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LE VIOLONARE DE MAZEMBROZ

Dans le document Nouvelles valaisannes (Page 29-44)

I

Dans la com m une de F u lly , on est en joie et en liesse : on célèbre la fête de Saint-Joseph.

Le soleil de mars b rille chaudement dans les grands prés. Sur le bleu du ciel, les Follataires, colossale pyra­ m ide, découpent leurs formes fantastiques, et, sur leurs versants, se penchent les mazots aux toits brunis. A travers les branches tordues des châtaigniers, le clocher de F u lly dresse sa v ie ille croix de fer. Courbé sur la corde n oircie , Irénée, le m a rg u illie r de la paroisse, m et joyeusem ent en branle les cloches de l ’église, — et les carillons, portés par le ve nt de la montagne, s’en vo nt m u rm u re r leurs gaies sonneries jusqu’au fond des combes silencieuses.

Dans la plaine, le contre de la charrue ne crie plus le lon g des sillons ; couchés dans l ’étable, les robustes bœufs mâchent paisiblement le fo in sec. Le berger de la vallée a reconduit à la ferme les vacbes à la robe tachetée et les blanches génisses ; sur les seuils de pierre, réchauffés par de larges rayons, ses chiens s’endorm ent en allongeant leur mâchoire sur leurs pattes velues. Devant les maisons, assis sur des bancs rustiques, les

campagnards, en habits du dimanche, se racontent les nouvelles des veillées, et, sous les hauts noyers, les filles et les garçons se prom ènent en devisant et en riant.

Parm i la paille des granges, gisent en repos les pelles, les lourds capions, les serpettes tranchantes; car, c’est le m om ent où l ’on va, dans la Combe d’ Enfer et sur les coteaux de Branson, fossoyer la terre des vignes et couper les sarments aux ceps dépouillés. .

Mais, à cette heure, on se tie nt en lo is ir et en conten­ tement : c’ est jo u r saint ; il faut taire fête au bon patron de la paroisse. Demain, quand l’ Angelus aura sonné, on reprendra de grand cœur le sarrau et le fossoir.

I I

Riez ! chantez ! fillettes ! Le ciel est pur et sans nuage. Dans les prairies, l’ herbette pousse et grandit. Quelques sansonnets gazouillent déjà dans les sentiers de nos campagnes; ils sont joyeux, les pauvres petits, ils nous annoncent que l ’ hiver et ia troidure v o n t fu ir loin de nos chaumières.

D ivertissez-vous, brunettes ! c’est la Saint-Joseph ; à ce jo u r, 011 s’amuse dru dans la paroisse !

Prenez, dans l ’arm oire de noyer, vos robes neuves que vos marraines vous ont données à Noël ; mettez, autour de votre col blanc, vos gentils fichus qui o n t si brillantes nuances.

. B ientôt Bonavent, le violonare de Mazembroz, v ie n ­ dra vous donner danse.

Vous souriez, m alicieuses! vos grands yeux b rille n t de convoitise ; vous aimez grandem ent à suivre de votre p e tit pied les airs du vieux Bonavent ; eh bien ! faudra danser avec vraie réjouissance, fillettes ! faudra m arquer jusqu’ à la venue du vèpre les mesures de la m on tfe rrine .

Et vous, garçons ! pendane que vos promises se parent pour le bal, venez vous asseoir à la salle basse, autour de la longue table de chêne. — Dans le cellier, le v in devient piquant et clairet ; apportez les channes d ’étain au ventre luisant et rebondi, et les tasses de terre si jo lim e n t peintes. Remplissez-les jusqu’aux bords, mes vaillants, et buvez à longues rasades : — aujourd’ h ui, faut se donner un tantinet de plaisir avec le jus du ra i­ sin que vous avez, l’ an passé, pressé au fo ulo n ; puis le gros Jérôme vous dira la romance du Vieux Sergent, q u ’ il note si bien, car il a belle et puissante vo ix , votre joyeux com pagnon, et, au refrain, tous reprendront ferm e et d’ accord.

Versez le vin de Branson !... Je vous dis, versez en­ core, garçons!... A ce jo u r, c’est Saint-Joseph ; pro fitez du bon temps que votre patron vous donne. D em ain, on ne sait pas quel jo u r se lèvera derrière le m on t ; — dem ain, c’est misère profonde ; — demain, peut-être, c ’est la balle hom icide q ui siffle dans le ravin, c’ est la sinistre lue ur de l’ incendie q ui dévore nos récoltes et nos pauvres mazots ; — demain, encore, c’est l ’ orage, la dévastation, la guerre ! — A cette heure, le ciel est c la ir et serein, divertissez-vous ; et, comm e vous avez

M ais, écoutez-m oi, faut avoir tant soit peu méfiance du vin de F u lly . V os pères-grands vous l ’o n t déjà ap­ p r is , ça peut vous manigancer quelque traîtrise, faut m ’accroire ; — d’ ailleurs, entendez-vous ? — dans la pinte au châtelain, la contredanse a commencé. — Re­ placez vite au râtelier les channes vides. Faut se dépê­ cher, garçons! — Voyez, le soleil descend déjà sur la plaine. A llez galamment conduire au bal vos jolies danseuses, et que saint Joseph vous donne joie et long divertissem ent.

III

Dans la grande salle de la pinte du châtelain de F u lly , le bal s’o uvrait, bruyant, animé.

L ’ astre du jo u r, in c lin a n t son globe de feu derrière les crêtes des Alpes, répandait une lum ière douce et pourprée sur les parois boisées de la pinte.

Parm i la jeunesse alerte et folâtre, q u i, chaque année, vien t des bourgs et des hameaux voisins prendre part au bal de la paroisse, on remarque les garçons de Mar- tig n y et de Saxon, à l’allure franche; les jeunes femmes de Charrat, accortes, rieuses, portant coquettem ent,.sur leur brune chevelure, le chapeau national, entouré d’ un large et précieux ruban ; les montagnardes de C hâtai­ gnier, de Mazembroz, des Mayens, de la Jeure-Brûlée, en jupe courte, à l’œ il n o ir et b rilla n t, le te in t légè­ rem ent hâlé par le soleil des moissons. Ces heureux couples, to ut en se laissant entraîner dans les to u rb illo n s

de la valse, s’appellent, se répondent, au m ilieu des plaisantes reparties et des francs éclats de rire.

Pendant ce temps, le vieux Bonavent, assis sur un escabeau, planté sur une table, donnait la mesure sur son v io lo n . Sous son archet exercé, les cordes s’ani­ m aient et parlaient ; il savait faire dire de vraies paroles à l ’âme de son v io lo n . C ’était un fameux jou eu r que celui de Mazembroz ; dans to u t le pays, il n ’y en avait pas un comme lu i pour mener une danse. Quand il y avait vogue, réjouissances d ’épousailles ou de baptême dans une paroisse, c’était toujours Bonavent qu’ on allait quérir. Aussi é tait-il en grande réputation d’ adresse et de talent ; les autres violonares l ’appelaient par respect

le maître. O n disait qu’il avait été apprendre à jo u e r en

m usique, to u t jeune, dans une grande ville , bien loin- de l ’autre côté des montagnes de l’ E n trem on t ; mais il y avait long de ça, puisque nos mères se souviennent

qu’il les faisait déjà danser.

P our cette journée, Bonavent avait tiré du placard de noyer ses habits de fête : sa redingote bleue, à longues basques; son gilet de velours n o ir, brodé de feuilles de trèfle ; ses culottes de drap brun, et ses souliers b rilla n t sous la boucle d’acier p o li. Une large cravate noire était nouée autour de son col, bien blanc, bien m ontant.

Mais le bon F ullierain avait curieux visage : - fig u ­ rez-vous une face pleine et ronde, bizarrem ent bour- geonnée ; — un triple m enton, toujours fraîchem ent rasé ; — un crâne large, luisant, où se hérissent q uel­ ques rares poils d’ une teinte indéfinissable, et, sous les

larges croisés de son gile t, une panse rebondissante. Avec to u t cela, d’ un caractère avenant et puis de bonne rencontre.

Souvent les fillettes, sans y m ettre mauvais sentim ent, — pou r ça c’est bien sûr, — prenaient espiègle joie à v e n ir se planter devant lu i et à le louanger, et cela à qui m ieux m ieux, de son honnête visage ; elles ne se gênaient pas, les malséantes, de lu i rire au nez. Ces joyeusetés ne semblaient p o in t malplaisantes au vieux violonare, tant il était assuré que personne ne lu i vo u ­ lait donner méchante pensée, — et c’était grande vérité. Les gens des campagnes n’auraient certainem ent pas permis qu’on occasionnât peines et misères à leur meneur de danse, et si les filles devenaient rieuses en le regardant, elles l ’avaient toutes en franche et vraie am itié. — L u i le savait bien. Seulement, en ces temps, il avait coutumance de fredonner entre ses dents ce vieux dicton montagnard :

Q uand fem m e r it,

Point n’av souci ;

Q uand femm e pleure, P o in t ne me leurre.

Q uand il avait achevé sa cita tion , son œ il gris se m ettait à clignoter m alignem ent, — et son vio lo n pa­ raissait g ém ir plus fo rt sous les crins du rapide archet.

T e l était le violonare de Mazembroz.

La tête m ollem en t penchée sur son instrum ent, les yeux à demi fermés dans une sorte d’in tim e contem ­ plation, il accompagnait, en battant la mesure du pied,

les pas cadegçés des danseurs. De tem ps .à,autre, quand il apercevait quelque chose se mener de travers, il disait à voix haute :

'— A tte n tio n à vous, mes enfants ! .m- Faut 'bien m arquer la n o te ... Là-bas, en avant deux, les quatre z’a u tre s!... H é ! M o n iq u e ! tu te débrçlures trop, ma petiote, vaut m ieux glisser... Bon, va m ie u x ... Balancez- vous, ceux d’ en face !

,Et les fillettes souriaient, les garçons ria ien t, et la contredanse co ntin ua it gaiement.

Assises [dans un coin, sur des bancs de bois, les mères causent en regardant danser.

— Voyez-vous, d it Geneviève à sa cousine Marianne, de C harrat, comme maître Bonavent a grande conte­ nance, à cette heure ? — I l a l ’a ir to u t g uille ret. — Et p uis fil violone tant bien, que c’ est plaisir à entendre. — :C’ est votre M onique q ui s’ en donne ! ça lu i fait tant belles couleurs la danse .. Q uel est le gars qui lu i fait chevalier ? m- E s t-il de par chez vous ? — Je l ’ai jamais entrevu dans la paroisse.

<— C’est Sébastien à Leuchon, d’O utre-R hône, ré­ pond la mère, ,c est le prom is de M onique.

T ie n s ! vous allez m ettre la vôtre en ménage ! — C’est première nouvelle pour m oi. — E t à quand les épousailles, cousine ?

— Faut croire que ce sera pour la Saint-Jean.

— lisse complaisent jo lim e n t ensemble, fa it la V iè ve; ça veut faire un bien g e n til couple.

rengor-géant ; tandis que ses yeux, to u t brillants d’ orgueil m aternel, considèrent avec complaisance la bonne mine et la tournu re des jeunes fiancés.

Pendant que ces braves ménagères parlent des p ro ­ jets de mariage qu’ elles fo n t pour leurs chers enfants, le bal villageois va son train ; on s’amuse et on s’ en donne grandement.

Jamais on n ’ a vu danse si bien menée.

C elui de Mazembroz, tom bé, suivant son habitude, dans une douce som nolence, passe et repasse, sans en avoir lassitude, l ’archet sur les cordes vibrantes.

IV

Cependant, dans la pinte du châtelain Etienne, on ne s’apercevait pas, — tant les heures consacrées au plaisir s’ envolent rapidem ent, — que les dernières clartés du jo u r s’ en allaient mourantes dans les neiges de la montagne. De longues bandes de pourpre, s’ éta­ geant dans l ’espace, semblaient ceindre d’ une couronne de feu les Alpes valaisannes; puis, peu à peu, l ’ horizon se décolora : chaque rayon à son to u r pâlit. Un voile obscur s’ appesantit lentem ent sur le fro n t des géants, et la n u it enveloppa bientôt de ses mystères la vallée du Rhône.

Le v io lo n de Bonavent s’est tu.

Le violonare est descendu du siège où il était juché, cachant soigneusement, sous les basques de sa

redin-gote, son instru m e nt bien-aim é, de peur qu ’il ne lu i advienne accident ou m alencontre. — A vant de se re tire r dans son logis, il a d it un dernier m ot à sa quartette de vieux vin blanc ; car, ça donne grande soit de toujours rem uer le bras, et d’ avaler la chaude pous­ sière du plancher ; — puis, tran qu ille m e n t, de son pas mesuré et paisible, il s’ est acheminé vers son mazot, accompagné des bonnes paroles d’am itié des villageois.

D ieu te garde, bon violonare, et te ramène en paix en ta chaum ine !

La salle de danse s’ est vidée lentem ent, et comme à regret.

Sur le seuil de la pinte, on s’embrasse, on se presse la m ain, on se souhaite une bonne n u it, se prom ettant de se re v o ir à la prochaine veillée, où l’ on reparlera de la Saint-Joseph, car on aura longue souvenance du joyeux bal de F u lly ; — et chacun, su ivi des siens, regagne son hameau.

Sous l’ombre des hauts chênes, on entend causer à v o ix basse. Les brises des prés semblent apporter le m urm ure d’ un tendre adieu, répété par deux voix, tim ides, émues ; doux baisers, longs serrements de mains, fraîches amours, écloses dans l ’ivresse d’ une valse ; les unes, éphémères, s’envolent à la fin d’ un beau jo u r, comme la feuille de rose détachée par l’ aqui­ lon ; — les autres, durables, sont bénies par le prêtre, sur les marches de l’ autel.

se la it tard ; voyez, la n u it devient noire dans les sen­ tiers déserts. 11 est d ur, c’ est bien vé rité , de rester séparé, toute une longue nuitée, de ce qu ’on aime ; mais prenez patience, fillettes, derrière la m ontagne sont encore des jours pour la revoyance.

Bons villageois ! D ieu vous garde des mauvaises rencontres !

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Arthur Massé Ramené 0 10 c.

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