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CHAPITRE 1. AU-DELÀ DU FONDATIONNALISME : FAÇONNER LA THÉOLOGIE

1.3 L ES ÉLÉMENTS DE STRUCTURE , D ’ INTÉGRATION ET D ’ ORIENTATION DE LA THÉOLOGIE

1.3.1 La Trinité

Grenz et Franke sont conscients que la doctrine de la Trinité a été remise en question par d’éminents penseurs comme Schleiermacher et Kant73. Le premier n’y a consacré que 50 pages dans son livre de 750 pages sur la foi chrétienne, disant que ce mystère allait contre la nature même de la théologie. Le deuxième a déclaré que la doctrine conduit à « absolutely nothing worthwhile for practical, everyday life »74. Grenz et Franke sont toutefois convaincus, avec d’autres penseurs comme Colin Gunton, Karl Rahner, Karl Barth et David Cunningham, que la doctrine de la Trinité est au cœur de tout véritable exposé théologique. Ils nient qu’elle soit pure spéculation et affirment que c’est d’elle que surgit toute la tâche théologique :

« The Christian understanding of God as triune offers a fruitful starting point for theological and ethical reflection. In fact, we would go further, claiming that the Trinity provides the structuring motif for Christian Theology. Building from the sources for theology set forth in the previous chapters, we argue that theology must be Trinitarian because this structure reflects the biblical narrative, dominates the Christian tradition, and resonates with the cultural moment. Unpacking this thesis implicitly indicates in part what it means to pursue a theology that is Trinitarian. »75

72 Id.

73 Friedrich Schleiermacher. The Christian Faith, ed. H.R. Mackintosh and J. Stewart, Edinburgh: T.& T.

Clark, 1928, p. 748, cité par Stanley J. Grenz et John R. Franke, p. 171.

74 Cité dans le livre de Jürgen Moltmann. The Trinity and the Kingdom of God, trans Margaret Kohl,

London: SCM Press, 1981, p. 6, cité par Stanley J. Grenz et John R. Franke, p. 171.

Pour Grenz et Franke, cela conduit méthodologiquement vers deux directions. D’une part, vers un Dieu qui se révèle par et dans la création, jusqu’au moment ultime de la venue du Christ et du travail de l’Esprit dans une nouvelle dynamique de révélation de la vie trinitaire du Dieu éternel. Cela montre que la théologie vue de cette perspective est dépendante de la christologie et de la pneumatologie. D’autre part, cette construction théologique part aussi de l’éternelle réalité du Dieu trinitaire qui est confessé à travers les âges par l’Église œcuménique et mène à une compréhension de cette personne trinitaire dans l’œuvre de la création et de la rédemption. Ils affirment également :

« More specifically, we asserted that in a trinitarian theology the three central aspects-theology (proper), Christology, and pneumatology- are interrelated. One further aspect of a truly Trinitarian theology remains to be mentioned, a dimension that links the divine and the human or the theological and the anthropological. »76

Cette dimension va permettre de statuer que la nature trinitaire de Dieu est le modèle transcendant des relations humaines et confirme le concept théologique que l’humain est créé à l’image de Dieu. Il faut donc parler à cet effet du caractère relationnel de Dieu, ce qui est d’ailleurs un des éléments sur lequel on a mis l’emphase dans le renouveau d’intérêt contemporain au sujet de la Trinité. L’accent traditionnel sur la substance de Dieu a été critiqué par les théologiens contemporains qui ont argumenté que cela impliquait que Dieu est un individu isolé et solitaire alors que les récits bibliques le révèlent comme un Dieu qui est entré en relation d’amour avec sa création. Ils disent donc en conséquence que l’accent devrait être sur son caractère relationnel. Catherine Laguna argumente que :

76 Ibid., p. 192.

«… person rather than substance is the primary ontological category, and notes that the ultimate source of reality is not a « by-itself » but a person, a « toward- another. » She concludes that the triune God is « self –communicating » and exists from all eternity « in relation to another ». »77

Au cœur de ce consensus contemporain sur l’importance de la relationalité de Dieu il y a l’affirmation que Dieu est amour. Cela explique la relation qui unit les trois personnes de la Trinité de toute éternité. L’amour est un concept relationnel, il requiert un sujet et un objet, et Dieu est la communauté de l’amour, il est donc question ici de la trinité sociale. L’intérêt de la société contemporaine est donc rejoint pour une reconceptualisation de la nature de la personne et du soi en réaction à l’individualisme radical engendré par l’âge des Lumières avec son élévation de l’individu isolé et fondamentalement détaché du monde :

« The modern self became self-created and self-sufficient, the highly centered « true inner person » persisting through time and standing above the vacillations and shifting relationships that characterize day-by-day living. The self was seen as the autonomous, individual subject, who enters into relationships (whether with other humans, with « nature », or even with God) as a preexisting « given ».»78

Il y a donc un soi postmoderne qui a surgi du rejet du soi de la modernité. Il a comme postulat que le soi est dans un certain sens constitué par ses relations sociales. Les penseurs postmodernes voient le soi comme étant en interaction continuelle avec un vaste réseau d’influences et de relations. Toutefois, dans un monde en constants changements, cela produit un soi hautement instable et éphémère. Jean François Lyotard a observé que : « each exists in a fabric of relations that is now more complex and mobile than ever

77 Catherine Mowry LaCugna. God for Us: The Trinity and Christian Life. San Fransisco: Harper Collins,

1991, pp. 14-15, cité par Stanley J. Grenz et John R. Franke, p. 194.

before. »79 D’autres ont parlé d’une « fragmentation psychique »80, et d’autres encore du « soi chaotique » qui « attempts to absorb « alterity » in all its forms to overcome separation and isolation, only to find itself in the end in a state of spiritual chaos »81. La réponse chrétienne à cette démission du soi apporté par l’ethos postmoderne est que l’être humain a été créé à l’image de Dieu. Il faut maintenant préciser ce que cela implique. Traditionnellement, deux éléments étaient considérés pour expliquer ce que cela implique d’être créé à l’image de Dieu : la rationalité et la nature morale. Deux autres concepts sont venus s’ajouter afin de compléter le tableau : la relationalité et la destinée. Ces concepts ont été développés par les Réformateurs qui affirmaient que les humains ont été créés afin de se tenir devant Dieu, mais que cela a été obscurci par le péché. À travers l’œuvre du Christ, l’humain est rétabli dans sa relation avec Dieu. Non seulement l’humain est rétabli, mais il est en voie de restauration, et cela indique quelque chose sur sa destinée : l’humain est restauré à l’image de Dieu par la Parole et le Saint-Esprit. Cette restauration commence maintenant et se terminera à la fin des temps lors du retour du Christ, ce qui a fait dire à Daniel Migliore « being created in the image of God is not a state or condition but a movement with a goal: human beings are restless for a fulfillment of life not yet realized »82.

79 Jean François Lyotard. The Postmodern Condition : A Report on Knowledge, trans. Geoff Bennington

and Brian Massumi, Minneapolis: University of Minnesota Press, 1984, p. 15, cité par Stanley J. Grenz et John R. Franke, p. 197.

80 Fredric Jameson. Postmodern, or the Cultural Logic of Late Capitalism. Durham, N.C.: Duke University

Press, 1995, p. 90, cité par Stanley J. Grenz et John R. Franke, p. 197.

81 Johann G. Roten. “The Marian Counterpoint of Postmodern Spirituality,” Divine Representations:

Postmodernism and Spirituality, ed. Ann W. Astell, New York: Paulist Press (1994): p. 113-14, citée par Stanley J. Grenz et John R. Franke, p. 197.

82 Daniel L. Migliore. Faith Seeking Understanding : An Introduction to Christian Theology. Grands

Rapids: Wm. B. Eerdmans Publishing Co., 1991, p. 128, cité par Stanley J. Grenz et John R. Franke, p. 198.

Cela contribue à rétablir le soi dans le contexte de la postmodernité, car il y a ici une vision dynamique et valorisante de l’humain créé à l’image de Dieu afin d’être son représentant jusqu’à son retour. L’humain postmoderne se veut une réalité sociale en contraste à l’humain solitaire de la modernité. Selon Grenz et Franke, cela ramène au texte biblique éminemment social : de la Genèse à l’Apocalypse c’est le désir de relation qui prime, et de la première création à la nouvelle création c’est aussi la relation qui prime. Le Dieu trinitaire veut créer parmi les humains la communauté, c’est le but premier de l’Église. Pour Grenz et Franke, la communauté est le motif d’intégration de la théologie; ce sera le propos de la section suivante.

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