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& CONSÉQUENCES

B. Un parcours de consultant et de chercheur

Notre propos est ici de montrer, à la fois nos différentes expériences d'intervention316 en tant que conseil, formateur et enseignant et comment ces expériences nous ont prédisposé et incité à ouvrir notre champ de réflexion vers celui plus spécifique de chercheur et de le formuler dans la thèse que nous vous présentons.

Après l'obtention d'un diplôme d'Études Supérieures Spécialisées en Informatique et Intelligence Artificielle en 1985, j'ai travaillé en tant que formateur puis manager d'équipes dans un groupe international d'informatique, pendant cinq ans. Cette première approche de l'entreprise m'a permis de me confronter au management situationnel de formateurs en informatique et à l'observation des prémisses de la relation sur le terrain de l'homme et de la machine dans son travail au quotidien. A l'époque, la problématique du management de l'information était déjà d'accompagner un changement de comportements quant à l'usage de technologies sensées faciliter et surtout accélérer la performance des acteurs. Au début des années 90, j'ai commencé mon parcours de consultant en management, d'abord dans un cabinet international qui m'a permis d'appréhender des théories et des pratiques de management interculturel puis dans un cabinet national, spécialisé dans l'accompagnement au changement, de la stratégie d'entreprise au coaching individuel. Ensuite, j'ai intégré un modèle de travail, encore peu usité à l'époque, celui du temps partagé. Cette posture m'a

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: Le détail complet de notre parcours peut se retrouver dans notre annexe et sur Viadéo à l'adresse : <http://www.viadeo.com/fr/profile/jean-michel.rolland>.

permis de monter mon entreprise et d'être salarié dans une école d'ingénieur. Depuis 2000, je suis responsable du département HMBI (Human Management Business Innovation) à l'Institut Supérieur d'Électronique et du Numérique de Toulon et consultant-formateur indépendant en Management des Hommes, des Équipes et des Projets.

Ma passion pour les comportements humains en situation d'apprentissage et de travail m'a incité à compléter ma formation initiale par une certification en Gestion des Ressources Humaines, en Programmation Neurolinguistique et Analyse Transactionnelle317 et à passer l'habilitation à faire passer les tests Sosie318. Si ma curiosité quant aux résultats et aux conséquences de la rencontre des hommes et des machines dans des processus de communication et de changement a débuté dès le début de mon activité professionnelle, c'est à partir de 2002, qu'a réellement commencé ma double posture de consultant en conseil et formations-actions et d'observateur des comportements induits par les TIC qui m'amène aujourd'hui à prendre cette posture de chercheur.

Ces informations éclectiques et transdisciplinaires ont aussi pour intérêt de faire comprendre au lecteur, notre logique de motivation et de compétences aux interfaces de différentes sciences, centrées sur l'accompagnement aux changements, les TIC et les comportements. Nous présenterons, enfin, de façon détaillée la base de données informationnelle, utilisée dans le cadre de nos observations dans le chapitre sur les résultats de nos recherches.

Avant de développer notre choix en termes de méthodologies de recherche, nous nous devons de rappeler la complexité de notre posture au regard des différents courants philosophiques et scientifiques dont nous dépendons. Nous sommes intimement convaincus de l'importance pour le développement de la compréhension de notre monde, des recherches sur les interfaces entre les différents domaines scientifiques sans volonté d'hégémonie des sciences concernées. Si notre posture de recherche s'inscrit dans une pensée systémique

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Stewart I., Joines V., Manuel d'Analyse Transactionnelle, Paris, InterEditions, 2000, p.160.

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: Vous trouverez les définitions de ces différents termes dans le glossaire à la fin du document ainsi que leurs modalités d'utilisation dans le cadre de nos recherches.

et pragmatique, elle se doit aussi de s'appuyer sur différents courants de pensées épistémologiques que nous proposons de décrire. Nous résumerons notre posture en explicitant en quoi nous convergeons voire divergeons face aux différents paradigmes319 les plus couramment usités de notre point de vue en sciences humaines, en corrélation avec notre étude. Nous conclurons sur une définition de notre posture de recherche mettant en symbiose le consultant et le chercheur.

La première question qui s’impose à nous, est en relation avec notre capacité d'appréhender la réalité sur laquelle nous agissons. Cette réflexion nous rapproche, des théories constructivistes qui expliquent que : « Le constructivisme320 est, en épistémologie321, un courant de pensée reposant sur

l'idée que nos représentations, nos connaissances, ou les catégories structurant ces connaissances et ces représentations ne sont que le produit de l'entendement humain (et non le reflet exact de la réalité) ». Notre rationalité et nos capacités cognitives limitées sont là entre autres, pour nous le rappeler. Le monde sur lequel nous menons des recherches est donc en co-construction permanente sous le joug de nos hypothèses et interprétations. Au regard de ce premier courant nous nous écartons de certains préceptes du positivisme qui expliquent que des faits se doivent d’être objectivables pour énoncer des lois. Entre les deux courants, la question reste posée, si nous concevons nos limites en tant qu'être humain quant à l'appréhension de faits, peut-on dans ce cas

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Le terme de "paradigme" introduit par Thomas Kuhn, qu'il a d'ailleurs suggéré de remplacer par "matrice disciplinaire", tend à désigner l'ensemble des croyances, valeurs et techniques qui sont partagées par les membres d'une communauté scientifique, au cours d'une période de consensus théorique. « Le paradigme est un cadre qui définit les problèmes et les méthodes légitimes, et qui permet ainsi une plus grande efficacité de la recherche : un langage commun favorise la diffusion des travaux et canalise les investigations ».

320 Le Moigne J.L., Le Constructivisme, t. 3 : Modéliser pour comprendre, Éd. l'Harmattan, 2003, p.336 et Le Moigne J. L. interviewé par Denis Failly à propos du livre : Le constructivisme, modéliser pour comprendre, 01/11/2006, disponible sur : <http://nextmodernitylibrary.blogspirit.com/archive/2006/01/11/le-constructivisme-

modeliser-pour-comprendre-t3.html>, consulté le 03/12/2008. 321

David A., Logique, épistémologie et méthodologie en sciences de gestion : trois hypothèses revisitées in Les nouvelles fondations des sciences de gestion, coordonné par Albert David, Armand Hatchuel et Romain Laufer. FNEGE, Vuibert, 2000a.

émettre des hypothèses de généralisation, de même si nous émettons des hypothèses, en quoi sommes-nous en mesure des les prouver sur base de faits, eux-mêmes sujets aux risques de nos interprétations. Nous ne trouverons pas nos solutions en posant le problème de façon aussi binaire. Les différents courants de pensées évoluent vers un relativisme annonciateur à la fois de solutions intermédiaires mais aussi de plus grande complexité pour expliciter les phénomènes étudiés. Miles M.B. et Huberman A.M.322, cités par Perret V. et Séville M. (2003)323, écrivent : « Nous pensons que les phénomènes sociaux existent non seulement dans les esprits mais aussi dans le monde réel et qu'on peut découvrir entre eux quelques relations légitimes raisonnablement stables [...] ». Ils complètent leurs propos en explicitant : « [...], ces perceptions sont donc cruciales lorsqu'il s'agit de comprendre pourquoi les comportements prennent telle ou telle forme ».

Dans le cadre de nos recherches, nous nous sommes de plus concentrés plus sur le « comment » que sur le « pourquoi » des processus et des comportements qui en découlent.

Cette dichotomie entre le comment et le pourquoi, mise en évidence, notamment par l'école de Palo Alto, est à relativiser avec l'essor des sciences cognitives qui par ailleurs tendent à montrer qu'à un certain niveau, il n'y a plus entre le pourquoi et le comment de séparabilité aussi nette que celle qu'on y voyait autrefois, comme le définit le principe d'autopoïèse324. En effet, l’analogie avec notre étude n’est pas fortuite et s’inscrit bien, au regard de nos observations, dans un réseau d’acteurs communiquant à l’aide des TIC, qui produisent et reçoivent des informations, générant ainsi des comportements, qui se transforment sous l’effet des boucles rétroactives d’échanges d’informations

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Miles, M.B., Huberman, A.M., Qualitative Data Analysis: An expanded sourcebook (2nd edn.), Sage:London & Thousand Oaks, California, 1994, p.410.

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Perret V., Séville M., Fondements épistémologiques de la recherche, in Méthodes de recherche en management, sous la dir. R.A Thiétart, Dunod, Paris, 2003.

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Nous faisons référence ici à Varela F.(1972) qui définit un système autopoïétique par « Une organisation comme un réseau de processus de production de composants qui régénèrent continuellement par leurs transformations et leurs interactions le réseau qui les a produits et constituent le système en tant qu'unité concrète dans l'espace où il existe, en spécifiant le domaine topologique où il se réalise comme réseau ».

régissant la vie du réseau. La communauté scientifique prend ainsi de plus en plus conscience que le chercheur transforme une réalité inconnue en un objet d’observation.

Dans notre domaine scientifique de recherche, les sciences de l'information et de la communication regroupent un ensemble de disciplines touchant notamment au domaine de la communication organisationnelle et au management de l'information325. La posture systémique de ses recherches ouvre ainsi un vaste champ de réflexions et d'interventions pour les chercheurs comme pour les consultants.

La recherche-action326 ou recherche praxéologique, est une méthode de recherche scientifique fondée par Lewin K. Elle propose un ensemble de techniques de recherche qui permettent de réaliser des expériences réelles dans des groupes sociaux naturels. Ces techniques sont fondées sur l'idée que dans le cadre de l'expérimentation sociologique, la recherche et l'action peuvent être unifiées au sein d'une même activité. « Il s'agit de recherches dans lesquelles il y a une action délibérée de transformation de la réalité ; recherches ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations », comme l'écrivent Hugon M.A. et Seibel C. (1988)327

, le chercheur est plus qu'un observateur, il participe, à la fois sujet et objet du processus d'intervention.

Au regard de nos échanges, et en s'appuyant sur la volonté du consultant à s'adapter au monde de la recherche, nous avons recensé un certain nombre d'indicateurs d'évolution nécessaires au consultant pour exister à part entière dans la posture de chercheur :

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Deschamps C., Le nouveau management de l'information. La gestion des connaissances au coeur de l'entreprise 2.0, FYP éditions, 2009.

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Creze F., Liu M., (coord.), La recherche-action et les transformations sociales, Paris, Éditions de l'Harmattan, 2006 et Olgierd K., Vrancken D., La sociologie et l'intervention, Enjeux et perspectives, préface de Michel Crozier, Collection : Ouvertures sociologiques, 2001, pp.111-131.

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Hugon M.-A., Seibel C., Recherches impliquées, Recherches action : Le cas de l'éducation, Belgique, De Boeck Université, 1988, p.13.

 La première clé de changement de posture demandée est liée aux savoirs. En effet, la référence aux pairs doit être menée conjointement aux actions de recherche menées sur le terrain. Ce travail de recherche bibliographique doit permettre d'avancer en corrélation avec les réflexions des auteurs dans une logique à la fois comparative des résultats théoriques et pratiques. Comme nous l'avons vue, cette démarche se veut évolutive en passant d'une approche holistico-inductive à une approche hypothéco-déductive.

 La deuxième clé, est l'existence de protocole par nature objectivable. Le sujet est plus complexe, notamment en sciences humaines où la reproductibilité sur appui d'une base statistique sert de référence. La logique de l'efficience face à la logique d'efficacité et la priorisation de la méthode face aux résultats, demandent au consultant postulant au monde de la recherche, une vraie remise en cause dans sa façon de poser et résoudre des problématiques en relation avec son domaine d'expertise. La forme, que cela soit sur l'aspect méthodologique ou sur les écrits (publications, ouvrages ...) revêt un aspect à la fois contraignant et complexe pour des non initiés.

 La troisième clé, ouvre la serrure des finalités. Sans parler forcément d'éthique, la liberté du chercheur sur le fond de ses recherches permet de faire avancer son domaine de spécialité, il en décide les limites et les objectifs, le tout pour faire avancer l'humain dans sa compréhension du monde. Cet altruisme intellectuel, peut s'opposer aux besoins économiques plus liés au monde du consulting. Un pont est-il possible entre ces deux univers ? Pour le consultant qui souhaite s'intégrer au monde de la recherche, c'est peut-être là que ressort toute l'ambiguïté et la complexité de la démarche. Est-ce simplement l’argent qui est en cause et devient un frein à la validité d’une acte de recherche, ou la façon éthique ou déontologique de l’utiliser.

Si le passage de consultant à chercheur reste en effet parsemé d'obstacles, notamment en termes de changement de posture intellectuelle et d'interventions, les préjugés restent encore puissants entre les deux communautés et sont peut- être à l'origine des vraies difficultés de la problématique avancée, plus ou moins

d'actualité suivant les cultures. Legendre B.328 écrit : « [...] en rappelant un des éléments de la distinction entre recherche fondamentale (l’élaboration ou la discussion de concepts et outils d’analyse) et recherche appliquée (la mise en œuvre de ces outils et concepts dans des situations socio-économiques, industrielles, politiques…), le retour sur cette recherche tend aussi à illustrer les possibles passerelles entre les deux approches et la fertilité de leur conjugaison ». Une troisième passerelle reste à franchir, de la recherche appliquée vers le consultant chercheur ou le chercheur consultant. En effet, qu'en est-il de l'acte inverse, c'est-à-dire l'intégration d'un chercheur dans un processus de consulting, ce deuxième acte semblant poser moins de problèmes. La fonction de consultant-chercheur ou de chercheur-consultant utilisée par des chercheurs, est aujourd'hui couramment usitée dans les propositions d'interventions faites aux entreprises. Malgré tout, les clés du changement dans ce contexte, existent et restent à définir329 en termes de postures vis-à-vis des méthodes scientifiques à utiliser.

Notre parti pris d'une méthodologie en psychosociologie330, nous amène à chercher à comprendre les acteurs dans un processus de changement331, ce dernier étant lié au processus d'observation332 des comportements induits par l'intégration des TIC dans le cadre d'actes managériaux à distance. D'après les auteurs, chercheurs en psychosociologie, ce type d'étude est rendue possible car

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Legendre B., Recherche fondamentale / recherche appliquée : le terrain comme espace commun, Les cahiers de la SFIC, N°3, Juin 2008.

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Pecquet P., Méthode d’enquête situationniste des comportements induits (M.E.S.C.I.) : Le cas des TIC, Les Applications des Tics dans les pays du Maghreb, Université Montpellier, in Les cahiers du CREAD, 2005.

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La psychosociologie peut être considérée comme science de l'action et pratique d'intervention (praxis) engagée dans la vie sociale. Elle constitue un domaine de recherche et de pratiques d'interventions variées. Il s'agit d'un courant transdisciplinaire d'apparition récente qui rassemble des sociologues, des psychologues, des

psychanalystes, des pédagogues. Disponible sur :

<http://fr.wikipedia.org/wiki/Psychosociologie>, consulté le 15/11/2009. 331

Dans notre étude, nous parlons des changements en lien avec le travail à distance, l'utilisation de TIC et la façon de diriger et motiver les acteurs ainsi concernés.

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En psychologie, l'observation, c'est s'accaparer certains éléments du réel et en ignorer d'autres. Cependant, bien que l'objectif autour duquel s'organise l'observation oblige à la restriction, il permet également d'optimiser et de mieux circonscrire l'objet d'étude. La qualité des informations recueillies n'en sera que meilleure.

le clivage entre recherche et action disparaît. Si l'on sait que toute observation influence et modifie les comportements de la personne observée, en particulier en sciences sociales, en psychosociologie, le fait de participer en plus à l'acte de changement est considéré comme recevable en termes de recherche. Il est donc évident comme le précise Bennis W.G.333, chercheur et consultant, disciple de Lewin K. en 1961 : «... une typologie des processus de changement permet de positionner les interventions en psychosociologie ... ».

La théorie que nous proposons rentre dans le cadre du pragmatisme de Pierce C.S. développé par Tiercelin C334, impulse l'idée que nos résultats puissent être utilisés concrètement dans l'action et pour l'action, et soit donc naturellement réfutable en cas d'insuccès. Elle se veut donc analysable à la fois sous son aspect sémiotique et systémique malgré nos limites cognitives et notre rationalité limitée. Nous conclurons, en osmose avec les propos de Pérocheau G .(2009)335, chercheur sur les processus collectif d'innovation336: « Notre démarche scientifique est dans un paradigme pragmatique, pour ce qui est de l'épistémologie (plusieurs façons de créer des connaissances sont acceptables) et une ontologie conforme à celle du réalisme critique (nous postulons qu'un monde réel existe, partiellement connaissable) ».