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Les ratios isotopiques du carbone et de l‟oxygène, ainsi que les rapports du Sr/Ca et du Ba/Ca mesurés sur les otolithes durant la phase de vie larvaire et la vie juvénile des soles capturées dans les nourriceries ont varié (cf. chapitres précédents). Dans certains cas, ces variations peuvent être de bons marqueurs du changement de milieu des individus. Ce bref chapitre a pour objectifs de synthétiser les variations de ces rapports dans les otolithes de soles, mais également d‟évaluer les manques d‟informations qui permettraient une interprétation plus précise des différences observées.

Le 13C

Les soles capturées en automne 2008 et 2003 ont montré une diminution du 13C des otolithes entre la vie larvaire marine et la vie lagunaire ( 13C négatif) alors que les soles capturées en automne 2004 et 2000 ont montré une augmentation du 13C entre la vie larvaire, marine, et la vie juvénile, benthique ( 13C positif, Tableau 5.1). Or, la signature en 13C des otolithes est liée essentiellement à la signature en 13C du carbone inorganique dissous (CID) des masses d‟eau (Solomon et al. 2006).

Tableau 5.1 : Variations du 13C des otolithes des soles entre la vie larvaire (VL) et la vie juvénile CID des eaux du Rhône en relation avec la crue centennale du fleuve en décembre 2003. Il en est de même pour les soles capturées aux faibles profondeurs dans le panache de dilution du fleuve en 2000. Les soles capturées en 2008 et 2003 n‟ont pas été influencées aussi fortement

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par les eaux du fleuve. Les plus faibles valeurs en 13C des otolithes durant la phase de vie larvaire des soles en 2000 et 2004 suggèrent que, chez ces individus, l‟influence terrigène durant la vie larvaire a été supérieure que durant la phase de vie juvénile (augmentation du

13C). L‟inverse est observé lorsque les soles ne sont pas soumises à une forte influence du fleuve. Toutefois, il serait intéressant pour confirmer de telles observations d‟effectuer des prélèvements et des dosages de 13C du CID des eaux dans le golfe du Lion, ainsi que dans et à l‟extérieur du panache de dilution du Rhône durant la période correspondant à la vie larvaire des soles. De même, il serait utile à l‟interprétation d‟effectuer des prélèvements dans les lagunes durant la période estivale.

Le 18O

Les soles capturées dans les nourriceries ont montré des variations entre les signatures en 18O des otolithes mesurées pendant la phase de vie larvaire et pendant la vie juvénile (Tableau 5.2). En effet, le 18O des otolithes a été supérieur durant la phase de vie larvaire par rapport à celui mesuré durant la phase juvénile des soles capturées en 2008, 2003 et 2000 et inversement pour les soles capturées en 2004.

Tableau 5.2 : Variations du 18O des otolithes des soles entre la vie larvaire (VL) et la vie juvénile

Toutefois, des relations empiriques ont été établies entre les signatures en 18O de l‟aragonite (cf. chapitre 2) des otolithes ou d‟autres carbonates de calcium (foraminifères) et la

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température de l‟eau (de Pontual & Geffen 2002, Panfili et al. 2002). Trois équations sont données ici à titre d‟exemple.

(1) T 22,09 4,76 ( 18

O

Ara 18

O

eau), d‟après Thorrold et al. (1997).

(2) T 18,96 5,00 ( 18

O

Ara 18

O

eau), d‟après Radtke et al. (1998).

(3) T 20,19 4,56 ( 18

O

Ara 18

O

eau) 0,19 ( 18

O

Ara 18

O

eau, d‟après Blamart et al. (2002)

Ou T est la température des eaux (°C), 18OAra est le rapport isotopique de l‟oxygène dans l‟aragonite et 18Oeau est le rapport isotopique de l‟oxygène dans l‟eau.

Ces équations empiriques ont été obtenues sur différents taxons (téléostéens, foraminifères, et mollusques) en modèles expérimentaux. La majorité des études ont étudié le 18O sur de faibles gammes de température et seules les études de Radtke et al. (1998) et Thorrold et al.

(1997) ont étudié de plus larges gammes. Toutefois, ces gammes ne se chevauchent pas et n‟ont pas permis de généraliser les équations. En absence de données expérimentales plus larges, il faut donc faire des choix en fonction des gammes de température adéquates pour les espèces étudiées.

L‟estimation des températures des eaux dans lesquelles les soles ont vécu à la fois durant leur vie larvaire et leur vie juvénile nécessite donc d‟avoir le rapport isotopique de l‟oxygène dans les eaux et donc de réaliser des prélèvements des eaux en même temps que les échantillons. Les variations en 18O des otolithes entre les deux milieux sont très complexes à interpréter en raison des liens avec la température et la salinité. Or, ces deux paramètres ont fortement varié entre la vie larvaire des soles qui est marine, pélagique et hivernale, et la vie des juvéniles qui est soit lagunaire soit marine, mais benthique, côtière et estivale. De plus, ils diffèrent d‟une année à l‟autre. En absence de 18O des eaux précis, celui-ci doit être estimé depuis une équation dépendant de la salinité.

98 , 18 55 ,

18

O

eau S 0 où S est la salinité des eaux (comm. pers. Dominique Blamart).

L‟estimation des températures des eaux à partir des équations 1 à 3 avec une salinité de 37 et un 18O des otolithes de 1,54 (vie larvaire hiver Thau 2007-2008) est de 21,28°C avec l‟équation (1), de 18,11°C pour la (2) et de 18,22 pour la (3). Les différences étant

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importantes selon les équations utilisées, il apparaît essentiel d‟avoir des données de 18O des eaux pour une estimation des températures précises en absence de mesure directe de celles-ci.

Le rapport Sr/Ca

Les rapports élémentaires du Sr/Ca (X103) ont présenté des valeurs plus élevées durant la vie juvénile des soles de Thau et de Berre que durant leur vie larvaire. L‟inverse a été observé pour les soles capturées à Mauguio et celles capturées à proximité du panache de dilution du Rhône (Tableau 5.3). Or, le rapport Sr/Ca des otolithes est lié au rapport Sr/Ca des eaux et donc indirectement à la salinité. Ce rapport augmente avec celui de l‟eau de mer (de Pontual & Geffen 2002) et peut également présenter une augmentation avec l‟élévation de la température (Martin et al. 2004).

Tableau 5.3 : Variations du Sr/Ca (x103) des otolithes des soles entre la vie larvaire (VL) et la vie durant leurs vies larvaire et juvénile (augmentation) suggèrent que les soles ont fréquenté des eaux présentant une salinité et/ou une température plus élevée durant leur vie lagunaire que durant leur vie larvaire marine. Or, la lagune de Thau a présenté pour les trois années étudiées des températures et des salinités élevées susceptibles d‟induire les augmentations du rapport Sr/Ca.

Les soles de Berre ont également présenté une augmentation du rapport qui peut être liées aux mêmes causes. Toutefois, dans ce cas l‟hypothèse thermique serait la plus probable en raison d‟une faible salinité de la lagune de Berre (28,6 – 29,4 en été et automne). A

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contrario, les soles capturées dans les autres nourriceries ont présenté une diminution du rapport Sr/Ca entre la vie larvaire et la vie juvénile suggérant ainsi que les soles juvéniles ont rencontré une salinité plus faible. La lagune de Mauguio a présenté des salinités faibles en été et en automne lors des années échantillonnées (20,0 – 21,4) confirmant ainsi une diminution de la salinité des eaux fréquentées entre la vie larvaire marine et la vie juvénile lagunaire. La diminution du rapport Sr/Ca dans les otolithes des soles capturées à proximité du panache de dilution du Rhône suggère que les soles sont dans une zone influencée par les eaux du fleuve qui présentent non seulement une salinité plus faible mais également un rapport Sr/Ca 3,7 fois plus faible que dans les eaux du golfe du Lion (cf. Figure 3.22). Toutefois, les données des rapports Sr/Ca des otolithes des soles capturées dans les nourriceries pourraient être exploitées avec plus de précision si nous avions eu à disposition des données du rapport Sr/Ca des eaux lagunaires au cours du temps.

Le rapport Ba/Ca

L‟ensemble des rapports Ba/Ca (x106) des otolithes a montré une diminution entre la vie larvaire et la vie juvénile (Tableau 5.4). Le rapport Ba/Ca de l‟otolithe est principalement lié aux concentrations en Ba/Ca de l‟eau fréquentée par les individus (Hamer et al. 2006, Tabouret et al. 2010). Son origine est soit liée à l‟érosion des sols, soit anthropique par la pollution et/ou l‟agriculture, soit par remobilisation du baryum piégé dans le sédiment (Salminen et al. 2005, Hamer et al. 2006).

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Les très fortes valeurs observées durant la phase de vie larvaire des soles ont été mises en relation avec les forts apports des eaux du Rhône qui présentent des valeurs entre 26 et 49 fois plus élevées que celles des eaux du golfe du Lion (cf. Figure 3.23). Les plus faibles valeurs observées durant la vie juvénile des soles est probablement en relation avec les plus faibles apports en Ba/Ca dans les différentes nourriceries. Les différents tributaires des lagunes ainsi que le Rhône sont en période d‟étiage (ou de basses eaux) durant l‟été, et les apports en Ba/Ca dus au lessivage du bassin versant et/ou à l‟érosion des sols s‟en trouvent donc réduits expliquant ainsi les faibles valeurs de Ba/Ca mesurées dans les otolithes des soles durant leur phase juvéniles. Toutefois, comme pour le rapport Sr/Ca, des mesures du rapport Ba/Ca dans les eaux des tributaires, mais également dans les eaux des nourriceries avec un suivi temporel, pourraient permettre une interprétation plus précise de la vie des soles dans les nourriceries.

Conclusions

Les isotopes du carbone et de l‟oxygène ainsi que les rapports Sr/Ca et Ba/Ca ont montré des différences dans les otolithes de soles durant leur vie larvaire pélagique marine et la vie juvénile benthique dans les nourriceries. Les comparaisons entre ces deux stades de vie ont clairement confirmé les faibles valeurs du 13C dans les eaux d‟origine continentale avec une forte influence sur la vie larvaire des soles lors des années de forte crue du Rhône et de faibles valeurs pour les lagunes côtières les moins marinisées. Les différences en 18O des otolithes ont été plus complexes à interpréter en raison de la double influence de la salinité et

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de la température. En effet, ces deux paramètres ont évolué entre, d‟une part, le milieu marin en fin d‟automne et en hiver et, d‟autre part, les nourriceries en été. Les deux rapports élémentaires au calcium ont montré un intérêt en raison de leur lien avec les influences terrigènes (Ba/Ca) et avec la salinité et/ou la température (Sr/Ca). En effet, ces rapports ont montré des différences claires entre les deux milieux fréquentés par les soles. Toutefois, une étude plus précise de l‟ensemble de ces traceurs chimiques et isotopiques des masses d‟eau, à la fois dans l‟espace et dans le temps, permettrait de mieux appréhender l‟histoire de vie des soles et notamment de mieux comprendre leur vie dans les différents milieux occupés.

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6. L ES POPULATIONS DE SOLES DU GOLFE DU L ION SONT - ELLES CONSTITUEES DE DIFFERENCES POPULATIONS LOCALES , OU D UN SEUL STOCK

CARACTERISE PAR DES CHANGEMENTS

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