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CHAPITRE 6 – DISCUSSION

6.1 L ES CONDITIONS D ’ ÉMERGENCE DE LA RECONNAISSANCE

6.1.5 Une reconnaissance plus importante au Québec qu’en France

Toutes les sections relatives à l’expérience de reconnaissance des travailleurs sociaux ont livré des extraits faisant état que les personnes participantes se sont senties davantage reconnues au Québec qu’en France, que ce soit par la valeur plus importante accordée au DEASS, le fait que la profession est régulée au Québec, la facilité d’obtenir un emploi, des rapports professionnels jugés plus cordiaux, la possibilité de contribuer à l’avancement des pratiques, l’impression que l’éducation en travail social serait plus poussée au Québec, que la pratique québécoise « va plus loin » et est renouvelée par la recherche scientifique, etc. Il n’existe cependant pas de recherche scientifique qui compare en détail la profession au Québec et en France. Toutefois, des liens avec la littérature peuvent être réalisés avec certains aspects soulevés.

Les tensions observées par certaines personnes dans les milieux de travail en France sont en accord avec l’article de Melchior (2011). Tout comme nos données, cet auteur rapporte les difficultés des travailleurs sociaux à contribuer à des changements institutionnels dans leur milieu de travail en France. Le cadre institutionnel dans lequel les travailleurs sociaux opèrent en France ne laisserait que peu de marge de manœuvre à ces derniers et les restreindrait dans leurs initiatives (Melchior, 2011). Ainsi, on peut en déduire que ce cadre restrictif remet en

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question la reconnaissance sociale des travailleurs sociaux, car leurs capacités à contribuer à des changements institutionnels semblent être remises en question ou du moins ne semblent pas être prises en considération au sein de leur milieu de travail. Ainsi, plusieurs personnes participantes ont pu mettre à profit des compétences qu’ils détenaient dans le cadre de leur pratique québécoise, ce qu’ils ne pouvaient pas faire en France. Ce constat se distingue des résultats de Fouché et al. (2013) et d’Ethier et Pullen Sansfaçon (sous presse), qui racontent plutôt l’expérience de travailleurs sociaux migrants n’ayant pas pu mettre à profit toutes leurs compétences dans le cadre de leur nouvelle pratique.

Dans un autre ordre d’idée, il est pertinent de se demander si ce n’est pas le fait que la profession soit régulée et que le titre de TS soit réservé au Québec qui entraine une reconnaissance plus importante dans la belle Province versus en France. En effet, Weiss-Gall et Welbourne (2008) considèrent que dans les pays où le travail social est peu ou pas régulé, la reconnaissance sociale du travail social est faible. La profession d’assistant de service social en France, qui est le titre équivalent à celui de travailleur social québécois, est réglementée différemment qu’au Québec. Les emplois «d’assistant de service social » en France sont réservés aux détenteurs du DEASS, il y a donc une certaine forme de contrôle de qui peut pratiquer le service social en France. Par ailleurs, l’ANAS (Association nationale des assistants de service social) a aussi mis en place un code de déontologie que les assistants de service social doivent respecter. Mais cette association n’a pas du tout le même rôle de «contrôle» de la profession, au même titre que l’OTSTCFQ au Québec (ANAS, 2016). Or, plusieurs auteurs considèrent que la pratique du travail social est influencée par le niveau de régulation et de reconnaissance sociale de la profession (Crisp, 2015; Fouché et al., 2013; Weiss-Gall et Welbourne, 2008). Plus particulièrement, Fouché et al. (2013) postulent que les rôles et les responsabilités des travailleurs sociaux diffèrent selon le niveau de régulation de la profession. Il est donc possible que la régulation ait eu une influence sur les différences qui ont été observées par les personnes participantes au niveau de leur rôle et de la pratique en général.

Les données ont aussi révélé que plusieurs personnes participantes croyaient que la pratique et la formation en travail social étaient plus « avancées » au Québec, ou du moins

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différaient entre le Québec et la France. Pour justifier ce point, des personnes ont parlé des nombreuses influences que les recherches scientifiques ont sur la pratique québécoise, ce qui serait moins le cas en France. Les travaux de Rullac (2014) viennent appuyer ces explications. En effet, en premier lieu, cet auteur révèle que le travail social n’est pas reconnu comme une discipline universitaire et que la « scientificité » du travail social est remise en question en France (ce qui n’est pas le cas au Québec). Conséquemment, il l’affirme que la recherche en travail social est peu reconnue et peu valorisée en France que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la profession. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que des personnes participantes aient rapporté que leurs écoles de travail social faisaient souvent appel aux recherches québécoises dans le cadre de leur formation. Rullac (2014) nous apprend que traditionnellement, la formation en travail social en France est ancrée dans les savoirs pratiques, plutôt que dans les savoirs académiques, ces derniers étant associés aux formations universitaires. Parce que le travail social n’est pas considéré comme une discipline, celui-ci n’a pas sa place et n’est pas enseigné à l’université, mais dans des écoles de travail social (Rullac, 2014). Ces éléments témoignent d’une différence fondamentale entre la reconnaissance du travail social dans les sociétés québécoises et françaises. En effet, au Québec, le travail social est considéré comme une discipline, est enseigné à l’université et produit des recherches scientifiques, qu’elles soient imprégnées dans les savoirs pratiques ou académiques. Ainsi, la reconnaissance sociale, mais aussi juridique de la profession et de la discipline ne semble pas être la même dans les deux sociétés. En effet, le travail social en France semble avoir moins de possibilités de contribuer à la société d’un point de vue scientifique qu’au Québec, et ce entre autre parce qu’il n’est pas reconnu et n’a pas accès au « statut » de discipline universitaire, contrairement au Québec. La profession et la discipline semblent ainsi être exclues de la sphère universitaire, représentant une sorte de déni juridique du travail social et par le fait même des travailleurs sociaux. Cette exclusion de droits peut influencer l’image que la société a du travail social et la valeur sociale qui est accordée aux travailleurs sociaux dans la société française (Honneth, 2008, Tabboni, 2011).

Finalement, ces différents paramètres nous poussent à croire que le travail social ne jouit pas de la même reconnaissance au Québec et en France. La majorité des personnes participantes considéraient que le travail social était mieux reconnu au Québec que dans leur

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pays d’origine. Ainsi, il est pertinent de se questionner si en immigrant au Québec, les assistants de service social français ne sont pas venus pour trouver une reconnaissance juridique, affective et sociale qui leur faisait défaut dans leur milieu de travail en France.

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