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ous voilà partis. Cette balade me donnera certainement l’occasion de réfléchir. Enfin… balade, ce ne sera sûrement pas une partie de plaisir.

Zut. Je suis déjà dans le négatif, alors que jusqu’à présent je ne prêtais pas autant d’attention à mes pensées.

Je sors mon calepin, que je prends soin d’emporter partout, et trouve ce que je cherchais. Leçon numéro douze : « Si tu penses que c’est possible, alors la vie te donnera toujours raison. »

Je change donc mon mode de pensée et me convaincs que je vais passer une superbe journée et un agréable moment.

Au bout d’une grosse heure, la montée se fait de plus en plus raide, et mes jambes se mettent déjà à trembler. Heureusement, on marque une pause pour se désaltérer à proximité d’un petit cours d’eau qui serpente, et un Japonais me tend gentiment une barre de céréales. Je le remercie vivement, j’ai déjà faim. Ils ont tous l’air intrigués à cause de moi, mais, en même temps, ils n’osent pas vraiment me regarder. Je décide alors de briser la glace en essayant tant bien que mal de communiquer avec eux. Je demande en anglais, ponctué de langage des signes, combien de temps nous allons encore monter.

L’un d’eux me montre sept doigts. Sept heures. Je vais mourir. Mais je n’ai pas le temps de me demander ni où ni quand, car nous devons remballer nos affaires et poursuivre notre chemin.

Voilà deux heures qu’on marche. Je suis essoufflé et j’ai de plus en plus mal aux jambes, même si la montée s’est un peu adoucie. Me revient alors en mémoire un conseil de Roger : « Concentre-toi au maximum sur le moment présent. » Je regarde alors le paysage qui m’entoure : grâce au dénivelé, la vue se dégage. Puis mes pensées divaguent vers mon avenir et ma famille. Je sens que je suis capable de pardonner à Tania, mais si je veux vraiment tourner la page, il faudrait aussi que je pardonne à Marc. Cela ne signifie pas qu’on redeviendra amis, mais ce que j’ai vu et vécu au Centre d’Emma m’a fait prendre conscience de la force du pardon, de ses bienfaits et de la possibilité d’avancer dans la vie beaucoup plus sereinement. Les femmes que

nous avons côtoyées ont vécu des situations mille fois pires que les miennes, et elles vont de l’avant ! Bien sûr, elles sont aidées par des psychologues, Myriam, Emma, et toutes les autres femmes qui vivent avec elles dans le centre. Si je ne vis pas comme elles, je sais que je suis capable d’aller de l’avant, et les leçons de Roger m’y aideront, c’est certain.

Un poids vient de tomber de mes épaules, me donnant même l’impression que la marche est moins difficile. Je sais que c’est purement psychologique, mais ça fait du bien.

Je reprends la contemplation du paysage, soulagé par le grand pas en avant que je viens d’effectuer. Si seulement je pouvais avancer aussi vite dans tous les domaines de ma vie ! Par exemple, que faire de mon existence ? Il est hors de question que je reste à croupir à Angers ou ailleurs, à chercher un travail qui ne me plaira pas. Partir pour partir est inutile, c’est évident, mais j’ai fausses excuses pour ne pas bouger. Et mes parents, qui sont heureux de nous visiter régulièrement et de profiter de Léo, n’hésiteront pas une seconde à venir nous voir, où qu’on soit. On pourrait très vite se reconstruire ailleurs.

Tania et moi pouvons trouver un projet dans lequel nous investir tous les deux. Quand je regarde Myriam s’épanouir dans son centre, ou Nicolas dans ses différents business, c’est exceptionnel. Ils ont dû créer des liens extrêmement forts avec tous ceux qu’ils ont rencontrés. J’ai envie de vivre la même vie qu’eux, d’être au contact de plus de personnes positives, qui me ressemblent. J’ai envie d’apporter ma contribution au monde, de me sentir utile pour Tania, pour Léo, pour moi, mais aussi pour d’autres personnes. J’ai envie d’être un exemple pour mon fils, de quitter le rythme nauséabond du métro-boulot-dodo dans lequel je suis englué depuis trop longtemps et qui ne m’épanouit pas. Finalement, peut-être que ce n’est pas plus mal que je me sois fait virer. D’ailleurs, que fait Jimmy actuellement ? Est-il resté au laboratoire ? A-t-il trouvé une solution pour la lotion ? Ou alors s’est-il conformé à ce que demandait la direction du groupe ? Je le rappellerai une fois rentré. On s’entendait bien, ça me ferait plaisir d’avoir de ses nouvelles.

Peut-être que si je n’avais rien dit, je serais encore en train de râler sur un

boulot qui ne m’intéresse pas. À moi de construire et de faire vibrer ma vie. Je nous le dois à tous les trois : Tania, Léo et moi. On ne se rend pas compte de toute la richesse du monde quand on tombe dans le piège de la routine.

Certaines personnes s’en contentent, mais ce n’est plus mon cas depuis mon départ. Je veux voyager, entreprendre, rire, construire, évoluer, contribuer.

Voilà des mots qui résonnent en moi aujourd’hui. Merci Roger de m’avoir ouvert les yeux avant qu’il ne soit trop tard, avant que l’on ne m’enterre avec mes rêves. J’ai l’impression d’être complètement différent de celui que j’étais il y a encore quelques mois. Le changement vient peut-être de la conscience, comme expliqué dans le livre.

Pendant que je cogite, on continue à marcher. J’arrive toujours à suivre le rythme, malgré le froid qui se fait sentir et la fatigue. Soudain, un Japonais se retourne et nous demande à tous d’être silencieux. Il nous fait signe de nous approcher et nous montre un daim dans le bois juste à côté. Il broute, tranquillement, inconscient de notre présence. Je sors délicatement mon Smartphone pour prendre une photo. Le moment est magique, jusqu’à ce que l’un d’entre nous casse une branche ; le daim lève la tête et s’enfuit. Quelle parenthèse hors du temps ! En regardant le cliché, je m’aperçois que Marc a cherché à me joindre. Et dire que je pensais justement à lui quelques instants plus tôt… Ça va bientôt faire deux mois qu’on est sans contact alors qu’on se voyait toutes les semaines. Je dois bien l’avouer, nos échanges me manquent.

Aurai-je le courage de l’appeler en rentrant ? Serai-je suffisamment serein ? N’aurai-je pas envie de le frapper comme la dernière fois au téléphone ?

Le guide profite de cette pause inopinée pour me montrer du doigt un chemin serpentant sur la montagne. C’est sûrement là-bas que nous allons nous rendre. Il doit y avoir une vue magnifique, car rien ne l’obstrue. Mais elle est aussi très haute et très loin. Je soupire puis me motive : maintenant que je suis parti, je ne vais certainement pas faire machine arrière. Je reprends courage, motivé par l’un des Japonais qui me sourit. Il a l’air content que je sois parmi eux ou, au moins, il m’aide à ne pas me sentir de trop dans cette exploration.

Plus le temps passe, et plus j’ai mal partout. Le temps béni où mes douleurs musculaires s’envolaient avec mes soucis est bien loin derrière moi. Mes jambes tremblent, je suis très essoufflé, et j’avance nettement moins vite que le reste du groupe. À croire que je suis le seul à n’avoir aucune endurance…

Je finis par leur faire signe de ne pas m’attendre, mais Hiroko, celui qui m’a

aidé tout à l’heure, tient à rester à mes côtés pour me motiver. Il est nettement plus âgé que moi et a, de toute évidence, une condition physique bien supérieure à la mienne. Il est grand temps que je recommence à pratiquer une activité régulièrement. Finalement, soutenu moralement par Hiroko et enchaînant difficilement un pas après l’autre, j’atteins le point d’arrivée. Quel soulagement ! Tout le groupe m’applaudit, je suis touché.

Comme me l’a dit Roger ce matin, le cadeau est bien derrière ce que j’ai enduré : on a une vue imprenable sur toute la vallée. Le mont Fuji est impressionnant, et il nous faudrait certainement de nombreuses heures pour en atteindre le sommet. Si certaines personnes ont le courage de s’attaquer à la totalité de l’ascension, ce n’est pas pour moi. En tout cas, pas pour l’instant. Je m’allonge sur le sol, regarde le ciel et profite de l’instant présent.

Le moment tant attendu par mon estomac arrive : la pause-déjeuner ! Le guide installe de grands draps blancs par terre sur lesquels nous nous asseyons tous. Il sort des sacs des sandwichs qui ont l’air délicieux : saumon-légumes avec une petite sauce. J’en salive d’avance. Je me rue sur le mien et fais, dans la foulée, une grosse tache de sauce sur la nappe. Gêné, j’essaye de camoufler tant bien que mal ma maladresse, mais suis immédiatement vu par l’un des Japonais qui se met à rire, bientôt suivi par d’autres membres du groupe.

L’erreur est humaine, et il est temps que j’apprenne à rire de moi. Ces quelques instants où nous retrouvons notre âme d’enfants auprès de personnes qui nous sont complètement inconnues nous font le plus grand bien et nous permettent de décompresser après la dure marche que nous avons effectuée.

Après cette pause réconfortante, tout le monde se lève non pour repartir, mais pour faire de l’exercice. À croire qu’ils n’en ont jamais assez ! Des bâtons sont sortis des derniers sacs et donnés à chacun, moi y compris. Nous sommes censés d’abord reproduire les mêmes mouvements que notre guide, qui sont très lents et très fluides, puis nous retrouver deux par deux pour pratiquer des exercices. Hiroko doit avoir pitié de moi, car il me demande si je veux bien être son binôme. Le jeu consiste à parer l’attaque de l’adversaire.

Si les autres participants n’y vont pas de main morte, Hiroko va plus doucement, ce qui me laisse le temps de réagir, à défaut de faire les bons mouvements. Alors que je commençais à me débrouiller, notre professeur nous fait signe d’entamer le temps des combats. Nous nous installons en rond, autour des deux premiers combattants. Cette fois-ci, c’est nettement plus musclé et ça n’a plus l’air d’être de l’exercice. Les élèves tapent vraiment

fort, et l’un d’eux se prend un tel coup dans les jambes qu’il se retrouve à terre. L’autre pointe son bâton en direction de sa tête et termine ainsi la partie.

Le sortant se fait remplacer par un autre, qui se prend rapidement deux coups sur l’épaule. Il lève la main et le match s’arrête net. Le troisième détrône le vainqueur, puis, au fur et à mesure, tous les membres passent. Après avoir vainement tenté d’y échapper, c’est mon tour. Je suis poussé en avant par Hiroko, qui refuse que je me défile. Je me retrouve donc en face du gagnant, qui n’a vraiment pas l’air commode. J’espère qu’il va contenir sa force, je ne suis pas là pour souffrir. Il pousse subitement un cri et se met en garde. Je l’imite. Il commence par m’attaquer sur le côté, mais je réussis à le contrer.

L’impact n’est pas trop fort, il s’est sûrement retenu. Ouf. Il essaye alors de me donner un deuxième coup vers mes jambes, que j’esquive en tournant autour de lui. Il doit se demander ce que je fais, car personne n’a jamais couru comme ça auparavant. Quelques personnes commencent à rire. Je profite de cette diversion pour l’attaquer par-derrière, dans les jambes. Ça ne doit pas trop lui plaire, car il se retourne rapidement et me rend la pareille dans mon mollet qui fléchit. Je trébuche et me retrouve par terre, son bâton à trois centimètres de mon front. Je n’ai rien compris à ce qui s’est passé. Beau joueur malgré mon coup bas, il me sourit et m’aide à me relever.

Je ne saisis pas encore le but de cet exercice. Sans doute Roger va-t-il m’expliquer une nouvelle leçon, du genre : « Dans la souffrance, tu trouveras ta voie. » Malgré tout, je suis heureux de vivre cette expérience unique en son genre, même si je n’en comprends pas encore tous les aboutissants.

Moi qui pensais que la descente serait une partie de plaisir, mon calvaire ne fait que commencer. Autant ce matin il avait fallu faire travailler les muscles, autant là, ce sont les articulations qui subissent. Je fais deux fois plus de pauses, mais ce qui me rassure, c’est que les autres aussi. Nous arrivons enfin, dans le courant de l’après-midi, exténués mais heureux, devant la grande porte en bois. Cette fois, je n’ai qu’une envie, allez me détendre dans l’onsen.

Et ce soir, on ne tirera absolument rien de moi.

Roger et Hélène viennent m’accueillir :

— Alors, cette marche ?

— Disons pour être honnête que je suis partagé. D’un côté, c’était une très bonne expérience, de l’autre c’était très difficile et je me suis souvent dit que

j’aurais préféré ne pas le faire.

— L’important est ce que tu ressens maintenant.

— De la fierté, sans vouloir être prétentieux.

— Tu as le droit et tu peux être fier de toi ! C’est ce que je voulais entendre de ta bouche. Si tu avais refusé, qu’aurais-tu ressenti en voyant le groupe revenir ?

— Sans doute des regrets de ne pas y être allé.

— Ce serait dommage d’emporter ça avec toi dans la tombe, je me trompe ?

— Vous avez entièrement raison.

— Magnifique, tu es prêt pour la prochaine leçon.

En même temps, il me met une grande tape dans le dos, qui me fait avancer brutalement d’un pas.

— Du calme, Roger ! Je suis fragile aujourd’hui ! Regardez mon mollet, il est tout bleu ! On a combattu avec des bâtons une fois arrivés en haut !

— Tu survivras, crois-moi. Je suis fier de toi, fier que tu sois allé jusqu’au bout, il y en a beaucoup qui se seraient défilés à ta place.

Hélène et Ryhiuho me félicitent également, et nous nous dirigeons vers l’onsen. Je n’ai qu’une envie, reposer mes jambes et mon dos qui crient au secours.

Le paysage est toujours aussi impressionnant, d’une beauté à couper le souffle. On se croirait vraiment dans le jeu Tomb Raider, comme s’ils s’étaient inspirés de cet endroit pour créer le décor.

Roger interrompt le fil de mes pensées.

— Revenons-en à ce que je te disais tout à l’heure. Il y a une règle qui peut t’aider à prendre tes décisions. Elle ne fonctionnera pas forcément à tous les coups, mais elle t’aidera tout de même beaucoup. Demande-toi s’il y a un risque que tu regrettes ton choix par la suite : si la réponse est « oui », alors il vaut mieux que tu prennes la décision contraire. Cela s’applique dans ta vie personnelle, mais aussi de temps en temps dans ta vie professionnelle.

— Ça aurait certainement pu m’aider dans bien des cas.

— Et sinon, as-tu pris le temps de réfléchir pendant cette journée ?

— Oui, et c’est l’une des raisons pour laquelle je ne regrette pas d’être parti.

J’ai décidé, et c’est irrévocable, qu’il était hors de question que je reprenne un travail dans lequel je ne m’épanouirais pas. J’ai également pris conscience que Tania et moi ne sommes pas obligés de rester là où on vit actuellement, et que je suis prêt à lui pardonner. Et peut-être même à Marc. D’ailleurs, il a cherché à me joindre aujourd’hui.

— Eh bien ! Tout cela en une journée ? C’est excellent, tu progresses vite.

C’est d’avoir assisté à la cérémonie du pardon qui t’en a fait prendre conscience ?

— Oui, je pense. Ça m’a beaucoup fait réfléchir. Je veux rigoler et profiter au maximum de tout ce que la vie a à m’offrir, tout en offrant le meilleur à ma famille.

— Sage décision, tu as franchi la première étape : la prise de conscience. Tu peux être fier de toi, tout le monde n’arrive pas forcément jusque-là.

— Je vous en suis surtout reconnaissant.

— C’est toi qui as fait le chemin. Je t’ai seulement guidé.

Nous nous arrêtons quelques instants, bercés par le clapotis de l’eau, profitant de l’instant présent.

— Dites, Roger. Je suis vraiment surpris des prix des chambres. J’ai vu les tarifs pour deux semaines et ils sont de 300 000 yens5. C’est énorme ! J’espère que vous n’allez pas payer une somme pareille !

— Rassure-toi, nous sommes aimablement invités par mon ami Ryhiuho.

Mais tu sais, les personnes qui viennent dans cet endroit recherchent autre chose qu’une chambre luxueuse et une belle salle de bains. Les prix, aujourd’hui, sont fixés en fonction du confort ressenti, ce qui n’est pas le cas ici. On pourrait presque dire que les Japonais qui viennent dans cette station thermale le fuient ! Ce qui devient de plus en plus difficile de nos jours est de s’émerveiller et de se satisfaire de choses que l’on possède et qui nous paraissent acquises. Si demain tu achètes une Ferrari, tu adoreras conduire ta nouvelle voiture et tu ressentiras de l’excitation, de l’émerveillement et de la joie. Maintenant, si tu la conduis tous les jours pendant dix ans, tu te lasseras et tu voudras en changer. La clé, Éric, est de s’émerveiller de toutes ces petites choses à première vue insignifiantes que nous avons sous les yeux :

une balade dans la nature, le fait de parler à tes proches, la maison dans laquelle tu habites, etc.

— Je saisis la difficulté.

— Les personnes qui n’y arrivent pas cherchent à perdre ce qui est acquis pour ensuite être capables de le réapprécier à sa juste valeur. C’est pour ça que beaucoup de personnes viennent ici. Tu verras des chefs d’entreprise, des personnes fortunées, mais aussi d’autres aux revenus plus modestes.

Qu’importe, ils cherchent tous à vivre une expérience qu’ils ne trouvent plus dans leur quotidien. Quand tu vis dans un certain confort toute l’année, que tu n’arrives plus à l’apprécier et que tu viens ici pendant deux semaines, que se passe-t-il quand tu retournes chez toi ?

— Je suis de nouveau capable d’apprécier ce que j’ai.

— Exactement. Un adage dit : « Aime ce que tu as avant que la vie ne t’enseigne à aimer ce que tu as perdu. » C’est tout à fait juste ! Le prix payé n’est donc pas lié au confort, mais à l’expérience et aux bénéfices de cette expérience dans nos vies.

— Je comprends mieux. Comment, alors, continuer à apprécier ce que l’on a sans avoir besoin de le perdre ?

— Grâce à un seul mot : merci. La gratitude peut considérablement t’y aider.

Elle te permet de rester conscient de la valeur des choses, de ressentir des émotions positives, d’être plus joyeux à la vue de ce qu’il y a de plus courant.

Elle te permet de rester conscient de la valeur des choses, de ressentir des émotions positives, d’être plus joyeux à la vue de ce qu’il y a de plus courant.