• Aucun résultat trouvé

l’ingénierie tissulaire du cartilage

Chapitre 3. Le chondrocyte et la transplantation de chondrocytes

III. Une nouvelle génération d’ingénierie tissulaire du cartilage

Afin d’améliorer l’utilisation, la fabrication ou l’efficacité d’un dispositif d’ingénierie tissulaire, il est nécessaire d’en comprendre le concept. L’ingénierie tissulaire réside dans l’utilisation d’un

Figure 60 : Représentation schématique des techniques de thérapie tissulaire et cellulaire du cartilage.

(a) Lésion cartilagineuse. (b) Un débridement est nécessaire avant l’application de techniques de médecine régénérative afin d’obtenir une zone homogène servant de support. (c) Microfracture. (d) Premières générations de TCA : transplantation de chondrocytes autologues. (e) 3ème génération de TCA-MACI : « matrix-associated/induced autologous chondrocyte implantation » (Makris et al., 2015).

dispositif à visée médicale composé de cellules et d’un biomatériau. Cette structure hybride, cellulaire et acellulaire, permet la génération d’un substitut biologique in vitro. Elle est rendue possible par l’utilisation de facteurs exogènes physiques, chimiques, biochimiques ou biologique. Ce substitut est voué à être réimplanté pour améliorer ou remplacer un tissu.

Alors que la MACI et la TCA, telles qu’elles sont pratiquées aujourd’hui, sont considérées comme des thérapies in vivo où la reconstruction tissulaire se fait de manière post-implantatoire, les nouvelles générations d’ingénierie tissulaire se basent sur une reconstruction tissulaire ex vivo avant ré-implantation (Chen et al., 2006) [Figure 61]. Ainsi, la génération d’un substitut biologique en ingénierie tissulaire vise à la fois à mimer un microenvironnement cellulaire assurant la survie, la prolifération, la différenciation ou la synthèse matricielle et d’autre part à stimuler les cellules de façon adéquate pour obtenir l’effet biologique escompté (Makris et al., 2015) [Figure 62]. L’objectif général est donc de placer les cellules in vitro dans une situation pseudo-physiologique permettant la génération d’un tissu biologique fonctionnel.

A. Vers la maîtrise du microenvironnement et le contrôle du phénotype chondrocytaire.

Au sein du laboratoire, une vingtaine d’années d’expertise et cinq ans d’études ont été nécessaires à l’obtention d’un brevet sur la génération d’un substitut cartilagineux en laboratoire à

Figure 61 : Les nouvelles modalités de la médecine régénérative du cartilage.

L e s n o u v e l l e s t h é r a p i e s d e m é d e c i n e régénérative du cartilage se basent sur l’utilisation d’un biomatériau pour implanter des cellules in vivo ou sur la génération d’un substitut cartilagineux ex vivo (technique d’ingénierie tissulaire) (Chen et al., 2006).

Figure 62 : Le paradigme de l’IT tel qu’il est perçu à l’heure actuelle.

A l’heure actuelle, l’IT se base conventionnellement sur la culture d’un type cellulaire spécifique en 3D qui est soumis à un/des signal(aux) capable(s) de générer une réponse cellulaire biologique d’intérêt thérapeutique. La modulation de ces divers paramètres permet une forte personnalisation des techniques de thérapie cellulaire et tissulaire (Makris et al., 2015)

partir de chondrocytes humains (Galéra et al., 2012).

1. Le biomatériau.

En ingénierie tissulaire, le biomatériau fournit un support de fixation et de rétention aux cellules. Il a pour but de mimer un environnement 3D, conformation native des cellules au niveau physiologique. Cette conformation est essentielle au comportement et à la réponse cellulaire vis-à-vis d’une condition de culture. Elle stimule les contacts cellule-cellule et cellule-MEC tout en favorisant les stimulations autocrines et paracrines par

sa réticulation dense [Figure 63]. Le

biomatériau doit être biodégradable pour ne pas perdurer au sein du site implantatoire sur le long terme.

Dans le cadre de la MACI, le biomatériau le plus utilisé est une matrice biologiquement inactive composée de collagènes de types I et III [Figure 64]. Ce biomatériau de conformité européenne (CE) peut être facilement ajusté à la taille de la lésion à combler et est déjà utilisé dans d’autre types de thérapies tissulaires comme pour la reconstruction de peau ou de parois intestinales (Nakase et al., 2006 ; Suzuki et al., 2000). Le caractère biodégradable de la matrice se manifeste par une dégradation in vivo de 50% en deux semaines (Brittberg, 2010). Cette matrice de collagène de type I/III n’induit pas de réaction inflammatoire ou de rejet par l’hôte à la différences des matrices composées de collagène de type II, considéré comme immunogène (Cho et al., 2007).

Beaucoup de progrès ont été réalisés durant

ces dernières années dans la science des biomatériaux. Les travaux actuels s’orientent vers des biomatériaux moins coûteux et plus simples d’utilisation comme le Matrigel®, capable de se polymériser dans une fenêtre de température comprise entre 22°C et 35°C. Une nouvelle volonté scientifique est de travailler sur la fonctionnalité des biomatériaux de façon à ne plus représenter une structure inerte mais biologiquement active et jouant un rôle moteur dans le devenir de l’implant. Les progrès en impression 3D favorisent également l’émergence de la zonation ou de la

Figure 63 : La différence de comportement cellulaire entre la culture 2D et 3D.

(Adaptation de Fitzpatrick & McDevitt, 2015).

Figure 65 : Une technique d’impression cellulaire en 3D.

L’impression 3D (ici par microextrusion) peut permettre la génération d’un cartilage fonctionnel et zonifié. Elle représente l’une des dernières avancées en IT (Klein et al., 2009).

Figure 64 : Structure macroscopique et microscopique des éponges de collagène de types I/III.

Les éponges de collagène de types I/III de 5x2 mm représentent un biomatériau utilisable en clinique humaine et vétérinaire. Le diamètre moyen des pores est de 150 µm et permet l’inclusion de cellules.

stratification d’un biomatériau, structures retrouvées dans la majorité des tissus (Klein et al., 2009) [Figure 65].

2. BMP-2 et redifférenciation chondrocytaire.

Comme nous l’avons vu, l’une des principales limites de la MACI est la dédifférenciation des chondrocytes au cours de leur amplification in vitro. Cette contrainte biologique a poussé les laboratoires à développer plusieurs stratégies. Désormais, ces stratégies ont pour but, soit d’empêcher cette dédifférenciation au cours de l’amplification (Claus et al., 2010), soit de redifférencier les chondrocytes après amplification. Dans ces objectifs, la BMP-2 a montré un avantage certain.

En effet, à faible concentration, elle est capable de maintenir ou de permettre le recouvrement de la synthèse des marqueurs chondrocytaires par les chondrocytes in vitro. En comparaison avec le TGF-ß1 et l’IGF-1, également considérés comme des facteurs chondrogéniques, la BMP-2 permet la synthèse d’une MEC cartilagineuse de meilleure qualité en limitant l’hypertrophie et favorise notamment la forme IIB du collagène de type II (Valcourt et al., 2003 ; Legendre et al., 2013).

3. La stratégie d’interférence par l’ARN.

L’autre inconvénient de la dédifférenciation chondrocytaire est une synthèse matricielle de collagène de type I. Or, l’action de la BMP-2 ne permet pas de diminuer cette synthèse impliquant ainsi une diminution du rapport d’expression collagène de type II / collagène de type I, représentant un index de qualité de la matrice néoformée et qui

est requis par les autorités de santé avant de pouvoir envisager des essais cliniques chez l’Homme. Par ailleurs, il a été constaté que dans certains cas, la BMP-2 était capable d’induire la synthèse de collagène de type I (Ollitrault et al., 2015). Il a également été montré qu’au cours du processus de culture en éponge de collagène, la protéase Htra1 était exprimée de façon anormale, tout comme lors de l’arthrose, impliquant un fort catabolisme matriciel et/ou une inhibition de la signalisation de la BMP-2.

C’est sur cette base qu’une stratégie d’interférence par l’ARN a été mise au point afin de permettre la redifférenciation des chondrocytes (Ollitrault et al., 2015). L’interférence par l’ARN, ou RNAi pour « ribonucleic acid interference » est un puissant outil d’inhibition de la traduction des ARNm. Cette technologie a notamment fait l’objet du prix Nobel en 2006 pour les Pr Fire et Mello. Afin d’assurer une spécificité d’inhibition et une incorporation transitoire de matériel génétique exogène à la cellule, des « small interfering RNA » (siRNA) peuvent être utilisés. Il s’agit de petits ARN composés d’une vingtaine de bases homologues à une séquence d’un ARNm cible. A l’aide du complexe « RNA-induced Silencing Complex » (RISC), le brin de siRNA complémentaire à un ARNm va se fixer sur sa cible et provoquer le clivage de ce dernier, inhibant ainsi sa traduction

[Figure 66].

Au cours de la formation du néo-cartilage in vitro, il peut ainsi être réalisé une inhibition spécifique de l’expression du gène Col1a1 codant la chaîne ⍺1(I) du collagène de type I et d’Htra1 codant la protéase Htra1.

Figure 66 : L’interférence par l’ARN exercée par les siRNA.

Le mode d’action des siRNA utilise d e m a n i è r e d é t o u r n é e l e s m é c a n i s m e s i m p l i q u é s d a n s l’activité des micro-ARN (miRNA). Un duplex siRNA est pris en charge par le complexe protéique RISC et l’ensemble dégrade un ARNm cible de manière spécifique (Wittrup & Lieberman, 2015).

4. L’hypoxie.

Les conditions oxiques représentent un paramètre microenvironnemental majeur pour le chondrocyte mature. Concernant la redifférenciation des chondrocytes, l’usage de l’hypoxie s’avère largement bénéfique pour la synthèse matricielle. En effet, elle est capable d’induire à la fois les marqueurs chondrocytaires tout en inhibant l’expression des marqueurs atypiques du cartilage, comme les collagènes de types I et III (Duval et al., 2016). Dans le cadre de l’utilisation de la BMP-2 à des fins de redifférenciation chondrocytaire, l’hypoxie a également un rôle potentialisateur sur l’effet de la BMP-2 sur la synthèse matricielle (Lafont et al., 2016).

5. Les autres acteurs de la redifférenciation chondrocytaire.

Les différents paramètres préalablement indiqués ne représentent qu’une partie des conditions microenvironnentales pouvant moduler le phénotype chondrocytaire. D’autres outils technologiques sont notamment utilisés aujourd’hui pour permettre la redifférenciation chondrocytaire. Nous pouvons citer l’utilisation de bioréacteurs permettant un meilleur contrôle de l’apport en nutriments et facteurs de croissance ainsi qu’une standardisation et un gain de production dans le procédé de fabrication des dispositifs d’ingénierie tissulaire (Mayer et al., 2016). Il a également été montré que l’utilisation d’un cocktail de facteurs de croissance/hormones (BMP-2, insuline et hormone triiodothyronine (T3)) pouvait augmenter de façon significative l’expression des marqueurs spécifiques du cartilage par les chondrocytes (Liu et al., 2007). Un facteur important dans le phénotype chondrocytaire est sa perception de signaux mécaniques par mécanotransduction. Ainsi, l’application d’une contrainte mécanique au chondrocyte selon une fréquence précise permettrait d’améliorer le phénotype chondrocytaire et la qualité de la MEC néo-synthétisée (Hilz et al., 2014).

B. La MACI dans le modèle équin : vers la preuve de concept dans le modèle gros animal.

Depuis quelques années, la MACI développée chez l’Homme voit son intérêt progresser dans la filière équine. La forte morbidité des affections ostéo-articulaires et l’absence de thérapie, autres que palliatives, chez le modèle équin implique un attrait grandissant pour les thérapies innovantes et notamment initiées en médecine humaine.

Tout d’abord, l’Homme et le cheval sont deux mammifères phylogénétiquement proches. D’un point de vu génomique, le génome d’Equus Caballus (espèce domestiquée du cheval) est séquencé de façon relativement précise. Malgré une grande différence dans le nombre de chromosomes entre l’Homme et le cheval (46 (2n) pour l’humain et 64 (2n) pour le cheval) et la redondance de séquences répétées, on estime à 82% le nombre de gènes équins orthologues à l’Homme sur un total de 20322 gènes prédits et codants pour une protéine en 2009 (19313 gènes codants avérés chez l’Homme en 2012) (Wade et al., 2009). Ces similarités génomiques font du cheval une espèce chez laquelle les application biotechnologiques développées en médecine humaine sont tout à fait transposables.

De plus, les similarités structurales et cellulaires entre le cartilage équin et humain rendent possible le transfert technologique thérapeutique entre les deux espèces. D’une part, l’articulation équine est de taille importante et permet une application relativement simple de l’arthroscopie

(Moran et al., 2016). D’autre part, l’objectif de performance athlétique chez le cheval incite la filière équine à investir dans la recherche de traitements liés aux affections locomotrices comme les tendinopathies, l’inflammation de l’articulation ainsi que les lésions cartilagineuses (Ortved & Nixon, 2016). C’est dans cette optique que les premiers essais de MACI ont été réalisés chez le modèle équin. Ces derniers ont montré la faisabilité de la technique et, de surcroît, une augmentation de la qualité du cartilage suite à l’implantation après 8 semaines, 6 mois et 1 an

Ainsi, la technologie développée chez l ’ H o m m e e t l e s r é c e n t e s a v a n c é e s biotechnologiques en terme de MACI pourraient servir à la fois la filière équine mais également la médecine humaine. En effet, un t r a n s f e r t d e s t e c h n o l o g i e s e t d e s connaissances acquises en médecine humaine chez le cheval pourrait conduire à des premiers essais cliniques sur un modèle gros animal proche de l’Homme, tant sur le plan physiologique, que pathologique mais aussi dans le cadre de sa pratique sportive.

Avec l’acquisition de nouvelles connaissances en biologie cellulaire et moléculaire, les thérapies d’ingénierie tissulaire sont en perpétuelle évolution. Concernant l’ingénierie tissulaire du cartilage et notamment la MACI, une limite technique semble atteinte. Il s’agit de l’utilisation même du chondrocyte. Ce d e r n i e r, p e u p r o l i f é r a t i f e t d o n t l e p h é n o t y p e s e m o d i fi e e n c o u r s

d’amplification in vitro, rend difficile

l’application de la MACI. En effet, cette MACI nécessite un nombre conséquent de

cellules, antinomique par rapport à la faible quantité de cellules isolées à partir de biopsies et la difficulté de leur amplification. Ainsi, les laboratoires se sont penchés vers la recherche de types cellulaires alternatifs. Parmi ces types cellulaires, les CSM semblent être d’excellentes candidates.

Figure 67 : Chronologie des différentes étapes de l’implantation MACI chez le cheval.

(A) La zone atteinte est préalablement débridée. (B) Un implant de type MACI contenant des chondrocytes cultivés

in vitro durant 2 jours dans le dispositif est inséré au niveau de la zone débridée. (C) Une colle de fibrine est utilisée pour permettre l’adhésion du dispositif à la surface débridée. (D) Une finalisation d’adhésion est réalisée en recouvrant le dispositif de colle de fibrine (Nixon et al., 2015).

Chapitre 4. Les cellules souches