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C. L’ORALITÉ

III. Les troubles de l’oralité :

Selon C. Thibault, « Le terme de dysoralité de l’enfant recouvre l’ensemble des difficultés de l’alimentation par voie orale. Il peut s’agir de troubles par absence de comportement spontané d’alimentation, ou par refus d’alimentation, et de troubles qui affectent l’ensemble de l’évolution psychomotrice, langagière et affective de l’enfant. »105 De ce fait, les difficultés alimentaires ne relèvent pas toujours de la quantité d’aliments ingérés mais peuvent porter sur la façon dont les aliments sont mis en bouche. Plusieurs termes sont décrits en rapport avec ces troubles. Le syndrome de dysoralité sensorielle (Cf. Annexe 4) qu’évoque C. Senez, othophoniste est à comprendre comme un des troubles de la dysoralité.

Par ailleurs, d’après M. Martinet, infirmière sensibilisée à l’approche sensori- motrice, « Parler de troubles de l’oralité plutôt que de troubles du comportement alimentaire permet d’élargir la vision aussi bien sur le comportement global de l’enfant, somatique, développemental et psychologique, que sur les aspects relationnels. 106» Dans ce sens, la dimension environnementale et les différents chaînons du temps de repas sont pris en compte. V. Abadie, psychologue, explique que le terme de troubles de l’oralité « permet d'emblée d'élargir le signifiant de l'alimentation d'une part vers l'intérieur soit l'ensemble du corps de l'enfant et d'autre part vers l'extérieur vers le corps maternel et l'environnement. »107 En employant le terme de « troubles de l’oralité », le soignant

considère l’enfant dans sa globalité. Selon un regard psychomoteur et une prise en soin globale des troubles de l’oralité, il est cohérent pour moi d’utiliser ce terme dans ce mémoire.

En rapport avec les TSA, la terminologie varie et rend difficile l’établissement de corrélations entre les différentes études réalisées. D’après Volkert et Vaz108, 90 % des

personnes avec autisme présenteraient des problèmes en rapport avec l’alimentation et 70 % présenteraient une sélectivité alimentaire . Pour C. Senez, le syndrome de dysoralité sensorielle concernerait 80 % des personnes ayant un TSA contre seulement 25 % de la population au développement typique.

105 Thibault, C., 2007, p. 61 106 Martinet, M., 2009.,p. 2 107 Abadie, V., 2004, p.603 108 Volkert, V. M., Vaz, P. C., 2010

2. Classification

« Plusieurs problèmes alimentaires des enfants ayant un TSA correspondent aux critères diagnostiques de l’aversion alimentaire d’origine sensorielle telle qu’elle est décrite dans la DC : 0-3R »109. La classification Diagnostique des Troubles de la Santé mentale de la Petite et Jeune Enfance (DC : 0-3 R)110 évoque six diagnostics liés aux troubles du comportement alimentaire chez l’enfant. Je reprends seulement les troubles décrits chez les enfants ayant un TSA, c’est à dire : l’anorexie infantile, les troubles alimentaires d’origine post-traumatique et l’aversion alimentaire d’origine sensorielle, ce dernier étant le plus fréquemment décrit chez les enfants ayant un TSA.

Lors de l’anorexie infantile, l’enfant manifeste un refus de manger en quantité suffisante durant plus d’un mois, sans pathologie somatique associée. Le bébé ou le jeune enfant montre un désintéressement de la nourriture et de l’acte de manger. Chez les enfants ayant un TSA, peu de signes cliniques d’anorexie infantile sont rapportés dans les études bien que des difficultés à interpréter les signaux de la faim et des problèmes de régulation de l’appétit sont décrits.

Les troubles alimentaires d’origine post-traumatique débutent de façon abrupte suite à un événement traumatique. L’enfant refuse de se nourrir : il crie, se cambre vers l’arrière et refuse d’ouvrir la bouche. Il peut s’agir d’un accident de fausse route, d’un traumatisme lié à une tentative d’alimentation forcée ou faisant suite à des interventions médicales. L’enfant démontre des signes d’anxiété associée à une grande détresse anticipatoire face à l’acte de manger. Dans ce cas, la peur de manger surpasse toute sensation de faim.

L’aversion alimentaire d’origine sensorielle marque une sélectivité des aliments en fonction de leurs qualités sensorielles : selon la texture, la température, les goûts, l’apparence visuelle ou les odeurs. Ces aversions alimentaires entraînent des réactions de diverses intensités ; cela peut aller d’une grimace à un haut de cœur ou un vomissement et peut mener au refus alimentaire de certains aliments voire de groupes alimentaires entiers. L’enfant accepte sans difficulté ses aliments préférés qu’il mange en quantité satisfaisante. Il peut refuser toute nourriture qui entre en contact avec un aliment non accepté. De nombreux enfants ayant un TSA présente ce type d’aversion brisant la chaîne narrative et la conduite alimentaire. Cela est illustrée par une forte sélectivité alimentaire souvent décrite chez les enfants ayant un TSA. L’aversion alimentaire d’origine sensorielle est comparable à la dysoralité sensorielle évoqué par C. Senez.

109 Nadon, G., 2011, p.14 110 DC :0-3 R, 2009

Des causes organiques et psychogènes sont évoquées et fortement intriquées dans l’apparition des troubles de l’oralité alimentaire. A travers ces différents tableaux cliniques, il est primordial de garder à l’esprit le caractère plurifactoriel de ces troubles en y intégrant les composantes environnementales et relationnelles .

3. Troubles de l’oralité et TSA

G. Nadon reprend lors d’une étude les problèmes alimentaires rapportés par les parents des enfants ayant un TSA (Cf. Annexe 5). Selon elle : « Les enfants ayant un TSA sont plus susceptibles de présenter des problèmes alimentaires que d’autres populations pédiatriques. »111 Je souhaite mettre en lien les difficultés alimentaires les plus fréquemment décrites avec les particularités de la pathologie autistique.

 Un lien avec les particularités sensorielles ?

G. Nadon décrit que « La sélectivité par texture, la couleur, l’odeur, le refus alimentaire et le refus de la nouveauté sont les plus souvent mentionnés ».112 Pour elle, le traitement particulier des informations sensorielles chez les enfants ayant un TSA ne constitue pas, d’après les études réalisée à ce jour, l’étiologie unique des problèmes alimentaires rencontrés, malgré la présence de corrélations certaines. G. Nadon, D. E. Feldmann, W. Dunn et Al.113 mettent en avant lors d’une étude, trois profils sensoriels fréquents liés à des troubles de l’oralité alimentaire chez la personne autiste.

• Chez les enfants avec une hypersensibilité tactile, on note moins d’exploration tactile des aliments (avec les doigts ou les zones buccales et péri-buccales). […] La sélectivité alimentaire concerne surtout la texture, la température, la couleur et les marques spécifiques.

• Ensuite, les enfants sensibles au niveau auditif ou visuel tendent à avoir un petit appétit, un répertoire alimentaire restreint ou des phases alimentaires. L’aspect visuel des aliments (changement de formes, tons de couleurs) et leur emballage prend une importance capitale pour certains enfants avec autisme qui refuseront l’aliment en cas de modifications visuelles.

• Enfin, une sensibilité au niveau gustatif et olfactif sont les caractéristiques qui présenteront une sélectivité alimentaire la plus marquée, puisqu’elle représente un vecteur commun des trois profils sensoriels.

111 Nadon, G., 2011, p.6 112 Nadon, G., 2011, p.9

Ces profils sont les plus souvent retrouvés mais ne sont pas exhaustifs. De plus, il n’est pas exclu qu’un enfant puisse montrer des sensibilités plurielles auquel cas, plusieurs profils rassemblent ses difficultés.

 Un lien avec la « triade autistique » ?

Pour continuer, le repas comprend à la fois l’aspect social et l’acte de se nourrir. « L’altération qualitative des interactions sociales et de la communication vient entraver la convivialité du temps de repas et l’ajustement aux différents contextes sociaux de celui- ci. »114 De ce fait, les règles sociales et les représentations liées au temps de repas peuvent entraîner certaines difficultés pour l’enfant autiste (difficultés à demander ou à refuser un aliment, respect des distances interpersonnelles autour de la table, etc.).

En lien avec les intérêts restreints et les activités répétitives décrites chez les personnes ayant un TSA, Dunn, W., Feldman, D. E., Gisel, E., et al.115 évoquent l’impact des routines sur le déroulement des repas et la résistance au changement sur l’alimentation. Effectivement, l’introduction de nouveaux éléments est difficile. Au niveau cognitif et chez certaines personnes ayant un TSA, ces mêmes auteurs décrivent des difficultés au niveau des fonctions exécutives : la planification (initier l’acte de manger, anticiper la sensation de faim, prendre les aliments, les porter à la bouche puis les avaler) et la flexibilité mentale principalement (s’adapter à la variété des aliments et à des présentations différentes). Enfin, les particularités motrices et les troubles du tonus de l’enfant ayant un TSA ont des retentissement sur l’alimentation en rendant difficile le maintien d’une posture stable à table et une déglutition efficace. De plus, G. Nadon116 précise chez les enfants ayant un TSA, « des difficultés en lien avec la mastication des aliments ou des pertes de salives compte tenu de l’âge développemntal. » Cela peut être mis en lien avec une difficulté dans les praxies bucco-faciales. Également, le dysfonctionnement des neurones miroirs chez cette population impacte « l’intégration des schémes moteurs nécessaires à l’utilisation des couverts, à la préhension des aliments, à la mastication ainsi que à l’apprentissage des règles sociales. »117

Pour conclure, la fréquence des troubles de l’oralité chez les enfants ayant un TSA a été décrite dans cette partie et a permis de mettre en lien ces troubles avec la pathologie autistique. En considérant l’ensemble de ces éléments théoriques, je souhaite présenter et inscrire mes observations cliniques relatives à Ali et Samuel, deux enfants autistes ayant des troubles de l’oralité, qui participent au groupe oralité chaque semaine.

114 Alba, A., Prudhon, E., Tessier, A., 2016, p.126 115 Dunn, W., Feldman, D. E., Gisel, E., et al., 2011 116 Nadon, G., 2011, p.9