• Aucun résultat trouvé

Une localisation floue, multiple et forte d'implication

Chapitre 2 : La Zac et Teisseire, une relation de distinction ?

I- Une localisation floue, multiple et forte d'implication

Définir son lieu d'habitation est révélateur de la façon dont une personne se situe dans un quartier. Dans le cas de la nouvelle Zac Teisseire-JO, en bordure d'un quartier existant depuis plusieurs décennies et avec un fort sentiment d'appartenance, les habitants peinent à situer leur lieu d'habitation et la multiplicité des réponses données laissent à voir un sentiment de faible appartenance à un quartier, également à mettre en lien avec des pratiques résidentielles limitées comme nous le verrons par la suite.

1. Une localisation multiple et un faible sentiment d'appartenance

Au cours des entretiens, les habitants parlent de leur lieu de résidence, le décrivent et le situent par rapport aux quartiers environnants. Ils utilisent des termes significatifs qui permettent de comprendre la manière dont ils se situent eux-mêmes par rapport aux autres et par rapport à la ville en général. Nous avons également choisi de leur poser directement la question de savoir comment ils désignent leur lieu de résidence ou leur quartier186.

186Afin de poser cette question, nous avons notamment demandé aux habitants de nous dire comment ils décrivaient la localisation de leur nouveau lieu de résidence si des amis ou collègues leur demandaient.

A cette question, les réponses sont multiples et la réponse n'est pas aisée pour la plupart des habitants. Ils réfléchissent et prennent le temps de répondre, certains essayent de penser à la dernière fois où ils ont dû expliquer où se situaient leur nouvel appartement. Un tiers des habitants187 répond finalement habiter Teisseire. Les ressorts de cette appellation ne

sont pas aisément identifiables. En effet, les cinq ménages se définissant habiter Teisseire ont des profils assez variés – des couples de trentenaires avec ou sans enfants et une cinquantenaire, des primo-accédants et des locataires du parc social – et semblent le faire pour différents motifs. Ainsi, pour Damien et Josette, habiter Teisseire va de soi et à aucun moment dans les entretiens n’apparaît de distinction entre la zone où ils habitent et le quartier historique de Teisseire. Ces deux habitants, locataires du parc social, font partie des habitants les plus satisfaits de leur nouveau lieu de résidence : ils apprécient beaucoup leur nouveau logement et n'envisagent pas de déménager. Les deux défendent le fait d'habiter dans ce quartier et ne pas avoir peur de dire son nom, comme en témoigne Damien par ces mots : « il

faut savoir parler de Teisseire, ce n'est pas une question de fierté ni rien du tout, mais oui je suis très content de vivre ici, dans ce quartier. C'est le quartier Teisseire, il s'appelle comme ça depuis je ne sais pas combien de temps, on ne va pas lui donner un nouveau nom ». Il

adopte ainsi une posture assez militante et se moque également des personnes choisissant de se définir autrement, ceux qui utilisent notamment le mot « Zac », qui serait pour lui un moyen de se différencier, alors que cette distinction n'aurait pas lieu d'exister. Josette et Damien sont les seuls à revendiquer une appartenance forte au quartier. En effet, pour les autres habitants se définissant de Teisseire, l'explication est plus rationnelle, moins passionnelle, en parlant notamment de rattachement. Habiter Teisseire a une connotation administrative. Ainsi, Laurent explique de cette manière son appartenance à Teisseire : « normalement je crois qu'on est rattaché à Teisseire parce que lorsqu'on établit la facture

d'électricité auprès de GEG188 ils nous ont localisé à Teisseire donc du coup on est rattaché à

Teisseire ». Cette localisation, d'une sobriété administrative, n'exclut pas des éléments de

différenciation entre le nouveau quartier et le cœur historique, comme nous le verrons pas la suite.

187Entretiens avec Damien, Daria, Patrick et Claire, Laurent et Martine, ainsi que Josette. 188Gaz et Électricité de Grenoble.

Un autre tiers des habitants interrogés189, des couples de primo accédants avec enfants,

disent habiter la partie neuve de Teisseire ou à côté en utilisant diverses expressions telles que la « Zac Teisseire-JO », « entre Teisseire et Jouhaux », « le nouveau quartier Teisseire

Malherbe », « à côté de Teisseire : Teisseire 2 » ou encore « les nouveaux immeubles de Teisseire ». Ces termes sont également ceux utilisés par les promoteurs et la ville de Grenoble

afin de communiquer sur la nouvelle partie du quartier et de vendre les nouveaux îlots. Ils sont donc repris de manière naturelle pas les habitants. Ayant des représentations ambivalentes de Teisseire, ils sont conscients que le secteur n'est pas homogène et que des différences existent entre les zones, comme nous le verrons par la suite. Certains habitants expliquent également qu'ils savent que le nom donné à leur quartier d'habitation a de l'importance pour les autres, qu'ils soient des proches ou des collègues. Laurence utilise par exemple le terme de « Zac Teisseire-JO » pour parler de son lieu d'habitation mais explique que son mari préfère utiliser le terme de « Zac JO » sans mentionner le lien avec le quartier Teisseire. Le mari a de l'appréhension à dire qu'il habite le quartier Teisseire, il s'en distingue de cette manière. De la même façon, François commente que « le mot Teisseire ça fait un petit

peu chaud aux gens », tandis que Valentin explique, sur le ton de la blague, que la localisation

qu'il décrit dépend de s'il doit vendre son logement ou non. Des représentations négatives persistent en effet vis-à-vis du quartier Teisseire, comme nous le verrons par le suite. D'une façon similaire, des habitants expliquent habiter à côté de la MC2, la Maison de la culture, qui est un centre culturel grenoblois de grande envergure. Il est difficile de savoir si cette indication, la MC2, est une façon pratique de se localiser, la MC2 étant situé sur un arrêt de tram et étant connu par la plupart des Grenoblois, ou alors une manière de conforter et de valoriser son lieu de résidence.

De multiples termes sont donc finalement utilisés pour nommer le lieu de résidence des nouveaux habitants de la Zac Teisseire-JO. Les habitants les plus satisfaits semblent avoir moins de réticences à utiliser le terme de Teisseire, tandis que d'autres, notamment les couples de primo-accédants, marquent dans leur manière de nommer le quartier une certaine distanciation, sans pour autant dénigrer le quartier prioritaire limitrophe. Dans la majorité des cas, le sentiment d'appartenance au quartier semble faible.

2. Les frontières mentales et la variabilité du sentiment d'appartenance dans un quartier

La faiblesse du sentiment d'appartenance au territoire est à mettre en contraste l'ampleur de celui des Teisseirois du cœur historique du quartier. De nombreuses frontières mentales existent entre les différents quartiers de ce secteur grenoblois. Teisseire, Abbaye, Jouhaux Châtelet peuvent bien faire l'objet d'une même zone de redynamisation urbaine, elle n'est pas pour autant un ensemble homogène, ou en tout cas, elle ne l'est certainement pas pour ses habitants. Ainsi, une étude réalisée en 2006 sur le quartier Teisseire, c'est-à-dire avant les premières livraisons sur la Zac, visant à faire « remonter la parole des gens

« silencieux » » et donner son « ambiance »190, montre que le quartier Teisseire est très

délimité selon ces habitants : il s'agit du groupe d'habitations situé entre Léon Jouhaux, Jean Perrot et l'avenue des Jeux Olympiques (cette délimitation comprend donc la Zac Teisseire- JO). Des habitants distingueraient Teisseire 1 de Teisseire 2, séparés par la rue Paul Cocat, mais cette distinction serait uniquement géographique et les deux zones formeraient une unique entité. Même si le sentiment d'appartenance au quartier n'est pas si fort, du fait du manque de lien fédérateur notamment, un rapport distinctif aux autres quartiers existerait191.

Teisseire n'est pas Malherbe, qui n'est pas Jouhaux. Une des habitantes interrogées, Isabelle, évoque ainsi ce rapport de distinction : « je suis souvent de l'autre coté [de l'avenue Jean

Perrot dans le quartier Malherbe à l'Ouest de Teisseire] et je vois que les gens de Malherbe ne viennent pas forcément, c'est bizarre ça fait un peu comme une frontière, nous pour le coup on la traverse tous les jours parce qu'on est à l'école [de Malherbe], parce qu'on est tourné de l'autre côté mais franchement je ne vois pas forcement de différence […] en termes de gens, d'éducation ». Cette habitante constate l'existence de frontières entre les quartiers sans

pour autant les comprendre réellement et leur donner une grande importance.

L'arrivée des nouveaux habitants bouleverse ainsi les frontières établies entre les quartiers, en étant à la fois géographiquement inclus dans le quartier Teisseire, sans pour autant se définir de Teisseire sauf à y ajouter un complément distinctif, mais également

190UFR DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE, UNIVERSITÉ DE GRENOBLE II, UPMF. Baromètre 2006 des

Quartiers de l'Agglomération Grenobloise : Quartier de Teisseire à Grenoble. Note de synthèse. Septembre

2006. 43 p. Cette étude a été réalisée sur demande de la Communauté d'agglomération Grenoble-Alpes Métropole. Elle porte sur de multiples dimensions telles les manières d'habiter, les relations sociales ou encore le vécu de l'environnement.

191Cet avis est partagé avec l'agent de développement local du secteur 5 de la ville de Grenoble avec qui nous avons réalisé un entretien.

rattachés à Jouhaux au Nord par le biais de l'école. En étant « nouveaux » dans le quartier, non grenoblois pour certains d'entre eux, ces habitants n'ont pas conscience des frontières mentales pouvant y exister, et peuvent donc participer à leur redéfinition. Cette question s'inscrit également plus largement dans les recherches menées sur les quartiers et le sentiment d'appartenance qui peut s'y développer. Ainsi, les rapports entretenus vis-à-vis de son lieu de vie sont multiples : « les habitants se situent par rapport à leur lieu de vie au regard d'une

multitude de registres identitaires, qui se traduit par un rapport au territoire très différencié : d'une simple inscription spatiale à un attachement très marqué »192. Notre enquête montre que

les nouveaux habitants semblent plutôt dans une posture de « simple inscription spatiale », ce qui est également à mettre en lien avec leur faible ancienneté de résidence dans le quartier et qui se traduit également dans leurs représentations et leurs usages, comme nous le verrons dans une prochaine partie.

Comme nous l'avons vu, les appellations choisies par les habitants pour définir leur quartier sont diverses, les habitants incluant ou excluant certaines zones, et par conséquent certains habitants, de « leur » lieu de résidence. Le rapport à l'autre est multiple et complexe. Il est donc possible de s'interroger sur les représentations portées sur cet « autre », sur les quartiers environnants.

II- Des représentations ambivalentes des quartiers aux