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Chapitre V Représentations et imaginaires du viking metal

C. Du spectaculaire au spectacle viking metal

I. Le viking metal : un genre spectaculaire

Hors des lieux de culte, la production et l’écoute de la musique ont longtemps été quelque chose de spectaculaire509. Les définitions du terme « spectaculaire » varient, mais nombre d’entre elles s’accordent sur le fait que l’effet spectaculaire produit sur les sens : une excitation, une confusion, voire une anesthésie510. Roxane Martin ajoute, que l’essence même du spectaculaire « réside avant tout dans l’effet produit sur le spectateur »511. Agression chez le profane, plaisir intense chez l’initié ; la musique metal saisit les sens de chacun. Appuyée sur l’analyse des effets produits par la vidéo musicale, il s’agit alors de montrer en quoi le viking metal est un genre de musique spectaculaire.

Figure 59 : La virtuosité du musicien512 Figure 60 : En immersion dans un concert de metal513

Tout d’abord, l’objet clip est avant tout un objet de promotion. Il illustre une chanson d’un artiste mais offre, surtout, une représentation de celui-ci. À l’instar du morceau « Destroyer of the Universe »514 d’Amon Amarth, le premier niveau d’excitation provient de la dimension sonore. Ainsi, pendant quatre minutes, le rythme est effréné et la voix gutturale.

509

JULLIER (Laurent), PÉQUIGNOT (Julien), Le Clip : histoire et esthétique, Paris, Armand Colin, 2013, p.5. 510

GOETSCHEL (Pascale), « Présentation. Le spectaculaire contemporain », Sociétés & Représentations, 2011/1, n°31, p.12.

511

MARTIN (Roxane), « Quand le merveilleux saisit nos sens : spectaculaire et féeries en France (XVIIè-XIXè siècle) », Sociétés&Représentations, 2011/1, n°31, p.32.

512

Source : vidéo du morceau « Destroyer of the Universe » du groupe Amon Amarth. 513

Source : vidéo du morceau « Destroyer of the Universe » du groupe Amon Amarth. 514

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Le second palier est incarné par la thématique des textes. Le parolier relate l’arrivée du géant Surt lors des Ragnarök. Enfin, les images et le montage frénétique de la vidéo, accentuent la thématique chaotique et la puissance musicale. En effet, l’un des avantages du clip est de permettre au fan d’accéder à des endroits où il ne pourrait être. À l’évidence l’angle de la caméra offre une visibilité sur les doigts du guitariste lors du solo. La dextérité et la virtuosité du musicien sont alors mises en évidence. De plus, le spectateur se retrouve en immersion dans la fosse du concert. La caméra est mobile et la visibilité est réduite par les mains levées. Il subit alors l’agression des lumières, est symboliquement bousculé par les autres fans et a la sensation d’assister au concert. De la même manière que « la particularité du spectaculaire est d’anéantir la frontière entre scène et salle, de dissoudre le recul critique du spectateur »515, le spectaculaire de la vidéo brise la barrière de l’écran séparant le spectateur de l’artiste. À l’évidence, le spectaculaire de la vidéo sert le spectaculaire du spectacle.

Ensuite, le viking metal est spectaculaire car il produit une multiplicité des mondes (monde humain, monde mythologique). Les paroles en sont un premier exemple. Les images (fixes ou animées) en sont un second. En écoutant cette musique, l’auditeur « voyage ». C'est- à-dire qu’il produit des représentations mentales. Ce « voyage sans déplacement » s’effectue dans le temps et dans l’espace. La sensation de vertige (symbole d’une surexcitation ou d’une anesthésie des sens) est atteinte lorsqu’au sein d’une même œuvre plusieurs mondes cohabitent. D’une part, ce phénomène est du à la nature même de l’objet clip. En effet, « le format-clip est polyphonique par essence ; il favorise volontiers la concurrence des significations entre paroles et images, rendant impossible à ses analystes l’utilisation d’un modèle de communication en terme de « message à décoder » »516. Par exemple, le morceau « Twilight of the thunder god » évoque les Ragnarök. Cependant, le clip met en scène un combat entre deux clans viking. Dans la mesure où les messages véhiculés par l’image et par les textes différent, le spectateur est perdu.

515

MARTIN (Roxane), Art. cit., p.32. 516

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Figure 61 : La juxtaposition des mondes517

La mise en scène de la vidéo entraine une juxtaposition des mondes. Ainsi, dans la vidéo de la chanson « Father of the Wolf »518, trois mondes se superposent. En effet, durant les cinq premières minutes, un court métrage introduit la chanson. Deux hommes trouvent un manuscrit, probablement l’Edda ; et entament sa lecture. Cette partie est marquée par la présence de dialogues. À la manière d’un film, le montage incruste les noms des acteurs, du réalisateur, du groupe et de la chanson. Au terme de cette première phase, la chanson débute. Le montage entrecoupe alors des séquences se déroulant dans un univers mythologique avec d’autres, dans lesquelles le groupe interprète la musique. Il y a donc une alternance entre un monde « réel » ou plausible avec un second : mythologique. Ces deux mondes finissent par se confondre lorsque les musiciens intègrent l’univers des dieux. La sensation de vertige est ainsi à son paroxysme. Cet effet est permis par l’utilisation du fond vert, une technique héritée du cinéma. Par conséquent, le spectaculaire résulte d’une influence des technologies et des techniques issues de l’art cinématographique. Or, le septième art « relève du spectaculaire en deux sens. C’est d’abord un spectacle, la production d’un film dans un dispositif ad hoc – la salle, l’écran, le spectateur – et, ensuite, une sorte de production qui comporte des effets visuels, sonores ou audiovisuels destinés à frapper les sens ou l’imagination »519.

517

Source : vidéo du morceau « Father of the Wolf » du groupe Amon Amarth, 2014. 518

Amon Amarth, Deceiver of the Gods, Metal Blade Records, 2014. 519

CHATEAU (Dominique), « Le téléfilm historique : spectacularisation de l’Histoire et « montage hystérique » », Sociétés & Représentations, 2011/1, n°31, p.56.

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Figure 62 : Le jeu avec la mort520

Enfin, le viking metal relève du spectaculaire car il procure des émotions fortes en bravant les interdits. L’omniprésence de la guerre engendre une omniprésence de la mort. La représenter sur le champ de bataille, à travers des corps étendus sur le sol, suscite l’effroi. En revanche, le recours aux symboles (la faux ou le crâne par exemple), démultiplie les émotions. En effet, en citant l’anthropologue Denis Jeffrey, Alexis Mombelet écrit que « Le symbole est un produit de l’imagination visant à représenter une charge émotive très forte qui ne trouve pas de mot pour se dire et qui demeure interdite »521. De plus, lorsque dans le clip de « Runes to my Memories »522, la mort apparait pour la première fois, elle est attablée en face du Viking interprété par le chanteur du groupe. À l’aide d’un montage ultra rapide, l’opposition entre les deux personnages est accentuée. À la première lecture, le spectateur est surpris par la vitesse de succession des images et par les flashs morbides engendrés. La mort est ainsi omniprésente et inévitable. En effet, lors de son périple, le guerrier mourut. L’avant dernière scène du clip dévoile l’enterrement. Cette tension, résultant de cette mise en intrigue, est la même que celle instaurée par les films d’horreur. L’objectif est alors de confronter le spectateur ou l’auditeur à la peur immémoriale qu’elle représente et de faire naître des émotions fortes523. Loin d’être taboue dans la culture metal, la mort est admise, manipulée et les métalleux jouent avec elle. Ils sont même confrontés à elle, au quotidien, à travers le port de tee-shirt ou sur les pochettes de disques.

Appuyée par le medium clip, le viking metal est un genre spectaculaire. Il produit des effets sur les sens, à travers la possibilité d’un voyage sans déplacement et la procuration d’émotions fortes. Néanmoins, il est aussi révélateur d’une mise en spectacle de l’histoire.

520

Source : vidéo du morceau « Runes to my Memory » du groupe Amon Amarth, 2006. 521

MOMBELET (Alexis), Le metal : un projet mythologique articulé au jeu et au don, Op. cit., p.112. 522

Amon Amarth, With Odin on ours ide, Metal Blade Records, 2006. 523

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