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L’INFLUENCEFRANÇAISESURLESPIONNIERSDU

CHAPITRE 1. AKHOUND ZADEH, LE PRECURSEUR DE LA DRAMATURGIE MODERNE EN PERSE

A. Présentation du corpus

L’objet de ce chapitre est de tenter de présenter la pensée, les œuvres et les pièces de théâtre de Mirza Fath Ali Akhound Zadeh, pionnier du théâtre persan moderne. En Orient, et dans les pays musulmans, on le considère comme « le Molière oriental » 415. Il faut préciser également qu’il fut le premier critique de la littérature et plus particulièrement de la dramaturgie en Iran 416. En outre, il fut considéré comme un intellectuel réformiste et progressiste dans les pays musulmans. Ses écrits sont représentatifs d’une conception élargie de la critique, associant le renouvellement esthétique et la réforme sociale. Les idées politiques et sociales de ce philosophe eurent un grand retentissement en Perse dans le mouvement constitutionnaliste 417, car « au confluent de plusieurs cultures et de plusieurs nationalités, il a été un de ces ferments actifs de la pensée iranienne au XIXe siècle » 418. Ainsi, nous allons étudier sa vie, ses pensées et ses œuvres pour mieux discerner le lien qui existe entre Akhound Zadeh et les idées modernes venant de l’Occident, notamment de la France. Nous allons également voir comment le théâtre français a influencé sa dramaturgie.

Certes, la fortune des idées politiques et sociales d’Akhound Zadeh fut considérable dans le développement des idées démocratiques en Iran. Néanmoins, cet intellectuel reste méconnu et peu étudié en Iran, tant en Orient qu’ en Occident. Nous savons qu’à la fin du XIXe siècle, quelques-unes de ses pièces ont été publiées en Europe. En France, il fut considéré surtout comme le dramaturge qui a introduit le théâtre occidental en Perse. Les orientalistes français comme Charles Barbier de Meynard, Adolphe Thalasso et Alphonse Cillière ont d’ailleurs été les premiers à

415

BRANDS (H. W.), « Akhund-zada », art. cit., p. 342.

416

MALEK POUR (J.), Adabiate Némayéchi dar Iran [La Littérature dramatique en Iran],

op. cit., p. 309.

417 BALAY (Ch.) et CUYPERS (M.), Aux sources de la nouvelle persane, op. cit., p. 22.

traduire ses pièces de théâtre. Il y a développé ses idées réformistes inspirant les élites et les intellectuels persans qui envisageaient le théâtre à l’occidentale comme un nouveau langage, propre à développer l’intelligence politique de la société, et à lutter ainsi contre le despotisme du roi et l’ignorance du peuple. Ses œuvres constituent en effet, une violente satire du gouvernement arbitraire de la Perse, ainsi que de sa situation catastrophique, tant sur le plan socio-économique que politique. Il défendait des idées réformistes favorables à l’abolition du pouvoir royal absolu, à l’instauration d’un régime constitutionnel et parlementaire, ainsi qu’à la séparation de l’Église et de l’État.

Akound Zadeh a aussi écrit un traité épistolaire intitulé Correspondances

(Maktoubat) sous l’influence des Lettres persanes de Montesquieu 419. Les critiques d’Akhound Zadeh y étaient si virulentes que dans un premier temps, il n’a pas osé le signer de son nom et a multiplié les recommandations de prudence auprès des intellectuels iraniens. Quoique’origine iranienne, Akhound Zadeh vivait dans le Caucase, à Tiflis, là où la culture théâtrale était influencée par le théâtre classique français. Il était toutefois en correspondance régulière avec tous les intellectuels libéraux à l’intérieur comme à l’extérieur de la Perse.

Axund-zâde [Akhound Zadeh] correspondit avec les membres les plus

à l’avant-garde de l’élite intellectuelle iranienne de ce temps […] les uns vivant au péril de leur vie leurs engagements politiques, d’autres subissant l’exil, tous convaincus que l’Iran devait sortir de l’impasse où des siècles d’immobilisme l’avaient jeté et que ce réveil salutaire ne

s’obtiendrait qu’en ouvrant le pays à l’Europe […] 420.

Ainsi, parmi tous les penseurs persans de l’époque, cet écrivain, à la fois philosophe et dramaturge, tient une place à part, car par le biais de ses œuvres, et notamment ses comédies, il a joué un rôle important dans l’éveil des peuples d’Iran, d’Azerbaïdjan et de l’Empire ottoman de cette époque :

[...] J’ai rédigé des livres, mais le plus célèbre et le plus intéressant est au sujet de la dramaturgie, c’est-à-dire du théâtre. Le but de ce livre est la moralisation [...] Parmi les Musulmans, personne ne

419 NATEGH (Homa), « L’image des Français en Perse », art. cit., n.p.

connaît cet art et je suis fondateur de ce genre dans le monde de l’islam 421.

Akhound Zadeh croyait que le théâtre à l’occidentale, qui critiquait ouvertement les défauts des êtres humains, et qui permettait ainsi une une réforme morale de la société, était la cause du progrès dans les pays européens. Il admirait les philosophes et les hommes d’État en Europe, favorables à sa diffusion. Il pensait que les travers des êtres humains ne pouvaient être corrigés ou éliminés que par le rire et la satire : « ces écrivains ont rédigé des comédies qui ont été mises en scène dans des édifices appelés théâtres. Cet art a permis d’éduquer et réformer les mœurs et l’esprit des gens […] » 422.

Pour comprendre les pensées d’Akhound Zadeh, il nous paraît indispensable d’étudier brièvement sa vie et son parcours, qui se concluent par la rédaction de comédies et de bien d’autres œuvres novatrices dans la littérature persane.

B. Les raisons d’une influence européenne : la vie d’Akhound Zadeh

Mirza Fath Ali Akhound Zadeh, le père de la dramaturgie moderne de l’Orient, est né en 1812 à Nokha, région du Caucase, qui appartenait à cette époque au territoire persan. Il insiste dans ses écrits sur son origine iranienne ; on le considère d’ailleurs comme le précurseur des courants nationalistes iraniens 423. Il dit lui-même, le 29 juin 1871 dans une lettre adressée à « Manekdji », chef des zoroastriens de la Perse :

421 ADAMIAT (Fereidoun), Andishehaye Mirza Fath Ali Akound Zadeh [Les Pensées de

Mirza Fath Ali Akound Zadeh], Téhéran : Kharazmi, 1970, p. 59. Voir également

AKHOUND ZADEH (Mirza Fathali), Alefbayé Djadid va Maktoubat [Le Nouvel

Alphabet et les écrits]. Téhéran : Kharazmi, 1970, p. 105.

422

AKHOUND ZADEH (M.F.), Tamcilat. Traduit du turc en persan par M.G. Gharatchédaghi. Téhéran : Kharazrni, 1977, p. 10.

423

MALEK POUR (J.), Adabiate Némayéchi dar Iran [La Littérature dramatique en Iran],

op. cit., p. 128-130. Voir également : ADAMIAT (F.), Andishehaye Mirza Fath Ali

Mon grand souhait est que les Persans sachent que nous sommes les fils de la Perse et que notre patrie est l’Iran. La dignité, la noblesse et l’honnêteté nous demandent d’insister sur notre appartenance à la terre de la patrie. Je ne suis pas pour les étrangers qui ont envahi notre patrie. Bien qu’apparemment turc, je suis en vérité persan. Mon aïeul Hadj Ahmad est venu de Rasht pour habiter en Azerbaïdjan iranien ; mon père, Mirza Taghi et moi-même, nous sommes nés et avons été

élevés en Azerbaïdjan iranien. […] 424.

Son nationalisme était si fort qu’il préférait un gouvernement despotique iranien venant de la patrie, plutôt qu’une domination ou d’une colonisation par des puissances étrangères. « Dans le monde entier, on sait ce qu’ont fait les Anglais avec les Indiens. Que Dieu fasse qu’on ne tombe pas dans les mains des étrangers » 425.

Concernant son enfance, on sait que la famille d’Akhound Zadeh vivait à Tabriz. Mais le père de Fath Ali avait une autre femme, et les deux épouses ne s’entendaient pas entre elles. Ainsi, sa mère quitta son époux. Akhound Zadeh a raconté lui-même sa vie :

Après quatre ans, ma mère n’a pas réussi à s’entendre avec l’autre femme de mon père, qui était de Khamene [aujourd’hui Tabriz en Iran]. Elle a demandé à mon père de nous envoyer, ma mère et moi, chez l’oncle de ma mère qui vivait à Méchkine près d’Ardebil. Mon père a accepté sa demande. A partir de cette date, j’ai quitté mon père

et j’ai été élevé chez l’oncle de ma mère 426.

Ce dernier, Akhound Haji Ali Asghar, un homme cultivé qui s’intéressait à la littérature et aux sciences, exerça une grande influence sur son petit-neveu : « si bien que Mirzâ Fath Ali, qui vécut en sa compagnie jusqu’à l’âge de treize ans, dans les tribus Qarâ Dâq (installées dans la région d’Hourand, près d’Ardabil) prit le nom

424 AKHOUND ZADEH (M.F.), Alefbayé Djadid va Maktoubat [Le Nouvel alphabet et les

écrits], op. cit., p. 249-250.

425

ADAMIAT (F.), Andishehaye Mirza Fath Ali Akound Zadeh [Les Pensées de Mirza Fath

Ali Akound Zadeh], op.cit., p. 116-117.

426 AKHOUND ZADEH (M.F.), Alefbayé Djadid va Maktoubat [Le Nouvel alphabet et les

d’Axund-zâde [Akhound Zadeh] » 427. Il prit en charge l’éducation du jeune Fath Ali en lui enseignant d’abord le Coran, ensuite les livres persans et arabes. En 1825, il envoya Akhound Zadeh à Ganje pour continuer ses études. Puis, à la suite des guerres irano-russes, Akhound Zadeh s’installa à Nokha avec son oncle. Ce dernier, très engagé dans l’éducation de son neveu, reprit son enseignement des des langues arabes et persanes. Dès lors, le jeune Fath Ali put les parler parfaitement. En 1832, son oncle partit faire le pèlerinage de la Mecque, et pour s’assurer que son neveu aurait une bonne éducation en son absence, il le confia à Molla Hossein, étant maître en philosophie islamique afin qu’il étudie aussi la théologie, la philosophie et les sciences islamiques et puisse devenir religieux. Mais il rencontra à Ganje le poète Mirza Chafie : « Ce théologien, […], excellent calligraphe et mystique, est aussi un savant aux idées libérales souvent hostiles aux mollas » 428. Ce dernier l’encouragea à renoncer à la théologie. Cette rencontre produisit une révolution dans les croyances d’Akhound Zadeh 429. Il écrit à ce sujet :

Jusqu’à ce jour, je ne savais rien d’autre que lire le persan et l’arabe, et je n’étais pas au courant de ce qui se passait dans le monde. Mon père adoptif [l’oncle d’Akhound Zadeh] voulait que je finisse mes études d’arabe pour revêtir l’habit religieux. Mais il s’est passé un autre événement décisif qui a changé le cours prévu des choses […] Jusqu’au retour de mon père adoptif du pèlerinage de la Mecque, Mirza Chafi m’a appris le mysticisme, et a ainsi enlevé le voile qui me

bouchait la vue. Ainsi, j’ai changé le chemin de ma vie 430.

Akhound Zadeh, subissant profondément l’influence de ce théologien, opéra en lui-même une conversion intellectuelle profonde. Un poète put écrire plus tard à propos d’Akhound Zadeh :

427

BALAY (Ch.) et CUYPERS (M.), Aux sources de la nouvelle persane, op. cit., p. 21.

428

Ibid., p. 22.

429

Ibid.

430 AKHOUND ZADEH (M.F.), Alefbayé Djadid va Maktoubat [Le Nouvel alphabet et les

Enfant, il était déjà un adulte. […] Il avait un esprit critique, sérieux et rationnel. Très vite, son âme s’est libérée ; j’attendais de lui

de grandes choses 431.

En 1833, Akhound Zadeh suivit pendant une année les cours de langue russe, puis il rejoignit Tbilissi, la capitale du Caucase en 1834. Recommandé par son père adoptif, il se présenta à Baki-Khan 432, écrivain célèbre qui travaillait comme interprète auprès du gouvernement russe dans cette région. Christophe Balaÿ a dit à propos de cette rencontre :

Après un bref apprentissage du russe, il se rend à Tiflis [Tbilissi] où il fait la connaissance d’un esprit brillant, Beki Xân [Baki-Khan] (1794-1846), « pionnier de la nouvelle pensée occidentale au Caucase », humaniste et homme de sciences, traducteur du russe qui l’introduit dans les milieux littéraires de Tiflis et dans les sphères de l’administration 433.

Ensuite, un général russe, nommé Rosine, présenta Akhound Zadeh au bureau des affaires intérieures de l’État de Caucase, dirigé par les officiers russes. Il commença à y travailler comme assistant-interprète de langues orientales (l’arabe, le persan, le turc) et poursuivit sa carrière comme traducteur-interprète dans différentes équipes diplomatiques, au service de l’État russe, jusqu’à la fin de sa vie en 1878. Il fut également professeur de turc dans une école russe à Tbilissi. Pourtant, il n’apprécia jamais le despotisme et la répression de l’État russe qui limitaient la liberté d’expression des intellectuels. Ainsi, Adamiat dit qu’il détestait l’État russe 434.

Son séjour à Tbilissi l’aida beaucoup dans son évolution intellectuelle, car, à cette époque, Tbilissi n’était pas seulement le centre politique de la Russie au Caucase, mais aussi un important foyer politique, littéraire et culturel réformateur. Les écoles modernes, la presse, les journaux et les théâtres y étaient répandus. Akhound Zadeh y fréquentait la mouvance franc-maçonnique. De même, les

431 ADAMIAT (F.), Andishehaye Mirza Fath Ali Akound Zadeh [Les Pensées de Mirza Fath

Ali Akound Zadeh], op.cit., p. 13.

432

Ibid., p. 15.

433

BALAY (Ch.) et CUYPERS (M.), Aux sources de la nouvelle persane, op. cit., p. 22.

434 ADAMIAT (F.), Andishehaye Mirza Fath Ali Akound Zadeh [Les Pensées de Mirza Fath

écrivains, les libéraux et les révolutionnaires russes en exil, qui luttaient contre le despotisme des tsars, étaient tous réunis dans cette ville. En outre, Akhound Zadeh était fasciné par la riche tradition théâtrale qu’il découvrait. Il regardait souvent les spectacles, et surtout les pièces de Molière et de Shakespeare 435 :

[…] Akhundov [Akhound Zadeh] suivit avec une grande curiosité toutes les représentations théâtrales données chez les princes géorgiens. Les pièces des grands auteurs d’Europe occidentale et de Russie (Molière, Griboedov, etc.) suscitèrent en lui un grand amour du

théâtre et l’idée lui vint de fonder un art dramatique national 436.

Il lisait également les comédies de Molière et le nomma « le grand maître de la dramaturgie » 437. De plus, il subit l’influence de certains penseurs occidentaux, notamment celle des écrivains et des philosophes français :

Akhoundov faisait grand cas de la culture française. Il lisait avec

passion les œuvres des grands philosophes du XVIIIe qu’il cite souvent

dans son traité philosophique. En 1874, il envoya son fils unique, Rachid, achever ses études supérieures de français à l’université de Bruxelles 438.

Ainsi, il s’intéressait aux penseurs et philosophes comme Voltaire, Rousseau et Montesquieu. Il citait souvent ces écrivains dans ses livres et dans ses articles. La Renaissance, la réforme sociale et politique de la révolution française et la philosophie du siècle des Lumières 439 influencèrent considérablement les pensées d’Akhound Zadeh.

435 MALEK POUR (J.), Adabiate Némayéchi dar Iran [La Littérature dramatique en Iran],

op. cit., p. 135.

436 AKHUNDOV (Mirza Fath-Ali) [AKHOUND ZADEH (M.F.A)], Comédies. Traduit de l’azerbaïdjanais par Louis Bazin. Paris : Gallimard, 1967, p. 12.

437

MALEK POUR (J.), Adabiate Némayéchi dar Iran [La Littérature dramatique en Iran],

op. cit., p. 134.

438

AKHUNDOV (M. F.-A.) [ Akhound Zadeh], Comédies, op.cit., p. 12.

439 ADAMIAT (F.), Andishehaye Mirza Fath Ali Akound Zadeh [Les Pensées de Mirza Fath

A Tiflis [Tbilissi], Axund-zade [Akhound Zadeh] acquiert une connaissance étendue de l’Europe littéraire et philosophique. Il lit surtout les Français : Molière, Voltaire, Rousseau, Mirabeau, Montesquieu, Renan, Sue et Dumas ; il lit aussi Shakespeare et les Russes, bien sûr : Pouchkine, Gogol, Lermontov, Tolstoï, etc.

Parmi les Russes de Tiflis, Axund-zade subit l’influence réformatrice napoléonienne (système constitutionnel et code légal).

A Tiflis, enfin, Axund-zade fréquente les milieux musulmans

progressistes du Caucase […] 440

Nous pouvons voir ainsi l’influence de la culture et de la littérature françaises sur cet écrivain persan. Mentionnons également une lettre destinée à Mirza Yousef Khan :

En France, les philosophes et les érudits comme Voltaire, Rousseau, Montesquieu et Mirbeau ont soutenu le peuple par leurs écrits pour qu’il s’élève contre les tyrans afin d’atteindre leurs droits. Ainsi, les philosophes français ont fait connaître leurs pensées au peuple. Lorsque l’esprit du peuple a été éclairici par les écrits de ces savants, le peuple s’est mis à lutter contre les tyrans et enfin on les a renversés. Ensuite, il a créé de nouvelles lois qui puissent protéger leurs droits, leur liberté et leur bien-être 441.

En outre, les revues et les journaux littéraires, sociaux et philosophiques de la Russie, édités et publiés par les écrivains progressistes et les intellectuels russes, tenaient un grand rôle dans l’évolution des pensées d’Akhound Zadeh. Parmi ces journaux, nous pouvons donner quelques exemples : Le Contemporain, Les Notes

patriotiques, Télescope, Le Spectateur Moscovite, Les Nouvelles de Tiflis. Outre ces

journaux, il lisait les œuvres des critiques littéraires etsociales russes comme celles de V. Belinsky, N. Dobrolyubof et A. Herzen, ainsi que les œuvres des poètes et des romanciers russes comme Tolstoï, Pouchkine, Gogol, Lermontov, Marlinsky. Bref, Tbilissi représentait pour le jeune Akhound Zadeh une chance inattendue :

Axund-zâde y rencontra notamment les membres du groupe décabriste échappés aux exécutions de 1825 : Lermontov, Pouchkine, Griboïedov […],

440

BALAY (Ch.) et CUYPERS (M.), Aux sources de la nouvelle persane, op. cit., p. 22.

441 AKHOUND ZADEH (M.F.), Alefbayé Djadid va Maktoubat [Le Nouvel alphabet et les

Marlinski le romancier, le comte Kachinski (1806-1861), le géographe et le poète Odoyavski […] 442.

Enfin, l’évolution intellectuelle d’Akhound Zadeh fut complétée par la fréquentation des milieux musulmans réformateurs à Tbilissi 443. Il était en effet préoccupé par l’évolution sociale et intellectuelle du monde musulman, notamment de la Perse. Car, comme nous l’avons déjà mentionné, il considérait toujours la Perse comme sa patrie ; dans ses écrits, il ne prêchait pas autre chose que cet amour pour la Perse antique en critiquant fortement les Arabes aussi bien que les nomades sauvages qui avaient renversé la civilisation persane prestigieuse. Selon Malek Pour, « il n’était pas complètement occidentalisé à la manière de la plupart des écrivains de son époque […] nous pouvons trouver des traces évidentes d’un fort nationalisme iranien dans ses œuvres » 444. Il croyait que la seule voie pour faire progresser la Perse était l’éducation et la diffusion des connaissances 445. Pourtant, Akhound Zadeh critiquait également le progrès industriel des pays occidentaux, inondés par les objets manufacturés, car, d’après lui, ces pays n’avaient pas conscience que ce développement pouvait aussi bien produire la faillite des capitaux qu’ignorer les besoins moraux des êtres humains.

Nous pouvons dire que les années de son séjour à Tbilissi (1834-1850), furent des années où se formèrent ses talents et ses pensées littéraires, sociales, philosophiques et politiques, puisqu’alors il écrivit ses pièces de théâtre. Capitale de l’ancienne Géorgie (statut que la ville a retrouvé aujourd’hui), cette ville était devenue au XIXe siècle le centre économique et culturel de la Transcaucasie ; elle était fréquentée par des hommes d’affaires, des voyageurs, des savants, des écrivains et des hommes politiques venus de toutes les parties du monde. Rappelons que c’est à Tbilissi qu’il a découvert les œuvres des écrivains russes comme Gogol et Dostoïevski et qu’il traduisit du russe vers le turc l’œuvre théâtrale de Molière ; c’est là encore qu’il fit ample connaissance avec le théâtre et avec de grands auteurs dramaturgiques français et anglais. Malek Pour écrit à ce propos :

442 BALAY (Ch.) et CUYPERS (M.), Aux sources de la nouvelle persane, op. cit., p. 22.

443

Ibid.

444

MALEK POUR (J.), Adabiate Némayéchi dar Iran [La Littérature dramatique en Iran],

op. cit., p. 130.

445 ADAMIAT (F.), Andishehaye Mirza Fath Ali Akound Zadeh [Les Pensées de Mirza Fath

Outre les auteurs russes, Akhound Zadeh connaissait aussi des écrivains occidentaux. Non seulement il avait lu la traduction des œuvres de Molière et de Shakespeare, mais il avait aussi vu les représentations de ces pièces au théâtre de Tiflis [Tbilissi]. Surtout, il considèrait Molière et Shakespeare comme les grands maîtres de la dramaturgie. Mais la connaissance d’Akhound Zadeh ne se limitait pas justement à la lecture des œuvres des auteurs russes et occidentaux. Il a aussi connu le théâtre par le biais de la scène ; il a également traduit quelques pièces de Gogol et de Molière et les a montées ; ainsi ce dramaturge iranien, en plus de sa connaissance théorique de la

dramaturgie, était aussi metteur en scène446.

De même, Louis Bazin dit à propos de l’influence de Molière sur la dramaturgie d’Akhound Zadeh :

La découverte, à Tiflis, du théâtre européen marqua profondément son esprit. Il subit d’emblée le charme de Molière, dont l’ironie, le scepticisme et le non-conformisme correspondaient si bien à son propre tempérament. Et, bientôt, une idée s’imposa à lui : il allait, lui aussi, écrire des comédies en prose courante, où il peindrait les

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