• Aucun résultat trouvé

Variation de direction des courants avec la profondeur

5.2 Importance de la stratication du CCA

5.2.2 Variation de direction des courants avec la profondeur

Dans le chapitre 3.2 (Roquet et al., 2009, Fig. 10), nous avons observé des diérences de trajectoire entre les masses d'eau de surface et profondes. Ainsi, l'isotherme 0°C du minimum de température (proche de la surface) se superpose à l'isotherme 2°C du maximum de température (∼500 m de profondeur) entre la Dorsale Sud-Ouest Indienne et le Conrad Rise, mais elle en diverge ensuite pour se retrouver à la même position que l'isotherme 2.2°C du maximum de température à partir de la longitude d'Elan Bank.

Cette observation soulève alors deux questions :

 Est-ce que le modèle simule une telle tendance à diverger entre les couches de surface et les couches plus profondes ?

 Si oui, peut-on déterminer les mécanismes en jeu qui expliquent cette déviation ?

Estimation de la direction des courants géostrophiques dans le modèle

Nous allons maintenant calculer la direction des vitesses géostrophiques du modèle pour vérier s'il existe un angle entre les courants de surface et les courants à 2000 m de profondeur. Pour cela, on cherche à déterminer une topographie ηz associée à la profondeur z qui soit liée à la pression selon la relation ∇pz = ρ0g∇ηz, an de pouvoir exprimer la relation 5.2 en fonction du gradient de cette topographie ug = fg∇ηz par analogie à la relation classique reliant la vitesse géostrophique de surface à la pente de la surface libre.

La relation hydrostatique permet de relier la pression à une profondeur z donnée au poids de la colonne située au-dessus :

pz = ρ0gη + g

z

ˆ

z0=0

ρdz0

où η correspond à la hauteur de la mer par rapport à une géopotentielle proche de la surface. On néglige ici les variations de la pression atmosphérique.

Une manipulation algébrique simple permet alors de déterminer une formulation pour la topographie ηz recherchée :

20oE 30oE 40oE 50oE 60oE 70oE 80oE 90oE 100oE 110oE 120oE 70oS 65oS 60oS 55oS 50oS 45oS 40oS 35oS 30 S -250 -200 -150 -100 -50 0 50 100 150 200 250

Figure 5.4: Lignes de courant de surface (violet) superposées à celles à 2000 m de profondeur (vert). La diérence d'angle entre les vecteurs vitesse à 2000 et en surface (θ2000−θ0)est montrée en couleurs. Les angles sont donnés en degré, dans le sens trigonométrique direct (sens inverse des aiguilles d'une montre).

∇pz ρ0g = 1 ρ0g∇  ρ0gη + g z ˆ z0=0 (ρ − ρr(z0)) dz0   = ∇  η + z ˆ z0=0 ρ − ρr(z0) ρ0 dz 0  

où ρr est un prol de densité de référence pris comme la moyenne spatiale des densités in situ à chaque niveau z. Finalement, la vitesse géostrophique est proportionnelle au gradient horizontal de la topographie : ηz = η + z ˆ z0=0 ρ − ρr(z0) ρ0 dz 0 (5.4)

Sur la gure 5.4, nous superposons les lignes de courant à 0 m et 2000 m de profondeur, obtenues comme isolignes des topographies η0 et η2000 selon la formule 5.4. La tendance à la divergence observée en amont du plateau de Kerguelen est bien observée dans le modèle entre Conrad Rise et Elan Bank. Sur la même gure, nous avons indiqué en couleur la diérence d'angle entre les vecteurs de courant à 2000 m et 0 m. Trois zones où la direction varie très fortement sont mises en évidence :

 une large bande zonale au nord du CCA, située dans la partie sud du gyre sub-tropical, avec des valeurs positives autour de 100°.

 de ne bandes négatives suivant les contours ouest des principaux obstacles topogra-phiques (notamment les plateaux nord et sud de Kerguelen, et le plateau Del Caño), avec des valeurs de l'ordre de -50° à -100°.

 une bande positive à proximité du talus continental antarctique, avec des valeurs dépas-sant 200° localement.

Nous allons maintenant expliciter les raisons de ces déviations verticales, au travers de ce qu'il est commun d'appeler la spirale de Stommel.

Dynamique de la spirale de Stommel

An d'avoir des trajectoires diérentes selon les masses d'eau, il faut nécessairement que les vecteurs vitesse spiralent avec la profondeur. Une manipulation simple de la relation géo-strophique 5.2 permet de déterminer la variation verticale de la direction du vecteur vitesse horizontale u, comme présenté par Hughes and Killworth [1995]. En prenant la dérivée verti-cale de la relation 5.2, puis en utilisant la relation hydrostatique, on obtient :

ρ0f k × ∂zu = g∇ρ

On prend ensuite le produit scalaire de cette relation par u, et on utilise la relation de continuité :

−ρ0f u × ∂zu = gu · ∇ρ = −gw∂zρ

Finalement, en remarquant que u × ∂zu = |u|2zθ ou θ (les angles sont positifs dans le sens trigonométrique direct) représente l'angle de u, et en posant N2 = −g∂zρ/ρ0 (fréquence de Brunt-Väisälä), on obtient :

zθ = −N

2w

f |u|2 (5.5)

La relation 5.5 exprime la spirale de Stommel. La première remarque que l'on peut formuler à partir de la relation 5.5 est que les signes de ∂zθ et w sont identiques dans l'hémisphère sud (opposés dans l'hémisphère nord). Cela signie que le sens de la spirale dépend uniquement de la direction des vitesses verticales. On obtient une spirale cyclonique vers le bas en zone d'upwelling (l'angle diminue vers le bas), et une spirale anti-cyclonique dans le cas contraire. Nous allons voir comment cela explique le signe des diérences d'angles observées sur la gure 5.4.

Lorsque le courant arrive en amont des obstacles topographiques comme le plateau de Kerguelen, il escalade l'obstacle induisant une vitesse verticale positive. D'après la relation 5.5, on obtient alors une spirale cyclonique vers le bas. C'est compatible avec l'observation d'une

pour rentrer dans le bassin profond, on a un approfondissement de la colonne d'eau (stretching) induisant des vitesses verticales négatives. L'observation θ2000 − θ0 > 0 dans cette région est encore une fois compatible avec la spirale de Stommel.

Le cas de la bande zonale positive au nord du CCA est un peu diérent. Cette fois-ci, ce n'est pas le forçage topographique qui intervient, mais le forçage du vent. Dans ce cas, la relation 5.3 intégrée sur la verticale indique que :

w = wb+ ˆ z botzw.dz = wb+β f ˆ z bot v.dz (5.6)

Puisque wb est négligeable dans ce cas (eet topographique négligeable), et que v > 0 en raison de l'action des vents, on déduit que w < 0. Le signe θ2000 − θ0 > 0 observé sur la gure 5.4 est alors bien expliqué par la spirale de Stommel.

On peut alors se demander pourquoi certaines régions favorisent l'émergence d'une spirale verticale plus que d'autres. Ici, nous ne donnerons qu'une analyse qualitative, en notant que trois facteurs modulent l'intensité de la spirale : la stratication N2, l'inverse du carré de l'intensité du courant 1/|u|2, et l'intensité de la vitesse verticale w (la variation de f est négligeable à l'échelle des structures considérées). Dans le cas du CCA, la stratication est partout assez faible, et les courants sont souvent très intenses, ce qui ne favorise pas l'existence d'une spirale verticale. En fait, les courants spiralent de manière notable seulement dans les zones de divergence où les courants sont très faibles. Ces zones sont généralement situées en amont des obstacles topographiques. Dans le cas de la bande zonale au nord du CCA, la stratication est beaucoup plus marquée (présence d'une épaisse thermocline sub-tropicale), le courant est relativement faible et la vitesse méridienne v est maximale puisqu'on se trouve au coeur du gyre sub-tropical. Ainsi, toutes les conditions sont réunies pour obtenir une intensité maximale de la spirale.

Les observations indiquent la présence d'un courant de surface quasiment zonal entre le Conrad Rise et le sud des îles Kerguelen associé au Front Polaire. Le transport associé à ce courant est faible (∼ 2 Sv, Park et al., 2009) et il n'existe qu'en surface. Par contre, en profondeur, les masses d'eau ne peuvent pas traverser le plateau de Kerguelen et sont donc obligées de contourner l'obstacle. La relation de la spirale de Stommel nous apprend alors qu'elle doivent nécessairement passer par le sud, ce qui est bien observé dans le modèle. De plus, on a observé que seule la simulation KAB-bathymedian avec une bathymétrie non lissée a réussi à simuler l'existence d'un courant zonal en surface qui franchit le talus ouest du plateau nord de Kerguelen (voir la gure 4.12 du chapitre 4.3). Dans les autres simulations utilisant la bathymétrie lissée de la conguration ORCA025, le courant de surface contourne le plateau nord de Kerguelen par le nord. Cet exemple montre la grande sensibilité de la circulation à la représentation de la bathymétrie près des obstacles abrupts. La bathymétrie peut créer une zone de fort ralentissement du courant (cul-de-sac) intensiant la spirale. Elle peut aussi être

plus facile à escalader par les masses d'eau si sa forme ore une marche favorisant l'émergence de vitesses verticales.

Du fait de ces diérences de direction en fonction de la profondeur, la trajectoire des masses d'eau peut varier avec la profondeur comme le montre la gure 5.4. C'est ainsi ce qui est observé pour la limite sud du CCA dans le bassin de Weddell-Enderby, qui se trouve à plusieurs degrés plus au nord dans les couches profondes qu'en surface.