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Turbulence intégrable en eau peu profonde

3.3.1 Théorie

En 1999 El, Gurevich et Zybkin [27] considérèrent l'évolution d'une condition initiale apério-dique régie par KdV. Les résultats observés furent très diérents de ceux obtenus par Zabusky et Kruskal dans un cas périodique. La condition initiale oscillant à grande échelle ssionne en solitons similairement au problème de ZK, mais l'apériodicité conduit au mélange aléatoire des phases de ces solitons donnant au système un caractère stochastique et interdisant le phénomène de récurence. Ces travaux, associés aux avancées sur le gaz dense de solitons relatés plus haut, débouchèrent en 2009 sur l'établissement du cadre théorique de la turbulence intégrable par Za-kharov [66]. L'idée derrière cette théorie est d'apporter une description statistique aux systèmes stochastique régis par une équation intégrable et conservant donc une innité de quantités. Le gaz de solitons dont nous avons parlé plus haut est le cas limite de cette théorie où tous les modes sont localisés. Cette théorie est jeune et de nombreux points sont à explorer quant aux caractéristiques statistiques des champs de vagues dans de tels régimes. Dans la suite de cette section, on présentera d'abord les études numériques menés dans ce cadre puis on s'intéressera aux observations dans les systèmes réels et notamment océaniques (et donc non strictement intégrable puisque soumis, notamment, à des forces dissipatives).

3.3.2 Expérience numérique

Figure 3.2: Spectre initial de Fourier et Spectre PIST au temps long tiré de [40]. Les premières expériences numériques visant à étudier des régimes aléatoires régis par

l'équa-3.3. Turbulence intégrable en eau peu profonde 41

tion de KdV furent menés par Osborne en 93 [40]. Il dénit une condition initiale à partir d'un spectre de Fourier en k suivant une loi de puissance (ici -2) puis en calcul la décomposition en modes non-linéaires grâce à la PIST. Il tire ensuite aléatoirement les phases de ces modes. Il observe alors que le spectre des radiations à haute fréquence conserve la pente de -2 initiale tan-dis que les modes de fréquences inférieures à un niveau de référence donnée se désolidarisent de cette tendance (gure3.2). En laissant évoluer ce système, les solitons nissent par se séparer et être visibles à l'÷il. Cette expérience met en évidence la pertinence de la description des basses fréquences comme un gaz de solitons. On peut regretter que ne soit pas fourni le spectre de Fourier complet en n d'évolution et le manque de commentaire sur une éventuelle convergence de celui-ci au temps long.

Figure 3.3: Evolution du spectre initial pour diérents nombre d'Ursell (a) 0.2, (b) 0.5, (c) 0.7, (d) 0.95. Figure tirée de [49].

En 2005, Pelinovsky et Sergeeva [49] s'intéressèrent à l'évolution d'un champ de vague initiale dont les 256 composantes de Fourier sont tirées aléatoirement an de construire un spectre de forme gaussienne. Il est alors constaté que le spectre et les moments d'ordre 3 et 4 convergent vers un état stationnaire fonction du nombre d'Ursell initial (déni à partir de la longueur

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ractéristique associée au maximum d'énergie sur le spectre, et de la hauteur signicative des vagues). Notamment plus les non-linéarités sont grandes, plus le spectre converge vers une dis-tribution uniforme de l'énergie sur les basses fréquences (gure 3.3) et plus le champ de vague est asymétrique (skewness et kurtosis croissent).

3.3.3 Mesures dans l'océan et le laboratoire

Les études de régimes aléatoires décrits par KdV dans l'océan ou en laboratoire ne sont pas nombreuses. Plusieurs dicultés se présentent à l'expérimentateur. Dans les systèmes naturels, il faut être capable de ltrer les composantes du spectre qui ne sont pas régis par KdV pour pouvoir appliquer la PIST et conduire l'analyse sur un champ de vagues supposé unidirectionnel et stationnaire. Dans le laboratoire, la diculté vient de la création d'un champ de vagues aléatoires. Pour ce faire, il doit pouvoir évoluer susamment longtemps pour s'aranchir des conditions de génération ce qui, si on s'intéresse à KdV, nécessite des infrastructures très grandes. Les principaux contributeurs sont encore Osborne et ses coauteurs qui par leur maîtrise de la PIST peuvent conduire une analyse assez ne.

Mer adriatique, Ursell = 0.1, système dominé par des ondes cnoïdales peu non-linéaires :

Dans le chapitre 28 de son livre [46], Osborne décrit des travaux réalisés entre 1988 et 1998 en collaboration avec L.Cavaleri. Il présente les résultats de l'analyse de Fourier non-linéaire (ou PIST) d'un champ de vague unidirectionnel dans la mer adriatique par 16.5 m de profondeur à 20 km de Venise. La hauteur signicative est de 2.5 m et le pic d'énergie du système se situe entre 0.1 et 0.12 Hz. Cela correspond à un nombre d'Ursell typique égale à 0.1 : les non-linéarités du système sont donc faibles. KdV est valable jusqu'à 0.14 Hz, après quoi l'on quitte le domaine de l'eau peu profonde et donc de la turbulence intégrable.

Le spectre de la PIST est découpée en plusieurs sous-régions. L'implémentation de la PIST à l'aide des fonctions Thétas permet alors de reconstruire chaque mode (gure2.8), ou le signal correspondant à chaque zone spectrale (gure 3.4) ainsi que les termes d'interactions entre ces sous-régions. Osborne montre que ces interactions sont faibles(gure 3.4) . En revanche, au sein du domaine spectrale correspondant aux modes solitoniques, les interactions sont fortes et conduisent comme attendu à une réduction de l'amplitude du champ de vagues (de part le mécanisme d'interaction forte). Il est également remarqué que les phases ne semblent pas aléatoires dans les basses fréquences sans que l'analyse soit poussée plus loin.

Donnée de Duck Pier, Caroline du nord, Ursell=0.82, système dominé par des soli-tons :

Dans le chapitre 30 de son livre[47], Osborne discute des données collectées par Long et Resio en 2007 en Caroline du Nord [35]. Le champ de vagues mesuré est unidirectionnel, se propage à une profondeur de 7.87 m avec une hauteur de vague signicative de 2.4 m et un pic spectral d'énergie à 0.066 Hz.

Le spectre de la PIST révèle alors que la plupart de l'énergie se répartit entre des modes so-litoniques (m > 0.99) qui occupent toutes les basses fréquences. Le plateau d'énergie à basses fréquences est interprété comme un gaz de solitons dont les phases sont aléatoires (gure 3.5).

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Figure 3.4: Reconstruction des trains d'ondes correspondants aux diérents domaines spectraux. Le domaine des solitons correspond par exemple aux modes de modules importants

situés aux très basses fréquences. Le terme d'interaction non-linéaire est le terme qu'il faut ajouter aux autres contributions pour que la somme totale reconstruise le champ de vagues.

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Figure 3.5: Spectre PIST d'un champ de vagues par une profondeur de 7.87 m avec une hauteur de vague signicative de 2.4 m et un pic spectral d'énergie à 0.066 Hz. Les modes de

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Figure 3.6: Spectre de Fourier, les domaines de validité de KdV et NLS sont bien délimités. Figure tirée de [10].

Donnée de Currituck Sound, caroline du nord, gas de soliton pure :

Dans un article paru en 2014, Costa et al analyse un champ de vagues de hauteur signicative 0.52 m se propageant à une profondeur de 2.63 m [10]. Les observations ont eu lieu pendant une tempête occasionnant des ondes très longues pendant une grande durée. Cela a permis le développement du gaz de solitons sur un large domaine fréquentiel. Ce régime est particulier au sens ou l'ensemble des modes appartenant au domaine de validité de KdV ont été identiés comme des solitons par la PIST. Ce régime peut ainsi être interprété comme un gaz de solitons. La signature de ce régime est une loi de puissance en -1 en fréquence sur la densité spectrale d'énergie (gure3.6) qui a été observée pour chacune des 14 séries temporelles, durant la tempête, considérées dans l'article. Cette pente est à associer à la distribution de solitons suivante (gure

3.7). On observe une forte densité de petits solitons de laquelle se détachent quelques grands solitons.

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Figure 3.7: Amplitudes des modes solitoniques en fonction de leurs fréquences (a) et distribution de probabilité des amplitudes de solitons (b) relatif à un état de turbulence

solitonique. Figure tirée de[10]. Gaz de solitons généré par le vent en laboratoire :

Giovanangeli et coauteurs [25] se sont intéressés au contenu solitonique d'une houle générée par le vent dans un canal de 8.65 m par une profondeur de 1 cm ce qui permet d'étendre le domaine fréquentiel de KdV jusqu'à 10Hz. Leur méthode d'analyse est basée sur le décompte des solitons contenus dans chaque intumescence du signal à partir d'un niveau de référence pris au niveau moyen. Ils dégagent les observations suivantes :

- Le spectre de Fourier comporte un plateau d'énergie aux fréquences basses (gure 3.8). - La distribution de solitons est invariante au cours du temps à une position donnée.

- La distribution de solitons varie fortement suivant si la mesure est réalisée à 1 ou 3 m de la génération.

3.3.4 Bilan

En conclusion de cette revue bibliographique concernant les états de turbulence intégrable en eau peu profonde, on peut tirer les tendances suivantes concernant leur description statistique : Le spectre de Fourier La pente de -1 (en fréquence) observée par Costa et al. semble in-diquée que pour certaines distributions de solitons un régime stationnaire solitonique peut être caractérisé par une loi de puissance dans l'espace de Fourier. Ce résultat surprenant n'a été ob-servé qu'une fois et il caractérise probablement plus la conguration dans laquelle les auteurs se trouvaient que les gaz de solitons en général. Il reste à établir si cette loi de puissance est liée à un mécanisme de génération à la pureté du gaz (pas de spectre intermédiaire), à la densité du gaz ou encore à la distribution de solitons (quelques solitons très étroits et énergétiques occasionnant un pic à basse fréquence ?).

La répartition uniforme de l'énergie sur les basses fréquences observée par de nombreux au-teurs nous semble caractéristiques des régimes de turbulence intégrable. Elle est de plus cohérente

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Figure 3.8: Spectre de Fourier issu de [25], la courbe rouge correspond à l'analyse du signal à 1 m de la génération, la courbe bleue au signal à 3 m. En verts est noté la limite du domaine de

KdV.

avec les spectres, plats à basse fréquence, que l'on peut obtenir en traitant une série temporelle comportant un soliton seul ou une superposition linéaire de solitons.

Les moments d'ordre 3 et 4 Les auteurs s'intéressant aux moments statistiques dans leurs expériences (numériques) mentionnent que les valeurs des moments d'ordre 3 et 4 croissent avec le nombre d'Ursell caractéristique du régime étudié : plus les no- linéarités sont fortes, plus le champ de vagues devient asymétrique. On peut également noter qu'au terme d'un régime transitoire, ces moments ne varient plus. Par ailleurs, les interactions entre solitons réduisent théoriquement la valeur de ces moments mais cet eet ne semble pas prépondérant dans les régimes étudiés [4] (densité solitonique peu importante).

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