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Visite pontificale en Turquie

2. Pape Benoit XVI

2.2 Positions et déclarations

2.2.1 Visite pontificale en Turquie

Comme exemple de respect fraternel avec lequel chrétiens et musulmans peuvent travailler ensemble, j’aime citer les paroles adressées par le Pape Grégoire VII, en 1076, à un prince musulman d’Afrique du Nord, qui avait agi avec grande bonté envers les chrétiens placés sous sa juridiction. Le Pape Grégoire VII parlait d’une charité spéciale que les chrétiens et les musulmans se doivent réciproquement, puisque « nous croyons et confessons un seul Dieu, même si c’est de manière différente [...]81 »

Du 28 novembre au 1er décembre, le Pape Benoit XVI a effectué une visite pontificale en Turquie. Il s’agit de sa première visite pontificale dans un pays musulman. La citation ci-haute utilisée pour son premier discours en Turquie contraste largement avec celle utilisée à Ratisbonne cinq mois auparavant. Le choix de la Turquie répond à plusieurs impératifs idéologiques et doctrinaux chez le Pape Benoit XVI. D’un point de vue historique religieux, malgré sa majorité musulmane actuelle, la Turquie bénéficie d’un héritage chrétien indéniable. Les facteurs géographique et idéologique sont également importants, puisque la Turquie représente une forte population musulmane aux abords de l’Europe, tout en étant un pays laïc. Benoit XVI s’oppose à l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne pour 79http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/migrants/documents_1/rc_pc_migrants_doc_ 15170506_XVII-plenaria-finaldoc_fr.html. Consulté le 27/4/10. 80 Ibid. 81 http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2006/november/documents/hf_ben- xvi_spe_20061128_pres-religious-affairs_fr.html. Consulté le 27/4/10.

des raisons culturelles et identitaires. Si certains politiciens européens voient dans l’adhésion turque à l’Union un signe contre l’idée du choc des civilisations et en faveur d’un rapprochement avec le monde musulman, le Pape n’entend pas suivre cette même logique. Selon lui, l’adhésion se ferait au détriment de l’identité culturelle et chrétienne de l’Europe82.

C’est une question de principe : indépendamment de la Turquie et de l’union européenne, le souverain pontife réfute tout rapprochement, et par conséquent tout dialogue interreligieux, qui met en péril l’identité culturelle et religieuse du catholicisme. Sa position est très ethnocentrique, plus exactement européano- centrique. Suivant l’exemple de la visite du Pape Jean Paul II à la mosquée des omeyades à Damas en Syrie en 2001, l’itinéraire de la visite du Pape Benoit XVI en Turquie a également inclus une visite à la mosquée bleue d’Istanbul. Accompagné par le grand mufti d’Istanbul, le Pape Benoit XVI s’est arrêté devant le « mihrab », qui indique la direction de la Mecque. Le Pape a pris quelques instants de recueillement pendant que le grand mufti récitait une courte prière. À son retour au Vatican, Benoit XVI a donné une signification très fraternelle de son geste :

Demeurant quelques minutes recueilli en ce lieu de prière, je me suis tourné vers le Dieu unique, Père miséricordieux de toute l’humanité. Puissent tous les croyants reconnaître qu’ils sont ses créatures et donner le témoignage d’une vraie fraternité83.

Plusieurs observateurs se sont posés la question si le Pape a prié durant ce moment bien précis. Cette question émane d’une expérience qui a déjà été vécue lors d’une

82 Cette vision est partagée par certains politologues. L’historiographie est loin de faire l’unanimité, la

lecture d’Alexandre Del Valle est un exemple, Qui récuse l’européanité à la Turquie : « Si l’héritage gréco-romain et judéo-chrétien, prôné pour rallier la Turquie à l’identité européenne, est bien une réalité, il est cependant très antérieur à la présence des Turcs, venus d’Asie au Xème siècle. L’histoire du pays sera dès lors marquée par l’éviction progressive et souvent violente des Européens et des non- musulmans, l’aboutissement final de ce long processus culminant au début du XXe siècle, avec le

génocide arménien (1915), l’expulsion de 2 millions de Grecs (1922) et la mise en place de lois discriminatoires visant à contraindre les minorités ethniques ou religieuses à l’exil ou à la turcisation,

visant en particulier les Kurdes, les Chrétiens et même les Juifs ».

http://blog.alexandredelvalle.com/archives/85-Les-raisons-de-refuser-la-candidature-turque.html. Consulté le 27/4/10.

83 Michel Lelong, Chrétiens et Musulmans : adversaires ou partenaires ? , éd. L’Harmattan, Paris,

même pratique à l’époque du Pape Jean Paul II pendant une rencontre interreligieuse d’Assise en Italie. Benoit XVI avait formulé une mise en garde envers une telle pratique : « Même lorsque l’on se retrouve ensemble pour prier pour la paix, il faut

que la prière se déroule selon les chemins distincts propres aux diverses religions84 ».

Il est vrai que ladite visite en Turquie avait été décidée bien avant la controverse de Ratisbonne, mais Benoit XVI en a profité pour redorer son blason afin de calmer l’effervescence des réactions dans différentes régions du monde musulman. D’ailleurs, le Vatican et la Turquie n’avaient nullement l’intention d’annuler ladite visite. Les deux avaient intérêt à ce que cette visite s’accomplisse dans les meilleures conditions. Dans son premier discours dans ce pays, il a utilisé une référence historique qui met l’accent sur la tolérance et le comportement paisible d’un chef musulman envers les chrétiens en Afrique du nord85. Par la suite dans son allocution,

Benoit XVI a réitéré sa position constante et son insistance sur la nécessité d’assurer la liberté religieuse pour tous, conformément à la dignité de l’être humain :

La liberté religieuse, garantie par les institutions et respectée effectivement, tant pour les individus que pour les communautés, constitue pour tous les croyants la condition nécessaire à leur contribution loyale à l’édification de la société, dans une attitude de service authentique, spécialement à l’égard des plus vulnérables et des pauvres86.

Une seconde visite symbolique durant ce voyage en Turquie vaut également la peine d’être signalée : il s’agit du recueillement de Benoit XVI devant le mausolée d’Atatürk. Le père de la nation turque, grand symbole de la laïcité de ce pays, a eu droit à une visite du Pape, qui se livre à une guerre impitoyable contre, entre autres, la laïcité en Europe pendant qu’en Turquie l’image est bien différente, elle y est fortement appréciée. 84http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2288304&rubId=4078. Consulté le 27/4/10. 85 http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2006/november/documents/hf_ben- xvi_spe_20061128_pres-religious-affairs_fr.html. Consulté le 27/4/10. 86 Ibid.

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