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2. Matériel et méthodes

3.2 La consultation avec un patient hésitant

3.2.1 Une consultation qui déclenche des émotions fortes

3.2.1.1 Un sujet qui provoque du ressentiment

L’énervement contre l’égoïsme des patients

Lorsque les internes sont interrogés sur leur ressenti à l’issue des consultations avec des hésitants, un mélange d’émotions est rapporté avec, parfois, en premier lieu, une certaine colère, un agacement.

i1 : « Déjà ça m’énerve, la première réaction c’est que ça m’énerve (rires), alors que ça… ça devrait pas, mais… »

i4 : « En fait comme c’est un sujet… heu… hyperpolémique, du coup il y a tout de suite… une sorte de… on est… une sorte d’agacement immédiat, car du coup, on se dit "et voilà, ça y’est, putain… on va devoir redéballer tout le speech sur les vaccins" ».

i10 : « Bah j’vais pas mentir, en général ça m’énerve, vraiment (rires). J’essaie de pas le montrer, j’essaie de travailler là-dessus, […] mais y’a vraiment des choses qui

m’insupportent. »

Pour d’autres, la confrontation à un hésitant génère même un certain mépris, qui ne peut cependant pas être exprimé.

i3 : « C’est compliqué parce que tu peux pas arriver et leur dire "ben non, putain mais vous êtes trop cons quoi", ça se fait pas de dire ça aux gens, tu le penses

intérieurement, hein ? Mais tu… tu peux pas leur dire au fond (rires). »

Ces émotions négatives sont justifiées par l’impression que le refus de vaccination provient d’une attitude égoïste.

25 i7 : « "Je suis pas malade, j’ai pas besoin de le faire !" C’est ça qui est énervant aussi, c’est que les gens sont égoïstes, ils sont pas éclairés sur le sujet. »

i10 : « En fait je trouve ça tellement irresponsable que j’ai vraiment du mal à leur dire "Bon bah d’accord, j’comprends…", je trouve ça trop irresponsable, pour leurs propres enfants, et pour la société autour. J’trouve que c’est… voilà, j’trouve que c’est

irresponsable. »

Certains reconnaissent même anticiper un conflit sur le sujet de la vaccination en se basant sur des préjugés.

i2 : « Le patient euh tu le vois avec ses… ses babouches et euh… j’en sais rien moi (rires) et ses rastas et […] tu vas commencer à toi-même te dire "Oulala, lui il va me… il va me souler avec ses trucs"… du coup tu vas être déjà dans le conflit, avant même qu’il y ait conflit. »

La remise en question de ce que l’interne représente

Si certains ressentent de l’irritation face à l’hésitation vaccinale, c’est peut-être parce que, par extension, elle remet en question tout ce que l’interne a appris lors de son cursus… i9 : « Ça nous irrite parce que de tout ce qu’on a appris dans les cours, et de la science, et à la fac et tout, enfin j’imagine qu’on nous a pas dit n’importe quoi, on n’a pas fait 10 ans d’études pour rien quoi ! »

… et blesse son ego, en tant que représentant des pratiques médicales.

i4 : « Je pense que dans le fond il y a une part d’ego, dedans, parce que on nous apprend des choses à la fac heu… pendant PLEINS d’années […] Et du coup je pense que les patients remettent en cause ce que nous on est, et il faut apprendre à lâcher un petit peu du lest vis-à-vis de ça… oui, ils nous remettent un peu en question "nous" aussi… et parfois de manière un peu agressive, on se sent agressé dans notre pratique alors qu’on veut "les aider". »

Un conflit qui concerne aussi l’entourage

Le conflit autour de l’hésitation vaccinale peut parfois aller jusqu’à s’immiscer dans le cercle familial des internes, générant même des tabous.

26 i1 : « En fait ma mère euh… est très réticente vis-à-vis des vaccins. Euh je lui ai jamais posé la question de… pourquoi finalement. […] Mais j’ai pas osé… me confronter à elle. » i12 : « Dans ma famille il y en a des antivax, et du coup ils ne voulaient pas que je sois vacciné quand j’étais jeune […] Ça, on ne l’aborde plus comme sujet, par exemple. Donc oui, c’est un sujet un peu conflictuel chez moi. »

Certains se sentent perçus comme des émissaires de l’institution médicale, et donc exposés à l’hostilité de leur entourage, qui leur reproche parfois les supposés travers de la médecine.

i14 : « À l’époque, mes amis [hors médecine] m’ont… sommé… de leur donner les explications [au sujet du scandale du vaccin contre l’hépatite B]. Voilà c’était pas très sympathique, parce que j’ai senti cette méfiance, alors que c’étaient des amis, comme si moi je représentais l’institution médicale, et que c’était moi qui leur avais menti. »

3.2.1.2 Une consultation redoutée par l’interne

Une incertitude sur ses compétences

Quelques internes ont été prompts à rapporter leurs difficultés à mener une consultation avec des hésitants, notamment par peur que ne transparaissent leurs lacunes.

i9 : « J’pense que je suis plutôt en difficulté, parce que je peux pas donner des détails, je reste plutôt évasif·ve dans mes explications parce que je suis pas capable de dire les effets indésirables de tous les vaccins, et j’ai peur que ça se voit ! »

i12 : « Pour répondre aux questions des patients, je me sens pas serein·e à 100 %… parfois il y a des arguments qui reviennent beaucoup, et alors je sais quoi dire… mais parfois je me sens un peu perturbé·e par leurs arguments […]. Du coup j’ai de

l’appréhension à entamer ce type de consultation… »

i6 : « Ça se voit rapidement en fait que t’a pas l’air très sûr·e de toi… pour peu que tu te mettes un petit peu à bégayer… et pour cause c’est parce que j’ai pas la réponse à tout. »

27 Incertitude sur sa capacité à convaincre

Certains internes ont le sentiment de manquer de crédibilité face aux hésitants, du fait de leur courte expérience, mais aussi à cause de leur implication passagère dans la prise en charge des patients.

i6 : « C’est toujours plus compliqué, d’autant plus quand t’es interne, un·e petit·e jeune comme ça, qui t’explique d’un air peu assuré "Oui oui, il faut absolument les vacciner ces gamins", alors que le gamin va très bien… Crédibilité zéro quoi ! »

La capacité à convaincre reposerait sur un argumentaire bien construit, et plusieurs internes avaient conscience de l’impact majeur des mots dans le discours.

i13 : « J’ai impression que si je choisis pas les bons mots, la bonne explication, la bonne information correctement, du coup ils choisissent pas la vaccination… et j’aurai mal informé. Donc de l’appréhension, […] je me dis que si c’est quelqu’un d’autre qui aurait expliqué, peut-être qu’il aurait su trouver les bons mots pour les convaincre. »

i14 : « Après c’est vrai que je me sens un petit peu sur la défensive, parce qu’il faut savoir bien présenter ses arguments. Je prends mon temps, je choisis mes mots, c’est très important. »

D’autant que l’enjeu semble important, le risque encouru étant celui de briser une relation de confiance.

i6 : « On sent qu’il y a quelque chose qui peut se rompre en termes de confiance, […] même si c’est pas irréversible non plus. »

La difficulté à convaincre en incombe aussi beaucoup à l’ardeur que certains patients peuvent mettre à s’opposer à la vaccination.

i8 : « Ceux qui sont très renseignés sur le sujet, qui ont déjà réponse à tout… et sont plutôt là, j’ai l’impression, pour nous mettre en difficulté que pour obtenir des réponses » Certains rapportent des expériences personnelles d’échec à convaincre, qui pourraient être à l’origine d’une fragilisation de leur confiance en leurs facultés argumentatives.

28 i3 : « Et puis t’en croises, ils te disent "Nan ! Mais moi je le fais pas vacciner, je le ferai jamais vacciner !" Et on a beau mettre tous les arguments du monde, ils veulent rien entendre et on leur fera rien entendre. On se sent impuissants là. »

Plusieurs types d’arguments peuvent être particulièrement déstabilisants, au point de laisser parfois l’interne sans voix.

i11 : « Après souvent j’ai pas d’arguments qui fait changer la balance, […] franchement s’ils me parlent de l’intérêt économiques des labos… (rires). "Bah vous avez raison de me dire ça !"