• Aucun résultat trouvé

Un sanctuaire au lieu-dit La Croix Saint-Charles

En 1909, le Commandant Espérandieu découvre un temple à la Croix Saint-Charles, dans la parcelle n° 293, à l’extrémité Est de la commune d’Alise. La découverte d’une dédicace, lors de la première campagne de fouilles, permet de rattacher ce lieu de culte à Apollon. Brisée, elle est gravée sur un manche de patère. En 1910, Espérandieu pense alors pouvoir dénombrer quatre temples sur le Mont Auxois : un temple octogonal, deux temples rectangulaires et un quatrième temple dont « l’existence (...) ne semble pas faire de doute77 » mais n’est pas encore solidement fondée. Il résulte de ces découvertes la mise en évidence, sur un site excentré, d’un culte organisé à Apollon ou Apollon Moritasgus selon les deux appellations rencontrées. Parmi les aménagements antérieurs aux constructions de pierres, le commandant Espérandieu a retrouvé un tesson d’amphore qui porte l’estampille des Sestii, exportateurs de vin de Campanie. Cette estampille, qui ne peut être postérieure à la conquête romaine78, témoigne d’une occupation du lieu de culte antérieure à l’époque gallo-romaine. Aujourd’hui, bien que l’on ne puisse plus voir de vestiges sur place79, on peut être plus précis sur le sanctuaire de la Croix Saint-Charles, à la lecture des très nombreux rapports de fouilles et grâce à la photographie aérienne80.

L’ensemble comprenait

un « temple hexagonal » qui mesurait près de 20 mètres de diamètre. La pièce centrale ayant 8 m. de diamètre était entourée d’une galerie. Ce type d’édifice est ce que l’on a appelé un fanum, pour différencier les temples indigènes des temples de plan classique.

77 - Emile ESPÉRANDIEU, « Les fouilles de la Croix Saint-Charles. Première Campagne », MCACO, Tome XV.

78 - Emile ESPÉRANDIEU, « Fouilles de la Croix Saint-Charles au Mont Auxois, premier rapport », MCACO, Tome XV, 1906-1910, p. 271.

79 - Un programme pluriannuel de recherche sur les sanctuaires d’Alésia a débuté en 2008 sous la direction d'Olivier de Cazanove, professeur d’archéologie à l’Université de Bourgogne et responsable de l’équipe 3 de l’UMR ARTeHIS. Le chantier-école de l’Université de Bourgogne s'inscrit dans ce cadre. La campagne de 2008 a porté sur le sanctuaire d’Apollon Moritasgus, à la Croix Saint-Charles. La campagne de 2009 approfondit la recherche dans ce secteur en compagnie d'étudiants dirigés par Massimo Osanna, università degli Studi della Basilicata, Italie.

80

- Isabelle FAUDUET, Les temples de tradition celtique en Gaule Romaine, Paris, 1993 ; Atlas des sanctuaires romano-celtiques de Gaule, les fanums, Paris, 1993, p. 76.

un temple rectangulaire de plus petite taille situé plus à l’est

deux petits temples qu’E. Espérandieu désignaient sous le terme de « chapelles ». L’une, presque carrée possédait en son centre une cuve de pierre qui devait être dominée par une statue, dont on a retrouvé la tête et l’une des mains. L’édifice, assez luxueux, était recouvert d’enduits peints et était éclairé par des fenêtres à vitres de verre. L’autre « chapelle » est hexagonale ; elle mesurait 2 m. 30 de côté environ. A l’intérieur devait également se trouver une statue, de taille humaine, dont on a retrouvé la base avec un pied nu. A la sortie se trouvait une petite piscine.

La construction la plus vaste de la Croix Saint-Charles, avec deux absides encadrant une première pièce donnant accès à une piscine coupant l’entrée du bâtiment identifié par E. Espérandieu comme le « Temple de Moritasgus » entouré d’un portique, n’était pas un temple mais des thermes qui couvraient une surface d’une quarantaine de mètres sur une vingtaine de mètres. Les bâtiments étaient de facture soignée : pavages de mosaïques, enduits peints, vitres. Pourtant, l’on n’a pas eu, comme l’archéologie le démontre, le souci d’agrandir ou de perfectionner ces thermes au fil du temps. En fait plus qu’un endroit réservé au plaisir du bain et à l’hygiène corporelle, les thermes de La Croix Saint-Charles avaient, semble-t-il une vocation curative et religieuse. On venait s’y baigner dans l’espoir d’une guérison demandée au dieu protecteur que l’on avait soin de remercier par des ex-voto anatomiques.

Les thermes de la Croix Saint-Charles seraient-ils des lieux consacrés selon les rites d’incubation et de divination médicale ? César lui-même cite Apollon comme « le dieu guérisseur des Gaulois »81. Apollon tenait aussi ce rôle dans la religion romaine et même dans la religion grecque, avant que son fils, Asklépios, ne remplisse cette charge à l’époque hellénistique. Les malades, hébergés dans le sanctuaire de ce dieu bienveillant, espéraient qu’il leur apparaîtrait en rêve et qu’il donnerait des indications sur la maladie dont ils souffraient. Le lendemain, prêtres et médecins interprétaient les songes et appliquaient un traitement en accord avec les indications de la divinité.

Diverses dédicaces ont été mises au jour sur le site :

Les archéologues ont aussi découvert un fragment de manche en argile avec une inscription gravée au trait, après la cuisson (CIL XIII-IV 1916, 11239) : [Aug(usto) s]ac(rum), deo Apol[lini],| [Atti]cus (?) ou [Asiati]cus (?) ou [Ari]cus (?) posuit :

« Consécration à Auguste, au dieu Apollon, Asiaticus ou Aricus ou Atticus l’a fait faire ».

Au fond de la piscine en bois on a retrouvé un autel consacré à Apollon (CIL XIII-IV 1916, 11239a) : Aug(usto) sac(rum),| deo Apol(lini),| L[(ucius)...] et que l’on traduit : « monument consacré à Auguste, au dieu Apollon, Lucius (...) ».

Mais les ex-voto de pierre, trouvés dans la piscine des thermes82, ne s’adressent pas au dieu guérisseur sous son simple nom latin mais sous le double nom « gallo-latin » :

81

- César, De bello gallico, VI, XVII, 2.

Apollon Moritasgus. L’une des inscriptions est gravée sur une cuisse humaine en pierre (CIL XIII-IV 1916, 11240)83 : Aug(usto) sac(rum)|, deo Apollini| Moritasgo|, Catianus| Oxtai (filius) : « Consécration à Auguste, au dieu Apollon Moritasgus, Catianus, fils d’Oxtai ». L’autre inscription est gravée sur une base en pierre, qui a servi de support à ce qui semble être un tronc ; elle est incomplète (CIL XIII-IV 1916, 11241)84 : Aug(usto) sac(rum), deo Apollin[i]| Moritasgo [.. Fl ? ]auius Ali[siensis ? ]| D[i]ofanes, h]er(es), lib(ertus) p[osuerunt] : « monument consacré à Auguste, au dieu Apollon, Flavius, habitant d’Alésia, Diofanes, son héritier, son affranchi, ont fait faire (cet ex-voto) ». Enfin un fragment découvert par le commandant Espérandieu doit être interprété comme le fragment d’un troisième ex-voto mentionnant Apollon Moritasgus, ou du moins Moritasgus, la forme arrondie de ce fragment correspond à la forme des deux ex-voto précédents85 : [...]m[...]|[Mo]rita[sgo] : ? à Moritasgus...

Il faudrait donc penser qu’il y avait à Alésia un dieu guérisseur nommé Moritasgus et que celui-ci fut assimilé à Apollon après la conquête, mais qu’il était vénéré sous le seul nom de Moritasgus à l’époque gauloise. Le dieu honoré alors ne pouvait être « Apollon Moritasgus », divinité issue de l’interpretatio romana.

Mais Apollon Moritasgus était-il seul en son sanctuaire ? Apollon ou Apollon associé à un dieu local est le plus souvent accompagné d’une parèdre lorsqu’il règne sur un sanctuaire de guérison : Borvo et Damona à Bourbon-Lancy (CIL XIII-I, 2805, 2806) ; devs Apollo Borvo et Damona (Bourbonne-Les-Bains, CIL XIII-II, 5911) ; Apollo et Sirona : Luxeuil (CIL XIII-II, 5424), etc… Une tête de femme, couronnée d’épis et une main gauche tenant un serpent appartenant à la même statue ont été mis au jour dans la « chapelle carrée ». Mais qui est cette déesse au serpent ? L’épigraphie nous permet de l’identifier : un fragment d’inscription se terminant à la première ligne par un D barré d’un trait médian horizontal, le D, est connu dans d’autres inscriptions comme l’initiale de

Dirona / Sirona, parèdre d’Apollon, ce qui permet de restituer la première ligne : [Apollini] et D[ironae], et le serpent est un attribut de Sirona.

Mais le 10 juillet 1962, au cimetière Saint-Père, l’abbé Jovignot découvre le nom de Damona dans une inscription gravée sur une pierre moulurée (Fig. 42), le bandeau d’un angle de corniche : Deo Apollini Moritasg[o et deae?]| Damonae, P(ublius) Pontius Apoll[inaris ...] : « Au dieu Apollon et à la déesse Damona, Publius Pontius Apollinaris (a fait élever / faire ?) ».

83

- Héron DE VILLEFOSSE, « Séance du 23 septembre 1910 », CRAI, Paris, 1910, p. 554-555.

84

- Ibid., p.555.

FIGURE 42.DEDICACE A APOLLON MORITASGUS ET DAMONA

Découverte en 1962 au Cimetière Saint-Père Musée d’Alésia, cliché de l’auteur

La mention de Damona permet la transcription de la dédicace découverte à la Croix Saint-Charles (CIL XIII-IV 1916, 11242), [Da]m[onae et]| [Mo]rita[sgo] [...], « A Damona et Moritasgus (...) ». Mais la dédicace du cimetière Saint-Père semble bien éloignée de la Croix Saint-Charles (Fig. 43).

FIGURE 43.LIEUX DE DECOUVERTE DES DEDICACES A DAMONA

Réalisée par l’auteur, d’après le plan parcellaire, Planche II in Les fouilles d’Alésia, 1906. Rapport, 1907, Semur-en-Auxois, V. Bordot.

Que peut-on penser de la mise au jour d’une inscription, sur une pierre moulurée, probablement l’angle d’une corniche, mentionnant Apollon, ou plus précisément « deo Apollini Moritasg(...) », Apollon Moritasgus ? Elle a été découverte en 1962, dans une partie du Cimetière Saint-Père, « quartier au sud du théâtre ». Au même endroit, les archéologues avaient découvert trois pierres de dimensions importantes (1 m. 25 sur 0 m. 30 x 0 m. 30),

qui paraissaient avoir appartenu à un seul et même édifice, or ces pierres ne semblaient pas être utilisées en réemploi. Toutefois, une dédicace ne saurait suffire à indiquer un lieu de culte organisé. Elle ne peut attester que de la dévotion d’un fidèle, à un instant donné, répondant à une intention particulière.

Pour décider de la présence d’un sanctuaire, il faut dénombrer plusieurs dédicaces, comme nous l’avons vu à la Croix Saint-Charles, où ont été également mis au jour de nombreux ex-votos, avec parmi les découvertes une majorité d’ex-voto anatomiques attestant du rôle de guérisseur attribué à la divinité régnant sur les lieux.

Nombre des ex-voto de la Croix Saint-Charles représentent les parties du corps affectées par les maladies dont souffraient les fidèles (Fig. 44 à 46). Certains ont été sculptés dans la pierre locale, très peu sont porteurs de dédicaces (Fig. 34-45), d’autres ont été façonnés en terre cuite, mais la majorité ont été réalisés dans une tôle de bronze plutôt fine (Fig. 39), dans des ateliers de la ville, voire, sur place même, puisque l’on y a retrouvé des creusets de bronziers et des moules servant à la fabrication des plaquettes anatomiques.

FIGURE 44.EX-VOTO GRAVÉ « VSLM »,

PIED GRANDEUR NATURE, PIERRE COMMUNE

Musée Alésia, Alise-Sainte-Reine cliché de l’auteur

FIGURE 45. EX VOTO GRAVÉ SUR UNE CUISSE, PIERRE COMMUNE, H. 0,35 M.

Musée Alésia, Alise-Sainte-Reine, cliché de l’auteur

FIGURE 46. SÉLECTION D’EX-VOTOS ANATOMIQUES, MINCE TOLE DE BRONZE DÉCOUPÉE, LONGUEUR DE 0,03 À 0,05 M.

Source : E. Espérandieu, Fouilles de la Croix Saint-Charles, Premier et Deuxième rapport, MCACO, XV, 1906-1910, Dijon, Pl. V, VI, VIII et IX ; XVI, 1913, Dijon, Pl. XI et XII, http://gallica.bnf.fr.

Quoique le Commandant Espérandieu ait présenté quelques doigts ou bien des ex-voto symbolisant des problèmes de stérilité (Fig. 38)86, les archéologues ont retrouvé essentiellement des plaquettes anatomiques figurant des yeux, ce qui indiquerait que le dieu guérisseur du sanctuaire était spécialisé dans l’ophtalmologie. A l’appui de cette théorie, des aiguilles en os qui semblent être des aiguilles à cataracte ont été découvertes sur le site en même temps que des instruments de chirurgie, ceci permettrait d’affirmer d’une part que les prêtres de la Croix Saint-Charles étaient des prêtres-médecins, d’autre part de confirmer que des malades souffrant des yeux se rendaient au sanctuaire87.

Parmi les ex-voto de pierre, outre des ex-voto anatomiques, tronc, jambes, cuisse, pied (Fig. 44-45), nous pourrions également placer de véritables statuettes comme un bébé emmailloté (Esp. 2387, Fig. 47), ces statuettes pourraient figurer des malades, par exemple des têtes, des bustes ou autres fragments de stèle88. Mais sans dédicaces votives, cette interprétation ne peut être confirmée.

FIGURE 47.EX-VOTO DE BÉBÉ EMMAILLOTÉ, CALCAIRE OOLITHIQUE, H.0,36 M., L.0,18 M., EP.0,07 M.

Source : E. Espérandieu, Fouilles de la Croix Saint-Charles Deuxième rapport, MCACO, XVI, 1913, Dijon, p.14, http://gallica.bnf.fr.

86 - Emile ESPÉRANDIEU, MCACO, XVI, p. 59-60, pl. XII. 87

- Jean-Jacques HATT, Mythes…, op. cit., p. 273.

88 - Emile ESPÉRANDIEU, MCACO, XVI, pl. VII à X et Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, III : 2385, « Personnage imberbe » ; 2390, « Têtes » ; IX, 7132, « Tronc de femme » ; 7133, « Têtes découvertes en 1910 » ; 7136, « Jambes découvertes en 1910 » ; 7137, « Figure de femme », 7138 « Bustes et têtes découvertes en 1910 » ; 7140, « Tronc humain » ; 7141, « Partie supérieure d’une jambe » ; 7144, « Cuisse découverte en 1910 » ; 7145, « Partie inférieure d’une jambe ».

En conclusion

Alésia était une ville gauloise de moyenne importance, appartenant un peuple qui n’est pas resté indépendant, mais s’est retrouvé soumis à son ou ses voisins. Toutefois, la ville ne s’est pas moins pérennisée après la conquête.

Dans le sillage des conquérants s’installent ou circulent colons, marchands ou soldats, et divinités. Un nouveau panthéon se fixe alors sur une terre déjà protégée par les dieux indigènes. Le premier problème qui se pose est alors de savoir comment va se faire la rencontre entre les deux types de panthéon. Il est bien évident que les réalités indigènes se sont transformées au contact de Rome sans que l’arrivée des Romains ait pour autant signifié la disparition de la société préexistante.

S’agit-il d’un phénomène relevant de la vie sociale et économique, au gré de la circulation des personnes et des biens ? du décisionnel, d’une planification, d’une volonté « politique » ? est-ce que la survivance des dieux celtes au travers des dieux romains pourrait être liée à un phénomène de résistance ? ou bien cela dépasse-t-il les champs institutionnels, ne relevant que des croyances et des besoins de chacun ou de chaque communauté ? est-ce simplement du ressort de l’affect (l’attachement aux divinités indigènes et/ou locales est tel qu’on le maintient) ou encore de la superstition (la crainte de mécontenter des dieux en place pousse à continuer à les adorer) ou existe-t-il un besoin plus profond qui s’exprime par une religiosité inscrite dans une continuité, qui se transmet et se perpétue ?

La religion à Alésia s’est donc inscrite entre persistance des cultes indigènes et développement de nouveaux cultes. Cette dynamique se manifestait déjà par les quelques éléments de présence de la religion grecque que nous avons pu retrouver dans l’histoire de la ville et qui était liée à son développement commercial. Alésia de par sa position, ses activités, et son histoire s’est révélée le théâtre d’échanges culturels et cultuels. Le phénomène se poursuit avec l’arrivée des cultes orientaux. Les dieux locaux préexistants continuant d’exister seuls pour certains ou se retrouvant pour d’autres associés aux divinités importées lorsqu’elles avaient des affinités avec eux. Cette pérennité des divinités indigènes aux côtés des dieux importés révèle un autre aspect de la religion antique qui se dégage de notre étude : l’association de divinités celtes et latines, qu’il s’agisse de jumeler un dieu celte et un dieu latin ou d’habiller un dieu celte d’un nom latin ou d’habiller un dieu latin d’un nom celte.

Ce phénomène est-il superficiel ou a-t-il été plus profond ? Que se passe-t-il lorsque Taranis ou Teutatès restent présent aux côtés de la Triade capitoline ? Lorsqu’Apollon guérisseur se trouve couplé à Moritasgus et sa parèdre Damona ? S’agit-il de résistance, notion à consonance politique ? Ou cela relève-t-il plutôt de la dévotion, les divinités sont associées afin de démultiplier les protections dans l’intérêt des fidèles ?

L’aspect politique du religieux dans l’antiquité se révèle notamment dans l’implantation en territoire conquis des cultes officiels, culte capitolin, culte à Rome et à Auguste, mais il ne semble pas que cette volonté de faire respecter ces cultes s’accompagne d’une volonté de supplanter ou d’effacer les divinités indigènes. Une fois mis en place les principes et les divinités de base de la religion romaine, du moment que ces éléments sont pris en compte et respectés par les populations locales, le maintien des cultes locaux n’est pas un problème pour les Romains. C’est ainsi que Taranis / Teutatès reste présent au cœur du centre monumental et Ucuetis et Bergusia au cœur de la vie économique.

Il reste cependant un facteur que nous ne pouvons pas appréhender, lorsqu’il y a ainsi association de deux divinités : nous ne pouvons pas savoir s’il y a un culte bénéficiaire et un culte perdant ou si les divinités sont honorées à part égale. Les ex-votos anatomiques de la Croix Saint-Charles sont ils dédiés à Apollon ou à Moritasgus ? A Apollon et Moritasgus ou Apollon Moritasgus ? Faut-il parler d’interpretatio romana ou d’interpretatio gallica ?

La religion à Alésia semble avoir fait essentiellement l’objet d’une dévotion privée il faut toutefois rester prudent sur la place à accorder à ce phénomène. Peut-on se référer à la part importante des statuettes de divinités retrouvées dans les quartiers d’habitations et d’activités ? Si nous n’avons pu indiquer que deux statues monumentales, « Mercure au bélier » et Sirona, il faut rappeler la décision du concile d’Auxerre de 585 ap. J. C d’interdire de « faire des offrandes votives aux fontaines, de sculpter dans le bois, des pieds ou des figures humaines »89 : une telle iconoclastie aurait pu être mise en place avec un zèle apparent dans un lieu christianisé très tôt90. Ceci expliquerait que le site n’ait pas révélé davantage de statues importantes à la curiosité des archéologues, alors que les statuettes auraient pu soit être conservées discrètement, soit facilement remisées ou jetées, sans que l’on ait forcément besoin de les détruire. Une autre interrogation demeure sur le rôle religieux des statuettes : pouvaient-elles n’être que de simples objets décoratifs ? Ce pourrait être une interprétation éventuelle de la nombreuse statuaire d’Alésia… Mais pourquoi le choix d’un mode de représentation facilement reproductible et plus ou moins

89 - Il s’agissait plutôt d’un synode diocésain tenu par l’évêque Aunaire, sur les quarante-cinq canons édictés, les premiers avaient pour but de condamner certaines pratiques superstitieuses héritée du paganisme, puis viennent des règles liturgiques et disciplinaires. Ainsi, à cette époque, ne serait-ce qu’en Côte-d’Or, des lieux de cultes ont été désertés, comme les sources de la Seine, et des statues de divinités mises à bas, comme la déesse de Gissey-sur-Ouche, retrouvée dans la rivière la Sirène, sans que l’on ait pu préciser où se trouvait son sanctuaire…

90 - Les fouilles ont mis en évidence l’existence d’un martyrium de la fin du IVe siècle ou du début du Ve siècle qui aurait pu être le premier sanctuaire de Sainte-Reine d’Alise (Philippe BOUTRY et Dominique JULIA (dir.), Reine au mont Auxois le culte et le pèlerinage de sainte Reine des origines à nos jours, Ville de Dijon, Paris, Cerf, 1997, p. 17).

bon marché (les modes de représentation sont variés : statuaire de pierre, figurines de bronze, figurines de terre cuite) déclasserait-il l’image d’une divinité en simple objet décoratif plutôt qu’il attesterait d’un mode d’adhésion religieuse d’adeptes nombreux et n’ayant pas forcément les moyens de rendre hommage à leur divinité favorite par une statue de pierre ? En osant un anachronisme, demandons-nous combien parmi les innombrables Vierges de plastique achetées dans les sanctuaires mariaux ne seront jamais que des « ramasse-poussières » entre une tour Eiffel et un chalet savoyard, combien resteront le symbole d’une piété sincère, de la quête d’une protection ? Dans le domaine irrationnel du sentiment religieux où il est difficile de faire la part des choses et qui échappe au moins en partie à l’historien, nous pensons qu’il faut accorder une place réelle et conséquente à la religion privée à Alésia, même s’il faut veiller à ne pas en exagérer l’importance.

Reprenons le tableau que nous avons pu dresser du paysage religieux de la ville : un sanctuaire dédié au dieu guérisseur Apollon Moritasgus et sa parèdre Damona-Sirona, lieu de pèlerinage91 ; un temple au cœur du « forum » d’Alésia accueillant des divinités latines (triade capitoline, mais aussi des héros comme les Dioscures), celtes (Taranis, mais aussi probablement Teutatès), un petit lieu de culte, la « chapelle de la Déesse aux Amours »92 ; un monument dédié aux deux divinités Ucuetis et Bergusia93 ; les sous-sols des maisons

Documents relatifs