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Le titulaire du compte a seul, en principe, le droit de retrait. Il lui est certainement permis de se faire représenter, de déléguer à telle personne accréditée spécialement par lui auprès de la Banque, tout ou partie de ses pouvoirs.

Mais, normalement, tout mandat finit, aux termes de l'Art. 2003 C. Civ., par la mort, l'interdiction, ou la déconfiture du mandant ou du mandataire. Et, si la mort ne met pas fin au dépôt, elle précise l'obligation de restituer du dépositaire : d'après l'Art. 1939, au cas de mort du déposant, la chose déposée ne peut être rendue qu'à son héritier.

Ces règles du Code s'imposent-elles d'une manière absolue, et la volonté des parties formellement exprimée ne peut-elle y déroger ?

Bien des auteurs ont soutenu que le mandat, tirant sa force de la volonté du mandant, devait disparaître avec cette volonté que la mort supprime. Si la loi, disent-ils, admet qu'une personne puisse faire des actes de disposition qui ne doivent s'exécuter qu'après son décès, c'est à la condition que ces dispositions revêtent la forme d'un testament (contenant un fidéi-commis ou désignant un exécuteur testamentaire) ; sans cela, les règles si strictes établies en matière successorale seraient faciles à violer.

Ils ajoutent que, si même on pouvait déroger à l'Art. 2003, on se heurterait toujours à l'Art. 1939 : après la mort du déposant, le banquier ne pourra restituer le dépôt qu'à l'héritier ou au bénéficiaire régulièrement désigné dans un acte de libéralité (Art. 893 C. Civ.). L'Art. 1939 a pour but d'empêcher le déposant de tourner les règles sur la transmission héréditaire et la prohibition des substitutions fidei-commissaires (185).

L'opinion contraire nous semble préférable, et c'est, du reste, celle que la doctrine admet presque unanimement. L'Art. 2003 est fondé sur la volonté présumée des parties, et cette présomption doit tomber devant l'expression d'une intention contraire (Arg. Art. 1134).

Comme le dit Wahl, « le mandat, dans la conception du code civil, repose sur un lien de confiance personnelle entre le mandant et le mandataire, et cesse après le décès de l'un ou de l'autre d'entre eux, parce que la confiance ne se transmet pas.

(185) – Valéry,« La location des coffres-forts », p. 66 ; Guillouard. Tr. du mandat n° 230; Aubry et Rau, Ed. IV, § 403, note 13, p. 625., et VII, § 659, p. 82. Jurisprudence en ce sens: Cass. Req. 16 Avril 1902, D. 02. 1. 222, S. 02. 1. 312; Riom 21 Mars 1902. D. 03. 2. 209 et arrêts antérieurs. La jurisprudence observe très rigoureusement cet Art. 1939 C. Civ.

Aussi une clause formelle du contrat peut-elle décider que le mandat ne cessera pas après la mort du mandant » (186).

Le déposant n'est qu'un créancier, comme un vendeur ou un bailleur : or un créancier peut valablement convenir que son débiteur paiera la dette à un tiers désigné comme mandataire, et cela, même si le créancier décède avant l'époque du paiement. L'Art. 1939 n'est qu'une application de l'Art. 2003, et ces deux articles doivent recevoir la même interprétation : ils n'interdisent pas la clause dérogatoire.

La jurisprudence ne contredit pas, d'ailleurs, notre opinion, et c'est à tort qu'on l'invoque en sens contraire. La Cour de Cassation a toujours statué dans des hypothèses où une clause du contrat de dépôt dérogeant à l'Art. 1939, n'existait pas formellement. Quand elle déclare qu'une telle clause serait nulle comme violant les Art. 2003 et 1939, elle invoque cette idée, que la clause favoriserait des libéralités interdites (187).

Elle admet donc implicitement que la clause serait valable, au cas où elle ne déguiserait pas une libéralité. Or, il n'y a aucune raison, en règle générale, de regarder comme donataire un tiers désigné pour faire fonctionner un compte de dépôt, ce tiers étant un mandataire, tenu de rendre des comptes à son mandant au sujet de toutes opérations effectuées par lui.

Nous concluons donc à la licéité de la convention qui nous occupe : le double mandat donné par le titulaire d'un compte tel que celui dont nous avons donné la formule est valable, et continue à l'être malgré la survenance d'une incapacité ou de la mort du mandant.

(186) – Wahl, dans Clunet 1905, p. 19 ; Troplong, « Du mandat », n° 728 ; Laurent, Pr. de Dr. Civ. XXVIII, n° 88 ; Baudry et Wahl, « Du mandat XXI », n° 837 ; Du dépôt, XXIII, n° 1142 ; Amiens 16 Novembre 1852, D. 54. 2. 255.

(187) – Voir notamment, Cass. 10 Février 1879, D. 79. 1. 298 : « En admettant tant que le mandat prenne fin par le décès du mandant, et que le déposant puisse désigner une personne, autre que son héritier, pour recevoir après son décès la chose déposée, il n'en est plus ainsi quand le mandat et le dépôt sont destinés à assurer l’exécution d'une disposition de dernière volonté qui n'est pas valable ».

Paragraphe III

Situation du mandataire accrédité.

La situation de la personne accréditée auprès de la banque par le titulaire d'un compte de dépôt est celle d'un mandataire : il faut se garder de la confondre avec celle d'un cotitulaire solidaire. De même sont bien distinctes la situation d'un créancier solidaire et celle de la personne désignée par un créancier à l'effet de recevoir paiement pour lui. Le droit romain qualifiait cette personne d' adjectus solutionis gratia .

Ce tiers adjoint pour le paiement est un simple mandataire investi des pouvoirs nécessaires à telle intention ; il est mandataire aussi bien dans ses rapports avec le débiteur que dans ses rapports avec le créancier (188). On doit donc lui appliquer les règles qui gouvernent la condition des mandataires en général.

A l'égard du banquier dépositaire, l'accrédité ressemble à un cotitulaire du compte en ce qu'il peut faire fonctionner ce compte sur sa seule signature, ayant reçu pouvoir d'effectuer des remises, d'opérer des retraits, de donner quittance valable au banquier, comme le titulaire lui-même pourrait le faire.

Mais le banquier, se libérant entre les mains d'un titulaire, doit s'assurer que celui-ci est capable de lui donner décharge régulière et définitive. La même obligation ne lui incombe pas s'il se trouve en présence d'un mandataire accrédité ; ce mandataire est autorisé à retirer tout ou partie du dépôt en donnant bonne quittance, lors même que le déposant serait devenu incapable ou serait décédé, et le banquier, ne se préoccupant pas de sa capacité personnelle, vérifie simplement son identité et sa signature.

Vis-à-vis du banquier, et, plus généralement, vis-à-vis des tiers, le mandataire représente le mandant, dont il n'est que l'instrument : sa capacité est indifférente aux tiers : on peut choisir comme mandataire une personne quelconque en laquelle on a confiance, fût-elle une femme mariée non autorisée (Art. 1990 C. Civ.).

Le mandataire accrédité est tenu de rendre compte de toutes ses opérations à son mandant; il doit justifier qu'il a régulièrement accompli sa mission (Art. 1993 C. Civ.). Les termes même de la convention lui dénient la qualité de propriétaire, et ne lui accordent que celle de mandataire ; jusqu'à preuve contraire, il n'a donc aucune part dans les objets déposés.

Le mandant est seul propriétaire : il s'est d'ailleurs réservé le droit de faire fonctionner le compte de dépôt lui-même, à son gré. S'il a conféré un mandat, il lui est à tout instant permis de le révoquer (Art. 2004 C. Civ.).

Si le mandat subsiste après sa mort, c'est parce que telle est sa volonté nettement exprimée. Mais ses héritiers le représentent ipso facto ; ils ont le même droit de révocation que leur auteur, ils pourront enlever ses pouvoirs au mandataire et lui demander des comptes. Par la mort du mandant, le mandataire accrédité devient en quelque sorte dépositaire des sommes et valeurs retirées de la banque sur sa propre signature : il détient ces valeurs, et est obligé de les rendre aux héritiers.

Quant aux héritiers du mandataire ou à ses créanciers, ils n'ont évidemment aucun droit sur le dépôt. L'Art. 2010 C. Civ. dit qu'en cas de mort du mandataire, ses héritiers doivent en aviser le mandant, et pourvoir, en attendant, à ce que les circonstances exigent dans l'intérêt de celui-ci.

Et les créanciers du mandataire ne peuvent exécuter à sa place le mandat, ni s'opposer à son exécution (Arg.Art. 1166).

Bien entendu, il est possible que la réalité des faits ne soit pas conforme aux apparences, et que le mandataire accrédité puisse prétendre à une part de propriété dans le dépôt, ou se réclamer d'une libéralité indirecte valable, Mais il appartient à celui qui invoque une telle dérogation à la situation apparente de prouver ses allégations.

Chapitre II