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Ces dernières années, un nombre croissant d’études s’est intéréssé à la variabilité de réponses entre populations de poissons plus ou moins exposées à des parasites (Scharsack and Kalbe, 2014), à l’augmentation de la température (Fangue, 2006) ou à la contamination (Whitehead et al., 2017). Ces études sur la divergence entre

populations ayant évolué dans différents contextes environnementaux, apparaissent

comme étant particulièrement importantes afin d’améliorer les méthodes de conservation (Hamilton et al., 2016; Horodysky et al., 2015). Dans un contexte d’exposition aux contaminants, ces problématiques ont ouvert la voie à une nouvelle discipline émergente, à savoir : « l’écotoxicologie évolutive » (Bourret et al., 2008; Brady et al., 2017a; Brady et al., 2017b; M. Oziolor et al., 2016).

Deux mécanismes importants sont mis en jeu lors de l’adaptation aux stress environnementaux. Premièrement, la sélection naturelle peut sélectionner des génotypes particuliers conférant une meilleure fitness aux individus. Par exemple, il a récemment été démontré que certaines populations de choquemort (Fundulus

heteroclitus) présentaient une tolérance aux contaminants organiques (i.e.

PolyChloroBiphényle – PCB, Hydrocarbure Aromatique Polycyclique – HAP, dioxines) en lien avec la sélection de plusieurs gènes (i.e. aryl hydrocarbon receptor pathway- AHR) qui régulent la toxicité et la métabolisation des composés xénobiotiques (Whitehead et al., 2017). Cependant, les processus de sélection naturelle sont généralement observés sur des échelles de temps assez longues et sur plusieurs générations. Sur une échelle de temps plus courte, la plasticité phénotypique joue un rôle important dans la persistance des populations face aux modifications de leur environnement (Hendry et al., 2008). Dans ce cas, à partir d’un même génotype, différents phénotypes s’expriment en fonction de l’environnement (Bradshaw, 1965; Hendry, 2016). La plasticité phénotypique (Box 4) est un phénomène crucial dans des environnements fluctuants et stressants et permet aux individus d’ajuster leurs traits et performances en fonction des contraintes environnementales, avec des effets importants sur leur fitness (Haugen and Vøllestad, 2000; Meyers and Bull, 2002). Ainsi, la plasticité phénotypique peut s’exprimer à toutes les échelles d’organisation

biologique, de l’expression des gènes (McCairns and Bernatchez, 2010), jusqu’au

comportement des individus (Jacquin et al., 2017) en passant par leur physiologie (Dhillon and Schulte, 2011; Johnston and Temple, 2002).

Dans certains cas, la plasticité phénotypique peut s’avérer être adaptative, lorsqu’elle confère un avantage en termes de fitness aux individus qui l’expriment dans un environnement particulier (Box 4). Elle peut alors être le reflet d’une adaptation

locale des populations à leur environnement (Kawecki and Ebert, 2004). Cependant la

plasticité phénotypique peut aussi être considérée comme maladaptative lorsqu’elle réduit la fitness des individus (Box 4). Bien que considéré comme peu courant par à rapport au nombre de cas reportés d’adaptation, le phénomène de maladaptation pourrait être plus fréquent qu’il n’y parait, en particulier dans un contexte où les

pressions anthropiques sont importantes, et tout particulièrement sous contamination

ou sous stress multiples (Brady et al., 2019). En effet, l’exposition à certains stress anthropiques (e.g. contamination) peut être soudaine et/ou totalement nouvelle pour les populations sauvages. Dans ce cas, les théories évolutives prédisent que le processus de

sélection naturelle n’a pas le temps de sélectionner des phénotypes optimaux pour

cet environnement, pouvant potentiellement résulter en une maladaptation des individus (i.e. fitness réduite, Brady et al., 2019). Ce phénomène de maladaptation pourrait alors impacter négativement la persistance des populations (Fig. 12). Cependant, ces phénomènes évolutifs sont encore très mal connus, en particulier sous stress multiples. Il est donc essentiel d’améliorer les connaissances sur l’occurrence de ces processus évolutifs, et plus généralement sur la variabilité phénotypique entre populations sauvages, afin de mieux comprendre et prédire l’impact des stress actuels et futurs sur les trajectoires évolutives des populations sauvages.

Box 4.

Plasticité phénotypique :

Taux de survie de juvéniles d’ombre commun (Thymallus thymallus) provenant de sites froids (points et courbe bleus) et chauds (points et courbe oranges) exposés à des températures froides, intermédiaires et chaudes (jardin commun). Adapté de Haugen and Vøllestad, 2000.

La plasticité phénotypique peut être la résultante d’adaptation génétique d’une population (i.e. sélection de génotypes plus ou moins plastiques) et/ou d’interactions gènes x environnement) (Hendry, 2016). La plasticité phénotypique permet dans certains cas de maintenir les performances individuelles (i.e. survie, croissance, reproduction), en particulier face à un stress. L’amplitude de variation du phénotype est aussi appelée norme de réaction. Des populations ayant évolué dans des conditions environnementales différentes peuvent alors présenter des normes de réactions variables, ce qui peut résulter en une adaptation locale des populations, c’est-à-dire une meilleure fitness des individus dans leur environnement local par rapport à un nouvel environnement (Hendry, 2016). Les expériences de translocations réciproques entre milieux permettent de tester ces questions (Kawecki and Ebert, 2004). Par exemple, Haugen and Vøllestad (2000) ont démontré que des juvéniles d’ombres provenant d’un lac froid sont plus aptes à survivre en milieu froid qu’en milieu chaud et inversement (figure ci-dessus). Ici la divergence des populations induite par les processus évolutifs (i.e. adaptation locale) tend à optimiser la fitness d’une population dans son milieu, on parle alors de plasticité adaptative. Cependant, dans un contexte de changements environnementaux rapides, ces processus de divergence peuvent mener à la maladaptation des populations, par exemple, dans un contexte d’une augmentation de l’occurrence d’évènements climatiques extrêmes (e.g. canicule), de contamination nouvelle, ou de stress multiples.

La plasticité phénotypique correspond à l’expression des gènes d’un individu en fonction de l’environnement.

De façon intéressante, les phénomènes évolutifs peuvent interagir de manière complexe et mener à des réponses inattendues en cas de stress multiples. Quelques études récentes se sont intéressées à la plasticité phénotypique dans un contexte d’expositions multiples (Hopkins et al., 2017; Hua et al., 2017; Jansen et al., 2011; Lavergne et al., 2015; Pédron et al., 2017; Zhang et al., 2018). Dans certains cas, l’adaptation des populations à un facteur de stress particulier peut conférer un avantage contre un autre facteur de stress (i.e. co-adaptation). Par exemple, il a été démontré que des daphnies (Daphnia Magna) résistantes à la contamination pouvaient présenter une plus forte résistance à une augmentation de la température, sans doute en lien avec des ajustements physiologiques (e.g. ajustement de l’activité métabolique) (Zhang et al., 2018). Au contraire, l’acquisition d’une résistance à un facteur de stress peut entraver la réponse des populations à un autre facteur de stress et donc mener à de la

maladaptation. Par exemple, l’acquisition d’une résistance à un pesticide chez une

population de daphnies peut augmenter la susceptibilité des individus à des parasites, potentiellement en lien avec la mise en place de compromis énergétiques et/ou d’effets neurotoxiques (e.g. inhibition acétylcholinestérase) (Jansen et al., 2011). La plasticité peut donc présenter un coût et des limites en fonction de l’intensité et du nombre de facteurs de stress (Hendry, 2016). Le caractère adaptatif de la plasticité phénotypique s’avère donc être contexte dépendant.

L’un des défis majeurs des années à venir semble donc être l’amélioration des connaissances fondamentales sur les capacités d’adaptation des populations

sauvages sous l’influence des stress multiples. Ceci devrait permettre une meilleure

prédiction de la trajectoire évolutive des populations exposées aux activités humaines afin d’améliorer les méthodes de conservation des populations de poissons sauvages.

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