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4. CADRE D’ÉVALUATION ET EXEMPLE DU LAC BROMPTON

4.4 Évaluer la valeur

4.4.2 Valeur de stockage du carbone

La seconde valeur que cet essai tente de quantifier concerne la valeur de stockage de carbone des deux milieux naturels présents dans la zone RF-8, soit les milieux boisés et les milieux humides. En effet, il est maintenant reconnu que les écosystèmes forestiers, de par leur mécanisme de la photosynthèse, peuvent représenter des puits de carbone permettant de maintenir le bilan mondial de carbone et par conséquent réguler le climat (Ressources naturelles Canada, 2011a; Apps, 2003; Roulet et Freedman, 1999; Campagna, 1996). Tel que l’illustre la figure 4.2, une partie du CO2 est absorbée et stockée dans la biomasse

forestière via les troncs, les branches, les racines et les feuilles ainsi que dans les sols (Roulet et Freedman, 1999). Une autre partie du CO2 est emprisonnée dans la matière

organique morte c’est-à-dire la litière et le bois mort (Ressources naturelles Canada, 2011a). La capacité de stockage de carbone de ces écosystèmes dépend en grande partie des différents peuplements présents dans le couvert forestier ainsi que d’une panoplie d’autres facteurs, tels que le climat, leur âge, les courbes de croissance et de rendement, etc. (Ressources naturelles Canada, 2011b). À titre indicatif, une étude a démontré que l’épinette noire du Québec a la capacité de stocker environ 150 tonnes/ha dans sa biomasse alors que le bouleau gris du Maine (côte Est des États unis) en séquestre un peu plus de 40 tonnes/ha (Li et al., 2003 cité dans Ressources naturelles Canada, 2011 b). L’étude ne spécifie toutefois pas sur combien d’années ces peuplements ont stocké le carbone.

Figure 4.2 Stockage de carbone dans les écosystèmes forestiers (tirée de Roulet et Freedman, 1999, p.7)

Afin de quantifier la valeur économique de stockage de carbone des milieux naturels de la zone RF-8, il faut d’abord se référer aux données biophysiques du couvert forestier présent sur le site. De cette façon, il pourra être possible de déterminer la quantité de carbone stockée qui, telle que spécifiée, dépend notamment des types écologiques forestiers. L’étude de caractérisation de l’organisme RAPPEL répertorie les diverses essences forestières qui couvrent le secteur (RAPPEL, 2010). L’annexe 2 fait état de la description de ce couvert forestier. Cette étude de caractérisation ne permet pas d’établir le pourcentage exact du couvert forestier occupé par les peuplements de feuillus ni par les peuplements de conifères. Or, les données recensent une abondance de feuillus sur le territoire, notamment par une forte régénération en hêtres à grandes feuilles (RAPPEL, 2010). Les seuls secteurs où la pruche (conifère) domine se situent dans les parcelles FE21B, FE25B-Ouest et MJ15B-Sud (se référer à l’annexe 2). Malgré le fait que la pruche domine dans ces secteurs, les autres essences présentes dans ces mêmes parcelles sont des feuillus, tels que l’érable à sucre et le bouleau jaune (ib.). De plus, il faut rappeler que 12 % de la superficie du territoire est couverte par des milieux humides, ce qui correspond à 13,4 hectares sur les 108 de la zone (ib.). Il ne reste donc que 95 hectares de milieux boisés. À partir de ces prémisses, l’hypothèse suivante peut être émise : 75 % de la superficie des milieux boisés est occupée par des feuillus, tandis que les conifères s’étendent sur 25 % de cette superficie. C’est donc dire qu’environ 71 hectares sont couverts par des feuillus, et qu’environ 24 hectares sont garnis de résineux. Cette information sera importante pour estimer la quantité de carbone par hectare pouvant être stockée par les feuillus et par les résineux.

À la suite d’une revue de la littérature, des données globales sur le stockage des peuplements forestiers ont été recensées et peuvent être appliquées à la zone d’étude. En effet, une étude réalisée en 1993 fait état des flux et des réservoirs de carbone de trois différentes forêts naturelles matures situées dans l’est du Canada : une pinède de pin gris, une pessière noire et une érablière composée principalement d’érables à sucre et de quelques bouleaux jaunes (Morrison et al. 1993). Puisque la zone RF-8 constitue une forêt mixte, c’est-à-dire, composée de peuplements forestiers feuillus (érable à sucre, érable rouge, peupliers, hêtres, frênes, etc.), et de résineux ou conifères (pruche, sapin baumier, pin rouge et pin blanc, etc.) les données concernant l’érablière seront retenues pour la

au nombre d’hectares couvert par les résineux. Il est probable que ces données ne correspondent pas exactement à la capacité véritable du stockage de carbone de la zone RF- 8, notamment en raison de la diversité des espèces forestières, de la localisation des forêts ainsi que de leur âge qui diffère du secteur à l’étude. Cependant, bien que simplifiée, l’utilisation de ces données s’avère une bonne option dans le cas présent afin de refléter des valeurs plausibles de stockage de carbone pour ces différents peuplements forestiers. Il est maintenant possible de déterminer le potentiel de stockage de carbone des divers peuplements existants sur le terrain regroupés selon qu’ils soient feuillus ou résineux. L’étude de Morrison et al. (1993), reprise par Campagna (1996) du MRNF, établit que le stockage en carbone pour l’érablière équivaut à 348 200 kg/ha. Ce nombre englobe le carbone séquestré dans la biomasse vivante des arbres et celle au sol toutes sources confondues pour une période de 250 ans au Québec (ib.). Selon le raisonnement précédemment élaboré, les feuillus de la zone RF-8 auraient stocké 24 722 200 kg de carbone (348 200 kg * 71 hectares) ou encore 24 722 tonnes de carbone. Ce chiffre surestime cependant la capacité de stockage des feuillus de la zone RF-8 considérant que le montant est sur la base d’une forêt mature de 250 ans et qu’il est peu probable que la forêt de la zone soit aussi âgée puisqu’une exploitation forestière y était jadis opérée. Ce nombre doit donc être rapporté dans une proportion plus propre à la zone à l’étude. Si l’on considère la capacité de stockage dans le temps illustrée à la figure 4.2, on peut en conclure que le processus de stockage de carbone d’une forêt se fait principalement lors de la période de croissance de cette dernière. Arrivée à sa maturité, la forêt semble stabiliser son stockage de carbone pour une part importante de son cycle de vie. Ce raisonnement est également appuyé par le MRNF (2001) qui prétend qu’une forêt mature atteint un équilibre de croissance entre les arbres en pleine croissance et ceux qui ne poussent presque plus. Selon le portrait du secteur forestier de l’Estrie, préparé par le MRNF (1999), une forêt typique acquiert sa maturité vers l’âge de 70 ans à l’exception d’une forêt ayant des espèces feuillues dites tolérantes, telles que les érablières (ib.) qui arrivent à maturité à 90 ans. Ainsi, la conclusion que l’âge de la maturité d’une érablière, telle que présente sur la zone RF-8, est de 90 ans peut être tirée.

Devant ce raisonnement simplifié de la maturité de la forêt, l’exercice de quantification peut être poursuivi si l’on prétend qu’à partir de 90 ans, la forêt de feuillus possède un bilan annuel de stockage du carbone quasi nul. De cette façon, il est possible d’affirmer que les 24 722 tonnes de carbone de l’étude de Morrison et al. (1993) seront majoritairement stockées dans les 90 premières années de vie de la forêt. Pour connaître le stockage annuel de la forêt, l’approche retenue est de diviser ce nombre de tonnes par 90, considérant que durant les 160 autres années, le bilan annuel de stockage de carbone peut être estimé comme nul. Par conséquent, la forêt accumulerait en moyenne environ 275 tonnes annuellement. À partir de cette information, il est pertinent de déterminer l’âge de la forêt de la zone RF-8. Puisqu’aucune donnée n’était disponible pour déterminer l’âge de cette forêt, cet essai se base sur le fait que le MRNF établit qu’une forêt âgée de moins de 50 ans ne peut pas faire l’objet d’une exploitation. Ainsi, la forêt de la zone RF-8 est âgée au minimum de 50 ans puisque jusqu’en 2010 elle a été exploitée partiellement par la Compagnie des Frères Greif, une entreprise d’exploitation forestière (Lemay, 2011). Le fait que 40 % de la superficie forestière totale de l’Estrie soit répertoriée comme étant couverte de forêts âgées de 50 ans vient appuyer la validité de cette hypothèse (MRNF, 1999). Partant de ces suppositions, si l’on retient l’âge de 50 ans pour la forêt de la zone RF-8, le nombre de tonnes de carbone séquestrées par les peuplements de feuillus s’élève donc à 13 750 (275 tonnes/an * 50 ans).

En ce qui concerne les résineux, le stockage en carbone pour la pinède de pin gris est égal à 161 000 kg/ha accumulé au cours de 62 années (ib.) ou encore 161 tonnes. Prenant ce chiffre, les conifères de la zone RF-8 pourraient donc stocké l’équivalent de 3 864 tonnes de carbone (161 tonnes * 24 hectares) accumulées depuis 62 ans. En utilisant les données contenues dans le rapport du MRNF (1999), la règle générale de l’âge de la maturité d’une forêt est de 70 ans. Ainsi, le nombre de tonnes stocké annuellement équivaudrait à environ 62 tonnes (3 864 tonnes/62 ans). En prenant le même postulat concernant la forêt de la zone RF-8 qui serait âgée de 50 ans, les conifères de la zone RF-8 stockeraient donc 3 100 tonnes de carbone (62 tonnes/an * 50 ans). En tout, le couvert forestier de la zone RF-8 aurait accumulé 16 850 tonnes de carbone (13 750 tonnes + 3 100 tonnes), tous peuplements confondus sur un horizon de 50 ans.

Une façon plus rigoureuse de calculer la valeur du carbone stockée par le couvert forestier de la zone RF-8 aurait probablement été de multiplier la quantité de tonnes que chaque espèce forestière peut stocker par hectare par an dans sa biomasse par le nombre d’hectares que cette espèce occupe dans le périmètre à l’étude et son âge moyen. À la suite d’une revue de la littérature, il n’existait, au moment de cette étude, que peu de données sur la quantité précise de carbone total que chaque essence d’arbres peut séquestrer. Une autre alternative aurait été d’estimer le captage de carbone des différents systèmes forestiers par l’entremise d’une formule mathématique développée par l’Université du Québec à Chicoutimi en collaboration avec le MRNF pour calculer le potentiel de stockage de CO2

par hectare de plantation (Hernandez et al., 2008). Cette formule est la suivante :

Les informations contenues dans la caractérisation de la zone RF-8 concernant la biomasse totale des différents peuplements forestiers ainsi que sur le carbone contenu au sol ne sont pas suffisamment précises et ne permettent donc pas d’y appliquer la formule. Par ailleurs, une formule simplifiée développée par Campagna (2009) aurait pu être appliquée, mais elle ne permet que de calculer la quantité de carbone séquestrée dans le volume marchand du bois, c’est-à-dire le tronc. Ainsi la potentialité de carbone séquestrée dans les branches, les racines, les souches et dans le sol n’aurait pas pu être calculée alors que les arbres emmagasinent principalement leur carbone dans ces dernières composantes (ib.). En effet, selon cette formule, les peuplements forestiers de la zone RF-8 auraient stocké seulement 3 897 tonnes de carbone au total comparativement à 16 850 tonnes (calcul selon Campagna (2009) et MRNF (1999)). En revanche, les indicateurs globaux de stockage du carbone utilisés dans la présente démarche prennent en considération le potentiel de stockage de toutes les composantes, ce qui a permis de mettre en lumière le nombre de tonnes probables séquestré par les peuplements forestiers de façon un peu plus complète, c’est-à-dire 16 850 tonnes réparties dans toutes les composantes de l’arbre et dans le sol. Néanmoins, le résultat

obtenu en appliquant la formule simplifiée valide la probabilité de la valeur rapportée pour le stockage de carbone des peuplements forestiers de la zone RF-8.

À l’instar des écosystèmes forestiers, les milieux humides représentent également de bons réservoirs de carbone (Wilson, 2008; Anielski et Wilson, 2005). L’indicateur global utilisé pour déterminer le nombre de tonnes de carbone stocké par les milieux humides de la zone RF-8 est celui déterminé par la banque de données canadiennes sur le stockage de carbone organique dans les sols et repris pour l’évaluation des services écosystémiques de la ceinture verte entourant Toronto (Wilson, 2008). Selon celle-ci, le stockage moyen des milieux humides est de l’ordre de 0, 25 tonnes/ha/an (ib.). Ainsi, les milieux humides du secteur RF-8 auraient la capacité de stocker environ trois tonnes de carbone (0, 25 tonnes * 13 hectares) annuellement. En prenant le même horizon temporel que pour la forêt, soit 50 ans, les milieux humides auraient donc stocké l’équivalent de 150 tonnes de carbone (3 tonnes * 50 ans).

Selon ce raisonnement, environ 17 000 tonnes de carbone auraient été accumulées dans les milieux naturels de la zone RF-8 (13 750 tonnes par les feuillus + 3 100 tonnes par les résineux + 150 tonnes par les milieux humides) sur une période de 50 ans. La quantification de cette valeur en des termes monétaires peut se faire par l’entremise du coût social du carbone. Le coût social du carbone réfère au coût des dommages occasionnés par les effets engendrés par une unité supplémentaire d’émission de gaz à effet de serre dans un contexte de changements climatiques (Stern, 2007). Une récente étude sur l’évaluation de la valeur du capital naturel au Canada a estimé le coût social du carbone à 38 $ la tonne de carbone en dollars de 2005 (Anielski et Wilson, 2007). Cette évaluation du coût social de carbone se base sur le rapport Stern ainsi que sur le Conseil du Trésor du Royaume-Uni (ib.). De plus, cette valeur est à l’échelle mondiale, puisque les impacts des changements climatiques se font ressentir partout à travers le monde, peu importe le pays d’origine d’où provient la source d’émissions de gaz à effet de serre. L’organisme à but non lucratif Planetair, qui œuvre spécifiquement dans le domaine des changements climatiques, prévoit le montant de 37,50 $ canadiens par tonne de carbone pour ses crédits de compensation (Planetair, 2007). Cette information vient confirmer la crédibilité de ce montant pour l’évaluation monétaire

(2009) pour la valeur de stockage de carbone par les milieux humides n’a pas été retenu à des fins d’uniformisation et de simplification pour calculer la valeur monétaire de ce service à la zone RF-8. Toutefois, même en transposant le 14 $/ha/an aux milieux humides du secteur à l’étude, la valeur se rapproche près du coût de la tonne de carbone de 38 $. En effet, en appliquant le 14 $ pour les 13 hectares de milieux humides, la valeur serait égale à 187 $ en dollars de 2008 (13 hectares * 14 $) pour l’équivalent de 190 $ en dollars de 2010 alors qu’en appliquant le 38 $ la tonne de carbone à ce que les milieux humides de la zone peuvent stocker annuellement, la valeur serait de 114 $ en dollars de 2005 (3 tonnes * 38 $) pour 122 $ en dollars de 2010. Ainsi ces deux valeurs se rapprochent sensiblement.

Afin d’uniformiser le calcul du service de stockage de carbone, le coût de 38 $ la tonne de carbone a été appliqué à la zone observée. Selon ce coût, la valeur monétaire du stockage de carbone des milieux naturels de la zone RF-8 depuis les 50 dernières années s’élève à 646 000 $ en dollars canadiens de 2005 (17 000 tonnes de carbone * 38 $). Cette valeur équivaut à 693 740 $ en dollars de 2010.

Ainsi la valeur estimée de 693 740 $ en dollars canadiens de 2010 dans ce travail pour le stockage de carbone de la zone RF-8 depuis les 50 dernières années apparaît comme étant une valeur plausible pour l’année 2010 compte tenu des contraintes de temps et d’informations.

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