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PARTIE III. Evolution des usages

II. Usage traditionnel

Dans son usage traditionnel, l’Ayahuasca est utilisée dans les coutumes chamaniques et dans les pratiques au sein de certains mouvements religieux. Dans les deux cas, les esprits sont convoités, l’un appelle les esprits de la forêt quand l’autre s’en réfère aux esprits saints. Cependant, l’usage chamanique demande deux étapes de préparation avant la consommation, il s’agit de la purge et de la diète.

II.1. Le rituel chamanique

II.1.A. La purge

La purge, ou la purga comme on l’appelle localement, est une étape importante avant d’ingurgiter la potion. Elle a pour but de préparer le corps et l’esprit, en éliminant toutes les mauvaises substances du corps telles que les toxines et les émotions négatives. Cette purification implique l’usage de différentes plantes purgatives choisies par les chamans. La plante la plus utilisée est Aristolochia didyma, aussi nommée yawar panga (Figure 29). La sève et les feuilles sont utilisées pour faire un breuvage provoquant des vomissements, des défécations et des sueurs sur plusieurs heures. De plus, il faut boire 3 à 4 litres d’eau ce qui permet aussi d’éliminer des substances par les urines.

Elle serait la plante la plus purgative, et, selon les discours locaux, sa consommation permet un pouvoir de purification à la fois physique, mentale et émotionnelle. (2) (115) (116) (117)

Une autre plante pouvant être utilisée est Tagetes erecta (Figure 30) aussi connue sous le nom de Rosa sisa ou Ayasisa en Amérique du sud, et, en France, sous le nom de Rose d’Inde. Son usage est assez peu répertorié. (115) (118)

Lorsque cette étape est terminée, la diète peut alors commencer.

II.1.B. La diète

En théorie cette seconde étape doit se dérouler sur sept jours minimum, et peut s’étendre jusqu’à un mois. Cette semaine de diète a lieu dans la forêt où chaque personne est isolée dans une cabane comprenant le nécessaire pour se reposer (lit ou hamac). Au cours de cet isolement, quelques restrictions sont imposées. En effet, les sujets subissent un régime alimentaire très strict. Certaines denrées et boissons sont interdites telles que le porc, le poulet, les graisses, le sel, le sucre, les épices et l’alcool. La nourriture autorisée se compose de poissons fumés, de certains animaux de la jungle comme des serpents et une ou deux variétés de singes, des insectes, du riz et du manioc. (2)

En plus des restrictions alimentaires, l’abstinence sexuelle est exigée, ainsi que les contacts avec des femmes, notamment celles qui sont en âge de procréer. Selon les légendes, une violation de ces interdictions causerait la maladie voire la mort. (11) Dans le cadre de séances chamaniques organisées, il est préconisé d’appliquer ces restrictions quelques semaines avant le départ. En effet, étant donné que de nombreux séminaires se déroulent sur une semaine, cela permet de raccourcir l’étape de diète à un ou deux jours pour accéder plus rapidement à la consommation de l’Ayahuasca.

Ainsi, la faim, la solitude et l’environnement sauvage tendent à favoriser un état de conscience permettant un contact avec la nature. C’est comme une régression transitoire de l’homme à l’état naturel. Cet état est favorable à la consommation du breuvage afin d’être à même de recevoir les messages qui seront transmis par l’ayahuasca. (116)

Figure 29 : Aristolochia

didyma (d’après Sasaki)

Figure 30 : Tagetes erecta (d’après (118))

II.1.C. La cérémonie rituelle

Chaque participant est appelé à rejoindre une grande maison en bois, appelée maloca, où va se dérouler la séance chamanique. Ces sessions se passent normalement le soir dans l’obscurité totale. De plus, quelques règles sont imposées pour ces séances. En effet, il est demandé de prévoir des vêtements légers de couleur clair, et de ne pas se parfumer ou utiliser des répulsifs anti-insectes dont les odeurs pourraient perturber le rituel. (119)

Pour commencer, les individus sont installés en cercle, ayant tous à proximité un seau pour les vomissements, et défécations éventuelles, ainsi que le nécessaire pour rester dormir.

Un à un, ils vont recevoir une dose du breuvage apportée par le chaman, qui va également souffler quelques bouffées de fumée de tabac sur le corps de la personne. Dès que chaque participant a reçu le breuvage, le chaman boit également un verre de potion et commence à chanter les icaros, des chants divinatoires, afin d’accentuer l’état de transe. Chaque participant va ainsi vivre sa propre expérience sous le regard du chaman, qui sous l’effet de l’Ayahuasca voit dans le noir… Généralement il est secondé par des novices qui sont là pour apprendre et intervenir auprès des clients si la séance leur devient trop insupportable. Lorsque l’état visionnaire est passé, les participants sont invités à rester dormir sur place afin de rester sous la surveillance du chaman.

Le lendemain, une séance d’écoute et de partage d’expérience est organisée. Elle permet à chaque personne de s’exprimer sur l’expérience vécue. Selon l’organisation de l’établissement, le chaman peut être accompagné de psychologues afin d’interpréter les visions perçues sous l’emprise du breuvage. (116) (119)

Les sessions d’Ayahuasca doivent normalement se dérouler selon ces trois étapes. Mais, en fonction du contexte, il est possible que certaines étapes soient omises, raccourcies ou prolongées.

II.2. Usage chamanique de l’Ayahuasca

Dans le cadre chamanique, l’usage du breuvage doit être, selon les coutumes, sous le contrôle d’une personne expérimentée nommée communément chaman ou ayahuasqueros dans le dialecte local. Le chaman est désigné comme une personne

censée communiquer avec le monde des esprits par le biais de techniques telles que la transe, l’extase ou le voyage initiatique. (120) Dans les tribus indiennes d’Amazonie, l’Ayahuasca est très souvent utilisé comme moyen pour parvenir à ces états d’altération de la conscience. Ces pratiques sont employées au quotidien pour la formation des chamans, pour guérir ou pour certaines occasions importantes. (2)

II.2.A. Formation des chamans

L’apprentissage de ces guérisseurs nécessite de respecter les règles strictes de la diète. En effet, ces futurs pratiquants de la médecine traditionnelle doivent être prêts physiquement et mentalement pour entendre et comprendre les messages transmis par la « Mère Ayahuasca ».

La diète leur permet de vivre en harmonie avec la forêt amazonienne et ses habitants (animaux et esprits). L’apprentissage inclut d’autres notions importantes telles que l’instruction sur les plantes aux vertus médicinales, qu’ils appellent les plantes maîtresses, et l’enseignement des icaros. Ces derniers ont différents objectifs : appeler les âmes, les esprits, et, permettre à l’Ayahuasca d’agir ou d’aider dans le processus de guérison de certaines maladies.

La durée de formation dépend du respect des règles et de la vitesse d’intégration de toutes les notions abordées. Suite à cette période, le futur chaman est prêt à consommer le breuvage. Vingt-cinq à trente ans de pratique seront tout de même nécessaires pour atteindre une vraie maitrise de l’Ayahuasca. Ainsi il sera capable de juger les bonnes conditions d’administration de la potion et, sera capable d’échanger avec les esprits pour permettre la guérison ou encore répondre à des questions précises lors d’importantes occasions. (115)

II.2.B. Usage de l’Ayahuasca dans un but thérapeutique

Les demandes de guérison concernent des maladies d’ordre psychique et physique. Le plus souvent, l’usage de l’Ayahuasca se fait alors collectivement par le biais du rituel classique comme décrit précédemment. Mais, dans certains cas, pour des maux récalcitrants, les sessions peuvent être individuelles avec le chaman. (116)

La communication avec les esprits permet de comprendre l’origine des maux. Dans les populations locales, les différents évènements négatifs sont associés à l’action de

mauvais sorts jetés par des ennemis ou des personnes malveillantes. Ainsi, le recours aux ayahuasqueros permet non seulement de guérir mais aussi de trouver qui est à l’origine de l’incident. (2) (11) Dans ces cas-là, les étapes préalables au rituel ne peuvent pas être mises en place, de ce fait le guérisseur est le seul à consommer le breuvage afin de guérir et de protéger son patient.

Ces populations locales font aussi appel à l’usage de la boisson sacrée pour d’autres évènements.

II.2.C. Utilisation de l’Ayahuasca dans d’autres circonstances

Les chamans peuvent être parfois demandés pour d’autres requêtes telles que la recherche de personnes ou objets égarés, ou le choix du partenaire idéal pour le mariage. (47)

L’usage de B. caapi est convoité afin de répondre aux questions du quotidien et orienter vers les meilleurs choix dans la vie. Lorsque l’Ayahuasca n’est pas utilisé dans ce contexte chamanique, l’autre pratique traditionnelle s’effectue dans le cadre religieux via les religions dites ayahuasqueras.

II.3. Usage religieux de l’Ayahuasca

Comme énoncé précédemment, l’Ayahuasca est utilisé dans trois mouvements religieux : Santo Daime, União do Vegetal et Barquinha. Dans ce cadre spirituel, la consommation de la boisson permet de communiquer avec les esprits saints et le Christ, qui guident alors les pratiquants sur leur conduite de vie à tenir. A l’instar de l’hostie dans la religion catholique, ils utilisent cette boisson au cours de leurs cultes réguliers, ainsi que pour des cérémonies spécifiques telles que les baptêmes et les mariages. (12) Cependant, ces pratiques culturelles ne sont pas perçues comme saintes par certaines organisations qui mettent en garde sur les risques de dérives. (121) Ces usages à des fins malhonnêtes pourraient être considérés comme les pratiques de consommation modernes de cette boisson hallucinogène.

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