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variabilite

Introduction

Le but de cette partie est d’analyser les déterminants de la transformation des conduites propres aux patients. Cela mobilise des éléments variés : certains sont directement relatifs à la maladie, par exemple le parcours de malade du diagnostic au point où ils en sont aujourd’hui. D’autres y sont reliés mais sont aussi imbriqués avec d’autres éléments : l’influence des conjoints, du reste de la famille, des amis etc., mais aussi celle des médias, de ce qui peut être lu dans la presse ou dans la littérature : ces éléments ne sont pas forcément directement en rapport vers la maladie mais peuvent avoir une influence sur le changement du mode de vie. D’autres enfin en sont totalement indépendants : ce que nous appelons les « conditions objectives d’existence », c’est-à-dire la position sociale, l’activité professionnelle, l’âge, bref tout ce qui détermine le mode de vie34 ‟normal” (avant l’arrivée de la maladie), habituel de la personne et se retrouve soudainement à devoir coïncider avec ce qui est lié à la pathologie.

Nous nous appuyons ici principalement sur les entretiens menés auprès de dix-neuf personnes (dont deux couples). Nos données sont donc quasi-exclusivement de type discursif, à part deux cas où nous avons pu observer la façon dont nos enquêtés cuisinent et mangent. Les entretiens sont suffisamment longs pour que la personne se dévoile, peut-être un peu malgré elle, peut-être une fois la relation de confiance installée. Nous avons par exemple rencontré à plusieurs reprises des cas dans lesquels les patients commencent par attribuer leur maladie exclusivement au stress, mais donnent au fur et à mesure d’autres éléments qui laissent à penser que ce n’est pas le seul élément déclencheur. Nous tentons donc ici de trouver un équilibre, entre ce qui est dit au début de l’entretien et ce qui ressort petit à petit, entre ce que nous dit le patient et ce que nous en disent des proches, son médecin, ou encore l’observation de ses pratiques.

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Nous entendons ici « mode de vie » au sens de Herzlich : « Le mode de vie désigne le cadre spatio-temporel

de l'individu, l'espace dans lequel il vit et ses caractéristiques (densité de population, atmosphère etc.), le rythme de vie (horaires, stimulations) ainsi que leurs reflets dans certains comportements quotidiens (alimentation, activités, sommeil, détente par ex.) » (Herzlich, 2005, p. 45)

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Présentation des enquêtés

Avant d’entamer nos analyses, voici une courte présentation de chacun des patients que nous avons rencontrés. Tous les âges et dates de diagnostic sont donnés au moment de l’entretien.

Mme Abasi

Mme Abasi est une femme de 63 ans. Elle a été diagnostiquée tout récemment d’un diabète de type 2 par sa médecin généraliste, le Dr Carmelo. Remariée, elle vit dans une maison dans une toute petite commune plutôt rurale mais très proche d’une autre plus grande. Ancienne hôtesse de caisse passée chef caissière, elle est à la retraite depuis quelques années et en profite pour pratiquer quelques activités telles que la poterie. Elle dit être plutôt sédentaire, même si elle faisait auparavant un peu de randonnée avec son mari. Elle n’a jamais fumé. Selon elle, son problème par rapport au diabète est qu’elle est gourmande, notamment en ce qui concerne la pâtisserie et les sucreries.

M. et Mme Bianchi

Ce couple marié depuis 40 ans (il a 70 ans et elle 59) habite une ferme dans un hameau, en milieu rural donc. Lui était exploitant agricole, elle est infirmière, proche de la retraite. Sans avoir eu eux-mêmes d’alerte majeure, ils ont tous les deux une hérédité très forte en ce qui concerne le cardiovasculaire et le diabète. Ils estiment tous les deux faire suffisamment d’activité physique dans leur journée et considèrent que le sport est quelque chose pour les citadins qui s’ennuient (sauf le rugby). Ils ne mangent quasiment que des produits de leur jardin et de leur ferme et considèrent ainsi qu’ils mangent sain, même si avec un tue-cochon par an, ils ne manquent pas de charcuterie. Ils boivent du vin tous les jours, le soir à table.

M. Bourdon

M. Bourdon a fait un infarctus très jeune, à 38 ans. Aujourd’hui à 60 ans, il est passé par la pose de stents, qui a failli très mal tourner. Il fait partie du groupe le plus ‟sensible” de phase III, celui dont les séances se déroulent à l’hôpital cardiologique. Il dit avoir adapté son alimentation et en profiter pour transmettre une meilleure éducation diététique à son jeune fils. Toutefois, il a beaucoup de mal à assumer sa maladie en société et essaie de la dissimuler un maximum, quitte à faire des entorses à son régime.

M. Cados

M. Cados est un homme de 67 ans qui a fait un infarctus moins d’un an avant l’entretien. Cet ancien cadre gestionnaire d’une association de formation est encore très secoué par ce qui lui est arrivé. Il était sous surveillance, son père étant décédé d’un infarctus, mais cela ne l’a pas empêché de réaliser son risque. Il a alors renoncé à ses petits plaisirs : whisky et bons

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repas, sans trop de difficultés. Ce qui lui pèse le plus est l’attitude des autres, notamment de sa femme, qui semble vouloir le limiter dans ses activités de peur qu’il ne s’épuise. Lui qui a besoin de rester actif, de travailler (il a monté une entreprise avec son fils) ne le vit pas très bien. De ce point de vue, les séances d’activité physique adaptée (APA) qu’il suit à l’hôpital lui font du bien.

M. Deslandes

M. Deslandes est un homme de 71, qui fait plus jeune que son âge. Ancien cadre dans le bâtiment, il a été diagnostiqué diabétique de type 2 au moment de la maladie de sa femme (un cancer) et de sa mort. Suivi par le Dr Mounez, il a apparemment réussi à modifier son alimentation, même si l’entretien laisse voir quelques confusions : il mange encore beaucoup de glucides. Niveau activité physique, il avait l’habitude d’aller marcher une heure tous les jours, toute l’année, et a donc continué sans problème. Il dit n’avoir pas rencontré de difficulté particulière dans sa maladie.

M. Fonteyn

M. Fonteyn est un homme de 54 ans qui a fait un premier infarctus à 52 ans, puis un deuxième un an après. Artisan (il répare et aménage des camping-cars), il avait repris le travail après le premier infarctus et est pour l’instant en arrêt. Le deuxième accident semble avoir achevé de lui faire prendre conscience des dangers qu’il courait : il est désormais intraitable sur la nourriture et l’alcool et envisage de s’inscrire à une salle de sport proposant de l’APA. Il est préoccupé par la nécessité financière de reprendre le travail car il sent qu’il aura du mal à poursuivre ses efforts dans ce cadre.

M. Garonne

M. Garonne a lui aussi fait un infarctus jeune, à 41 ans. Il était alors cadre supérieur dans une entreprise d’informatique et avait un travail très stressant. Il a repris progressivement son activité, jusqu’à avoir une seconde alerte qui l’a poussé à se mettre en arrêt longue maladie, puis en invalidité. Il vit assez mal le fait d’être selon lui « une charge pour la société ». Très sportif avant l’infarctus, il a repris avec bonheur le cyclisme, se rend également aux séances d’APA et tend même parfois à en faire trop. Il dit toujours avoir eu une alimentation équilibrée et n’avoir pas modifié grand-chose de ce point de vue.

M. Georges

M. Georges est un homme de 72 ans. Ancien président de l’association de patients, il se rend aux deux séances hebdomadaires d’APA et va en plus marcher dans un parc tous les jours. Lui aussi cadre dans une entreprise, il met son infarctus sur le compte du tabac et des nombreux repas au restaurants occasionnés par son travail. Il a donc repris doucement avant

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de partir à la retraite. Au-delà des modifications de son alimentation, de son arrêt de la cigarette et de son activité physique, il dit considérer la vie d’un autre œil depuis son accident et essayer de passer plus de temps avec ses proches.

M. Hanks

M. Hanks a fait un infarctus en 1997. Aujourd’hui âgé de 58 ans, il se rend aux séances d’APA de l’association de patients, qu’il apprécie beaucoup, se qualifiant de très sportif (football, tennis, rugby, VTT). Il voit son accident comme la conséquence directe de son retour en métropole, lui qui a vécu quelques années en Guyane où il était tout à fait à son aise « dans la jungle ». Il se dit bien encadré par sa sœur infirmière et son médecin généraliste et en profiter pour faire des écarts tout en restant raisonnable. Son point faible selon lui est son tempérament « festif », qui pousse un peu sa consommation d’alcool, ainsi que son penchant pour les pâtisseries.

M. Hauron

M. Hauron est un ancien cuisinier de 57 ans, actuellement bénéficiaire de l’allocation adulte handicapé, non pas pour son diabète de type 2 mais à cause de ses multiples fractures, opérations et prothèses (colonne vertébrale, genou, épaule, côtes…). Il se plie volontiers aux prescriptions du Dr Carmelo concernant l’alimentation, court plusieurs fois par semaine dans un club de course à pied et aime s’informer sur sa maladie via la télévision, la presse, les conférences organisées par sa mutuelle. Tous ces efforts sont surtout pour lui un moyen d’occuper ses journées : sa plus grosse difficulté est en effet de ne pas déprimer d’ennui, privé de travail et de fréquentations sociales.

Mme Labeyre

Mme Labeyre est une femme de 50 ans qui a subi un changement de valve aortique il y a un an. Sa condition implique qu'elle arrête définitivement de fumer, au risque d’user prématurément sa prothèse et qu’elle garde une activité physique régulière. Elle dit ne pas avoir de modifications à faire au niveau de l’alimentation. Pour l’instant, elle souffre encore des suites de l’opération cardio-thoracique. Ce qui la préoccupe le plus est la perspective de devoir reprendre son travail d’assistante sociale. Cela compromettrait selon elle son activité physique (elle n’aime pas du tout le sport, a accepté de marcher mais a besoin de temps pour cela) et son arrêt du tabac (car son métier la stresse beaucoup), sans parler de son état physique général.

M. et Mme Laguépie

Tous deux à la retraite, ils vivent dans une maison à la campagne. Lui était plombier et consacre sa retraite à élever des abeilles et récolter du miel. Elle était comptable et n’est à la

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retraite que depuis quelques mois. Elle consulte le Dr Lambert pour son hypertension, mais est aussi en surpoids. Lui a déclaré un pré-diabète il y a quelques années et se surveille depuis, il est d’ailleurs plus mince qu’elle. Ils se sont rencontré en faisant de l’athlétisme et continuent à faire beaucoup d’activité physique : randonnée et aussi aquagym pour elle. Elle a hâte de profiter de sa retraite pour en faire plus. Si elle dit surveiller son alimentation, le repas que nous avons partagé n’était pas sans entorse par rapport à ceux préconisés par la médecine, notamment en ce qui concerne le sel et le sucre.

Mme Leloup

Mme Leloup, 61 ans, vit avec son compagnon (seconde union) dans une petite commune de banlieue. Ils sont tous deux en surpoids et atteints de diabète de type 2, plus l’hypertension pour elle. Elle a pris sa retraite de chef d’équipe nettoyage il y a quelques années. Elle dit ne pas manger beaucoup, à cause de douleurs aux dents. La difficulté pour elle est surtout d’arrêter de fumer : elle a essayé les patchs, l’acupuncture… Elle a toutefois ralenti depuis qu’elle s’oblige à fumer sur le balcon. Niveau activité physique, elle sort son chien longuement tous les jours. Elle n’est pas très au fait de ses problèmes cardiovasculaires, qui ne la dérangent pas, le plus gênant pour elle étant ses douleurs diverses : dents, coude, épaule.

M. Romilly

M. Romilly est un ancien ouvrier du bâtiment de 62 ans. Il a également été restaurateur dans une grande ville avant de venir s’installer avec son épouse dans une petite commune au bord de la mer. Il a fait un infarctus il y a trois ans, mais cela ne semble pas avoir modifié quoi que ce soit dans sa façon de vivre. Il rejette l’autorité médicale en ce qui concerne les notions diététiques notamment, arguant du fait que tant qu’on mange des produits bios, de « bons produits », c’est bon pour la santé. Il ne fait pas de sport parce qu’il se plaint de s’ennuyer quand il en fait seul. Il semble assez peu entouré socialement depuis son arrivée dans la commune, ce qui l’a privé de son plus grand plaisir : faire la fête. De manière générale, il ne semble pas très heureux de son sort mais tente de faire bonne figure.

Mme Talensac

Mme Talensac est une vieille dame de 84 ans, suivie par le Dr Mounez dans une petite commune rurale. Elle est souffre d’insuffisance cardiaque depuis une dizaine d’années, sans incident majeur à signaler. Comme beaucoup de personnes âgées, c’est sa solitude qui lui pèse, plus que ses divers problèmes de santé. Le docteur compte alors beaucoup pour elle, en ce qu’il s’intéresse à ses patients, discute avec eux et n’hésite pas à plaisanter, ce qui lui plaît beaucoup.

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M. Toussaint

Âgé de 78 ans, M. Toussaint est le doyen des ‟pensionnaires” de l’association de patient. Après un infarctus à 41 ans (en 1977), il a été un des pionniers de la réadaptation cardiaque en France et en est très fier. Il est selon lui un exemple du fait qu’on peut vivre normalement après un infarctus (même s’il a subi un AVC et un autre problème d’ordre cardiaque depuis). Il a perdu sa femme et sa fille aînée et cela semble plus peser pour lui que son propre état de santé, qui est, il est vrai, impressionnant, au vu de ses ‟performances” lors de la séance d’APA à laquelle nous avons assisté.

M. Valentin

M. Valentin, 65 ans, est lui aussi suivi par le Dr Mounez. Ancien mécanicien automobile à la retraite, il travaille de façon saisonnière dans un exploitation vinicole non loin de chez lui. Atteint de diabète de type 2 , diagnostiqué dix ans auparavant, il mentionne également un taux de cholestérol à surveiller et de l’hypertension. Après avoir rencontré quelques difficultés, il a fini par adapter son alimentation à la suite de son épouse, qui devait suivre un régime pour être opérée. Depuis, il a normalisé ses constantes de glycémie et le Dr Mounez a même pu diminuer le dosage de son traitement.

CHAPITRE 6. DIVERSES REPRÉSENTATIONS DE LA MALADIE ET DE SES

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