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CHAPITRE 3 Données

3.2 D ESCRIPTION DE L ’ ŒUVRE I NCARNEE

3.2.3 Troisième tableau – Franchement !

Ce troisième tableau, c’est la juge : celle en moi qui me juge sévèrement quand je me produis en spectacle, par exemple, mais qui aussi me juge durement dans toutes sortes de situations de mon quotidien. Si elle avait une voix, nous l’entendrions dire : « Franchement! Pourquoi tu as encore besoin de te montrer devant tout le monde? Tu cherches encore l’attention? » Bref, celle qui lève les yeux au ciel et qui se croit au-dessus

de tout. Celle-là, j’avais envie de l’exagérer au maximum, de la caricaturer à l’extrême pour ainsi purger son influence.

J’avais fait une demande bien spéciale aux musiciens, celle de créer une musique hautaine. Un peu incrédules devant ce thème, mais avec en appui quelques explications et notre matériel chorégraphique, ils ont brillamment relevé le défi. La musique commence par des chuchotements enregistrés qui donnent l’effet d’une « voix d’ordinateur », par-dessus lesquels Marie-Sophie chuchote également au micro en direct. Le texte, récité en mettant l’accent sur les « K », les « T », les « S » et les « X », est le suivant (la ponctuation est volontairement absente et le texte est repris en boucle) :

Critique exhiber sans façon toute fut rien qui ne se passe chaotique en soi récriminant et enfoui profondément ce besoin malsain de vouloir à tout prix se donner en spectacle à travers l'exposition l'exhibition sans gêne et sans pudeur de montrer à l'œil critique du public qui n'a de cesse de vouloir percer tes secrets de son esprit voyeur il juge sans merci et…

Les consonnes nommées plus haut, marquées de manière très incisive, procurent l’effet escompté et donnent le ton dès le départ : on se sent jugé. Pendant ce temps, je recule lentement, face au public, jusqu’à me retrouver côte à côte de mes partenaires. Nous nous tournons ensuite de dos au public, penchées l’une vers l’autre.

Puis, une mélodie dramatique démarre au son du synthétiseur. Celle-ci, créée par Julien, au son de basse avec un effet de distorsion, accompagné de notes basses du piano, crée une ambiance fort oppressante. La tension est ainsi présente du début à la fin de ce morceau avec ce thème répétitif en trame de fond.

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À ce moment-là, nous nous retournons vers le public, un petit faisceau lumineux tenu par Élisa nous illumine le visage à tour de rôle. Dès que nous nous retournons, nous prenons une position hautaine : regards suspicieux, menton surélevé, épaules penchées vers l’arrière, torse bombé. Nous bougeons légèrement aux sons des basses qui donnent un ton tragique au tableau.

Nous sommes bien investies dans l’interprétation de ces personnages dédaigneux, la lumière accentuant l’effet exagérément dramatique de nos regards perçants et créant des ombres excentriques sur nos visages graves. Puis, le saxophone vient ajouter un suspense étrange avec de longues notes tenues qui ajoutent à la tension, ce qui nous pousse à nous prendre de plus en plus au sérieux en prenant plus d’ampleur dans nos mouvements solennels. Julien joue de son instrument de façon très froide, sans tendresse, ce qui confère une rigidité d’autant plus grande au morceau.

Ensuite, Sarah introduit à la pièce musicale un violon qui veut montrer sa virtuosité dans un modèle de décadence. Ce violon cherche à exister en écrasant les autres, en montant très haut dans les notes aigües. Il fait un exercice de style pour frimer, pour démontrer sa supériorité. On peut le personnifier de façon très caricaturale, car Sarah joue de façon exagérée avec beaucoup d’amplitude, exposant beaucoup plus de violence que d’émotions, telle une colère mal contenue.

C’est alors que nous nous prenons toutes trois à la taille, dans un genre de personnage à trois têtes qui avance par de lents développés effectués de façon synchronisée. Une fois en avant côté jardin, nous accentuons un peu plus nos mouvements prétentieux, avant de nous raccrocher dans notre

personnage à trois têtes pour nous rendre de la même manière côté cour, où il y aura un crescendo d’arrogance. Puis Élisa et moi nous nous détachons de Geneviève pour nous rendre un peu en retrait côté jardin en nous prenant très au sérieux dans des mouvements qui se veulent gracieux et cérémonieux, pendant qu’Élisa entame un chant enchanteur. Le chant et le saxophone se répondent, une première communication dans cet univers froid et désolant. Geneviève, qui est restée en avant-scène côté cour, incarne la juge qui a honte, nous observant de loin en levant les yeux au ciel, le visage exprimant un profond mépris. Puis, tranquillement, nous avançons vers le public en leur lançant des regards disgracieux, leur envoyant des « ppfffff » offensants ou des « ttsssss » insolents. Et nous nous transformons en personnages grotesques, caricaturés, burlesques, dans une démarche décousue, exagérant un déhanchement déséquilibré, une jambe complètement tendue, l’autre pliée, fesses excessivement sorties, le haut du corps se balançant par des mouvements d’épaules déformés. Pendant ce temps, Julien joue des notes dissonantes avec son saxophone, quelque chose qui ne semble pas trop naturel, avec beaucoup de répétitions. Alors qu’une résolution semble s’effectuer au sein de la mélodie, nous terminons ce tableau rassemblées au centre, au fond la scène. Puis, nous nous relevons et nous retournons de dos au public, sur les seuls sons de basse en guise de conclusion.

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