement décadent doit être signalée dans le texte "Réalistes et décadents", de Napoléon Legendre, conférence prononcée et publiée en 1890 dans les Mémoires de la Société roYale du

Canada et devenu plus accessible grâce à sa parution dans À la

mémoire d'Alphonse Lusignan36 en 1892. Notre objectif sera

donc de nous en tenir à cette période qui va de 1889, véritable année d'ouverture des hostilités, à 1895, fermant la marche

avec la disparition de L'Échod1:S jeunes.

Nous croyons que faire l'analyse de ces polémiques conduira à réintroduire une certaine forme d'historicité que la

simple étude générique d'une seule de ces disputes ne donnerait pas. D'autre part, il est manifeste que chaque polémique ne se clôt que dans l'indécidable et ne referme pas le cercle des

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