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Un modèle à quatre pattes

Dans le document Propulsion et friction d'objets non mouillants (Page 109-114)

6.3 L’argyronète réelle

6.3.2 Un modèle à quatre pattes

Afin de comprendre le rôle des pattes de l’araignée dans la formation d’une cavité d’air et la capture d’une bulle, nous ajoutons quatre pattes à la bille superhydrophobe dans le dispositif expérimental (figure 6.15a). Ce sont des tiges de nickel de 1 mm de diamètre disposées verticalement autour de la bille et maintenues par son champ magnétique. Elles dépassent d’environ 4 mm au-dessus de la bille, ce qui est comparable au cas de l’araignée réelle (cf. figure 6.2b). Elles ne sont pas traitées superhydrophobes, l’angle de contact avec l’eau est de l’ordre de 90◦. Nous réalisons l’expérience avec la bille de 5 mm de diamètre,

6.3. L’ARGYRONÈTE RÉELLE 101 La cavité d’air

La vitesse de l’araignée lors de la prise de bulle est de 0,2 m/s. La figure 6.15b montre la fermeture de la cavité pour une bille nue de 2,5 mm de rayon et descendue à cette vitesse. Le pincement a lieu au niveau de la bille, dont la vitesse est inférieure au seuil de capture. Nous comparons, sur la figure 6.15c, l’état de la cavité avec une bille entourée cette fois de quatre pattes et descendue également à 0,2 m/s. A la même altitude que la bille nue, les quatre tiges verticales maintiennent la cavité ouverte. Celle-ci se pince 4 mm plus bas (figure 6.15d). Cette analyse qualitative confirme que les pattes jouent un rôle stabilisateur pour la cavité.

(b) (c) (d)

Figure 6.15 – (a) Schéma de l’expérience. La bille superhydrophobe est entourée de quatre tiges de

1 mm de diamètre qui dépassent la bille de 4 mm. Elles symbolisent les pattes de l’araignée. (b) Pincement de la cavité pour une bille sans patte, de rayon R = 2,5 mm et descendue avec une vitesse V = 0,2 m/s. (c) Etat de la cavité à la même altitude pour une bille similaire entourée de pattes et descendue à la même vitesse. (d) Pincement de la cavité pour la bille décrite en (c).

Nous avons mesuré la hauteur H de la cavité lors de son pincement pour différentes vitesses V de la bille. La figure 6.16a montre ces résultats pour deux billes de 2,5 mm de rayon, l’une sans patte et l’autre avec. Les droites ajustent les données avec une fonction affine et servent de guide. La présence des pattes augmente de quelques millimètres la hauteur de pincement.

Nous avons également mesuré le volume d’air Ω capturé par la bille à pattes en fonction de la vitesse (figure 6.16b). En comparaison avec la même bille nue, le seuil de prise de bulle est peu modifié par la présence des pattes. En revanche, H étant plus important, Ω croît plus rapidement grâce à la présence des pattes.

L’ajout de pattes statiques à notre araignée modèle permet de créer une cavité plus grande. En revanche, ce n’est pas suffisant pour capturer une bulle d’air avec une vitesse proche de celle de l’argyronète. Les pattes jouent donc un second rôle que nous avons observé sur la chronophotographie (figure 6.13) : en plus d’allonger la cavité, elles la coupent au niveau de la surface et emprisonnent ainsi une bulle sous l’eau.

(a) 0 0.2 0.4 0.6 0.8 5 10 15 20 V (m/s) H (mm) A vec Pa t t esS a n s P a t t e (b) 0 0.5 1 1.5 0 10 20 30 40 50 60 70 V (m/s) Ω (µ L ) A vec Pa t t es S a n s P a t t e

Figure6.16 –(a) Hauteur H de la cavité lors du pincement en fonction de la vitesse V pour une bille

sans patte ou avec. Le rayon des billes est de 2,5 mm. (b) Volume Ω de la bulle d’air en fonction de la vitesse V pour les deux mêmes billes.

Le volume de la bulle

Lorsque l’argyronète emporte la bulle jusqu’à sa cloche, elle garde les deux pattes arrières le long de la bulle (cf. figure 6.2b). Cela pose la question de l’accrochage de la bulle et du volume maximum que peut emporter l’araignée. Comme nous l’avons vu lors des expériences avec l’argyronète modèle, si la bulle est trop volumineuse, elle se détache (paragraphe 6.2.2 et figure 6.7) : il existe un volume d’air maximum ΩM que peut maintenir

la bille superhydrophobe. Pour le mesurer, nous avons gonflé à l’aide d’une seringue une bulle produite avec notre dispositif expérimental, puis nous avons mesuré son volume juste avant le détachement. Le tableau 6.1 regroupe les résultats obtenus avec les trois tailles de bille ainsi qu’avec celle entourée de pattes. Nous avons également ajouté le volume moyen mesuré pour des bulles capturées par une argyronète vivante dont la taille de l’abdomen est de 5 mm (cf. figure 6.13). ΩM croît avec la taille de la bille et on remarque que la

présence des pattes artificielles l’augmente de 40% : de 76 μL à 105 μL pour la bille de 5 mm. Cette dernière valeur est très proche de celle mesurée sur des bulles d’argyronète : l’araignée optimise la quantité d’air qu’elle peut capturer (si bien qu’il peut lui arriver de perdre sa bulle lors du trajet vers sa cloche, comme nous avons pu le voir sur un des films [103]). Les pattes jouent donc également un rôle majeur dans la stabilisation de la bulle d’air sous l’eau en accrochant la surface eau/air.

Conclusion

Nous nous sommes intéressé ici à la manipulation de bulles d’air sous l’eau par l’argy- ronète aquatique. Nous avons d’abord imaginé un modèle simple d’araignée fondé sur le déplacement rapide de l’abdomen superhydrophobe. Avec cette technique, nous mettons en évidence une vitesse seuil de 0,5 m/s pour la prise de bulle. En comparant les résul- tats obtenus avec des spécimens vivants filmés avec une caméra rapide, nous avons mis en évidence le rôle important des quatre pattes arrières dans cette action. Ces dernières permettent d’allonger la cavité d’air créée avec la surface puis de la couper. L’araignée

6.3. L’ARGYRONÈTE RÉELLE 103

Support Pattes Diamètre Volume ΩM

Bille Sans 3 mm 44 ± 2 μL

Bille Sans 5 mm 76 ± 2 μL

Bille Sans 6 mm 96 ± 3 μL

Bille Avec 5 mm 105 ± 10 μL

Argyronète Avec 5 mm 110 ± 30 μL

Table 6.1 – Volume maximum ΩM supporté par une bille superhydrophobe, avec ou sans pattes

artificielles. La dernière ligne correspond à la moyenne des volumes de bulles capturées par une argyronète, mesurée sur six expériences similaires à la figure 6.13.

réduit ainsi d’un facteur 5 la vitesse nécessaire à la capture d’une bulle de 100 μL, par rapport à un système modèle agrémenté de pattes statiques. La prochaine évolution de l’araignée modèle pourrait donc être l’ajout d’un système qui coupe, sous la surface, la cavité avec une vitesse contrôlée.

Cette araignée au mode de vie singulier n’intéresse pas uniquement les scientifiques. Le réalisateur japonais Hayao Miyazaki l’a mise en scène dans un court métrage animé (figure 6.17). Elle y apparaît au côté d’un gerris, une autre petite bête dont les propriétés superhydrophobes ont également attiré les physiciens ces dernières années [61, 49]. On voit ainsi comment des surfaces superhydrophobes permettent d’engendrer des fonctions spéciales (injection d’air pour l’argyronète, flottation et friction faible pour le gerris), vi- tales pour ces espèces qui en dépendent.

Chapitre 7

Plantes aquatiques superhydrophobes

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7.1 Survie de la Myriophylle . . . 105

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