• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 PROBLÉMATISATION

1.6 L ES PERTINENCES

1.6.1 Une question personnelle

Nous commençons toujours notre vie sur un crépuscule admirable. Tout ce qui nous aidera, plus tard, à nous dégager de nos déconvenues

s’assemble autour de nos premiers pas.

René Char Si ma lettre de motivation parle de faire retrouver un potentiel créateur à des personnes en maladie auto-immune, il est bien évident que je vais parler de ma propre expérience. Un corps en perpétuelle mutation, soumis aux changements perpétuels de la maladie, des traitements ou autres, ne peut que se chercher. J’ai passé du temps à chercher mon corps, je l’ai trouvé, l’ai reperdu, puis retrouvé, dans un éternel combat diplomatique, trouvant ou perdant sa propre écoute. Et si un élément est fondamental dans notre identité, c’est bien le corps, l’esprit tend à avoir du mal à composer avec toutes ces mutations perpétuelles. Alors où est-on? Corps nomade, esprit nomade, trouvons le cœur. Et inscrivons-nous dans une recherche, une quête de soi, une autocréation.

Ce programme de maîtrise en étude des pratiques psychosociales s’inscrit dans les sciences humaines, dans une recherche à la première personne. La subjectivité étant reconnue comme « valable » sur le plan scientifique fut une véritable révélation et d’une grande pertinence, pour moi comme pour une inscription pour les autres et dans le monde.

C’est donc pour moi une recherche cré-action, une autocréation. Non plus se trouver, mais se créer.

Identité floue, corps invisible, assimilée au lieu d’être intégrée, j'ai plusieurs fois eu ce sentiment de transparence. Parfois même de miroir, renvoyant à l’autre ce qu’il voulait voir, ou du moins ce que j'en pensais. Créer ma vie, ma place, mon espace. Me chercher, me créer et avoir le courage de m’accepter. Opérer une véritable alchimie de soi. Une autocréation. Comprendre comment elle peut s’opérer de manière personnelle, propre à mon expérience et à mon vécu. Puis, dans une opération cyclique, identifier de nouveau en quoi cela peut être pertinent pour les autres et le monde. Explorer les modes d’appropriation de son identité. Comprendre et savoir l'adapter.

Ce que je cherche, c’est à incarner ma vie grâce à la création artistique et littéraire, et de partir à la recherche de l’enfant perdue, mon petit cœur de guerrière.

Me retrouver enfant est un véritable défi. La première remarque est toujours que je ne me ressemble pas. Physiquement, j’ai beaucoup changé. Sur les quelques photos que je possède, j’arbore un regard profond, bien (trop?) sérieux sur le monde. Dans ce regard insondable, je cherche quelles étaient déjà les peurs qui commençaient à me forger. Les identifier, les reconnaître, en sachant que je dois maintenant prendre soin de cette enfant qui vit toujours en moi. J’observe cette petite fille sérieuse comme une parfaite inconnue, dont je ne sais pas comment prendre soin. Mais je sais à quel point les peurs qui la dévoraient étaient fortes, puisque je continue à les porter aujourd’hui.

Ces peurs d’enfants qui m'amènent à la confrontation, à la défense et souvent à l’attaque m’ont souvent porté préjudice. Isolement, sentiment d’incompréhension et d’abandon, coupure de liens, confrontation avec mes proches. Tout ceci m’isole et m’entraîne dans un espace de souffrance dont j’ai beaucoup de mal à m’extraire. Ces mécanismes sont bien entendus issus de blessures lointaines, mais ils continuent, malgré une compréhension de leur origine, à interférer dans ma vie. La compréhension simple de ces événements ne semble pas porter ses fruits. Et ces peurs même n’ont jamais

véritablement été verbalisées. Et malgré mon envie d’avancer dans le futur sans me tourner vers le passé, il me semble encore bloquer. J’aimerais pouvoir mettre en place ce que Christine Delory-Momberger appelle « une maïeutique du passé par l’avenir » : « l’impulsion du projet de soi permet de faire advenir la fable d’une histoire qui dessine un avenir possible et se concrétise en projets singuliers » (Delory-Momberger, 2003, p. 39-40). Voilà quelle serait ma pertinence, celle de pouvoir créer des racines transplantables qui me mèneront vers de nouveaux projets. En ayant confiance.

Retrouver mon enfant intérieur par la création artistique et littéraire me permettra de pouvoir enfin me libérer du poids de mon histoire en lui donnant le droit d’exister et le droit à la parole. Ou plutôt en allant chercher ce qu’elle a vraiment besoin. Car dès que je lève mon bouclier et que je résiste à quelque chose, c’est elle qui parle et qui s’enferme. Et cette enfant est bien plus forte que moi maintenant. Alors je dois la retrouver. Car si moi je ne sais pas où est ma place, où aller, comment avancer sans avoir peur, elle, elle doit connaître ses besoins. Moi je ne les connais plus et j’ai du mal à y avoir accès. Voilà pourquoi je travaille en création, car cela ouvre une porte de mon esprit qui ne fait plus appel à la mémoire ou à l’intelligence pure.

Par ce délaissement volontaire de ma raison pure, j’aspire à accéder à des parts de moi qui feront une cohérence et trouveront une approbation dans mon esprit, dans mon corps et dans mon cœur. Sans ces trois éléments réunis, à mon sens je ne peux prétendre être incarnée et porter tout ce qui me compose de manière harmonieuse et rassemblée, pacifiée. Il s’agit donc de déposer les armes pour se rapatrier et être le changement que nous voulons voir pour nous et en ce monde. Cette phrase proche de la citation de Gandhi peut résumer assez bien la vision de mon engagement, car mon but serait ensuite de pouvoir transmettre cet enseignement aux autres dans un cadre et un but éducatif. Mais inculquer un savoir permettant de restaurer son estime personnelle, sociale et profession- nelle sans même en avoir fait l’expérience me semble absurde. C’est bien en cela que je veux être moi-même expérience. Dans ma recherche, des questions apparaissent, qui vont très certainement se construire plus avant. Quel cadre exactement pour pousser plus loin ma

recherche? Quels résultats vais-je obtenir? Et savoir si ma propre autocréation peut-elle aider l'autre à entrer dans ce même processus ou faire de moi quelqu’un plus à même de pouvoir répondre à des attentes? Une chose est certaine, c’est que ma grande sensibilité a toujours été un atout pour percer les carapaces. J’ai su obtenir des résultats avec des personnes en grande difficulté et entrer dans leur monde, à force de confiance et de patience. Dans une relation que je pourrais qualifier de psychosociale.