• Aucun résultat trouvé

Les troubles liés à des substances, des troubles secondaires

Dans le document en fr (Page 40-44)

CHAPITRE 1 : ETAT DES CONNAISSANCES ET OBJECTIFS DE LA THÈSE

2. La comorbidité psychiatrique

2.3. Mécanismes sous-jacents

2.3.2. Les troubles liés à des substances, des troubles secondaires

D'autres modèles étiologiques proposent que les troubles liés à des substances soient secondaires et favorisée par d'autres troubles psychiatriques. L'utilisation de substances psychoactives serait un moyen d'alléger les symptômes des troubles psychiatriques non liés à des substances. D'autres études ont également décrit l'utilisation de substances comme un

moyen de gérer des symptômes psychologiques ("coping"). Ce type de relation a été étudié dans la littérature dans le cadre d'études prospectives.

2.3.2.1. L'hypothèse d'automédication et d’atténuation de la dysphorie

Les mécanismes de cause à effet d’après lesquels les troubles psychiatriques favorisaient la consommation de substances psychoactives sont illustrés par l’hypothèse d’automédication, selon laquelle la consommation de substances psychoactives viserait à soulager des symptômes psychologiques et l’individu choisirait une substance donnée en fonction de ses propriétés pharmacologiques (Khantzian 1985; Khantzian 1997). Cependant, l'hypothèse selon laquelle le sujet choisirait une substance en fonction de ses propriétés pharmacologiques a été critiquée du fait que ce choix dépend de nombreux autres facteurs (disponibilité sur le marché, prix, acceptation sociale…). Le modèle d’atténuation de la dysphorie ("alleviation of dysphoria") est une extension du modèle d’automédication, la dysphorie étant définie ici comme une souffrance psychique. Ce modèle suppose que les individus présentant des troubles psychiatriques sont susceptibles de ressentir des affects négatifs qui favoriseraient la consommation de substances : les individus consommeraient des substances pour se sentir mieux, sans que cette consommation ne soit nécessairement motivée par les propriétés pharmacologiques de la substance.

2.3.2.2. La théorie du coping

Cette hypothèse de consommation de substances pour soulager des symptômes psychologiques a été corroborée par des travaux décrivant les consommations de substances psychoactives comme un moyen de coping.

Il existe une grande diversité des modes de réponses qu'un sujet peut mettre en place quand il est confronté à une situation perçue comme aversive. Ces réponses constituent les stratégies d'ajustement ou de coping. Selon la conception dynamique du stress, le coping est envisagé comme un processus cognitif et comportemental qu'un individu interpose entre lui et l'agression pour maîtriser ou diminuer l'impact de celle-ci sur son bien-être physique et psychologique (Lazarus and Launier 1978). Cette agression peut être un stress ou encore des

symptômes de troubles psychiatriques. On peut classer les stratégies de coping en plusieurs types :

- la résolution du problème, y compris la recherche d'information - l'esprit combatif ou l'acceptation de la confrontation

- la prise de distance ou la minimisation des menaces - la réévaluation positive

- l'auto-accusation

- la fuite-évitement (par exemple par la consommation de substances psychoactives) - la recherche d'un soutien affectif

- la maîtrise de soi

Ces stratégies ne sont pas exclusives et un sujet peut avoir recours à plusieurs de ces stratégies ou passer de l’une à l’autre. L'évitement constitue la stratégie la plus fréquemment utilisée. Il peut s'agir d'activités de substitution à expression comportementale ou cognitive (activités sportives, jeux, relaxation, loisirs). Elles permettent de diminuer la tension émotionnelle et aident l'individu à se sentir mieux. Ce type de stratégie peut-être efficace quand il est associé à la confrontation avec l'événement stressant. Un autre groupe de stratégies d'évitement est moins adapté : c'est le cas de la fuite qui consiste, par exemple, à consommer des substances psychoactives. La fuite ne procure qu'un répit temporaire et s'avère peu efficace si la situation menaçante persiste.

L’hypothèse selon laquelle l'usage de substances psychoactives peut être considéré comme un moyen de coping des symptômes des troubles psychiatriques a été décrite dans la littérature (Crutchfield and Gove 1984). Dans une étude canadienne en population générale, il a été décrit que 18 % des sujets avec un trouble panique déclaraient consommer de l'alcool pour lutter contre le stress, contre 11 % des sujets en population générale (Ramage-Morin 2004). Cela est en accord avec les résultats d'études décrivant les interventions auxquelles les individus ont recours en réponse à des symptômes psychologiques. Dans une étude australienne réalisée en population générale, la première intervention à laquelle les sujets déclaraient avoir eu recours en cas de déprime était de boire de l'alcool (Jorm et al 2000).

2.3.2.3. Vérification de ces mécanismes dans la littérature

La simple étude de l'âge de survenue des troubles est insuffisante pour en déduire que les troubles psychiatriques primaires prédisent la survenue des troubles liés à une substance. Afin de mieux documenter cette relation, des analyses de survie ont été réalisées dans lesquelles les troubles non liés à une substance étaient traités comme une covariable dépendante du temps pour prédire la survenue du trouble lié à une substance (Kessler et al 2003; WHO International Consortium in Psychiatric Epidemiology 2000). Les associations entre un trouble psychiatrique non lié à une substance et la survenue d'un usage d'alcool ou d'une substance illicite, de problèmes liés à ces substances et d'une dépendance ont été étudiées. Dans tous les cas, il y avait une association significative entre le trouble non lié à une substance et la survenue d'un usage, de problèmes ou d'une dépendance à une substance. D'autre part un trouble psychiatrique non lié à une substance pris en charge avait beaucoup moins d'effet sur la survenue des consommations de substances psychoactives, qu'elles soient problématiques ou non. Les phobies avaient un effet plus faible que les autres troubles anxieux et les troubles bipolaires avaient beaucoup plus d'effet sur la survenue des troubles liés à une substance que les autres troubles de l'humeur. D'autre part ces mesures d'association étaient plus élevées pour les femmes que pour les hommes.

Cependant, les résultats de ces études transversales dans lesquelles on demande au sujet des informations sur l'âge de survenue de ses troubles peuvent être entachés par un biais de mémorisation dont il faut s'affranchir en utilisant des données recueillies dans le cadre d'enquêtes prospectives.

Les résultats sont plus inconstants dans ces études prospectives sur la séquence temporelle entre les troubles anxieux ou de l’humeur et les troubles liés à une substance. Au cours d'un suivi de 13 ans de l'échantillon de Baltimore de l'enquête ECA, Crum et Pratt n'ont pas retrouvé d'effet prédictif de la phobie sociale pour expliquer la survenue d'un trouble lié à l'alcool (Crum and Pratt 2001). Cependant, dans cette étude, les sujets avaient pour la plupart dépassé l'âge auquel surviennent en général les troubles liés à l'alcool, ce qui pourrait expliquer cette absence d'association. Zimmerman et collègues ont mené le même genre d'étude chez des sujets plus jeunes, en suivant pendant quatre ans des adolescents et des jeunes adultes issus de la population générale. La phobie sociale et le trouble panique à l'inclusion prédisaient la survenue d'un trouble lié à l'alcool, alors que les autres troubles

anxieux n'étaient pas associés à la survenue d'un tel trouble (Zimmermann et al 2003). Dans une autre étude, Kaplow et collègues ont étudié le rôle de l'anxiété et de la dépression dans la survenue de l'usage d'alcool chez des adolescents. Ils ont montré que les jeunes ayant des troubles dépressifs étaient plus à risque de commencer à boire, association qu'ils n'ont pas retrouvée pour l'anxiété (Kaplow et al 2001). Dans une autre étude à partir de l'échantillon de Baltimore de l'enquête ECA, Dixit et collègues ont étudié chez les femmes le lien entre la dépression et le fait d'avoir bu plus de cinq verres en une seule occasion au cours des 30 derniers jours. Après un an de suivi, celles qui avaient déjà eu une dépression à l'inclusion etaient plus à risque d'avoir bu que les autres (Dixit and Crum 2000). De même, Wang et collègues dans une étude en population générale au Canada ont montré que la dépression était un facteur de risque de survenue de problèmes d'alcool chez les femmes, alors qu'ils n'ont pas trouvé cette relation chez les hommes (Wang and Patten 2001). Enfin, toujours à partir de l'échantillon de l'enquête ECA, Gilman et collègues ont étudié l'association entre la dépression et la survenue d'une dépendance à l'alcool après un an de suivi. Ils ont étudié l'effet des diagnostics psychiatriques de dépression et du nombre de symptômes dépressifs à l'inclusion. Chez les hommes, comme chez les femmes un diagnostic de dépression au début du suivi n'était pas associé à la survenue d'une dépendance à l'alcool alors que le nombre de symptômes dépressifs l’était significativement chez les femmes uniquement (Gilman and Abraham 2001).

Les résultats des études prospectives sur une association entre un trouble anxieux ou dépressif à l'inclusion et la survenue d'un trouble lié à une substance sont inconstants. Pour certaines comorbidités, telle que celle qui a pu être observée entre la phobie sociale et les troubles liés à l'alcool, il semble acquis que la phobie sociale soit le trouble primaire (Morris et al 2005). A l'opposé, ce type de consensus est encore loin d'être atteint pour expliquer la comorbidité entre la dépression et les consommations de cannabis (Degenhardt et al 2003).

Dans le document en fr (Page 40-44)

Documents relatifs