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1.2. La rétine comme partie du système nerveux central

1.2.2. La voie « non visuelle » de la rétine et la régulation des rythmes circadiens

Tel que mentionné précédemment, la rétine est le point de départ d’une voie dite « non visuelle » qui permet de réguler les rythmes circadiens. En effet, l’environnement naturel est caractérisé par des changements cycliques, dont l’alternance entre la lumière et l’obscurité. Ce signal capté par l’œil s’avère le principal Zeitgeber, ou indice temporel de synchronisation de l’horloge biologique. Chez l’humain, l’horloge biologique permet la régulation adéquate des différents rythmes circadiens de l’organisme dont le cycle veille/sommeil, la température corporelle ainsi que la sécrétion de plusieurs hormones qui se distinguent par leur durée d’environ 24 heures [42, 243].

L’horloge biologique endogène

Les rythmes endogènes de l’horloge biologique sont régulés à l’échelle moléculaire dans chacune des cellules de l’organisme selon une boucle de rétroaction négative d’une durée de 24 heures. C’est la lumière qui influence cette boucle de rétroaction complexe et qui permet sa synchronisation avec le cycle jour/nuit. Brièvement, le cycle débute le matin par la transcription des gènes Bmal1 et Clock suivie de l’hétérodimérisation des protéines BMAL1 et CLOCK. Ce complexe active la transcription des gènes Period (Per1, Per2 et Per3) ainsi que Cryptochrome (Cry1 et Cry2) en se liant à leur « E-box » qui est une région promotrice de ces gènes. Les protéines PER et CRY s’accumulent dans le cytoplasme avant de former un complexe PER-CRY ou PER-PER et d’entrer dans le noyau cellulaire pour inhiber leur propre transcription en interagissant avec le dimère BMAL1- CLOCK et en le séparant du « E-box ». Vers la fin de la nuit, PER et CRY sont dégradés, ce qui permet la reprise de leur transcription activée grâce au complexe BMAL1-CLOCK [244]. La figure 1.9 schématise cette boucle de rétroaction. La synchronisation de cette boucle circadienne est orchestrée par les décharges des neurones du noyau suprachiasmatique (NSC) de l’hypothalamus antérieur qui représente le pacemaker de l’horloge biologique [245].

Figure 1.9. Schématisation de la boucle de rétroaction négative qui régule l’horloge biologique dans

chacune des cellules de l’organisme (tiré de la référence 243 [copyleft]).

Études comportementales circadiennes chez l’animal

L’une des approches utilisées pour l’étude de la régulation de l’horloge biologique interne est la mesure de l’activité locomotrice circadienne chez les souris. Pour ce faire, les animaux sont placés individuellement dans des cages munies d’une roue dans une salle avec un cycle lumière/noirceur précis. Le protocole d’illumination standard comporte 12 heures de lumière et 12 heures de noirceur, mais leur durée peut varier selon les objectifs et hypothèses de l’expérience. Pour étudier l’horloge biologique interne des souris, celles-ci sont placées sous noirceur constante afin d’évaluer la durée de leur période intrinsèque. Puisque les souris sont des animaux nocturnes, elles sont éveillées et utilisent leur roue durant la nuit subjective, tandis qu’elles dorment durant la majeure partie de la journée subjective. Le temps passé par les souris à courir dans leur roue est enregistré afin de créer un actogramme qui permet d’analyser leur période d’activité locomotrice circadienne ainsi que d’autres paramètres, comme le niveau d’activité locomotrice. À titre d’exemple de l’utilisation de cette

circadienne lorsqu’elles sont placées sous noirceur constante, ce qui démontre que Clock est une composante essentielle à l’horloge biologique [246].

La voie rétino-hypothalamique

Les cônes et les bâtonnets ont pour principale fonction d’assurer la photoréception

traditionnelle, mais ils ne sont pas essentiels à la régulation des rythmes circadiens. En fait, les

rythmes circadiens demeurent préservés chez des modèles animaux atteints de dégénérescence du segment externe de la rétine [247, 248] ainsi que chez des personnes avec une perte de vision fonctionnelle [249, 250]. L’opsine responsable de ce phénomène est la mélanopsine qui est présente dans une petite fraction des cellules ganglionnaires de la rétine que l’on appelle les cellules ganglionnaires intrinsèquement photosensibles (ipRGC) qui sont dépolarisées par la lumière. Les axones de ces cellules sont la principale composante de la voie rétino-hypothalamique et projettent vers les NSCs [251].

Tel que mentionné précédemment, le NSC est le pacemaker de l’horloge biologique qui régule les fonctions homéostasiques. De nombreuses structures centrales sont sous l’influence du NSC comme le noyau paraventriculaire de l’hypothalamus dont les neurones projettent sur les cellules sympathiques préganglionnaires de la zone intermédio-latérale de la moelle thoracique. Ces cellules modulent l’excitabilité des neurones des ganglions cervicaux supérieurs dont les axones projettent sur la glande pinéale tel que représenté dans la figure 1.10. Cette glande, aussi appelée épiphyse, est le site de synthèse de la mélatonine, dont la sérotonine est le précurseur [252].

Figure 1.10. Schéma résumant les cibles influencées par les ipRGC suite à la stimulation lumineuse

jusqu’à la sécrétion de la mélatonine par la glande pinéale (tiré de la référence 243 [copyleft]).

La mélatonine

Aussi appelée hormone du sommeil, la mélatonine est libérée dans le sang afin de transmettre l’information circadienne provenant des NSCs vers les organes qui présentent des rythmes physiologiques [253]. La mélatonine se distingue par son cycle de sécrétion qui s’avère un marqueur de l’horloge biologique et qui agit comme indicateur quotidien de la période d’obscurité pour l’organisme [41]. En fait, chez les organismes diurnes, la mélatonine commence à être sécrétée vers 20 h et sa concentration augmente graduellement jusqu’aux environs de 3 h où elle atteint son maximum pour ensuite diminuer et atteindre son niveau basal diurne vers 8 h [254]. Cela dit, la mélatonine n’est présente dans l’organisme que durant la nuit et sa sécrétion est inhibée durant le jour ainsi que par une exposition à la lumière [111]. De plus, il est connu que la production de cette hormone est régulée par un rythme circadien généré par l’horloge biologique centrale, donc, même

En plus d’être principalement sécrétée par la glande pinéale, la mélatonine est aussi produite par différentes structures oculaires comme le cristallin [256], l’iris, le corps ciliaire [257], les glandes lacrymales [258] ainsi que les photorécepteurs de la rétine [259]. De ce fait, il a été suggéré que l’œil comporte aussi sa propre horloge biologique. En effet, il a été démontré que, dans la rétine, la mélatonine et la dopamine agissent comme antagonistes mutuels [260]. Ce phénomène serait d’ailleurs à l’origine de l’alternance entre la vision de jour et la vision de nuit [261]. À vrai dire, durant le jour, il y a une augmentation de la production de dopamine dans la rétine [229], ce qui favoriserait le système des cônes pour la vision de jour [262]. En fait, la dopamine découple les jonctions électriques entre les photorécepteurs et les cellules horizontales, ce qui réduit les champs récepteurs [229]. Durant la nuit, l’élévation de la sécrétion de mélatonine inhibe la dopamine rétinienne, ce qui stimule le couplage des jonctions électriques entre les cellules horizontales et augmente ainsi les champs récepteurs [263]. Cela favoriserait le système des bâtonnets pour la vision de nuit. D’ailleurs, de nombreuses études ont démontré la présence de changements circadiens dans les fonctions rétiniennes mesurées par l’ERG [264-269] et il a été suggéré que celles-ci pourraient être le résultat de l’antagonisme mélatonine/dopamine dans la rétine.