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Un quadruple désordre

Dans le document L'enfant et la guerre (Page 66-68)

Bien que ce ne soit pas vraiment le sujet de mon exposé, je considère qu’il est important de rappeler quelques vérités qui doivent nous empêcher de nous voiler les yeux en pensant que nous parlons de choses simples. Dans des rencontres comme celle-ci nous avons tendance à rester policés et à traiter tout le monde avec égard. Cela limite notre capacité de distinguer ce qui est normal et sur quoi nous pouvons véritablement agir de ce qui est grave et hors norme.

En effet les enfants sont acteurs dans la guerre que se font les adultes dans les pays et les régions qui connaissent un quadruple désordre.

Désordre politique, dans la mesure où le pouvoir n’est pas représentatif de l’intérêt général, où l’accès au pouvoir s’opère le plus souvent par la force et son maintien est assuré par l’élimination de tout contrôle. Les différentes factions qui se disputent le pouvoir n’ont pas d’autres objectifs que le pouvoir. Celui-ci n’a rien de démocratique. Désordre économique, dans la mesure où les élites qui se font la guerre sont en fait des prédateurs du patrimoine commun qu’ils s’approprient sans vergogne. Leurs Républiques sont des territoires dans lesquels la pauvreté s’est installée de manière généralisée.

Désordre social, dans la mesure où les réseaux sociaux, familiaux notamment, et les chaînes de solidarité sont presque totalement détruites.

Désordre culturel, enfin par l’adoption de modèles de comportement et de vie importés, mal adaptés à la réalité. Ce sont comme des copies illisibles de valeurs oubliées : le partage équitable, le soutien du faible, l’amour de la patrie.

Dans ces conditions, les enfants sont des proies faciles, car pour la majorité d’entre eux, les droits de l’enfant dont nous parlons tant sont inconnus : droit à l’éducation, à la nourriture saine et suffisante, à l’eau potable, à la protection contre l’exploitation par le travail, aux soins de santé. Outre l’inexpérience, les conditions de dénuement dans lesquelles ils vivent dans les pays et régions où l’on les exploite comme soldats, les rendent extrêmement vulnérables.

Je vous donne seulement deux exemples en matière scolaire. Dans l’Est de la RDC, selon l’UNICEF, 9 enfants sur 10 ne sont pas scolarisés. Au Rwanda, en ce début d’année scolaire 2001-2002, il y avait de la place pour uniquement 15'700 sur environ 64'000 enfants pouvant entrer à l’école secondaire, soit un peu plus d’un quart (26%). Tous les autres sont des proies faciles à qui promet le paradis.

Ce n’est donc pas un pur hasard que ce soit dans des pays très pauvres, sous des régimes répressifs et des régions qui connaissent l’instabilité politique et économique que l’on trouve aussi les enfants accusés de crimes. Se pose-t-on jamais la question de savoir pourquoi on parle de la RDC et pas de la Belgique qui fut sa métropole, du Rwanda et pas de la Suisse qui a à peu près la même configuration ethnique ? Simplement parce que la Belgique, la Suisse et tous les autres pays de même niveau social et économique ont depuis longtemps atteint le seuil où tout enfant en âge scolaire va à l’école, où le revenu minimum par famille permet à celle-ci de subvenir

aux besoins de tous ses membres, où le pouvoir est mis sous contrôle par une population éveillée à ses intérêts et quasi-maîtresse de ses destinées. Je veux dire que nous ne sommes pas en face de deux types d’humanités dont l’une serait tarée et l’autre exempte de pulsions aux désordres et à la guerre.

Nous sommes en face de deux mondes dont l’un est tellement dépourvu que les prédateurs font miroiter un hypothétique paradis à des enfants, sachant que ce sont d’excellents soldats, sans peur et très dociles. Ainsi donc, on ne peut pas laisser ces enfants dans cette situation et espérer que le seul appel à partir de Genève, New York ou Copenhague va changer quelque chose. Nous y reviendrons peut-être dans nos recommandations. Car il n'y a pas que l’éducation. Il y a tout ce qui va avec. Prenez par exemple les pays de transition (ex URSS). Le chômage y touche 30% des jeunes entre 15 et 25 ans. Un phénomène que leurs parents n’avaient pas connu sous le régime communiste. Pourquoi l’UCK au Kosovo et ou les autres mouvements de libération n’iraient pas pêcher entre leurs rangs ?

Les mouvements visant à protéger ces enfants ont accompli des progrès remarquables : tentatives sérieuses en vue d’arriver à interdire l’utilisation des mines anti-personnelles; l’importante étude (1996) par Mme Graça Machel sur l'impact des conflits armés sur les enfants ; la Conférence internationale sur les enfants touchés par la guerre qui s’est tenue à Winnipeg (septembre 2000) qui a contribué à sensibiliser les gouvernements, les ONGs et les experts du monde entier sur cette plaie de notre temps.

Mais à aucun moment ces différentes initiatives et appels ne vont au bout de la logique qui est que l’intérêt premier de l’enfant, le traitement de l’enfant en tant que tel NE DEVRAIT PAS ÊTRE NEGOCIABLE.

C’était je crois une erreur de l’histoire et une marque de compromis douteux que d’avoir gardé dans la Convention sur les Droits de l’Enfant, art 38 par 2, que les Etats parties prennent toutes les mesures possibles pour veiller à ce que les personnes n’ayant pas atteint l’age de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités. Depuis lors on court après l’erreur pour la corriger. Le protocole additionnel adopté par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 25 mai 2000, grâce aux efforts incroyables des ONGs, pour élever l’âge à 18 ans (qui correspond à la définition de l’enfant dans la Convention) est un bon progrès. Mais outre que dans les faits on est loin du compte, que les Etats traînent les pieds pour ratifier ce protocole, il est simplement dramatique que les responsables, soient-ils des Etats ou des groupes armés, les protagonistes dans les combats d’aujourd’hui en soient venus à considérer la valeur combattante des enfants comme une donnée de la guerre que l’on peut aménager au gré des âges et des conventions.

Ainsi on en arrive au point où, pour la première fois dans l’histoire, des enfants sont accusés d’avoir commis des crimes contre l’humanité. Plus de 4'000 au Rwanda se sont retrouvés en prison sous cette accusation. Leur catégorie se répartit de part et d’autre de l’âge de responsabilité criminelle qui est de 14 ans accomplis. C’est à dire que l’on trouve des enfants accusés de participation avant d’avoir atteint cet âge et ceux qui étaient entre 14 et 18 ans (l’âge de maturité). Ceci est une aberration. Ces enfants ne sont pas objet de la justice mais demandent d’être repris et rendus à leur

jeunesse et à leur innocence. La justice devrait les relâcher afin qu’ils bénéficient de mesures d’accompagnement qu’ici nous appelons les mesures de réhabilitation. Toute poursuite en justice impliquant des enfant-soldats doit se faire dans un optique réparatrice, garantissant la guérison morale et physique ainsi que la réinsertion.

Dans le document L'enfant et la guerre (Page 66-68)

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