p ar Jean V
ezinD
ès 1875, G ustav Scherrer a rem arqué q u 'u n nom bre très im portant de m a nuscrits de la bibliothèque de Saint- Gall copiés aux VIIIe et IXe siècles étaient re v êtus d e reliures rem o n tan t au h a u t M oyen Âge1. C ette observation capitale v en ait m al h e u re u se m e n t tro p tôt. Ce n 'e s t, en effet, q u 'en tre les deux dernières guerres que l'o n commença à étudier scientifiquem ent les reliu res de l'époque carolingienne. Il fallut attendre les recherches m enées en 1924 p ar G eorg Lei- dinger2 sur les m anuscrits anciens de Freising p o u r que l'o n s'avisât de l'in térêt que p résen taient les reliures très anciennes décorées de petits fers estampés.Les pro g rès décisifs fu ren t réalisés en 1937 p a r Karl C hrist3 d ans u n article où était m agistralem ent exposée la m éthode à utiliser p o u r repérer les reliures les plus anciennes. À ce propos, C hrist observait que « St G allen ist
1 G ustav SCHERRER, Verzeichniss der Handschriften der
Stiftsbibliothek von St. Gallen (H alle, 1875), en particulier p. 234.
2 G eorg LEIDINGER, Das sogenannte Evangeliarium des
heiligen Korbinian, dan s Wissenschaftliche Festgabe zum zwolfhun- dertjahrigen Jubilaum des heiligen Korbinian, hrsg. von J. Schlecht
(M ünchen, 1924), p. 98.
3 Karl CHRIST, Karolingische Bibliothekseinbiinde, dan s
Festschrift Georg Leyh 1877-1937 (Leipzig, 1937), p. 82-104, figs.
d er idéale O rt fü r F o rsch u n g en üb er den frühma. Einband4 ».
M ais Karl C hrist, com m e u n peu plus tard Geoffrey D. H obson5, ne s'intéressait qu'à l'extérieur de la reliure, notam m ent à sa déco ration et aux titres inscrits a u dos. Deux bi bliothécaires allem ands, H einz et Kattermann6, firent réaliser à nos étu d es u n progrès décisif en m o n tra n t com b ien il é ta it im p o rta n t d 'ex am in er la tech n iq u e d e réalisation des reliures, spécialem ent le m o d e d'attache des nerfs aux ais. A près la dernière guerre m on diale, Berthe Van R egem orter7 devait tirer les conséquences de ces d éco u v ertes dans une série d'articles bien connus.
4 Karl CHRIST, art. cit., p.88.
5 G eoffrey D. H OBSON , Some early Bindings and Binder's
Tools, dans The Library, 19,1 (1938), pp. 202-233, figs.
6 A d o lf Th. E. HEINZ, Über Heft und Bindeweisen von
Handschriften aus der Karolingerzeit, d an s Archiv fiir Buchbinderei,
38 (1938), pp. 33-38, figs.; Gerhard KATTERM ANN, Die karolin-
gischen Reichenauer Bucheinbande und die Technik des friihmittelal- terlichen Einbandes, dans Archiv fiir Buchbinderei, 39 (1939), pp.
17-20 et 31-32, figs.
7 Berthe V A N REGEMORTER, Binding Structures in the
M iddle Ages, A Selection of Studies (Brussel-London, 1992) (Studia
74 Ca h i e rIX d u C R A T H M A
P o u r re v e n ir à Saint-G all, rap p elo n s q u 'E m st Kyriss8 a décrit en 1966 dix reliures de cuir orné conservées d ans la bibliothèque de l'abbaye. R écem m ent, le professeur Szir- mai9, spécialiste d e l'é tu d e de la structure des reliures m édiévales, s'e st intéressé à ce fonds si riche. O n p e u t aussi m entionner quatre re liures ornées d'ivoires et la reliure d'orfèvrerie des évangiles de L in d au 10. De notre côté, nous souhaitons exposer les observations que nous avons faites su r les dix reliures décrites p ar Ernst Kyriss et su r deux autres (Saint-Gall 97 et 277) qui ont été signalées p a r le professeur Szirmai. En revanche, nous nous contentons de rappeler ici la découverte faite p ar le p ro fesseur Szirmai su r le m anuscrit 354 de Saint- Gall, copié au XIe siècle, d 'u n e reliure réalisée suivant la technique carolingienne, et couverte d 'u n e feuille de cu ir b ru n ornée de grands fleurons dessinés à l'encre11, u n m ode de déco ration inconnu ju sq u 'alo rs à u n e époque aussi ancienne en Europe.
8 E m st KYRISS, Vorgotische verzierte Einbiinde der Stifts-
bibliothek Sankt-Gallen, dan s Gutenberg- Jahrbuch, (1966), pp. 320-
325, figs.
9 Jan A. SZIRM AI, Repair and Rebinding of carolingian
Manuscripts in St Gall Abbey Library in the fifteenth Century, dans The In stitu te of Paper Conservation : Conference ed. b y Sheila
Fairbrass (M anchester, 1992), pp. 164-170. IDEM, The archaeology
o f medieval bookbinding, A ldershot 1999.
10 Johannes DUFT, R u d olf SCHNYSDER, Die Elfenbein-
Einbdnde der Stiftsbibliothek St. Gallen (Beuron, 1984) ; Paul
N EED H A M , Twelve Centuries o f Bookbinding : 400-1600 ( N e w York-London, 1979), pp. 24-26, n° 5.
11 Jan A. SZIRMAI, Ein karolingischer Einband m it
Leder-tapete-Überzug, dans Restauro, 98 (1992), pp. 155-156.
Les m an u scrits conservés à Saint-Gall dotés de reliures carolingiennes ornées de p e tits fers estam pés sont d 'o rig in e s très d iv er ses12. Un provient de Coire (Ms. 722), un, sans do u te de M ayence (Ms. 174), u n de Fulda (Ms. 457) et un, enfin, vraisem blablem ent de Wis- sem bourg (Ms. 277). Q uatre so n t originaires d e la France (Mss. 98 et 106 d u N ord-Est de la France, 177 d 'A u x erre, 240 d e Chelles). Un volu m e tran scrit en France (Ms. 729) a sans d o u te été relié d an s une zone germ anique. Paradoxalem ent, seuls trois volum es originai res d e Saint-Gall ou de la région (Mss. 97, 146 et 225)13 peuvent avoir été reliés su r place.
Le m an u scrit 225, qui contient le Liber D ifferentiarum d 'Isid o re de Séville et d'autres textes, a été exécuté à Saint-Gall p a r plusieurs copistes, d o n t le scribe bien connu W inithar qui est intervenu à plusieurs reprises14, aussi peut-on d ater ce volum e de la seconde moitié d u VIIIe siècle. D ifférents textes de com p u t transcrits su r les p p . 116-123 p résen ten t des particularités qui p erm etten t d e préciser cette datation entre 760 et 797.
12 On trouvera la b ib liograp hie relative aux m anuscrits décrits dan s cette étu d e, sa u f celle d e s m ss. 97 et 277, dans l'article su ivan t, Jean VEZIN, Les plus anciennes reliures de cuir
estampé dans le domaine latin, dans Scire litteras, Forschungen zum mittelalterlichen Geistesleben, hrsg. v o n Sigrid Kramer un d M i
c h a e l B ern hard (M ü n ch e n , 1988), p p . 3 95-396, 405-406 (B ayerisch e A k a d em ie d er W isse n sch a ften , P h ilo so p h isch - historische K lasse, A bhandlungen, n eu e F olge, H eft 99).
B G eoffrey D. HOBSON, art. cit, p. 218, écrit m êm e : « It is strange that the great S w iss Abbey never produced any tooled Leather Binding in this period ».
14 Elias A . LOWE, Codices la tin i antiquiores, to. VII (Oxford, 1956), n° 928.
Le cuir de la reliu re d e ce v o lu m e a beaucoup souffert et les em preintes des fers sont p resq u e com plètem ent effacées. O n ne voit clairem ent que les filets. O n croit distin guer u n fer à gauche d u losange central sur le prem ier plat. Sur le second plat, il y a peu t- être u n fer circulaire au centre de la croix. O n en voit assez bien u n dans le canton de droite en h a u t et on distingue deu x très petits fers sur le m ontant supérieur de la croix.
Le m anuscrit 146 est form é p a r la ré u nion de deux codices copiés au IXe siècle et c o n ten a n t des œ uvres de sa in t A u g u stin , d'A lcuin ainsi que des textes divers. O n hésite sur l'orig in e de l'écriture d e ce volum e. Cer tains pensent q u 'il a été copié en France. Pour Albert Bruckne15, il au rait été réalisé à Saint- Gall. Sa reliure p o u rrait alors avoir la m êm e origine que la précédente.
C om m e dans le m anuscrit 225, le décor est très effacé. O n distingue cep en d an t su r le prem ier plat u n cadre rectangulaire form é par u n triple filet. À l'in térieu r de ce cadre, des filets d e ssin e n t u n losange et u n e croix en sautoir. Trois petits fers différents sont im p ri més aux intersections des filets. Le second plat est plus effacé. O n ne voit q u 'u n cadre rectan gulaire dessiné p a r u n trip le filet. C inq fers différents sont groupés p o u r form er vraisem blablem ent une croix.
15 Albert BRUCKNER, Scriptoria M edii A evi H elvetica... H. Schreibschulen der Diozese Konstanz. St. Gallen I... (Genf, 1936), p. 66 et pl. 48 ; id., op. cit., HI... St. Gallen EL.. (Genf, 1938), p. 23, 36 n.
O n aurait, en somme, dans ces deux m a nuscrits un décor com parable, le prem ier plat orné d e filets dessinant des losanges et le se cond p la t orné d 'u n e croix. C ette différence d ans le traitem ent de la décoration des deux plats ap p artien t à une trad ition bien attestée au IXe siècle16 alors q u 'a u Xe siècle les deux plats sont ornés de la m êm e manière.
Le m an u scrit 97 co n tien t u n p sau tier abrégé et le De officiis de sain t Ambroise. Il a été copié p a r p lu sieu rs m ains, peut-être san- galliennes, dans la seconde m oitié d u IXe siècle d 'ap rès A lbert Bruckner et il correspondrait à la notice « A m brosii de officiis libros III in volum ine I » d e la liste des livres copiés au tem ps de l'abbé H artm u t (872-883)17.
Le m anuscrit 722 est u n palimpseste. On a utilisé u n exem plaire effacé d u commentaire de saint H ilaire su r les p sau m es p o u r tran s crire u n e collection canonique. Plusieurs élé m ents d u texte de cette collection m ontrent que selon toute vraisem blance elle a été copiée à Coire18, au tem ps de l'évêque Rem edius qui a occupé ce siège entre 800 et 830.
La reliure a été restaurée à plusieurs re prises, la dern ière fois en 1981. Grâce à un excellent com pte ren d u de restauration, on se ren d com pte q ue les ais actuels ont dû être fixés au corps d'ouvrage à u ne époque récente,
16 Bernhard BISCHOFF, M ittelalterliche Studien. Ausge-
wcihlte A ufsatze zu r Schriftkunde und Literaturgeschichte, Bd. II
(Stuttgart, 1967), pp. 286-287.
17 A lbert BRUCKNER, op. cit., to. m . . . St Gallen II, pp. 38, n. 187, et 67-68.
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peut-être au XVIe ou au XVIIe siècle. O n aurait alors collé su r la nouvelle reliure le cuir qui couvrait l'ancienne. Très exceptionnellem ent, ce cuir n 'est pas grisâtre et pelucheux comme d an s la p lu p a rt des reliu res carolingiennes ; m ais il est lisse com m e d u veau et de couleur m arron. N ous ne connaissons pas d 'au tre em p lo i d 'u n e p e au sem blable su r des reliures aussi anciennes, sauf su r deux volum es ayant ap p arten u à la bibliothèque de F u ld a19 et pro v en an t de m ilieux anglo-saxons. Le décor de cette reliure est uniq u e en son genre, surtout su r le second p lat avec les filets trip les qui convergent vers le centre d u p lat et se term i n en t p ar u n petit fer.
Les deux reliures que n ous allons exa m in er m ain ten an t p a ra isse n t avoir été p ro du ites p ar des ateliers em ployant des techni ques assez comparables. La prem ière couvre le m an u scrit 174, u n recueil d e lettres de saint A ugustin. Ce volum e a vraisem blablem ent été copié au IXe siècle à Mayence. Il a été révisé au XIe siècle p a r E kkehard IV, élève de N otker Labeo à Saint-Gall, qui séjourna de 1022 à en viron 1032 à M ayence av an t d e revenir ensei gner dans son abbaye d'origine. Sans doute a- t-il app orté ce m anuscrit d ans son m onastère car cet ouvrage ne figure pas dans les catalo gues anciens de la bibliothèque.
Le décor de triples filets q u 'o n observe su r les deux plats est assez complexe ; mais on retrouve le losange et la croix en sautoir su r le
19 Kassel, G esam thochschul-B ibliothek, Theol. fol. 21 et Q. 6. Cf. G eoffrey D. HOBSON, art. cit., p. 220.
prem ier plat et la croix latine sur le second. Ce décor évoque celui d e p lu sieu rs m anuscrits reliés à Fulda sous l'ab b atiat de Raban M aur d o n t on sait q u 'il fut abbé de Fulda p uis a r chevêque de M ayence. Les petits fers de cette reliure, p ar la finesse d e leur gravure et aussi p ar certains de leurs dessins, en particulier des rosettes et des anim aux, sont égalem ent p ro ches des petits fers des reliures de Fulda.
La reliure d u m anuscrit 457 est p articu lièrem ent intéressante car elle p eut être locali sée e t datée avec u ne précison q u 'o n atteint rarem ent p o u r ce genre d'ouvrage. Ce volum e contient en effet le M a r ty r o lo g e q u e R aban M aur a rédigé entre 840 et 85420. Il a été tran s crit p a r des scribes de M ayence ou de Fulda et p o rta it sur son p rem ier feuillet, a u jo u rd 'h u i disp aru , une double dédicace à Grim ait, abbé de W issem bourg p uis de Saint-Gall (841-872), archichancelier à la cour de Louis le G erm ani q ue (848-870) e t au chancelier Ratleik. Les deux hom m es exercèrent ces fonctions con jointem ent en tre 848 et 85421, ce qu i p erm et sans do u te de préciser l'ép o q u e à laquelle le m anuscrit a été réalisé. L'ouvrage est en outre décrit dans la liste des livres légués p ar G ri m ait à son abbaye22.
70 J. M cC U L L O H , e d . Rabani M auri m artyrologium
(T um hout, 1979), p. XXXVII (C orpus Christianorum , C ontinua- tio m ediaevalis, 44).
21 Bernhard BISCHOFF, op. cit., Bd.III (Stuttgart, 1981), p. 195.
22 P aul L E H M A N N , M ittelalterliche Bibliothekskataloge
Plusieurs fers de cette reliure sont exac tem en t sem blables à ceux qui d éco ren t u n certain nom bre d e reliures couvrant des vo lum es de l'ancienne bibliothèque de F u ld a23 ; on voit ainsi to u t l'in térêt que présente no tre m an u scrit p o u r la connaissance de l'a r t du livre à Fulda vers la fin d e l'abbatiat de Raban M aur, m ort en 854.
Le m a n u s c rit 277, u n p é n ite n tie l d 'H alitg aire de C am brai, œ u v re d u p rem ier tiers d u IXe siècle (817-830/831), fut égalem ent donné à Saint-Gall p ar G rim ait. L 'écriture de ce volum e est caractéristique d u Sud-O uest de la G erm anie d 'ap rès B ernhard Bischoff24 qui pensait que ce livre p o u v a it provenir de Wis- sem bourg d o n t G rim ait, com m e nous venons de le voir, avait été abbé av an t 841. Le prem ier plat est décoré d e triples filets qui dessinent u n losange et une croix en sautoir. Q uelques fers, m alheureusem ent illisibles su r le frottis que nous possédons, sont estam pés aux in ter sections des filets.
Le m anuscrit 729 soulève u n problèm e particulier. Il est décrit d a n s le p lus ancien catalogue de la bibliothèque de Saint-Gall. Son écriture est u ne m inuscule Caroline ty p iq u e m ent française ; mais le type de décor em ployé pour sa reliure semble p lu tô t germanique. Son prem ier plat, en effet, est orné d 'u n losange et d 'u n e croix en sautoir com m e dans les m a n u s crits d'o rig in e germ anique que nous venons
25 Kassel, G esam thochschul-Bibliothek, Theol. fol. 25, 31,
54.
24 Bernhard BISCHOFF, to. cit., p. 196.
d'exam iner. Com m e dans u n autre m anuscrit germ anique, Saint-Gall 722, son second plat est orné d 'u n dessin assez complexe com pre nant, dans le cas de Saint-Gall 729, deux ca dres rectangulaires dessinés p ar des filets tri ples et une croix en sautoir. Dans les autres m anuscrits germ aniques étudiés ici (Saint-Gall 146, 174, 225), le second plat est décoré d 'u n e croix latine25. C ette disposition d u décor dif fère de celle qu'on observe dans les manuscrits sangalliens d u IXe siècle d 'o rig in e française (98, 106, 240) d o n t le p rem ier p la t est orné d 'u n e croix latine alors que losange et croix de Saint-André figurent su r le second plat. Dans ces conditions, nous hésiterions à considérer comme française la reliure d u m anuscrit 729.
Les quatre reliures suivantes, en revan che, on t été réalisées en France selon toute vraisem blance. La prem ière couvre le m anus crit 177 qui contient La Cité de Dieu de saint A ugustin. A vant d e p asser à Saint-Gall, ce volum e avait été offert p a r Fléribald, évêque d'A uxerre de 829 à 857, à sa cathédrale : Hune lïbrum Herïbaldus Autissiodorensis ecclesiae epis- copus dédit sancto Stephano pro vita aeterna. La p lus ancienne attestation de la présence de ce livre à Saint-Gall est fournie p ar un ex-libris d u XIIIe siècle : liber sancti Galli de C. Dei. La reliure est en très m auvais état et son décor est très effacé. O n voit cep en d an t que les deux p lats étaient ornés de filets. Le dessin d u se cond p lat est seul visible. Il est form é p ar un
25 Le décor d u m anuscrit d e Fulda (Saint-Gall 457) est de nature différente.
78 Ca h i e r IX d u C R A T H M A
losange et une croix en sautoir. U n fer p a rti culièrem ent in téressan t est constitué p a r une m onnaie fausse de Louis le Pieux qui est im prim ée en h au t d u second plat.
Deux autres fers offrent aussi un grand intérêt. L 'u n est gravé de losanges emboîtés les u ns dans les au tres ; le second représente u n as de pique. Ces deux fers possèdent des co rresp o n d an ts e x trê m em en t p roches d an s deux reliures carolingiennes, l'u n e qui couvre u n volum e p ro v e n a n t de l'abbaye de Fleury (Orléans, Bibl. m un. 85) et l'autre, u n m an u s crit copié au m oyen d e l'écriture typique de Saint-Denis vers 800 (B. N. F., lat. 11611)26. Il est ten tan t de pen ser que ces trois reliures ont p u être réalisées d an s la région d e la Loire située en am ont d'O rléans. O n sait en effet les liens qui existaient entre A uxerre et Fleury au IXe siècle, n o ta m m e n t d ans le dom aine d u livre, et co m b ien il e st so u v e n t difficile d 'attrib u e r u n m anuscrit à l'u n e ou l'au tre de ces d e u x lo calités s u r le seul c ritère de l'écriture27. Le m anuscrit lat. 11611 a très bien p u être relié ailleurs q u 'à Saint-Denis car nous po sséd o ns deu x reliu res réalisées sans nu l do u te p o u r cette abbaye vers 810/825 d o n t le décor est très différent28.
26 Elias A. LOWE, Codices la tin i antiquiores, to. VI (Oxford, 1953), p. XXVI.
27 Jean VEZIN, Le scriptorium d ‘Auxerre d an s L'école ca rolingienne d'Auxerre de Murethach à Remi 830-908. Entretiens
d 'A u xerre 1989 p u b liés par D o m in iq u e Iogna-Prat, C olette Jeudy et G uy Lobrichon (Paris, 1991), pp. 57-58.
28 Jean VEZIN, Les plus anciennes reliures de cuir estampé, p. 396.
Le m an u scrit 106, u n com m entaire sur Job d u pseudo-Jérôm e, a été copié d ans le N ord-E st de la France. Ce volum e est signalé p o u r la prem ière fois d ans le catalogue de la bibliothèque de Saint-Gall dressé en 146129 et il p o rte sur sa page 3 u n ex-libris d e la seconde m oitié du XVe siècle ou d u siècle suivant : Liber sancti Galli. Sa reliure a beaucoup souffert. On vo it c ep en d an t que les fers d u p rem ier plat é taien t g ro u p és de m an ière à dessin er une croix. Deux de ces fers o n t servi à décorer la reliu re d 'u n exem plaire d e La C ité de Dieu transcrit, d 'a p rè s B ernhard Bischoff, à Reims dans le troisième quart d u IXe siècle30.
Le m an u scrit 240 contient les Prooemia d 'Is id o re e t p lu s ie u rs a u tre s œ uv res de l'évêque de Séville. B ernhard Bischoff31 a rap proché son écriture de celle d 'u n groupe de m anuscrits copiés au déb u t d u IXe siècle dans l'abbaye de Chelles. Il est m entionné dès la fin de ce siècle dans le catalogue d e la bibliothè que d e Saint-Gall32. Son p rem ier p lat est orné d 'u n e croix dessinée p ar des triples filets ins crite dans un cadre rectangulaire. A ux bras de la croix sont accrochées les lettres et et û). Par son dessin, cette croix est très proche de celle qui décore le prem ier p lat d 'u n com m entaire de Bède sur les Actes des apôtres copié à Corbie au d éb u t d u IXe siècle et relié p o u r cette
ab-3 Paul LEH M A NN, to. cit., p. 107, li. 17. 30 Bourges, Bibl. m un., 94 (84).
31 Bernhard BISCHOFF, op. cit., Bd. I (Stuttgart, 1966), pp. 22 e t 29.
baye33. Le second plat est orné d 'u n losange et d'u n e croix en sautoir, comme très souvent.
La reliu re d u m a n u sc rit Saint-G all 98 p e u t aussi être rap p ro ch ée d 'u n e reliure de C orbie. Ce v o lum e co n tie n t d eu x œ u v res dogm atiques de saint A m broise et le De laude sanctorum d e Victricius34. Il a été copié dans le N ord-Est d e la France et fut offert p a r u n p rê tre d u no m de Regimar au roi Louis le G erm a nique com m e l'in d iq u e un e dédicace en vers. Ce sont sans doute les h autes fonctions exer cées p ar G rim ait au p rès de ce souverain qui o n t p e rm is l'a c q u isitio n d e ce liv re p o u r l'abbaye. Le successeur de G rim ait, H artm ut, le révisa av an t d 'e n faire exécuter une copie qui existe toujours (Saint-Gall 102). Seize fers différents ornen t la reliu re d u m an u scrit 98. Toutefois, le plus intéressant dans cette reliure réside d an s la m anière d o n t est organisé le décor. Sur le p rem ier p lat, des q u a d ru p le s filets dessinent une croix latine. Le second plat est orné d 'u n losange et d 'u n e croix en sautoir égalem ent dessinés p a r des filets quadruples. Dans les q u atre p an n eau x rectangulaires d é limités su r le p rem ier p la t p a r les bras de la croix, des petits fers so n t groupés afin d e for m er des croix. O n observe aussi u n g ro u p e m ent en form e de croix des petits fers estam pés dans les losanges dessinés p ar les filets sur
le second plat. Plusieurs reliures carolingien nes de Corbie p résen ten t u n parti assez voi sin35.
N ous avons vu que trois reliures seule m ent peu v en t avoir été décorées à Saint-Gall. Si l'o n considère le nom bre relativem ent con sidérable de reliu res carolingiennes conser vées dans la bibliothèque de l'abbaye, on peut penser que ses bibliothécaires n 'o n t pas p ro cédé à la réalisation systém atique de reliures de cuir décoré comm e cela p araît avoir été le cas à Fulda, Salzburg, Saint-A m and et Corbie notam m ent. En revanche, les quelques m anus crits que n o u s v enons d 'ex am in er illustrent clairem ent les relations nom breuses entrete n ues p ar Saint-Gall avec d 'au tres centres de copie ou d 'a u tre s bibliothèques à différentes époques, particulièrem ent au IXe siècle. Le rôle joué p ar l'abbé G rim ait en raison de ses fonc
tions à la cour d e Louis le G erm anique est spécialem ent mis en évidence. Ainsi, on cons tate une fois de p lus que les m anuscrits pou vaient beaucoup voyager, m ais aussi, le rôle de conservatoire joué p a r la bibliohèque de Saint-Gall. Une dernière rem arque aura trait à la répartition des dessins entre le prem ier et le second plat. Lorsque les livres étaient posés à
33 Paris, B.N.F., lat. 12283. - Jean VEZIN, Les reliures caro
lingiennes de cuir à décor estampé de la Bibliothèque nationale de Paris, dans Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 128 (1970), pp. 101-
102 et fig. 2.
34 Bernhard BISCHOFF, op. cit., Bd. III (Stuttgart, 1981), pp. 189,192 et 193.
36 N otam m ent, PARIS, B.N.F., lat. 12051. - Cf. Jean VE ZIN, art. cit., pp. 97-99, pl. HI-IV.
8 0 Ca h i e rIX d u C R A TH M A
plat su r des tablettes et no n pas enfermés dans des coffres, on p e u t p en ser q u 'ils étaient dis posés de telle sorte q u e le p la t p o rta n t une croix fût visible. Si cette hypothèse est juste, en France, le p rem ier p la t était disposé p a r d es sus ; en A llem agne, c'est le second plat q u 'o n
p o u v ait voir. Cela au rait p u influer su r la dis position des ferm oirs. Il y a là u n problèm e d 'h isto ire des bibliothèques qui m érite d 'être examiné p lus en détail.