Chapitre XLI
Le travail de la Genefeed.
Depuis presque vingt ans, la santé de la Genefeed se portait au mieux. Les gisements d’Atka étaient normalisés, diversifiés en de nombreux produits desquels personne n’aurait pu se douter qu’ils venaient de dessous l’écorce terrestre. Ils étaient conditionnés de la même façon que les sous produits de la culture. Les ventes étaient internationales et rapportaient plus qu’espéré. De ce fait, Cyrus s’était montré consensuel et accommodant face aux opposants de l’électro-culture. Les surfaces couvertes avaient diminué sans trop d’opposition de la firme.
Des observations avaient été faites sur le débit du « geyser » fruitier dont on avait renoncé à comprendre la cause et qui, somme toute, arrangeait les affaires des deux parties opposées qu’étaient les écologistes, farouche adversaires de l’électro-culture, et de la multinationale.
Les grandes régions de la planètes étaient gérées par un haut responsable, à savoir :
- Fitzgerald pour l’Amérique du nord
- Calderón Barras pour l’Amérique centrale et du sud - Kimura pour le Japon, la Corée du sud et le pacifique - Antje Mortsen pour l’Europe
- Li-Jong pour la Chine, la Mongolie, la Birmanie, l’Indochine, la Thaïlande
- Panyandy pour l’Inde, le Pakistan, le Bengladesh et l’Océan Indien
- El Mansour pour le monde Arabe et la Turquie - Awa Yamandé pour l’Afrique noire
- Abdahla Azoulay pour le Maghreb, la Libye, L’Egypte, le Soudan
- Soloviev pour la Russie et les anciens états de l’URSS - Simon Partouche pour Israël et la communauté Juive - Wilson Brown pour l’Australie et l’Indonésie.
En tout, douze apôtres de la grande escroquerie qui se seraient trouvés bien mal si le pot aux roses avait été découvert. Il ne restait que quelques pays où l’electro-culture était totalement absente, soit par raison politique, soit par manque de rentabilité : la Corée du Nord, le Turkménistan, des petits pays
comme le Népal, le Tadjikistan, les îles du Pacifique, etc. et puis la Suisse et l’Islande.
Depuis vingt ans, tous les ingénieurs mis dans le secret avaient été sollicités pour trouver une explication plausible mais rien qui ressemblât à un début d’éclaircissement. Cyrus avait même accepté de financer une expédition dans le cratère du Korovin dirigé par Eugène Archeray. Dans une période de grand calme, ils étaient parvenus à 1 Km sous terre. Ils avaient découvert un boyau qui les avait mené à un lac volcanique fait de souffre et de cette purée. Donc, il y avait bien quelque chose qui couvait là dessous. Plus bas, l’atmosphère était irrespirable, faite de vapeurs brûlantes, et de nombreux éboulements bloquaient les galeries.
Le débit du geyser était variable selon les saisons, plus abondant en été, au minimum en hiver, un peu comme certains cours d’eau. Ainsi, on finit par accorder un certain crédit aux allégations de Théophile Bernard selon lequel le soleil influençait cette production.
Tout alla ainsi jusqu’au début des années 2035 à 2040. Tous les sus-nommés étaient des hommes et des femmes influentes et faisaient partie du conseil d’administration de plusieurs firmes dans des secteurs divers. Il fut cependant nécessaire que le centre de stockage et de transformation ne soit plus le centre unique, dans le Dakota du sud. La Chine, le Japon, l’Inde, la Russie revendiquèrent la gestion partagée, puis l’Australie et l’Europe pour laquelle il y eut deux centres principaux, l’un en Grande Bretagne pour la Scandinavie, la France, la péninsule Ibérique et le Benelux, l’autre en Allemagne, sous la directive de la banquière Antje Mortsen pour le reste de l’Europe. Tout aurait pu continuer longtemps ainsi. Les famines avaient diminué. Les réfractaires à la méthode du Bernard étaient laissés suffisamment libre de cultiver à leur manière, du moment que leur commerce ne concurrence pas l’autre. Il s’était constitué une pseudo entente militaire entre les douze afin de pérenniser la zone des Aléoutiennes comme réserve stratégique. D’ailleurs, une flotte militaire multinationale, un corps de forces spéciales avec des armes de haute technologies avait été installés à Atka et d’autres îles voisines afin que les armées des différents pays puissent y envoyer des militaires en formation, qu’ils puissent constater et rapporter chez eux qu’en effet, les Aléoutiennes étaient bien une base militaire. De la poudre aux yeux en fait. Seul, le site du gisement était ouvert aux initiés.
Il serait faux de croire qu’une mésentente entre les partenaires ou une trahison aurait pu changer les choses. Cyrus et plusieurs de ses acolytes avaient une puissance financière colossale. Il leur était facile de lancer une O.P.A. destructrice pour ruiner une multinationale ou un état contrevenant.
Ainsi, le mensonge couvrait davantage la planète que ces grillages électriques. Une belle toile d’araignée avec un Attila bien noir au centre, avec des fils qui le reliaient à tous les points sensibles. Vous rirez sûrement des explications qui vont suivre si vous croyez simplement que le mensonge est juste un défaut et que son contraire est la vérité par la franchise.
Alors… ?
De même que la grammaire, qui est un des sept arts libéraux n’est pas un catalogue de règles inventées pour expliquer la manière dont on arrange les phrases, mais un art indissociable de la rhétorique et de la dialectique par lesquels les humains ont pu traduire en langage l’essence du logos universel, le mensonge lui même est une sorte de dialectique associée à l’orgueil principalement mais aussi à la paresse et à la l’avarice.
Dans la dialectique, en général, l’un des interlocuteurs ne fait pas taire l’autre, ne remplace pas le propos antagoniste par le sien. Il y a échange. La dialectique est un échange. Celui qui a tort change sa vision mais celui qui a raison aussi car dans ses arguments, il intègre la contrepartie de ce qu’il conteste.
C’est ce qui se passe quand « la vérité » se confronte au « mensonge ». la première ne tue pas l’autre, ne se met pas à sa place. Il y a union et enfantement d’une autre « vérité » qui porte le sang de ce coït comme vos enfants portent votre sang mais ne sont pas vous.
D’ailleurs, l’affirmation de « notre vérité » ne passe-t-elle pas par la rhétorique qui est une manière de dire les choses afin de séduire ceux que l’on veut convaincre ? N’y a-t-il pas, dans ce cas, une part de mensonge dans notre vérité ? ou de vérité dans notre mensonge ?
Avant de poursuivre ce raisonnement qui vous permettra de comprendre comment les choses peuvent changer sans que les instrumentalistes de ce système en soient conscients, je dois vous dire que c’est moi, Yves Le Déan, qui vous parle.
Je vous raconte les faits extérieurs par mon observation et mon intellect, et ce que j’entends et dont je prends conscience dans mon for intérieur par ce qu’on peut appeler la réflexion, ou l’inspiration, car il faut bien, tout de même, que vous compreniez ce qui s’est passé et c’est aussi mon histoire.
Chapitre XLII
(C’est Yves qui parle)
Autant vous le dire tout de suite, je ne suis jamais descendu « dessous », parce que ça n’était pas nécessaire. Toutes les grandes choses « importantes » arrivent par nécessité, ou du fait que la liberté inaliénable de l’Homme entraîne des évènements contraires à l’évolution cosmique prévue. Dans ce cas, les dieux s’en mêlent !
Il n’a pas été nécessaire que je descende chez les Archantis parce que Perrine y a séjourné et que notre amour était le seul viatique par lequel je pouvais admettre ce que j’ai reçu de l’intérieur.
Rappelez vous ce que j’ai dit sur le pissenlit. Moi, je suis un tube creux, un être insignifiant et auquel on ne fait pas attention, comme les fleurs de pissenlit au printemps. Je souffle sur une boule d’aigrettes que le vent va porter au gré de l’atmosphère, mais je dois puiser cette connaissance dans un mètre cube de terre. Attention, si vous aspirez ces plumettes, si vous voulez tout savoir d’un seul coup, vous vous préparez à une bonne quinte de toux, sinon à l’étouffement. Si vous l’assimilez correctement, vous perdrez une grande partie de vos préjugés, c’est pour cela que le pissenlit est diurétique !
Je poursuis puisque j’ai annoncé que ce n’est pas une mésentente ou une trahison qui aurait pu faire cesser les cultures électriques et permette à la nature de reprendre ses droits et à la Terre de retrouver la santé.
Perrine avait lu énormément de livres de toutes sortes et elle m’a communiqué des indices qui m’ont permis d’y voir clair. Ainsi, il est communément admis que pour tuer le mensonge, il suffit de dire la vérité. Je vous ai expliqué que ce n’est pas le cas.
« La grande vérité » qui est, en quelques mots, la réponse à la triade : « Qui sommes nous, d’où venons nous, où allons nous » - ne se formule pas. Chaque formulation génère sa contrepartie et ce couple est le garant de la liberté fondamentale de chaque être humain, elle même condition de la bonne évolution de la Parole créatrice.
Munissez vous d’un dictionnaire si vous voulez bien comprendre ce que je vais dire car moi aussi, j’ai été obligé de chercher et de réfléchir pour intégrer ce que Perrine voulait me communiquer.
Il existe un sujet de dispute antique sur lequel les théologiens se sont affrontés et qui porte le nom d’apocatastase, c’est à dire le retour des choses en leur état originel à la fin des temps. Mais ça n’a pas de sens car il n’y aurait alors pas d’évolution, et donc, à quoi servirait la création ?
L’évolution n’est pas un cercle mais une spirale. Un néologisme de mon cru pourrait l’appeler « épicatastase ». Le cosmos nous en donne une image dans la structure des galaxies. Tout est dans tout ! Alors, quand la spirale dévie vers l’involution, les dieux s’en mêlent. Ça s’est déjà passé quand l’empereur Justinien a fait fermer l’Aréopage en 529 pour éviter qu’une connaissance ésotérique trop avancée et qui se serait propagée par fondamentalisme vienne perturber la religion officielle de l’Empire romain d’Orient : Justinien a agi inconsciemment sous l’influence de grandes entités qui guident le destin du monde — ce fait est très bien expliqué dans des ouvrages historiques documentés sur l’histoire de l’Empire Romain — ou quand la grande Armada de Philippe 2 a voulu détruire la flotte anglaise en 1588, mais ça serait trop long à expliquer comment. Lisez simplement le poème de Victor Hugo « la rose de l’infante dans la légende des siècles » et vous comprendrez qui a agi dans cette défaite.
Donc, mensonge et vérité sont un couple indissociable et qui danse avec les couples orgueil-humilité, paresse-courage, avarice-désintéressement. Ce sont là des notions qui représentent des situations. Hors, une situation ne se règle parfois pas seule, il faut en face une prise de conscience et une action. Là encore le couple action-passivité sont deux faces d’une même chose. La passivité sereine est assise sur la conviction, la certitude que le déséquilibre se règlera seul comme les vases communicants. L’action est prise de conscience d’une intervention externe nécessaire et s’appelle « la colère ».
Alors il y eut colère du peuple Archantis qui recevait leur inspiration des dieux par le canal des initiés. Le dérèglement des flux venant de l’intérieur qui amenait la vie à la surface empesait les forces de ce peuple. Dans un premier temps, il fallait que ces flux, au lieu de sortir par cette soupape qu’avait ouverte le météore, se répartissent régulièrement partout sous l’écorce terrestre. Faute de rencontrer les éléments végétatifs de la surface qui offraient une contrepartie à leur énergie, ce flux faisait léviter les matières minérales dévolues à la fertilisation et constituaient par compression une mélasse contenant ce que les fruits et légumes de la surface devaient produire naturellement et cette mélasse sortait par le puits d’Atka.
Bien ! me direz vous. Mais c’est qu’en plus, au passage dans la zone d’Archantide, ces flux ne profitaient plus au peuple normalement. Leur alimentation était polluée, trop minérale, et beaucoup d’êtres étaient morts précocement par calcification. Le déplacement par lévitation devenait plus pénible car les forces étaient déviées. Même Guillaume et Eva qui faisaient souvent l’aller-retour s’en sentaient fatigués.
Les grottes souterraines s’assombrissaient. Le soleil ne brille pas sous terre mais il se passe le phénomène suivant : la lumière n’est pas constituée que de ce qui est visible par nos yeux. Vous savez tous qu’existent les rayons infra rouges et ultra violets et au delà, les rayon X et gamma. Au passage, il faut signaler que l’électricité est aussi une forme de lumière matérialisée. Hors, il existe une sorte de lumière qui est polarisée par les cristaux de silice dont est fait en grande partie le manteau terrestre (sial) – la silice apporte l’éclairage sous terre. Ce phénomène est dû à la rencontre avec les flux montants du centre de la Terre. Ils apportent l’énergie nécessaire à la vie terrestre à la surface, et en échange, le soleil diffuse une particularité de sa lumière pour la vie intra terrestre.
Une précision encore : la colère n’est pas née du cœur des Archantis. Nous, humains, avons notre autonomie et notre libre arbitre, pas eux. Eux reçoivent leurs influx des dieux (les âmes-groupe de leurs race qui appartiennent à la hiérarchie des Archanges). Ces âmes groupes pressentaient ceci : les Archantis et autres anciennes races Atlantes et Lémuriennes vont régresser trop vite. L’Homme va parvenir aux visions et à la conscience du supra-sensible ( puisque l’involution des uns entraîne l’évolution des autres) — même scénario que lors de la fermeture de l’Aréopage — sans avoir acquis une sagesse suffisante, la sagesse étant gagnée au moyen de l’effort personnel volontaire. Ils prendront donc le chemin de la magie noire qui mène au désastre et à des catastrophes telluriques, sous l’égide des Esprits de l’obstruction. Nous devons agir, mais par quel moyen ? La faute est humaine, il faut un bras humain qui coupe les tentacules de cette hydre.
Il faut savoir, hi !hi !hi !…que les Esprits ne s’emmerdent pas à passer des coups de téléphone à droite, à gauche, à graisser la patte à des tueurs à gage ou autres techniques tordues. Ils savent ce qu’il faut faire par intuition. Ils ont vu que fendre les têtes était la seule solution pour donner un autre sens au mensonge, car ils ne peuvent pas communiquer la vérité, il peuvent juste influer sur la compréhension qu’auront les hommes de ce qui en découlera, et ensuite, ils passeront à une seconde étape.
Le chemin était celui-ci : la colère de Guillaume qui avait projeté la hache et failli tuer Eva, ce qui avait demandé leur intervention éclair en arrachant à l’adrénaline de cet instant la faculté de lévitation emmagasinée dans les pouvoirs d’Eva et de son père et en l’incorporant à cet outil humain, le fait qu’une partie de la force éthérique d’Eva était passée dans le corps de Renan et l’orgueil juvénile et innocent de ce dernier : ces trois éléments allaient guider leur démarche
Et il ne fallait pas tuer n’importe comment. En fait, c’est difficile de concevoir ça, nous les hommes qui sommes sujets à la mort, mais ces âmes
groupes ne voulaient pas tuer car ils ignorent cela. Il leur était absolument impossible de concevoir qu’en enfonçant une hache dans le cerveau, cela entraînerait la mort de l’être qui le porte. Ce qu’ils voulaient faire, c’était interrompre le flux qui est émis par le cerveau humain et impacte la partie de l’éther cosmique où règnent les pensées que des esprits bienveillants ou malveillants peuvent contrôler. C’est comme si vous vouliez reprogrammer un logiciel et que cette opération cramait l’ordinateur !
Cela débuta en 2035. Fendre d’abord celle qui avait le pouvoir financier technique : Antje Mortsen. Toutes les transactions de la Genefeed étaient centralisées sur un compte secret dont seule la banquière avait le contrôle. Sa mort obligeait à faire une re programmation extrêmement compliquée qui nécessitait la présence de Cyrus et de plusieurs de ses acolytes.
Alors qu’Antje usait d’une rhétorique mensongère digne des Nibelungen, Renan prévoyait de lancer sa hachette à plus de cinq cents mètres et un orgueil grandissant décuplait ses forces. Il suffisait alors de transmuer cette énergie physique en force de lévitation cosmique, par la même forme d’énergie qui avait porté le météore vers la Terre, et la hachette n’avait plus qu’à se laisser attirer par le vide tourbillonnant qui se produisait dans l’enceinte de l’amphi-théâtre. La hachette se dématérialisa pour emprunter d’autres genres de forces quand elle parvint au sommet de sa parabole physique puis se reconstitua à l’arrivée. Un grand bruissement d’ailes passa au dessus de l’assemblée qui vit un corbeau foncer sur la conférencière et l’instant d’après une hachette du commerce avec un manche en bois dur peint en rouge faire éclater la tête de la banquière exactement au milieu du front. Deux yeux tombèrent sur l’estrade, la pupille en l’air pour voir ce qui était arrivé et, n’en revenant pas roulèrent vers le premier rang des auditeurs tout éclaboussés de sang qui virent, à travers un voile rouge, une tête sans yeux et la bouche ouverte.
Les yeux, à terre, regardaient fixement les deux adjoints de la banquière et de sa bouche sortit, dans un râle :
Chapître XLIII
Et ce “show “ continua pendant cinq ans. Les uns après les autres, douze des menteurs reçurent le baptême de la hachette, les uns pendant une conférence ou un briefing, d’autres à leur travail, dans leur bureau, alors qu’ils étaient en train de préparer une stratégie destinée à tromper le monde, dans un but mercantile ou par orgueil. Des uns, les yeux sortirent de la tête parce qu’ils voyaient trop grand, des autres, de la compote jaillit par les oreilles parce qu’ils avaient déjà le cerveau en marmelade.
Cyrus ne fut pas atteint. Son mensonge était à l’origine de toute cette affaire, mais depuis longtemps, il ne faisait que coordonner et contrôler. Il n’y avait pas de vide autour de lui. Onze des responsables plus celui de l’Angleterre reçurent la hachette au manche de bois dur en plein milieu du front, toujours précédée par le vol d’un corbeau. La police eut beau enquêter de toutes les façons possibles, il s’avéra que les empreintes laissées sur le manche, d’une part, étaient toujours les mêmes, et d’autre part ne correspondaient jamais aux personnes présentes auprès de la victime jusqu’à ce que la police prenne celles de Renan suite aux affaires Brahim Salafi et Angelo Rossi.
Mais de meurtre ici, nullement ! Le meurtre est un concept purement humain. Quand vous égorgez ou empoisonnez ce voisin que vous haïssez, vous savez que sa vie va s’arrêter parce que vous vivez et qu’un jour vous mourrez aussi. Vous accomplissez un acte dont vous connaissez la portée.