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La zonation métabolique hépatique

CHAPITRE I : Rôle du foie dans l’homéostasie glucido-lipidique

I. Organisation structurale et métabolique du foie

3. La zonation métabolique hépatique

L’unité fonctionnelle hépatique est ainsi orientée selon le flux sanguin traversant le foie. La première rangée d’hépatocytes dits périportaux est alimentée en sang mixte provenant de l’artère hépatique et de la veine porte. Elle est en contact avec les canaux biliaires. À l’opposé de la travée hépatocytaire, les hépatocytes dits périveineux entourent une veine centrolobulaire dans laquelle se déverse le sang efférent. Les fonctions propres aux hépatocytes diffèrent selon leur localisation le long de l’axe porto-central de la travée

25 hépatocytaire. Ce concept est appelé « dynamique de zonation métabolique » (Jungermann and Sasse, 1978). Il permet d’expliquer comment des fonctions, a priori opposées comme la biosynthèse et la dégradation d’un même nutriment, peuvent cohabiter dans le foie (Figure

3).

La voie Wnt-β-Caténine est largement impliquée dans cette zonation métabolique. Elle a été tout d’abord identifiée dans la carcinogenèse hépatique. En effet, des mutations de la β-

caténine sont présentes dans 20 à 30% des carcinomes hépatocellulaires (de La Coste et al.,

1998). Plus tard, elle a été démontrée comme essentielle dans le développement et le maintien de la zonation métabolique hépatique (Benhamouche et al., 2006a). La voie Wnt/β- Caténine détermine la signature métabolique des hépatocytes en contrôlant leur programme génique. Lors d’une activation importante de cette voie (dans un contexte d’hépatocarcinome), plusieurs protéines normalement exprimées exclusivement dans les hépatocytes périveineux se retrouvent au niveau périportal (Cadoret et al., 2002; Colnot et al., 2004). Ainsi, la β-Caténine stimule l’expression de gènes codant pour des protéines spécifiques des hépatocytes périveineux et inhibe celle des protéines périportales. Cette régulation transcriptionnelle conduit à une zonation métabolique du foie. La voie Wnt-β- caténine régule notamment 3 fonctions zonées majeures : le métabolisme azoté (ammoniac), le métabolisme des xénobiotiques et le métabolisme glucido-lipidique.

- Métabolisme de l’ammoniac

Les bactéries intestinales produisent de l’ammoniac en grande quantité que le foie doit épurer. Pour cela, les hépatocytes périportaux l’engagent vers le cycle de l’urée permettant sa détoxification. Les hépatocytes périveineux sont, quant à eux, chargés de nettoyer l’ammoniac résiduel via la synthèse de glutamine. Le gène Apc (« Adenomatous polyposis

coli »), suppresseur de tumeur, est important dans ce mécanisme. Celui-ci est exclusivement

présent au niveau périportal et contrôle négativement la voie β-caténine (Figure 3c). Les souris invalidées pour Apc présentent un défaut du cycle de l’urée suite à un déficit en enzymes périportales, enzymes clés de ce métabolisme. A l’inverse, la synthèse de glutamine est exacerbée du fait d’une forte expression d’enzymes périveineuses comme la glutamine synthétase. Cela se traduit par une hyperammoniémie et une hyperglutaminémie responsables de la mort des souris (Benhamouche et al., 2006b). La zonation du métabolisme

26 de l’ammoniac est stable car elle n’est pas modulée en fonction de l’état nutritionnel (Gebhardt, 1992; Häussinger et al., 1992; Jungermann and Keitzmann, 1996).

- Métabolisme des xénobiotiques

Le métabolisme des xénobiotiques présente une zonation hépatique bien définie et dépendante de la signalisation de la β-caténine (Hailfinger et al., 2006; Sekine et al., 2006). Celui-ci est contrôlé par la famille des cytochromes P450 qui gère la transformation des xénobiotiques (drogues, alcools, carcinogènes) en produits excrétables. Ceci nécessite une mono-oxygénation suivie d’une conjugaison avec l’acide glucuronique ou sulfuronique. Les deux premières étapes ont lieu dans la zone périveineuse tandis que la conjugaison avec l’acide sulfuronique a lieu dans la zone périportale. Globalement, les enzymes de détoxification sont exprimées dans la zone périveineuse (Hailfinger et al., 2006; Jungermann and Keitzmann, 1996). L’implication de la β-caténine dans ce métabolisme a été démontrée grâce à l’invalidation hépatique du gène de la β-caténine. L’invalidation rend les souris résistantes à la nécrose centrolobulaire suite à la perte d’expression de Cyp1a2 et Cyp2e1, deux enzymes de détoxification du paracétamol (Sekine et al., 2006).

Ainsi, la voie β-caténine possède un rôle essentiel dans l’homéostasie hépatique en assurant le contrôle d’au moins deux de ses fonctions métaboliques zonées (métabolismes de l’ammoniac et des xénobiotiques). L’abondance de l’expression d’Apc dans la zone périportale permet de limiter la signalisation β-caténine au niveau périveineux. Apc est donc considéré comme un gardien de la zonation métabolique (« zonation keeper »).

- Métabolisme glucido-lipidique

La synthèse des VLDL (« very low density lipoproteins »), particules de transport des lipides circulants, semble être localisée dans la région périveineuse, tout comme la lipogenèse de

novo (Figure 3). A l’inverse, la β-oxydation et la cétogenèse ont lieu préférentiellement dans

la région périportale, beaucoup plus oxygénée (Jungermann and Keitzmann, 1996). La synthèse de cholestérol, quant à elle, est plutôt réalisée au niveau périportal et sa dégradation par la bile au niveau périveineux.

Concernant le métabolisme glucidique, la néoglucogenèse est périportale et la glycolyse périveineuse (Jungermann and Keitzmann, 1996). Cela semble logique puisque la

27 néoglucogenèse, contrairement à la glycolyse, est dépendante des substrats énergétiques provenant de la β-oxydation. Brièvement, à la suite d’un repas, le glucose est capté par les hépatocytes périveineux puis stocké sous forme de glycogène ou transformé en pyruvate et lactate par la glycolyse. Le lactate ainsi synthétisé est libéré dans la circulation sanguine puis capté par les hépatocytes périportaux. A l’état de jeûne, le glycogène est dégradé en glucose au niveau périportal et en lactate au niveau périveineux. Celui-ci peut également être capté au niveau périportal où il sert de substrat à la néoglucogenèse (Agius et al., 1990).

Cette zonation fonctionnelle est expliquée par la variation de l’expression et/ou de l’activité des enzymes impliquées dans le métabolisme glucido-lipidique le long de l’axe porto- central. Ainsi, les enzymes de la néoglucogenèse telles que PEPCK (« Phosphoenolpyruvate Carboxykinase »), F1,6BP (« Fructose 1,6 Biphosphatase ») et G6Pase (« Glucose 6 phosphatase ») sont exprimées dans les hépatocytes périportaux (Braeuning et al., 2006). De façon intéressante, l’expression des enzymes de la glycolyse comme GCK (« Glucokinase ») et LPK (« Liver Pyruvate Kinase ») n’est pas zonée, leur activité est détectée seulement dans les hépatocytes périveineux.