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Les vacances d’été, ainsi que l’année obligatoire intercalée entre le lycée et l’université, donnent l’occasion à de nombreux étudiants yéménites de séjourner pour quelques mois ou

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Présentation des enseignements dispensés à Dammâj sur le site internet officiel de Muqbil al-Wâdi‘î : www.muqbel.net/old/dammaj/index.htm (accédé le 9 janvier 2006).

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quelques semaines dans le réseau d’instituts qui s’est constitué dans le pays. Progressivement,

le salafisme en vient alors à concurrencer dans certaines régions les pratiques religieuses

traditionnelles et émerge en tant qu’identité alternative qui séduit notamment les nouvelles

générations. Dans un petit ouvrage polémique intitulé Ña‘da limâdhâ ? [Ña‘da pourquoi ?] et

publié sous pseudonyme, un responsable du parti zaydite traditionaliste al-¼aqq, ex-Frère

musulman, s’interroge en 1991 sur les raisons de cette « offensive des wahhabites » menée

par le centre Dâr al-½adîth dans une région considérée d’ordinaire comme un bastion zaydite

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.

Il raconte ainsi les pressions auxquelles son groupe religieux est confronté et combien le

développement du salafisme est lié à un certain impérialisme saoudien. Quinze ans plus tard,

prenant acte du succès de l’émergence de ce qu’il conçoit comme une identité étrangère et

importée, ce même auteur (aujourd’hui affilié au parti socialiste) affirme désabusé : « Le

zaydisme n’existe plus, il ne reste dans notre pays que le wahhabisme

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! »

Né à la fin des années 1920 (ou au début des années 1930, lui-même ne le sait pas) dans

la région de Ña‘da au nord du Yémen, Muqbil Bin Hâdî al-Wâdi‘î est issu d’une tribu zaydite,

al-Wâdi‘a, appartenant à la vaste et lâche confédération Bakîl, présente des environs de Sanaa

jusqu’à la frontière saoudienne. Ainsi appartitent-il à la catégorie des qabâ’il (hommes de

tribu), la plus nombreuse dans le système rigide de stratification sociale des hautes terres du

Yémen. Celle-ci, qui fournit alors son armée au régime de l’imâm zaydite, est soumise à

l’élite religieuse des sâda (descendants du Prophète, singulier sayyid) et à celle des qu´â

(juges, singulier ´î), détenteurs du pouvoir et garants du savoir. Dans une société encore

marquée par les structures traditionnelles et les groupes de statut, la position de subordination

de Muqbil al-Wâdi‘î dans la hiérarchie sociale lui empêche en théorie d’accéder à la

connaissance religieuse. De cette infériorité, il gardera tout au long de sa vie une certaine

rancœur et un sentiment d’injustice.

Une fois ses études primaires complétées, Muqbil se rend au début des années 1950

dans l’Arabie Saoudite voisine où il trouve un emploi de gardien d’immeuble à La Mecque. Il

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Mu½ammad AL-ÑA‘ÎDÎ, Ña‘da limâdhâ ? [Ña‘da pourquoi ?], Beyrouth : Dâr al-ba×â’ir, SDE, 19 p.

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y reste environ cinq ans. Selon son autobiographie, c’est en lisant de nombreux ouvrages

religieux prêtés ou offerts par des Saoudiens qu’il découvre les erreurs théologiques de son

appartenance primaire zaydite. Après son retour à Ña‘da, il tente d’étudier dans la grande

mosquée al-Hâdî, haut lieu du zaydisme, mais s’y trouve dans une situation malaisée :

stigmatisé par les oulémas en raison de son origine tribale, il se sent également méprisé par

l’aristocratie des sâda. Il persiste toutefois dans son apprentissage théologique et continue à se

détourner de la doctrine zaydite.

Au moment de la révolution de 1962, Muqbil al-Wâdi‘î fuit la guerre civile et se réfugie

de nouveau en Arabie Saoudite. Il reste d’abord deux ans à Najrân non loin de la frontière

yéménite, passe ensuite quelques mois à Riyad dans l’institut de Mu½ammad Bin Sinân

al-¼adâ’î, un Yéménite qui parvient à l’envoyer à La Mecque où il reste six années. Dans la

première ville sainte de l’islam, il côtoie certains religieux yéménites, il est rejoint par sa

famille et occupe différents petits emplois. Ce séjour mecquois structure durablement son

rapport aux Frères musulmans : un temps proche d’eux, il s’en démarque rapidement en

affirmant finalement que « leur prédication est mondaine (duniyawiyya)

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», c’est-à-dire mue

par des intérêts matériels. Jouant comme souvent avec les mots et les sonorités, il n’aura

ensuite de cesse de les surnommer les « Frères ruinés » (al-Ikhwân al-muflisîn) au lieu

d’Ikhwân al-muslimîn. Sans être par nature hostile à la pensée formulée par ¼asan al-Bannâ,

qui le séduit, il considère que l’institutionnalisation des Frères a trahit leur projet initial en les

amenant à se focaliser sur des questions politiques secondaires. De fait, ce groupe est alors

progressivement érigé en principal repoussoir idéologique du salafisme muqbilien

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. Le

religieux yéménite affirme dans sa biographie que l’implantation croissante des Frères

musulmans dans l’institut qu’il fréquente à La Mecque le pousse une nouvelle fois à

déménager. Il entame alors des études à la prestigieuse Université islamique de Médine où il

obtient en 1976 un magistère en sciences du ½adîth, assiste pendant son séjour aux

enseignements et prêches occasionnels de Mu½ammad Nâ×ir al-Dîn al-Albânî

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et de ‘Abd

1

Muqbil AL-WÂDI‘Î, Al-makhraj min al-fitna [La sortie de la dissension], op. cit., p. 131.

2

Voir notamment ‘Abd Allâh AL-SAYÂNÎ, Al-Ikhwân al-muslimûn wa al-salafiyûn fî al-Yaman [Les Frères musulmans et les salafis au Yémen], Sanaa: Markaz al-râ’id, 2002, 144 p.

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Mu½ammad Nâ×ir al-Dîn al-Albânî, mort en octobre 1999 est une des grandes figures du salafisme international. D’origine albanaise, il est élevé en Syrie puis s’installe brièvement en Arabie Saoudite. Proche du

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‘Azîz Bin Bâz. Il fait en outre la connaissance de Rabî‘ Bin Hâdî al-Madkhalî, un ancien

Frère musulman, duquel il restera proche tout au long de sa vie. Selon certaines sources, il

part alors s’inscrire en doctorat en Égypte mais, pour des raisons obscures, retourne

rapidement en Arabie Saoudite

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, vraisemblablement expulsé par le gouvernement. Au cours

de cette nouvelle période saoudienne, l’intensité et la violence verbale des débats théologiques

valent à Muqbil d’être emprisonné une première fois pendant un mois et demi en 1978. Peu

de temps avant le soulèvement de La Mecque de novembre 1979, il est arrêté une nouvelle

fois par les autorités saoudiennes, emprisonné trois mois puis expulsé brutalement et

définitivement du territoire : « aussi vite qu’un oiseau si bien que nous n’avons même pas eu

le temps de relever la tête », comme il le dira plus tard

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. Il est alors accusé d’être l’un des

mentors de Juhaymân al-‘Utaybî et des Ikhwân, ce groupe qui publie des pamphlets critiquant

la monarchie et qui prendra quelques mois plus tard la tête des insurgés dans la mosquée de

La Mecque

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.

À son retour au Yémen, Muqbil entreprend de transmettre son savoir, trouve des