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La thèse d’Elgin est intéressante, car en plus d’offrir une réponse à la position de Beatty, elle tente de démontrer qu’il est possible de réformer le modèle D-N afin de

Chapitre 4 : L’interprétation mécaniste des communautés et des écosystèmes

4.2 Robustesse et Ontologie

4.2.2 Trois types de robustesses

Calcott (2010), dans une critique du livre de Wimsatt (2007), identifie trois usages différents du concept de robustesse. Selon lui, la robustesse peut soit porter sur : (1) un théorème (2) un phénomène ou encore (3) la détection d’un élément particulier. Voici ce que ces trois usages signifient.

(1) Un théorème ou un modèle est dit robuste lorsque la conclusion de ce dernier est atteignable de plusieurs manières indépendantes. Dire qu’un théorème est robuste signifie que la conclusion de ce dernier n’est pas un artéfact de la méthodologie utilisée ou encore des idéalisations de notre modèle. De manière générale, cet aspect de la robustesse est très proche

de ce que Levins proposait en 1966. Plus un théorème est robuste, plus nous pouvons être certains que ce dernier décrit une partie du monde réel. La figure 4.1 représente la structure de la robustesse d’un théorème.

Dans la figure 4.1, les traits pointillés possédant deux flèches liant la structure causale du monde aux différents modèles représentent une relation de ressemblance entre le monde et nos théories. Les flèches pleines avec une seule tête représentent quant à elle le lien inférentiel liant nos modèles à notre théorème robuste. Ceci illustre que nos différents modèles en faisant différentes idéalisations représentent chacun à leur manière une partie de la structure causale du monde. Si malgré ces idéalisations différentes les conclusions sont invariantes, nous sommes justifiés d’inférer que notre théorème est robuste et donc qu’il porte sur le monde réel.

(2) Un phénomène est robuste lorsqu’il est présent dans plusieurs contextes différents (Calcott 2010 p.X). Comme le soutien Calcott (et Wimsatt) : « Often, but not always, the phenomena in question can be thought of as some kind of mechanism, either designed or evolved. In this case, the mechanism continues to function reliably, despite perturbation or interventions. » (Calcott 2010 p.X). Formulé autrement : s’il est possible d’intervenir de multiples manières indépendantes sur un phénomène (ou encore un mécanisme) et que ce phénomène demeure invariant, alors ce phénomène est robuste et existe donc réellement. La robustesse sert ici de critère ontologique et permet d’identifier les objets et les phénomènes de la structure causale du monde. Cet aspect de la robustesse est central à mon propos et je le développe plus en profondeur dans la sous-section suivante.

(3) Une affirmation portant sur le monde empirique est robuste s’il est possible de la détecter ou encore de la vérifier de multiples manières indépendantes. Cet usage de la robustesse est épistémique et sert notamment de justification à nos explications. S’il est

possible d’utiliser différentes méthodes ou encore différentes interventions afin de confirmer une proposition sur le monde, alors cette dernière est robuste. La figure 4.2 représente cette relation de robustesse.

La figure 4.2 débute avec une proposition portant sur le monde. Cette proposition est par la suite vérifiée à l’aide de plusieurs méthodes indépendantes. Ces dernières étant en accord avec la proposition initiale, nous pouvons affirmer que cette proposition est robuste. Illustrons ceci avec un exemple. Considérons la proposition suivante : le pH de cet étang est de 8. Afin de savoir si cette proposition est robuste, il est nécessaire de la tester à l’aide de différentes méthodes. Ici, nous pouvons utiliser une mesure électrochimique (pH mètre), un indicateur de pH ou encore un indicateur universel. Si ces trois méthodes de vérifications atteignent le même résultat, nous pouvons affirmer de manière robuste que le pH de cet étang est réellement de 8.

Bien que ces trois usages du concept de robustesse soient différents, ils partagent tous deux éléments essentiels. Premièrement, tous ces usages visent à identifier le réel. Comme l’affirme Wimsatt (2007 p.46):

« […] all the variants and uses of robustness have a common theme in the distinguishing of the real from the illusory; the reliable from the unreliable; the objective from the subjective; the object of focus from artifacts of perspective; and, in general, that which is regarded as ontologically and epistemologically trustworthy and valuable from that which is unreliable, ungeneralizable, worthless and fleeting ».

L’objectif de la robustesse dans tous ces cas est toujours de tenter de limiter le risque d’erreur et de nous permettre d’identifier quels éléments ontologiques et épistémiques sont fiables.

Le deuxième élément que tous les usages de la robustesse partagent est la nécessité d’utiliser des moyens de justification partiellement indépendants (aussi bien au niveau des modèles que de nos interventions) (Wimsatt 2007 p.46). Si nos méthodes de justification ne sont pas indépendantes, elles courent le risque d’être toute susceptible aux mêmes erreurs. Si ceci se produit, nous serons aux prises avec une robustesse illusoire, car l’inférence liant nos modèles au monde réel sera fallacieuse.

Un exemple est ici pertinent afin d’illustrer ce type d’erreur. À la suite de la parution de Adaptation and natural selection par Williams en 1966, les théories de sélection de groupe furent très fortement critiquées. Plusieurs biologistes très influents, suivant les travaux de Williams, argumentèrent à l’aide de différents modèles mathématiques que la sélection de groupe, bien que possible, était tout au plus une force marginale (voir notamment : Hamilton (1971); Maynard-Smith (1976) ainsi que E.O Wilson(1973)). Cette conclusion étant supportée par une douzaine de modèles différents, son adoption fut assez rapide dans le cercle des biologistes favorisant une approche mathématique («modeler»).

Bien que mathématiquement rigoureuse, cette conclusion est cependant problématique empiriquement. Plusieurs biologistes expérimentaux, curieux de tester la conclusion de ces modèles, conduisirent des expériences visant à tester l’efficacité relative de la sélection individuelle et de groupe (ex : Craig 1982; Goodnight 1997; Wade 1978). La conclusion de ces expériences est que la sélection de groupe peut non seulement être une force considérable, mais en plus elle peut dans certains cas surpasser la force de la sélection individuelle.

Suite à ce constat, Wade (1978) se questionna sur les raisons expliquant que bien que nos résultats mathématiques semblèrent robustes, ces derniers ne représentaient pas le fonctionnement du monde réel. Suite à une étude des douze modèles mathématiques utilisés afin de justifier la conclusion que la sélection de groupe était peu efficace, Wade découvrit que 5 hypothèses étaient partagées par plusieurs de ces modèles. Chacun de ces douze modèles partage au minimum 3 de ces 5 hypothèses et 5 modèles utilisent ces 5 hypothèses. Ceci est problématique, car ces assomptions sont non seulement fausses et irréalistes, mais en plus ont chacune une tendance à limiter la possibilité de l’efficacité de la sélection de groupe (Wimsatt 2007 p.72).

L’effet net de l’usage partagé par plusieurs modèles de ces différentes hypothèses fut de conduire plusieurs biologistes à considérer la sélection de groupe comme une force négligeable. Bien que cette conclusion semble robuste, ceci n’est qu’illusoire, car les hypothèses de ces différents modèles ne sont pas réellement indépendantes. La leçon à tirer de cet exemple est qu’afin d’augmenter notre confiance envers un certain résultat, nos méthodes de justification se doivent d’être partiellement indépendantes. De cette manière, le risque que toutes ces justifications produisent la même erreur diminue (bien que cette probabilité ne soit jamais de 0).

Bien que les aspects (1) et (3) de la robustesse soient très intéressants et ont un rôle central en écologie, je n’ai pas ici l’espace pour argumenter ceci. Afin de répondre à la question du statut ontologique des communautés et des écosystèmes, seule la robustesse phénoménale est ici nécessaire. Ce concept est défini plus en détail dans la sous-section suivante.