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Variabilité associée à la verticale subjective : influence des styles perceptifs

2. LES MECANISMES DE L’ORIENTATION SPATIALE

2.3. L A VERTICALE SUBJECTIVE : INDICATEUR PRIVILEGIE DE L ’ ORIENTATION PERÇUE DE LA GRAVITE

2.3.4. Variabilité associée à la verticale subjective : influence des styles perceptifs

Quels que soient les effets étudiés, les altérations de la verticale subjective sont caractérisées par une grande variabilité interindividuelle. Dès Witkin et Ash (1948), il est apparu que les individus diffèrent largement dans l'amplitude des effets cadre induits chez eux. Un sujet peut aligner parfaitement la barre sur la verticale gravitaire, quelles que soient la taille et l'orientation du cadre visuel, un autre peut orienter la barre parallèle aux bords du cadre, ce malgré une consigne clairement expliquée. Ces deux types de sujets se situent aux extrémités d'une population hétérogène dans leur susceptibilité à l'effet cadre. Les plus influençables sont qualifiés de dépendants à l'égard du champ, les plus réfractaires à l'influence du cadre sont appelés indépendants à l'égard du champ. Cette dichotomie dépasse largement l'effet cadre (Huteau, 1987) et a alimenté un courant de recherche sur les styles perceptifs.

Les styles perceptifs, ces «préférences» inconscientes de chacun dans le traitement de l'information se rapprochent de la notion de vicariance différentielle, introduite par Reuchlin (1978), qui peut se résumer à deux propriétés principales :

(1) Chaque individu possède une partie, sinon la totalité, du répertoire des processus susceptibles de s'adapter à une situation donnée ;

(2) Chez un individu donné, certains processus sont plus facilement évocables que d'autres.

Selon Ohlmann (1990a, 1990b), cette évocabilité différentielle est en œuvre dans la sélection des référentiels spatiaux et forme la source de la variabilité interindividuelle observée dans les études de la verticale subjective. C'est pourquoi Goodenough et al. (1985) observent une corrélation négative, à effet Aubert constant, entre une situation expérimentale où des sujets droits font face à un cadre incliné et une situation où le cadre est droit, mais les sujets inclinés. Autrement dit, les sujets peu aptes à faire abstraction de l'influence des références visuelles lorsqu'elles sont biaisées savent mieux en tirer profit lorsque ce sont les conditions posturales qui influent sur la verticale subjective. Dans une situation favorable, c'est-à-dire une situation où les diverses sources d'information sont présentes et fiables, l'ensemble des individus se comporte de la même façon puisqu'ils disposent tous de l'information suffisante pour

s'orienter correctement. Lorsque la situation perturbe les processus privilégiés du sujet, celui-ci voit ses performances se dégrader plus vite qu'un autre sujet qui s'appuie sur des processus différents.

Qu'en est-il alors des situations extrêmes où une modalité sensorielle devient totalement inopérante, par exemple ? C'est le cas parfois à bord des aéronefs, lorsque les informations du système vestibulaire n'ont plus aucune pertinence pour la réalisation de la tâche de pilotage. Selon Ohlmann et Marendaz (1991), les individus convergeraient vers un même ensemble de processus, les seuls en adéquation avec la forte spécialisation exigée par une situation difficile. Les travaux de Brenet et al. (1988) illustrent bien cette convergence. Des sujets dépendants à l'égard du champ, debout les pieds écartés, présentent un déficit de performance dans une tâche visuo-spatiale par rapport à un groupe de sujets indépendants à l'égard du champ. Lorsque la station debout devient plus difficile à maintenir (position de Romberg sensibilisé, un pied devant l'autre), l'écart entre les deux populations se réduit, non pas par une détérioration de la performance des sujets indépendants à l'égard du champ, mais bien par une amélioration de celle des sujets dépendants à l'égard du champ, ce qui tend à prouver que l'instabilité posturale pousse le système nerveux central à se fier d'avantage aux informations les plus utiles pour régler le problème, les informations vestibulaires et kinesthésiques, au détriment des informations visuelles. La diminution de la variabilité interindividuelle dans les situations extrêmes a un coût, celui d'augmenter la variabilité intraindividuelle moyenne puisque certains sujets fonctionnent avec des processus peu souvent mis en œuvre, donc non-optimisés. Pour présider à la sélection des référentiels spatiaux, Ohlmann et Marendaz (1991) appellent la notion d'affordance, introduite par Gibson (1979) dans le cadre de l'approche écologique de la perception et de l'action et qui peut se définir comme la perception d'une utilité. Le système perceptif déterminerait quelles conduites et quelles actions sont possibles à partir d'invariants présents dans l'environnement, des propriétés de l'organisme, et du contexte. Il sélectionnerait sur cette base les processus spatiaux adéquats. Au-delà des différences philosophiques entre l'approche écologique et les approches classiques de la perception, cette notion d'affordance n'est pas incompatible avec la notion de modèle interne. En effet, nous avons vu que ces processus supposés opérer dans la perception des propriétés de l'environnement auraient pour fonction de simuler les propriétés du corps ou de l'organisme dans un but prédictif.

Les modèles internes se perfectionnant grâce à l'expérience, il est fort probable qu'une expérience prolongée ou répétitive d'une situation sensorielle extrême vienne modifier l'évocabilité des processus mis en jeu préférentiellement par un individu, dans une certaine mesure tout au moins. Cette hypothèse reçoit des arguments des travaux de Young et al., (1986) qui montrent que des astronautes revenant de mission en apesanteur, donc d'un milieu où l'information gravitaire est absente et où l'on apprend à se fier aux indices visuels pour s'orienter, montrent une légère augmentation de leur score au RFT. La seule étude que nous avons pu répertorier et qui évalue la dépendance à l'égard du champ chez les pilotes montre qu'ils sont plus dépendants à l'égard du champ que la moyenne (Long, 1975). Previc (2000) mentionne également que les pilotes expérimentés tendent à être plus dépendants à l'égard du champ que les novices. Or, un des buts principaux à atteindre lors de l'apprentissage du pilotage des avions de combats est ce que les instructeurs appellent la dominance visuelle, c'est-à-dire la capacité pour le pilote à faire abstraction des perceptions engendrées par les informations vestibulaires pour ne se fier qu'aux repères visuels externes et aux instruments de bord.

3. L'ergonomie sensorielle au service de la lutte contre la

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