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O TTAWA , CENTRE INSTITUTIONNEL DE L ’O NTARIO F RANÇAIS

OTTAWA DANS LA LITTÉRATURE FRANCO-ONTARIENNE : DE LA CÔTE DE SABLE À KING EDWARD

O TTAWA , CENTRE INSTITUTIONNEL DE L ’O NTARIO F RANÇAIS

Contrairement à Moncton pour la littérature acadienne, Ottawa n’est pas le premier point d’ancrage de la littérature franco-ontarienne. Ce titre revient plutôt à Sudbury, la plus grande ville du Nord de l’Ontario. En 1970, un groupe d’étudiants de l’Université Laurentienne, André Paiement à sa tête, monte une première création collective, Moé j’viens du Nord, ‘stie! La production de cette pièce mène à la mise sur pied des premières institutions littéraires de l’Ontario français : le Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO), en 1971, et les Éditions Prise de

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parole, en 19733. Sudbury devient alors le centre du Nord de l’Ontario, ou Nouvel-Ontario.

Cependant, comme la capitale acadienne à ses débuts, une grande ambiguïté entoure cette ville dans plusieurs textes qui la mettent en scène, tel que l’illustre le narrateur du Pays de personne, qui hésite entre « sauter dans l’autobus pour / Sudbury ou sauter devant / l’autobus pour Sudbury4 ». L’auteur, Patrice Desbiens, est alors l’un des chefs de file de la littérature de la conscience, voie esthétique ancrée dans le Nord de l’Ontario. Les concepts « de norditude, d’oralité, de classe et d’aliénation5 » associés à cette esthétique seront pourtant considérés comme « vieillis » par François Paré en 1994, date de la parution de ses Théories de la fragilité, où il affirme plutôt :

il m’apparaît clair que la littérature franco-ontarienne actuelle est définie par un déplacement important de ses lieux géographiques. En effet, dès le tournant des années 90, Ottawa a recommencé à jouer le rôle matriciel que la ville avait adopté dès les premières œuvres franco-ontariennes au XIXe siècle6.

Paré précise que désormais, c’est principalement à Ottawa « que la production des œuvres et leur inscription institutionnelle s’effectueront7 ».

En fait, les lieux de production et de diffusion de la littérature franco-ontarienne tendent à se déplacer du Nord à l’Est de la province dès la fin des années 1970. À partir de ce moment, plusieurs compagnies de théâtre et

3 L. Hotte et J. Melançon, « Introduction », p. 62.

4 P. Desbiens, Un pépin de pomme sur un poêle à bois, précédé de Grosse guitare rouge, précédé

de Le pays de personne, p. 50. Ces vers sont repris dans Mon pays (1991), documentaire de l’Office national du film du Canada sur Patrice Desbiens. Toutefois, le nom de la province se substitue à celui de la ville, comme si l’Ontario en entier était en fait à l’origine du malaise ressenti par le narrateur. Voir V. Jobin, Mon pays, 4e min. Pierre Nepveu cite les textes de Desbiens pour montrer que Sudbury et Timmins, petite ville du Nord de l’Ontario, sont toutes deux atteintes du complexe de Kalamazoo, et ce, bien plus que Moncton. Voir P. Nepveu, « Le complexe de Kalamazoo », p. 286-291. Si Nepveu n’aborde pas Ottawa, c’est d’abord parce qu’il n’existe pas de poésie urbaine à son sujet, mais aussi parce qu’il ne conçoit pas la capitale fédérale comme une ville littéraire, tel qu’il me l’a confirmé lors d’un entretien.

5 F. Paré, Théories de la fragilité, p. 18.

6 Ibid., p. 17. Tandis que Paré semble considérer comme « franco-ontariennes » toutes les œuvres

littéraires produites en Ontario, j’adhère plutôt à la périodisation proposée par Lucie Hotte et Johanne Melançon selon laquelle seules les œuvres parues en Ontario après 1970 sont franco-ontariennes; les œuvres produites entre 1867 et 1969 étant plutôt qualifiées de

« canadiennes-françaises », et les précédentes, de « coloniales ». Voir L. Hotte et J. Melançon, « Introduction », p. 13-63.

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maisons d’édition sont fondées à Ottawa ou y déménagent. Le Théâtre d’la Corvée, devenu depuis le Théâtre du Trillium, y est créé dès 1975, suivi par la compagnie Vox Théâtre, alors connue sous le nom de Théâtre Cabano8, en 1979. La même année, le Théâtre de la Vieille 17 voit le jour à Rockland, municipalité à l’est d’Ottawa, mais s’installe dans la capitale nationale quatre ans plus tard, tout juste après la mise sur pied des premières maisons d’édition francophones, les Éditions L’Interligne, en 1981, et les Éditions du Vermillon, en 1982. Le Nordir, maison d’édition créée en 1988 à Hearst, dans le Nord de l’Ontario, vient les rejoindre à Ottawa l’année suivante. Ce mouvement suit son cours jusqu’au début de la décennie suivante : en 1992 et 1993 sont fondés le Théâtre la Catapulte et les Éditions David9.

Encore aujourd’hui, la capitale fédérale abrite trois des six maisons d’édition à vocation littéraire de l’Ontario français10, ainsi que quatre de ses sept compagnies de théâtre, regroupées depuis 1999 à La Nouvelle Scène, centre de théâtre francophone de la ville11. À Ottawa se trouvent également les bureaux du Regroupement des éditeurs canadiens-français de même que ceux de l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français. C’est aussi à partir de cette ville que sont publiées les revues Liaison et Virages, toutes deux sous la gouverne des Éditions L’Interligne.

Bref, l’institution littéraire de la région d’Ottawa se porte très bien dès le début des années 1980, comme en témoigne Joël Beddows :

[E]n raison de la force et de l’organisation croissante de la pratique franco-ontarienne à Ottawa, deux de ses créateurs les plus importants – Jean Marc Dalpé et Brigitte Haentjens – partent en 1981 pour

8 Voir D. Bertrand, « Le théâtre franco-ontarien ‒ Une identité en évolution », p. 158.

9 Ces données sont tirées des tableaux présentés dans L. Hotte et J. Melançon, « Introduction »,

p. 64-67.

10 Jusqu’à tout récemment, Ottawa était le siège d’une quatrième maison d’édition littéraire. Les

Éditions du Nordir ont annoncé leur fermeture en mars 2012 à la suite du décès de Robert Yergeau, fondateur et directeur de la maison.

11 Les trois autres maisons d’édition sont les Éditions Prise de parole à Sudbury (1973), les

Éditions du GREF à Toronto (1987) et les Éditions Chardon bleu à Plantagenet (1994), dans l’est de la province. Les trois autres compagnies de théâtre sont le Théâtre français de Toronto (1967), le Théâtre du Nouvel-Ontario à Sudbury (1971) et le Théâtre la Tangente à Toronto (1994). Voir L. Hotte et J. Melançon, « Introduction », p. 64-67.

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relancer le théâtre de création au TNO qui était devenu, depuis la mort d’André Paiement en 1978, un organisme de diffusion12.

Que des créateurs aient jugé utile de quitter Ottawa pour revitaliser Sudbury confirme que cette première ville est parvenue à faire concurrence à la seconde sur la scène littéraire. Le duo formé de Dalpé et de Haentjens relancera l’imaginaire du Nord ontarien par des créations marquantes telles que 1932, la ville du nickel : une histoire d’amour sur fond de mines (1984), qu’ils co-écrivent, et Le chien (1987), une pièce écrite par Dalpé et mise en scène par Haentjens. Cette revitalisation sera néanmoins de courte durée : tous deux quitteront Sudbury pour Montréal une dizaine d’années plus tard, tandis qu’Ottawa fait son entrée dans les textes littéraires franco-ontariens.

LA CÔTE DE SABLE DE DANIEL POLIQUIN :