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Viande rouge et cancer du côlon: de nombreuses hypothèses

II. Cancérogénèse et Alimentation

4. Viande rouge et cancer du côlon: de nombreuses hypothèses

D’après de nombreuses études épidémiologiques, il semble qu’il y ait un lien fort entre viande rouge et charcuteries d’une part et cancer colorectal d’autre part. Les mécanismes sont encore mal connus. Cependant, l’une des publications de l’étude EPIC montre que les cas de cancers colorectaux associés à la mutation du gène Apc sont corrélés aux personnes consommant des viandes rouges et charcuteries en grande quantité (p = 0.007) [47].

De nombreuses hypothèses ont été posées et exploitées afin de comprendre le lien mis en évidence par les enquêtes épidémiologiques entre viandes rouges, charcuteries et cancérogénèse colorectale. Les études expérimentales réalisées jusqu’à ce jour n’ont pas encore permis d’expliquer avec précision les mécanismes mais on sait que plusieurs composés des viandes rouges et des charcuteries sont potentiellement pro-cancérigènes.

Des études se sont intéressées aux graisses animales contenues dans les viandes, aux protéines, aux amines hétérocycliques et aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, produits notamment lorsqu’on cuit la viande, aux composés N-nitrosés ou encore au fer héminique présent en grande quantité dans les cellules musculaires.

a.

Les graisses

i. Formation de composés irritants

La digestion des viandes de bœuf et de porc, aliments riches en graisse, stimule la production d’acides biliaires. Or, ces derniers sont normalement réabsorbés à 90% par la muqueuse de l’intestin grêle. Une partie cependant poursuit son chemin jusqu’à la lumière colique. Arrivés dans le côlon, les acides biliaires qui n’ont pas été réabsorbés dans l’intestin grêle sont déconjugués et déhydroxylés par la flore du côlon en deoxycholate et lithocholate, acides biliaires beaucoup plus lipophiles. Les graisses présentes dans la lumière colique vont s’associer à ces derniers et former des composés très irritants pour la muqueuse [50], [65] augmentant ainsi la destruction cellulaire [23].

Les viandes grasses augmenteraient donc le risque de cancer colorectal par leur composition en lipides cytotoxiques couplés aux acides biliaires.

ii. Risque d’obésité

Les lipides alimentaires sont aussi source d’obésité chez les individus qui en consomment en trop grande quantité. Or, le rapport du WCRF précise que l’obésité est un des facteurs de risque dans le cancer colorectal [103].

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iii. Risque d’insulino-résistance

De même, ce rapport énonce qu’une surconsommation de lipides est à l’origine d’une insulino-résistance chez le consommateur. L’insulino-résistance correspond à un organisme au sein duquel l’insuline voit son efficacité diminuer. De ce fait, la glycémie augmente et, avec elle, le taux d’acides gras libres, le taux d’insuline ainsi que le taux de molécules pro- inflammatoires telles que les immunoglobulines de type IgF1. Ce déséquilibre est source de prolifération cellulaire et conduit à l’apparition de lésions précancéreuses [28].

iv. Etudes expérimentales

La synthèse d’une centaine d’études expérimentales réalisée par l’équipe du Professeur Corpet à Toulouse, a montré une augmentation du nombre de tumeurs chez des rats chimio-induits et chez des souris mutées Min/apc suite à un régime riche en graisses par rapport à des individus témoins [34].

Cependant, même si quelques unes de ces études suggèrent que certaines graisses alimentaires sont promotrices des tumeurs expérimentales dans certains modèles rongeurs, le consensus actuel n’est pas en faveur de cette hypothèse. En effet, les essais cliniques randomisés en double aveugle chez des volontaires n’ont pas fait baisser le nombre de polypes du côlon chez ceux qui mangeaint un régime maigre. L’épidémiologie ne semble pas non plus en faveur de cette hypothèse.

Enfin, aucune association entre un régime gras et l’augmentation du risque de cancer colorectal chez l’Homme n’a pu être prouvée et aucune étude n’a réussi à montrer une augmentation du taux d’acides biliaires à la suite d’un repas riche en graisses [88].

Les graisses animales n’auraient donc pas un rôle majeur dans le développement du cancer colorectal [7].

b.

Les protéines

La présence de protéines en quantité non négligeable dans la viande ne semble pas non plus être une piste. Bien qu’un excès de protéines dans le côlon entraîne la formation

d’amines, de phénols et de sulfures d’hydrogènes qui sont tous trois des composés toxiques pour la muqueuse, cet excès reste rare car la plupart des protéines est absorbée à travers la muqueuse de l’intestin grêle, bien en amont [97].

De plus, un surplus de protéines dans la lumière colique conduirait à leur fermentation par la flore bactérienne du gros intestin, fermentation qui n’a pas montré de lien avec l’apparition d’adénocarcinomes colorectaux chez les rongeurs [35]. Enfin, la méta-analyse réalisée par la WCRF n’a pas montré d’association entre le taux de protéines et le risque de cancer colorectal [103].

c.

Les amines hétérocycliques et les hydrocarbures aromatiques

polycycliques

Les amines hétérocycliques et les hydrocarbures aromatiques polycycliques sont des composés reconnus hautement cancérigènes chez les rongeurs, modèles expérimentaux de l’Homme, et chez les singes [93]. Leur présence dans la pièce de viande consommée augmente sous l’effet de la chaleur : des cuissons par grillades ou plancha entraînent la formation d’une grande quantité de ces composés. De nombreuses études épidémiologiques ont établi un lien entre ces derniers et le cancer colorectal [28], [93], [107].

Cependant, la présence d’amines hétérocycliques n’est pas spécifique de la cuisson du bœuf. On en retrouve dans la peau du poulet bien croustillante en assez grande quantité. Or, comme on l’a dit précédemment, la consommation de viande de poulet n’est pas associée à un risque de cancer colorectal [25]. De même, on retrouve dans les céréales des hydrocarbures aromatiques polycycliques. Ils en sont d’ailleurs la première source. Là encore, aucune étude ou enquête épidémiologique n’a émis un lien entre ces composés et le risque de cancer colorectal [76].

Actuellement, des études sont menées et tendent à mettre en évidence un lien entre amines, hydrocarbures et cancer colorectal chez certaines familles génétiques [48].

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d.

Les composés N-nitrosés

i. Intérêt des composés N-nitrosés dans l’alimentation

Les composés N-nitrosés ou nitrosamines sont issus des nitrates. Ces derniers ont un grand intérêt dans la fabrication des charcuteries. On les retrouve principalement sous forme de sels nitrités utilisés en tant que conservateurs et permettant de lutter contre les agents bactériens tout en fixant la couleur rouge des viandes. Ce sont des composés issus de la réaction entre nitrites, issus de la transformation des nitrates par la salive et amines, composés de l’organisme.

Le tableau 2 ci-dessous présente les aliments riches en composés N-nitrosés [61].

Composés N-nitrosés détectés Produits analysés en ppb (1µg/kg de produit)

Diméthyl-nitrosamine

Bière, vin, fromages, poissons salés (400 à 1000 poissons), mollusques et crustacés, viandes, charcuterie fumée

Diéthyl-nitrosamine Poissons, fromages, viandes, bière, whisky

Nitrosopipéridine Viande et produits carnés épicés

Nitrososarcosine Viandes et charcuterie

Nitrosopyrrolidine

Viandes, fromages, bacon et bacon frit (4 fois plus), foie de porc cru et cuit, poissons, graisse cuite

Nitrosoproline Produits carnés, bacon frit

Ce tableau montre l’importance majeure de ces molécules dans la composition des viandes et charcuteries et explique les études qui ont été menées afin de tester l’influence potentielle de ces dernières en tant que facteur cancérigène du côlon.

ii. Les réactions de nitrosation et de nitrosylation

Les nitrates utilisés dans la fabrication des produits transformés vont conduire à des réactions de nitrosation ou de nitrosylation en fonction du pH.

Les réactions de nitrosation conduisent à la formation de nitrosamines ou de nitrosamides selon qu’il s’agit de l’ajout d’ions nitrosonium NO+ sur une amine ou une amide [57]. La plupart des composés formés sont des composés instables. L’hème, contenu dans les viandes rouges, est un cofacteur qui catalyserait cette réaction [18], [19], [36].

Les réactions de nitrosylation conduisent à la formation de S-nitrosothiols ou de fer nitrosylé FeNO suite à l’ajout d’un ion nitrosyl NO- sur des métaux ou des groupements thiols [63].

Dans la viande rouge, on retrouve des nitrosamines ou des nitrosamides car le pH est acide [55] alors que les charcuteries, qui présentent un pH plus élevé que la viande rouge, vont être un support de réactions de nitrosylation. Les nitrites, utilisés sous forme d’acide nitreux, favorisent ce type de réaction et conduisent à la formation d’oxyde d’azote et d’hème nitrosylé [75].

iii. Etudes expérimentales

La consommation de charcuteries ou de viande rouge augmenterait de manière significative la production de composés N-nitrosés dans les selles [19], [58]. Il semble que la majeure partie de ces composés soit des S-nitrosothiols, de l’hème nitrosylé et des nitrosamines au niveau colique, après ingestion de viandes rouges et de charcuteries [58]. Quelle que soit la nature précise de ces composés, ils sont pour la plupart reconnus cancérigènes : ils peuvent induire la formation d’adduits à l’ADN et conduire à des anomalies lors des duplications [51], [60]. Or, ces dernières conduisent à leur tour à un dérèglement de la mort cellulaire et donc du cycle de renouvellement cellulaire.

L’équipe de Mirvish a mis en évidence une augmentation des composés N-nitrosés dans les selles de souris nourries exclusivement avec de la saucisse fumée (hot-dog) [67], [68]. Elle a aussi montré qu’un régime à base de saucisses fumées (hot dog) entraînait une augmentation des lésions cancéreuses dans la muqueuse de souris soumises à une injection

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d’azoxyméthane (une molécule pro-cancérigène utilisée pour induire des cancers colorectaux chez les rats et les souris) par rapport à des souris témoins [39].

On voit ainsi un lien entre la présence de ces composés dans les régimes et dans les selles et l’apparition de lésions précancéreuses concomitantes.

e.

Le fer héminique

Le fer héminique, contenu en grande quantité dans les fibres musculaires de la viande rouge, est l’une des hypothèses qui expliquent le mieux le lien entre l’alimentation et la cancérogénèse colorectale. L’hème des viandes rouges et l’hème nitrosylé des charcuteries joueraient un rôle important dans la promotion tumorale.

Le fer héminique induit la formation de radicaux libres dans la lumière intestinale. Or, les radicaux libres sont des molécules instables qui interagissent avec les molécules présentes dans un milieu afin de retrouver un état de stabilité. Ces réactions chimiques peuvent donc être à l’origine d’une altération des composés de la lumière colique et entraîner la production de composés toxiques pour les cellules [72]. De plus, le fer héminique conduit à la synthèse de composés N-nitrosés tels que des N-nitrosamines cancérigènes [19] vus précédemment.

Un régime riche en hème entraînerait une cytotoxicité fécale (autrement dit une cytotoxicité du contenu luminal du côlon) et une hyperprolifération de la muqueuse du côlon chez le rat. Comme nous l’avons vu précédemment, la consommation de viande rouge est liée à un risque de cancer colorectal plus élevé que ne l’est la consommation de viande blanche [59], [73], [103]. Or, le taux d’hème dans la viande blanche est presque inexistant. On peut donc supposer que le lien entre consommation de viande rouge et cancer colorectal pourrait être la présence d’hème en partie [87].

Cette hypothèse est mise en avant grâce aux méta-analyses des dernières études épidémiologiques qui suggèrent une réelle association entre hème et cancer colorectal [15]. La dernière méta-analyse en date a analysé les informations provenant des études Nurses’Health Studies et Health Professionnals Follow-up Study, deux études épidémiologiques américaines regroupant plus de 200 000 personnes, hommes et femmes. Cette dernière a montré que le risque de cancer colique augmente de 15% chez les individus consommant beaucoup de fer héminique par rapport aux individus en consommant peu [106].

D’un point de vue épidémiologique et expérimental, il semble donc que l’hème, contenu dans les viandes rouges et les charcuteries, responsable de la couleur rouge de la viande lorsqu’elle crue puis de sa couleur brune lorsqu’elle est cuite, puisse être l’un des agents les plus impliqués dans l’apparition de cancers colorectaux.

5.

Une hypothèse privilégiée : l’hème