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Chapitre 6: Discussion générale 130

6.4 Variabilité interindividuelle

Dans chacune des études présentées dans cette thèse, les différences interindividuelles en matière d’adaptation étaient importantes. Après une altération ou une modification de leurs indices de localisation, certains participants retrouvent rapidement des aptitudes de localisation très proches de celles précédant la manipulation, d’autres ne montrent aucun signe d’adaptation. Les différentes performances des participants ne permettent pas de les classer en deux groupes distincts qui comprendraient seulement ceux qui s’adaptent et ceux qui ne s’adaptent pas. Les différents degrés d’adaptation observés sont plutôt uniformément répartis entre les deux extrêmes.

Une large variabilité interindividuelle dans le degré d’adaptation à des indices de localisation biaisés a également été reportée par la majorité des études antérieures du domaine (Carlile et al., 2014; Hofman et al., 1998; Javer & Schwarz, 1995; Shinn-Cunningham et al., 1998; M. M. V. Van Wanrooij & Van Opstal, 2005). Il est possible que cette variabilité reflète des prédispositions générales à la plasticité. Cependant une telle hypothèse est difficile à vérifier étant donné les innombrablesfacteurs qui peuvent entrer en jeu durant la période d’adaptation. Ilfaudrait pouvoir observer l’adaptation dans un environnement entièrement contrôlé, mais étant donné l’importance des interactions multisensorielles en milieu naturel dans le processus d’adaptation, il est possible que peu ou pas d’adaptation ne prenne place en laboratoire. Il a d’ailleurs été proposé que la quantité et la qualité de ces interactions jouent un rôle dans l’adaptation (Carlile et al.,2014;Javer & Schwarz, 1995). Différentes activités ou différents styles de vie (par exemple, travailler toute la journée sur un ordinateur dans un environnement silencieuxversus pratiquer des activités sportives à l’extérieur avec des amis) ont certainement différents impacts sur la rapidité d’adaptation, mais encore une fois, ces facteurs sont très difficiles à contrôler.

D’autresfacteurs sont plus facilement observables et quantifiables. Les performances de localisation auditive dans des conditions normales varient d’un individu à l’autre (Makous & Middlebrooks,1990;Populin,2008;Savel,2009;Wightman & Kistler,1989a). Il est légitime

CHAPITRE 6. DISCUSSION GÉNÉRALE de penser que ces différences puissent expliquer une partie de la variabilité observée dans l’adaptation aux indices de localisation modifiés. Les données de nos différentes études n’ont cependant révélé aucune corrélation entre les performances initiales et la quantité ou la rapidité d’adaptation. Néanmoins, ilfaut garder à l’esprit que nos expériences n’étaient pas spécialement conçues pour étudier ces possibles corrélations, et nos participants étaient de jeunes adultes qui montraient tous de bonnes performances initiales. Un facteur qui en revanche a expliqué une partie de la variabilité de l’adaptation à une modification des indices spectraux et binauraux, est le degré de perturbation des indices spectraux. Dans la troisième étude, nous avons proposé une mesure de la perturbation acoustique des indices spectraux8et montré que cette mesure corrélait avec la perte de performance sur le plan vertical causée par les moulages. Cette corrélation existait encore à lafin de la période d’adaptation. Les participants qui avaient les plus été perturbés étaient aussi ceux qui s’adaptaient le moins. Cette corrélation a également été observée pour l’adaptation aux ITDs décalées. La perte de performance que causaient les bouchons d’oreille sur le plan vertical, avant qu’un retard ne soit ajouté dans l’un des bouchons, corrélait avec la vitesse d’adaptation sur le plan horizontal. Le degré de perturbation des indices spectraux semble donc être un important prédicteur des chances d’adaptation à des indices de localisation modifiés, et suggère qu’il est impossible de s’adapter à de trop fortes modifications.

Ce dernier point a des conséquences pour la conception d’appareils auditifs. Une part im-portante des appareils auditifs sont retournés, ou ne sont pas utilisés par les patients atteints de pertes auditives (Kochkin,1999;Kochkin et al.,2010). Ces défauts de satisfaction sont im-putables aux insuffisants gains perceptifs qu’offrent les appareils, en particulier en termes de compréhension de la parole dans le bruit (Wong, Hickson, & McPherson,2003). L’importance de la localisation auditive dans l’intelligibilité et la compréhension de la parole dans un environne-ment bruyant ou dans une situation dite decocktail party, n’est plus a démontrer (Bronkhorst, 2000;Dirks & Wilson,1969;Hirsh,1950;Kidd et al.,2005;Kock,1950;MacKeith & Coles, 1971;Roman et al.,2003). Or les appareils auditifs perturbent la localisation auditive (Byrne &

CHAPITRE 6. DISCUSSION GÉNÉRALE Noble,1998;Köbler & Rosenhall,2002). Ils peuvent décaler les ITDs9, et modifient fortement les indices spectraux (Kuk & Korhonen,2014). Pour que le gain en amplitude acoustique que fournissent les appareils auditifs soit bénéfique dans des situations ou la compréhension de la parole est mise à l’épreuve, ilfaut donc que les patients soient capables de réapprendre à localiser les sons avec leurs appareils. Nos résultats montrent que cette adaptation sera d’autant plus difficile que la perturbation des indices de localisation causée par les appareils est grande. Ceci est particulièrement vrai concernant la modification des indices spectraux. Nous avons en effet vu que l’adaptation, tant sur le plan horizontal que vertical, dépendait du degré de perturbation initial de ces indices. Pour qu’une adaptation prenne place et pour que les gains perceptifs offerts par les appareils auditifs soient maximaux, il est donc important que ces dispositifs soient miniaturisés et que le micro se trouve au plus proche de l’entrée du canal auditif, afin de perturber le moins possible les indices spectraux.

CHAPITRE 6. DISCUSSION GÉNÉRALE

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