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3 DEVELOPPEMENT DE TECHNIQUES DE DATATION PAR LES SERIES

4.1 Travertin

Tout comme les spéléothèmes, les travertins sont des dépôts de carbonate formés à partir de la déposition du bicarbonate de calcium dissous dans l’eau douce froide. Le processus de précipitation du carbonate de calcium dépend des conditions physico-chimiques (température, pH, alcalinité, concentration de calcium, magnésium et dioxyde de carbone dissous (CO2) dans

l'eau) et des conditions biologiques, hydrologiques et climatologiques. Lors de la précipitation du carbonate de calcium à partir de l’eau douce, des traces d'ions d’uranium solubles (en particulier l'isotope 234U) sont incorporées dans le dépôt de carbonate. Ainsi, dans la chaîne de désintégration de l’238U, seuls les isotopes 238U et 234U sont solubles dans les solutions aqueuses contenant du bicarbonate de calcium (Ca(HCO3)2). Ensuite, ils sont précipités en cristaux de

carbonate de calcium (CaCO3) sous la forme de travertins et de spéléothèmes (Richards 1998).

Les ions insolubles de thorium ne sont pas déposés à ce moment-là. L'uranium commence alors à se désintégrer exponentiellement pour produire le thorium nécessaire afin de recréer les conditions d’équilibre. Connaissant la demi-vie de l'uranium et en mesurant la quantité d'isotopes de thorium (230Th) qui s’est accumulée in situ, il est possible théoriquement de calculer le temps écoulé depuis la déposition de l'uranium. L'intervalle de temps couvert par cette méthode de datation s'étend de quelques décennies à ~500 ka (Bourdon et al. 2003).

Afin de valider les dates obtenues, il faut s’assurer que le Th et l’U appartiennent à un système fermé. Cela signifie qu'aucun isotope de ces éléments ne doit être entré ou sorti du cristal de CaCO3 depuis sa formation. Dans la nature, il est possible qu’une proportion significative

d'uranium se dissolve hors des spéléothèmes et/ou des travertins. La mobilité de l’uranium et de ses isotopes est alors conditionnées par les propriétés chimiques de la solution aqueuse ainsi que par les propriétés physiques du dépôt de carbonate (porosité et perméabilité), ces situations ayant comme conséquence une surestimation de l'âge de précipitation des carbonates. Afin de solutionner ce problème, un système ICP-MS à ablation laser sera employé pour profiler la distribution de l’uranium le long de chacune des couches de déposition. Les fluctuations

Des fluctuations dans le transport des eaux souterraines ou des perturbations climatiques peuvent également modifier le cycle de l’uranium. Les rapports isotopiques seront quant à eux mesurés avec un MC-ICP-MS.

4.1.1 Lene Hare, Timor Leste

Établir les âges des routes migratoires potentielles empruntées par l’Homo Sapiens au Pléistocène pour se rendre au paléo-continent Sahul (Nouvelle-Guinée et Australie) depuis l’arc insulaire volcanique de Sunda (Asie du Sud-Est) est d’une importance capitale afin de comprendre l'évolution et la diaspora humaines. Celui de 55-65 ka (Roberts et al 1994; Thorne et al. 1999) est généralement accepté comme première phase de colonisation de l’Australie, les îles de Wallacee ayant été reconnues comme routes migratoires probables impliquant de courtes traversées maritimes (Birdsell 1977) (fig.18). Par contre, les études archéologiques faites sur ces îles n’ont pas encore donné des âges d’occupation humaine aussi anciens que ceux obtenus en Australie. Cette situation pourrait s’expliquer par le manque de recherche dans le secteur et pourrait également être attribuée au fait que les méthodes de datation alternatives au 14C (dont la limite est d’environ 50 ka) n’ont pas été employées aussi fréquemment qu’en Australie.

Figure 18. Schéma montrant les paléo-continents Sunda et Sahul et les îles de Wallacee. L’encadré montre la localisation de la grotte de Lene Hara au Timor. Source: ANU maps.

L’un des sites les plus anciens de Wallacee est situé au Timor Leste. Des fouilles archéologiques dans la grotte de Lene Hara ont permis d’établir plusieurs niveaux d’occupation humaine entre autres, le premier niveau contenant des coquillages datés au 14C entre ~35 ka et ~30 ka et un deuxième avec des dépôts néolithiques contenant des poteries datant d’environ 3 ka (O'Connor et al. 2002). Plusieurs peintures rupestres présentement visibles dans la grotte sont de la deuxième phase d’occupation et, comme les poteries, d’origine austronésienne. Les Austronésiens proviennent d'un groupe localisé dans le sud de la Chine (proto-Austronésiens)

qui, en possession d’une technologie maritime très avancée, ont commencé à émigrer il y a six mille ans en direction du sud-ouest.

Figure 19. Photos montrant les couches de déposition de carbonate et la couche rouge hématisée

présente dans le dépôt de travertin du site de Lene Hara. Échelle 1 mm.

Des dépôts de travertin tapissent les parois de la caverne et certains recouvrent partiellement les peintures rupestres. De nombreux spéléothèmes y sont également présents. Ayant environ 2,5 millimètres d’épaisseur et comprenant plusieurs couches, un échantillon de travertin n’étant pas directement associé aux œuvres rupestres a été amassé afin de tester le potentiel de datation (séries-U). Les résultats de l’analyse étant positifs, ils nous indiquent que les peintures visibles dans la grotte sont plus jeunes que 6,3 ka. De plus, une fine couche rouge unique a été observée entre les dépôts de carbonate (fig. 19) pouvant possiblement être attribuée à un précédent épisode de peinture. En échantillonnant et en datant des couches de déposition de carbonate de moins de 0,25 millimètres d’épaisseur situées immédiatement au-dessus et en dessous de cette couche rouge, il a été possible d’établir sa présence entre vingt-quatre et vingt-neuf mille ans (fig.20). Ces dates concordent avec le premier niveau d’occupation humaine suggéré dans les travaux de O’Connor et al. (2001).

Figure 20. Spectre chimique obtenu par ICP-MS à ablation laser montrant les concentrations en uranium, en thorium et en fer présentes dans les couches de déposition de carbonate du site de Lene Hara. Le tableau présente les rapports isotopiques et l’âge des échantillons récoltés par microexcavation et obtenus par MC-ICP-MS. Les âges

(Ages1) ont été corrigés en assumant un ratio 230Th/232Th initial de 0,8 ± 0,8 pour les

valeurs planétaires actuelles (Bulk Earth) à équilibre séculaire.

Les résultats obtenus démontrent avec efficacité la possibilité d’utiliser d’infimes dépôts de travertin pour dater les œuvres rupestres préhistoriques. De plus, il devrait être possible d’obtenir d’autres données isotopiques et élémentaires permettant d’étudier les paléoclimats. En effet, tout comme les spéléothèmes, les travertins peuvent indiquer les conditions hydrologiques passées parce que leurs phases de croissance correspondent aux périodes de précipitation et d’infiltration d’eau dans les grottes. De plus, comme les travertins se déposent généralement sous des conditions de précipitations hydrologiques relativement plus faibles que pour les spéléothèmes,

étaient inactifs (Wang et al. 2004). Les données obtenues pourraient alors compléter celles fournies par les spéléothèmes.

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