5.3 Résultats empiriques obtenus pour l’Europe Centrale et Orientale
5.3.2 Types d’IDE et leur relation avec l’investissement local. M&A versus greenfield
Toutes les études existantes traitent les IDE en tant que flux homogène de capital, approche
que nous avons également suivie dans la section précédente. Pourtant, dans la structure des
flux nous pouvons identifier différents types d'IDE, dont les implications pour la relation avec
l’investissement local pourraient être très différentes. Une distinction qui nous paraît
particulièrement pertinente pour notre analyse est selon le mode d'entrée sur le marché local,
car elle fournit des informations sur la motivation des investisseurs étrangers. Ainsi, nous
analysons les investissements greenfield et les fusions et acquisitions (M&A). Dans cette
section, nous analysons l'effet des IDE sur l’investissement local selon ces deux types de
capital. À notre connaissance, notre étude est la première à prendre en compte cette
distinction dans le contexte de la relation IDE-investissement local
35. D’abord, nous exposons
les arguments pour anticiper des implications différentes à partir des deux types d’IDE et
ensuite nous présentons les résultats obtenus lors de l’analyse empirique.
Dans le cas des investissements greenfield, la filière étrangère se constitue dans une société
entièrement nouvelle, sans avoir de prédécesseur local et sans un stock de capital existant. En
achetant des biens de capital, les investissements greenfield représentent un gain net à
l’accumulation de capital. Par contre, dans le cas d’une prise de participation dans une
entreprise locale existante (M&A), le flux financier se traduit par un changement de propriété
des actifs existants, sans impliquer obligatoirement l’achat de nouveaux actifs. Pour cette
raison, les quelques références de la littérature suggère que les investissements greenfield sont
susceptibles d’avoir un impact plus élevé sur l’accumulation de capital que les M&A (Agosin
et Machado, 2005 ; Mileva, 2008). Cependant, il existe des études montrant que les M&A
peuvent être suivies par des investissements ultérieures de modernisation et amélioration des
technologies de production, qui auraient pas eu lieu dans l’absence de l’investisseur étranger
(Agosin, 1996, UNCTAD, 1999). Pour cette raison, UNECA (2006) suggère qu’à long terme,
il semble ne pas y avoir de différence entre l'accumulation du capital suite aux
investissements greenfield ou bien aux M&A.
Concernant les investissements greenfield, la littérature postule que leur coefficient dans
l'explication de l’investissement total devrait être égal à 1, car il reflète uniquement un calcul
comptable (Mileva, 2008). Pratiquement, ça voudrait dite que le montant des investissements
greenfield se retrouve intégralement dans la formation de capital fixe. Cependant, cette
optique néglige le fait que les IDE sont un flux financier et pas un flux réel, que ce soit
greenfield ou M&A. Un investissement direct étranger est un transfert financier de la société
mère à la filiale, qui peut prendre trois formes : la prise de participation, les bénéfices
réinvestis ou les prêts intra-groupe. Il n'y a aucune garantie que ces flux se transforment
(intégralement ou partiellement) dans des investissements réels de capital fixe, même pas dans
le cas des greenfield. Nous pouvons bien sûr supposer que la plupart des transferts financiers
reflètent l'acquisition d'actifs, mais ils peuvent aussi bien financer des couts opérationnels.
Ainsi, au niveau agrégé, il est difficile d'estimer la mesure dans laquelle ces flux financent
l'achat des moyens fixes. En effet, la probabilité que ce phénomène se produise est plus élevée
pour les IDE greenfield que pour les M&A, mais la relation n'est pas du tout déterministe.
Si nous essayons de faire une corrélation entre le mode d'entrée des investisseurs étrangers et
leurs objectifs, les M&A semblent être plutôt orientés vers le marché local. De toute évidence,
ces entreprises sont implantées dans des secteurs existants, avec des relations commerciales
stables avec d'autres entreprises locales. La période suivant une prise de participation
comprend normalement un processus de modernisation et de rénovation dans le but
d’améliorer la productivité et la qualité des produits. Dans cette perspective, le risque d'un
éventuel effet négatif de la concurrence sur d'autres investissements locaux est élevé. D’autre
part, une bonne partie des investissements greenfield sont destinés aux marchés étrangers,
donc il y a moins de concurrence directe des producteurs locaux
36. Dans la mesure où
l’approvisionnement des intrants se fait sur le marché interne, ceci peut même stimuler de
nouveaux investissements de la part des fournisseurs en place.
À partir des arguments présentés antérieurement, nous remarquons que les implications de
deux types d'IDE sur l’investissement local sont loin d'être clarifiées. La littérature empirique
sur ce sujet est quasi inexistante. La seule étude qui rejoint notre problématique est Calderon
et al. (2004). Ils ne s’intéressent pas à l’influence des IDE sur l’investissement local, mais aux
relations de causalité qui existe entre les deux types d'IDE d’une part et la formation brute de
capital et la croissance économique, d’autre part. En utilisant des données annuelles pour la
période 1987-2001 sur 77 pays industrialisés et émergents, ces auteurs appliquent la
méthodologie VAR suivie par des tests de causalité de Granger. Leur conclusion est que tant
les investissements greenfield que les M&A causent la formation brute de capital fixe. Ce
résultat, pas surprenant au premier regard, peut-être intéressant dans l’idée qu’il se référe
également aux M&A. Cependant, cette étude ne donne aucune information sur la relation
entre les deux types d'IDE et l’investissement domestique. Est-ce qu’il s'agit d'une
substitution ou d’une complémentarité?
Dans ce qui suit, nous étendons l'analyse précédente en séparant les flux d'IDE en
investissements greenfield (notés GREEN) et les fusions et acquisitions (notés M&A). Les
36
Théoriquement, il existe également la possibilité que les IDE soient en concurrence avec les entreprises locales sur les marchés externes. Empiriquement, ce phénomène est difficile à mettre en évidence à partir des données macroéconomiques disponibles.
données sur les fusions et acquisitions transfrontalières sont collectées par UNCTAD
37. La
variable des investissements greenfield GREEN, est construite par différence entre les flux
totaux d'IDE et de M&A
38(selon Calderon et al. 2004 et Wang et Wong, 2009). Nous
remplaçons donc les IDE par les deux composantes et refaisons les estimations de la fonction
d’investissement. Les résultats obtenus se trouvent dans le tableau 5.6. Notre attention sera
dirigée vers l'interprétation des résultats pour nos variables d'intérêt : FDI, M&A et GREEN.
Si les flux totaux d’IDE ont un effet positif, mais sous-unitaire, sur la formation brute de
capital, la situation est différente selon le type d'IDE. Ainsi, les fusions et acquisitions (M&A)
ne semblent pas avoir d’effet concluant, tandis que les investissements greenfield ont une
contribution significative à l'accumulation de capital. Nous remarquons également que le
coefficient de la variable GREEN, bien qu’il soit le double du coefficient global de FDI, reste
toute de même sous-unitaire.
Nos résultats confirment ainsi que les investissements étrangers greenfield gardent à court
terme la dynamique de substitution aux investissements locaux. Pourtant, leur matérialisation
en investissement réel productif est beaucoup plus évidente que pour les flux totaux d'IDE (les
coefficients sont plus proches de 1). D'autre part, le coefficient des M&A nous confirme
l’intuition. Elles n'ont aucun effet sur l'accumulation du capital, ayant plutôt un caractère de
transaction financière que d'investissement réel. A cet égard, le coefficient de la variable FDI
peut être interprété comme la contribution moyenne pondérée des deux types d'IDE, sachant
que la part des investissements greenfield est plus importante que celle des M&A (voir la
figure 5.2 p. 122).
Le calcul des élasticités à long terme nous donne des informations supplémentaires
concernant la relation entre les IDE et l'investissement local. Le tableau 5.7 contient les
valeurs de ces élasticités pour les flux totaux et également pour les deux types d'IDE.
37 Pour la construction de la série de M&A nous utilisons différentes éditions des rapports UNCTAD - World Investment Report.
38
Nous sommes conscients que cette mesure n'est pas idéale, mais étant donné l’absence de données directes sur les investissements greenfield, celle-ci est la meilleure solution. Cette mesure a déjà été utilisée entre autres par Calderon et al. (2004) et Wang et Wong (2009). UNCTAD affirme que les flux d'IDE peuvent être approximés par la somme des M&A et des investissements greenfield (UNCTAD, 2000, p.114-119).
Tableau 5.6 Les types d’IDE et leurs effets sur l’investissement local
(1) (2)
L.GFCF 0.555*** 0.441**
(0.123) (0.182)
L.GROWTH 0.102* 0.102
(0.061) (0.086)
INTEREST 0.004 0.005
(0.048) (0.067)
FDI 0.309**
(0.131)
M&A 0.313
(0.203)
GREEN 0.721***
(0.250)
PORTF 0.066 0.245
(0.096) (0.154)
LOANS 0.361*** 0.196*
(0.138) (0.118)
VOLAT -0.018 -0.001
(0.027) (0.039)
TERMS_TRADE 9.448** 8.839*
(4.902) (5.021)
trend -0.166*** -0.141*
(0.053) (0.078)
Observations 139 124
Instruments 10 11
Sargan test 0.301 0.045
Sargan p-value 0.860 0.978
AR1 p-value 0.0008 0.0038
AR2 p-value 0.565 0.899
Remarque : La variable dépendante est la formation du capital fixe GFCF. Les estimations sont faites
en utilisant la méthode GMM Différence. Entre parenthèses sont les erreurs types. Les notations *, **
et *** se référer aux seuils de signification de 10%, 5% et 1%. Le test Bond Arrelano AR (2) a pour
hypothèse nulle le manque de l’auto-corrélation d’ordre 2 des résidus. Le test de Sargan de validité des
instruments a pour hypothèse nulle l’exogénéité des instruments. Les coefficients sont légèrement
différents de ceux dans le Tableau 5.4 en raison du fait qu’on a éliminé la variables non-significative
DEV_M2 à la fois des explicatives et de la liste d’instruments.
Tableau 5.7 Elasticités de long terme selon le type d’IDE
Total IDE
(FDI)
Fusions et acquisitions
(M&A)
Greenfield
(GREEN)
Elasticités de long 0.695* 0.560 1.289**
terme (0.359) (0.402) (0.582)
La valeur obtenue pour les flux totaux confirme les résultats précédents, étant plus élevée que
le coefficient de court terme (environ 0.7). En revanche, nous obtenons pour les
investissements greenfield une l'élasticité à long terme supérieure à 1 (
LT1.289
GREEN