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Vers un nouvel essor des complexes carbéniques

I. Introduction bibliographique

I.3 Vers un nouvel essor des complexes carbéniques

Le premier carbène stable à avoir été synthétisé est le phosphinosilylcarbène B, obtenu par photolyse ou thermolyse du précurseur diazoïque correspondant (figure 11).16 Ce carbène singulet est stabilisé par la présence de deux hétéroatomes qui ont des effets électroniques complémentaires. D’un côté, le groupement phosphino qui est mésomère donneur, interagit avec l’orbitale p vide du centre carbénique et de l’autre côté, le groupement silyl stabilise la charge négative portée par le carbone.

P C Si i-Pr2N i-Pr2N P C Si P C Si i-Pr2N i-Pr2N N2 h ou 

Figure 11: synthèse du phosphinosilylcarbène B B

P C Si

Ces carbènes possèdent la réactivité typique des carbènes transitoires (insertion C-H, cyclopropanation...). Par contre, ce type de carbène n’a jamais pu être complexé sur des métaux de transition. D’un point de vue théorique, il semblerait que la complexation induise une fermeture importante de l’angle PCSi dont le coût énergétique ne serait pas compensé par la formation de la liaison M-C.17

Avec la synthèse du premier diaminocarbène stable en 1991 par Arduengo18, la chimie des complexes carbéniques va connaître une véritable révolution. Ces carbènes sont généralement obtenus par déprotonation des acides conjugués correspondants à l’aide d’une base forte (figure 12). Leur mode de stabilisation implique l’interaction des deux atomes d’azote (ð-donneurs) avec l’orbitale p vacante du centre carbénique (3 centres, 4 électrons). En outre, de par leur effet inductif attracteur, les atomes d’azote stabilisent l’orbitale nó. C’est la combinaison de ces deux effets qui est à l’origine de la stabilité de ces carbènes.

N C N R R H Cl base R N C N R R N C N R R N C N R R: alkyl ou aryl

A la différence des phosphinosilylcarbènes, les diaminocarbènes ne possèdent pas la réactivité des carbènes transitoires. Ceci est la conséquence directe de la forte interaction des deux atomes d’azote avec le centre carbénique qui perturbe fortement sa structure

électronique et rend sa BV inaccessible. On notera cependant qu’à défaut de pouvoir s’insérer

dans les liaisons C-H, les diaminocarbènes s’insèrent dans les liaisons polarisées de type X-H (X = O, N).19

Enfin, parce que leur BV est très haute en énergie, ces carbènes ne sont pas du tout

électrophiles. Par contre, ce sont de puissants nucléophiles, utilisés dans les réactions

catalysées habituellement par les nucléophiles : trans-estérification20, condensation benzoïne21, catalyseurs de polymérisation22...

De par leurs propriétés électroniques, les diaminocarbènes et plus précisément les carbènes N-hétérocycliques (NHC) ont trouvé naturellement leur place en tant que ligands des métaux de transition et ont été complexés sur tous les métaux de transition. La méthode généralement utilisée pour quantifier les effets électroniques (ó-donneur / ð-accepteur) d’un ligand, consiste à analyser par IR les bandes d’élongation associées aux vibrateurs CO d’un complexe LM(CO)n où L est le ligand d’intérêt puis à les comparer à celles d’autres

complexes de type L’M(CO)n. Il a été ainsi montré que les NHC sont plus ó-donneurs et

moins ð-accepteurs que les phosphines.23 L’absence de caractère ð-accepteur est en accord avec les données obtenues à l’état solide qui montrent que la liaison M-Ccarbène est simple.

Aussi, les complexes de NHC sont mieux représentés par la forme métalla-iminium C (figure 13). Cependant, le formalisme souvent utilisé pour représenter ces complexes est C’. Par la suite, ce formalisme sera étendu aux complexes de monoaminocarbènes.

N C N R R [M] N C N R R [M] N C N R R [M] N C R [M] R: alkyl ou aryl C C'

Figure 13: quel formalisme pour les complexes d'aminocarbènes ?

Enfin, des études théoriques ont montré qu’il n’existait que peu de rétrodonation du métal vers le centre carbénique même dans le cas des métaux d10.24

En ce qui concerne la force de la liaison M-Ccarbène, une étude thermochimique réalisée

phosphines.25 Le catalyseur de métathèse 2ème

génération D, développé par Grubbs, tire précisément profit des différentes propriétés des NHC (figure 14). Tout d’abord, la plus grande stabilité du complexe de NHC par rapport à celui de phosphine permet la synthèse de D par simple substitution d’une phosphine par le NHC.26 L’étude de ce complexe à l’état solide révèle que la liaison Ru-CNHC (2.069 Å) est plus longue de 0.23Å que la liaison Ru-

Cbenzyl (1.841 Å) en accord d’une part avec l’absence de rétrodonation vers le NHC et d’autre

part avec le caractère double de la liaison M-Cbenzylidène.

Ru C C N N Cl Cl PCy3 Mes Mes H Ph d(Ru-CNHC) = 2.069 Å d(Ru-Cbenzyl) = 1.841Å Ru C Cl Cl PCy3 H Ph PCy3 C N N Mes Mes - PCy3 + D

Figure 14: catalyseur de Grubbs 2ème g

énération

Les deux carbènes ont un rôle tout à fait différent : le benzylidène est très réactif et est transféré lors de la réaction de métathèse tandis que le NHC reste spectateur (d’un point de vue de la réaction) car fortement lié au métal. Par contre, de part ses propriétés électroniques spécifiques, il induit une activité catalytique bien supérieure à celle des phosphines. En outre, ce catalyseur combine une activité catalytique proche de celle obtenue avec les catalyseurs à base de molybdène ou de tungstène27 tout en conservant une bonne tolérance aux groupements fonctionnels.

Depuis quelques années, les NHC sont devenus des ligands de choix dans de

nombreux processus catalytiques28 où ils tendent à remplacer avantageusement les

phosphines. En effet, grâce à leurs propriétés électroniques (fort ó-donneurs, faible ð- accepteurs), ils augmentent la densité électronique sur le métal et favorisent l’addition oxydante de substrats peu réactifs. Enfin, parce qu’ils sont fortement liés au métal, ils confèrent au catalyseur une activité et une robustesse incomparables. On citera leur utilisation dans les réactions de couplage de Heck29, Suzuki30, Sonogashira31, Kumada32, Stille33 mais aussi pour l’arylation d’amines34 ou l’hydrosilylation des cétones.35

Bien que les complexes de diaminocarbènes soient connus depuis plus de 30 ans,36 c’est bien la disponibilité des carbènes stables qui a donné un nouvel essor aux complexes carbéniques. Pour la première fois, un carbène joue le rôle de ligand fortement lié au métal et

non celui de réactif stabilisé par un métal comme c’est le cas dans les complexes de Fischer et de Schrock. Enfin, du fait de leurs propriétés électroniques uniques, les complexes de NHC surpassent les complexes de phosphine en terme d’activité catalytique et de robustesse. Cependant, à la différence des phosphines dont la diversité structurale est a priori illimitée, la structure des NHC est intrinsèquement peu modifiable.

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