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PARTIE II : LA VALORISATION DES DONNEES DE SANTE

Section 1 Ne pas valoriser n’est pas éthique

Il serait possible d’imaginer, pour des raisons de sécurité et afin d’éviter toute prise de risque, de ne pas procéder à la valorisation des données de santé. Cependant, l’insuffisance du recours au numérique et de la valorisation des données de santé, dans le cadre des activités de diagnostic, de soins ou de recherche, ou encore de pilotage du système de santé et des établissements qui le composent, induit des situations non-éthiques au sein de notre système de santé.

Pierre Delmas-Goyon, conseiller honoraire à la Cour de cassation, résume cette situation de la manière suivante : «On surfe entre deux écueils, explique-t-il, d’un côté ne pas se priver des innovations technologiques, ce qui serait non-éthique, et de l’autre côté le faire sans pour autant risquer de sacrifier des principes éthiques»174.

Cette problématique était déjà exprimée dans l’avis 129 du CCNE en 2018. Le CCNE identifiait, alors, divers enjeux éthiques liés aux données de santé et à leur valorisation et aux différentes étapes de celle-ci.

Tout d’abord, le Comité identifiait une opposition de valeur entre le respect de la vie privée et la contribution à l’avancée des connaissances : la décision de mettre ses données de santé à disposition est personnelle, mais impacte la communauté, notamment dans le cadre de maladies

rares175. Il identifiait par la suite une conciliation parfois complexe entre l’autonomisation des

patients, leur capacité à maîtriser le devenir de leurs données (utilisation et réutilisation), avec l’intérêt collectif potentiel du traitement de ces données. De même, une conciliation s’avère nécessaire entre le principe du recueil du consentement des patients et le besoin de souplesse dans la mobilisation des données, dans le cas de la constitution d’entrepôts de données de santé au sein de certains établissements.

La valorisation de la donnée permettrait de développer la recherche, notamment pour les maladies rares où les traitements, comme les données, font défaut. Ce serait également « un moyen d’accélérer le développement de nouveaux traitements et de suivre leurs effets, en introduisant pour la première fois un échange équitable, numérisé et sécurisé entre patients, recherche pharmaceutique et autorités de santé. »176

La sécurité des interactions entre les niveaux locaux et nationaux (Health Data Hub) est également un enjeu majeur dans cette situation.

Au regard des différents travaux menés, il apparait qu’une néanmoins qu’une modalité d’action doit être dégagée afin de garantir le partage des données de santé, pour renforcer la qualité des soins et l’efficience du système de santé, tout en garantissant le respect des droits et libertés des personnes et la protection des données de santé.

Cette action qui doit être menée en faveur de la valorisation des données de santé se comprend premièrement du fait d’une concurrence particulièrement importante actuellement dans ce domaine. En effet, les grandes entreprises privées du secteur (GAFAM américaines, BATX

175 AYME Ségolène, « Renforcement de la protection des données de santé : une menace et une opportunité pour les

registres et cohortes dans le domaine des maladies rares », La revue de médecine interne, 2018, n°39, pp. 769-771.

asiatiques…), ainsi que certains Etats comme les Etats-Unis, la Chine ou Israël, participent vivement à la valorisation des données de santé et au développement de technologies numériques – d’intelligence artificielle… –177. Les données que ces institutions sont amenées à capter, utiliser et

sur lesquelles elles fondront le développement de leurs technologies peuvent provenir, en théorie et, parfois, en pratique, des données de citoyens français.

Cette situation pose de nombreuses questions éthiques : les données « françaises » récoltées à l’étranger ne sont pas soumises au droit français, et le cadre de leur utilisation n’est donc pas assurément éthique ou conforme aux exigences des français. D’autre part, économiquement, cette fuite de données peut désavantager la France dans la course à la technologie, et amener les financements français à être redirigés vers l’étranger. Enfin, les citoyens français auront certainement recours aux premières technologies produites par l’étranger, comme c’est actuellement le cas avec, par exemple, l’entreprise 23andme, entreprise de séquençage de génome américaine, ou l’entreprise israélienne MyHeritage, vers lesquelles de nombreux français se tournent, et auxquelles ils donnent accès à leurs données, sans bénéficier des garanties du droit français. De même, par exemple, Microsoft a obtenu, en Novembre 2018, la certification d’hébergeur de données de santé : les données tendent à migrer vers des plateformes gérées par des prestataires privés, et non-plus uniquement publics.

Le CCNE, dans son avis n°130178, identifiait ce risque de « perte d’autonomie et de

souveraineté », due à « un retard technologique dans les domaines de l’hébergement et du traitement de données ».

177 STOEKLE Henri-Corto, VOGT Guillaume, « Nous devons « modifier nos normes de protection des données de

Au surplus, les technologies développées à l’étranger, avec des données de patients étrangers, pourraient ne pas être applicables à des patients français.

Il faut néanmoins noter la mise en place du Health Data Hub au niveau national, accompagnée par la constitution d’entrepôts de données de santé locaux, et soutenue par de nombreuses réflexions en matière de valorisation des données de santé (menées par la DREES, à travers un groupe de travail spécifique, ou encore par l’Alliance Aviesan, qui diligente des expertises…). Cette situation apparait suffisamment favorable, en pratique, au partage et à l’utilisation des données de santé, tout en garantissant une protection de celles-ci par le contrôle de leur partage, de préférence à travers du droit souple et par le développement de plateformes nationales mutualisées et interconnectées.

Cette politique devrait permettre à la France et à l’Europe de préserver leur autonomie stratégique et de ne pas perdre la maîtrise de la richesse que constituent les données de santé.