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1.4 La violence carcérale illégitime

1.4.3 Violence auto infligée

Les violences auto-infligées peuvent correspondre à différents degrés d’intensité, et peuvent aller du suicide à la simple automutilation sans risque d’entraîner la mort. Historiquement, la définition du suicide a largement évolué. Durkheim (1897),

considérait le suicide comme tous les cas de mort résultant directement ou indirectement d'un acte positif ou négatif de la victime elle-même, bien qu'elle en connaissait les conséquences. Plus récemment Baechler (1980) le considérait comme tout comportement qui cherche et trouve la solution à un problème existentiel en tentant de s’enlever la vie. Le suicide serait donc un acte conscient d’annihilation induite par l’individu, mieux compris comme un malaise multidimensionnel ressenti par l’individu et où le suicide serait perçu comme la meilleure solution (Shneidma, 1985). Plus précisément, la définition du suicide a quatre éléments : le suicide est considéré si la mort se produit; il doit être la conséquence de son propre acte; l'agent du suicide peut être actif ou passif; et il implique l’intentionnalité de mettre fin à sa propre vie (Mayo, 1992). L’OMS (1998) définira le suicide comme l'acte de se tuer délibérément initié et exécuté par la personne concernée dans la pleine connaissance des conséquences mortelles de l’acte. Cependant, l’acte suicidaire n’est pas nécessairement mortel et doit se comprendre selon différents degrés de létalité (Smith, Conroy, & Ehler, 1984). En effet, le comportement suicidaire qui n’est pas nécessairement fatal peut présenter plusieurs niveaux d’intentionnalité (De Leo, Burgis, Bertolote, Kerkhof, & Bille-Brahe, 2006). L’acte suicidaire peut être ainsi compris soit comme fortement probable ou encore compris comme un comportement suicidaire instrumentalisé (O’Carroll et al., 1996).

«Ouais parce qu’en plus de ça quand tu tombes comme ça, tu…y’a pas que toi qui est mis en cause quoi. Y’a la victime. Je suis pas là pour meurtre, mais bon je suis là pour avoir commis un viol. Tu te dis que t’as bousillé la vie de quelqu’un quelque part. Et puis tu te dis y’a ma famille derrière, qu’est-ce qui vont penser ? déjà qu’ils n’avaient pas une très bonne image de moi, donc c’était…c’était la goutte d’eau.» (15, Détenu primaire de 28 ans, incarcéré pour affaire de mœurs qui purge une peine de 18 ans de prison).

Le milieu carcéral est largement suicidogène par rapport à la société en général. Le risque de suicide en milieu carcéral serait près de 12 fois plus élevé qu’en milieu extérieur, soit 226 à 240 suicides pour 100000 détenus contre 17 à 21 décès pour 100000 habitants (Bourgoin, 1992). Les raisons généralement évoquées pour expliquer ces différences sont l'agglomérat d'individus vulnérables dans un milieu confiné et fermé, les caractéristiques spécifiques de sexe, d'âge, de type de délit (plus de suicides dans le cas des meurtres, assassinats, parricides et infanticides), le temps d’incarcération (la grande majorité des suicides sont réalisés durant les trois premiers

mois), le nombre d’incarcérations (la majorité des détenus qui se suicident sont incarcérés pour la première fois), les antécédents sociaux, l’architecture contraignante de la prison, les règlements pesants et difficiles à suivre, et les influences parfois néfastes, ségrégatives, de la culture carcérale. D’après d’autres études qui ont dressé un profil type, ce détenu serait un individu âgé entre 20 et 30 ans; de race blanche; célibataire, ayant commis un délit d'homicide ou de vol, purgeant une sentence vie, placé dans un établissement de haute sécurité à l'admission, ayant peu de qualifications académiques ou professionnelles, ancien fugueur, victime de brutalité en milieu scolaire, provenant d’un milieu familial problématique, ayant un passé criminel, ayant eu un traitement psychiatrique, ayant déjà une histoire d'automutilations avant l'incarcération, des histoires d'abus de drogues et d'alcool, et une absence d'amitié reconnu en prison (Leduc, 2000; Liebling, 1999).

«Quelqu’un qui a peur de la mort, c’est vraisemblablement quelqu’un qui aime la vie. Si quelqu’un qui n’a pas peur de la mort, c’est quelqu’un qui quelque part recherche à s’autodétruire. C’est quelqu’un qui ne s’aime pas, qui n’aime pas la vie. Bon c’est ce qui en est ressorti. Puis d’autres choses.» (14, détenu primaire de 54 ans, incarcéré pour affaire de mœurs, purge actuellement une peine de 8 ans de prison).

Globalement, le détenu suicidaire serait plus vulnérable et présenterait de plus grandes difficultés d'adaptation. Ainsi, il aurait peu de capacité à se distraire; des difficultés à faire face à l'ennui de la détention prolongée en cellule; des difficultés à vaincre l'isolement; des conflits avec les autres personnes incarcérées; peu de visites; peu de communication avec des gens de l'extérieur; et serait souvent victime d'ostracisme et d'intimidation (Liebling, 1999).

«C’est impressionnant, c’est impressionnant. C’est impressionnant de rentrer aussi dans des cellules où y’a eu un mort, c’est très impressionnant. Comprendre pourquoi des gens…ouais non, y’a beaucoup de chose, des passages à tabac.» (11, Détenu multirécidiviste de 29 ans, incarcéré pour conduites dangereuses, purgeant une peine de 18 mois de prison).

La nature de la relation, à savoir si le comportement suicidaire apparaît avant la violence ou si la violence déclenche un état d'esprit suicidaire, ne semble pas corrélée. La violence sérieuse (menaces de mort ou de blessures corporelles) serait mieux

corrélée au risque de suicide que le faible niveau de violence (insultes, rumeurs, etc.) (Blaauw et al., 2001). Cependant, selon Blaauw et ses collègues (2001), un individu suicidaire, moralement plus démuni, aurait peut-être davantage tendance à exagérer les attaques, les percevant plus dommageables que ce qu'elles sont en réalité. Et inversement, les détenus non suicidaires seraient davantage imperméables aux offenses.

«La semaine dernière, y’en a un qui a voulu se pendre dans sa cellule quoi. Le surveillant il est arrivé à temps, mais moi je sais pas j’étais dans ma cellule, c’était deux cellules à côté de la mienne quoi. J’ai rien entendu. C’est un mec qui m’a dit ça : « Eh t’as vu il a voulu se pendre ». Ben non moi je dormais quoi. T’sais moi je suis dans ma cellule, je fais ma vie, je m’occupe de personne quoi.» (01, détenu récidiviste de 41 ans, incarcéré pour trafics de stupéfiants, purgeant une peine de 4 ans de prison).

Les suicides qui découlent de causes propres aux caractéristiques de l’individu présentent également des composantes environnementales. Ainsi, les suicides surviendraient surtout la nuit, par pendaison, les fins de semaine, durant les mois d'été, en début de détention et dans des secteurs spécifiques de la prison, tels que l'infirmerie et les lieux d’isolement. L'environnement physique restrictif et la crainte constante de la victimisation ne sont donc pas sans répercussion. Ainsi, pour échapper à l'intimidation journalière et au stress engendré par le milieu, certains détenus entrevoient le suicide comme cette ultime solution à leur délivrance. Les tentatives de suicide et les auto- mutilations représentent ainsi le moyen in extremis d'appel à l' aide (Liebling, 1999). Toutefois, nous pouvons nous questionner sur la capacité effective des détenus suicidaires à demander de l'aide. La culture carcérale peut inciter le refus des hommes emprisonnés à chercher des ressources de soutien, en ne voulant pas être intimidés ou en ne voulant pas se montrer faible. Conséquemment, la violence inhérente à la prison pourrait interagir avec le suicide, les tentatives de suicide ou les gestes d'automutilation.