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urba in : grill e d’analyse

A. LES TRANSPORTS URBAINS : UN LEVIER STRATEGIQUE DU PROJET

D

AGGLOMERATION

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La p lanificat ion ancienne d’un projet de tramway

La CUS : institution territoriale de premier ordre et acteur majeur du tramway Au-delà de l’histoire du tramway en France, celle qui concerne sa réintroduction à Strasbourg remonte à la fin des années 1960 lorsque l’Etat renouvelle le cadre de la planification territoriale française. D’abord, la Loi d’Orientation Foncière (LOF, 1967) impose à Lille, Lyon, Bordeaux et Strasbourg de se constituer en communautés urbaines : la CUS, Communauté Urbaine de Strasbourg, entre officiellement en fonction le 1er janvier 1968. Composée de 27 communes très

disparates dans leur taille et dans leur densité, elle couvre un territoire de 306 km² et compte 372.000 habitants (423.000 en 1990 et 451.000 en 1999). Ce faisant, de nombreuses compétences lui sont transférées : urbanisme et réserves foncières, lycées et collèges, logement, développement économique, eau, assainissement et… transports urbains. La CUS devient ainsi une instance de décision de premier ordre pour organiser le développement de son territoire. Autorité organisatrice des transports, elle cumulera trois fonctions centrales pour le tramway : la définition de la politique communautaire en matière de transport, le choix du mode d’exploitation du réseau de transports collectifs (autorité concédante) et la maîtrise d’ouvrage du tramway.

Dans la foulée, suivent deux événements importants. D’une part, la LOF donne aux collectivités territoriales la possibilité de créer leur propre structure d’études pour mener les études d’urbanisme en concertation avec les services de l’Etat. C’est la naissance des agences d’urbanisme. Celle de Strasbourg – l’ADEUS – sera opérationnelle dès 1968 pour s’atteler aussitôt à l’élaboration des nouveaux documents de planification, aux côtés des services de la CUS et des services déconcentrés et des bureaux d’études de l’Etat. Si, depuis cette date, l’Etat réduit l’ampleur de son intervention et le poids de ses services, l’agence d’urbanisme s’affirmera incontournable chaque fois qu’il s’agira de transports urbains. D’autre part, en 1972, les services de la ville de Strasbourg rejoignent ceux de la Communauté Urbaine pour ne former qu’une seule administration tandis que les autres communes conservent une administration

propre. Cette fusion renforce le poids de la ville centre sur l’institution communautaire58 qui a,

jusqu’en 200159, toujours été présidée par les maires de Strasbourg.

Un TCSP au programme du SDAU

Avec la LOF, on assiste également au grand chantier des Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme, les fameux (et feux) SDAU, pièce centrale du renouvellement de la planification territoriale en France.

En matière de planification des transports, le SDAU est élaboré dans un contexte national où le « tout voiture » constitue l’idéologie dominante et où les grands projets sont ceux de la construction des autoroutes, des périphériques, des voies express… Approuvé par le Conseil de la CUS en 1973, le SDAU énonce pourtant, dès cette date, l’idée d’un transport en commun en site propre (TCSP). L’origine de ce projet est à rechercher dans le parti pris par P. Pflimlin, alors maire de Strasbourg et président de la CUS, de maintenir et renforcer la position centrale de Strasbourg. L’enjeu associé à l’idée d’un TCSP est clairement énoncé : trouver une solution pour concourir aux ambitions du centre car « on ne parvient pas à répondre aux demandes nouvelles de stationnement dans la partie centrale de l’agglomération. La quantité de voitures à garer […] devient incompatible avec le contenu même du centre. Dès cette époque en effet, le patrimoine bâti, historique ou non, du centre est considéré comme intangible […] C’est dire si le nombre de places nouvelles que l’on peut créer est faible. C’est dire en même temps que si l’on veut conserver au centre un rôle prééminent il faut trouver autre chose pour le desservir » (Messelis, 1994, pp.102-103). Un TCSP est donc perçu comme un moyen pour remédier aux dysfonctionnements du noyau central dont il faut préserver la capacité d’accueil. A cette date, ce TCSP a surtout valeur de principe, ce n’est que dans la période suivante – 1973/1975 – qu’il sera davantage formalisé.

58 La commune de Strasbourg regroupe près de 60% de la population totale de la CUS et, avec une

superficie de 78 km², couvre 25% de son territoire. A titre comparatif, la commune de La Wantzenau, 2ème ville pour la superficie soit 25 km² ne couvre que 8% du territoire intercommunal et réunit 1,2% de la population. Source : INSEE 1999.

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Un projet d e tramway au dossier d’agglomération

Pour une réhabilitation du tramway en France et à Strasbourg

1973-1975, c’est la période des dossiers d’agglomération mais c’est aussi la période qui amorce un premier tournant significatif dans la représentation des transports collectifs urbains.

Constatant le caractère ambitieux des réseaux de transports planifiés aux schémas directeurs de la plupart des grandes villes, l’Etat lance, avec la circulaire du 25 juillet 1973, l’élaboration des dossiers d’agglomération. Ils ont pour objectif de définir, à l’échelle de l’agglomération INSEE, le programme d’actions à engager à horizon de 10 ans. La CUS dérogera à la circulaire en décidant que le territoire concerné sera celui de la Communauté Urbaine60. Pendant ce

temps de programmation plusieurs facteurs, depuis le moins volontaire jusqu’au plus volontariste, se conjuguent pour entamer l’idéologie dominante du « tout voiture » et déclencher la réhabilitation du tramway. La crise pétrolière de 1973 crée une onde de choc qui déstabilise le poids de l’industrie automobile et des brèches apparaissent dans l’idée de progrès sans fin associé à la voiture. Des réactions de rejet émergent ici et là dénonçant les problèmes de congestion et de stationnement ou critiquant un urbanisme jugé trop inféodé à l’automobile. C’est également la période où les préoccupations environnementales (nuisances sonores et pollutions atmosphériques) vont commencer à occuper le devant de la scène.

Parallèlement, l’Etat initie une politique en faveur des transports publics. L’impulsion décisive est donnée en 1973 avec l’instauration du « versement transport » autorisant les villes de plus de 300.000 habitants61 à prélever auprès des entreprises privées et des administrations de plus

de 9 salariés une taxe (en pourcentage de la masse salariale) destinée à participer aux charges d’investissement et d’exploitation des transports en commun. Ensuite, c’est l’initiative de M. Cavaillé qui, de l’avis de nombreux spécialistes, inaugure la renaissance du tramway en France. Le quotidien « Le Monde » annonçait ainsi en mars 1975 que le Secrétaire d’Etat aux Transports avait contacté les maires de Bordeaux, Grenoble, Nancy, Nice, Rouen, Toulon, Toulouse et… Strasbourg pour étudier la possibilité de réintroduire le tramway dans leur ville. Quelques mois plus tard, le « concours Cavaillé » est lancé à l’attention des constructeurs pour

60 L’agglomération INSEE de Strasbourg ne regroupe que 20 communes alors que la CUS en compte 27.

Source : INSEE 1999. D’ailleurs, chaque fois que nous parlerons de l’agglomération strasbourgeoise, il s’agira du territoire de la communauté urbaine sauf lorsqu’il sera précisé « agglomération INSEE ».

définir les normes d’un nouveau tramway, moderniser l’image trop passéiste qui lui est associée et relancer l’industrie du tramway en France.

C’est dans ce contexte, retracé ici à très grandes lignes, que le dossier d’agglomération est pris en considération par le Conseil de Communauté en décembre 1975. Le programme transport prévoit à l’horizon de 1985 la réalisation de pénétrantes, d’un échangeur, des rocades nord et sud… Il prévoit également plusieurs actions ambitieuses pour le centre-ville : un plan de circulation comportant des objectifs de réduction du trafic de transit, un projet de piétonnisation pour revaloriser le centre historique et… deux lignes de tramway.

Dès 1975, la CUS fait donc de la réflexion sur les déplacements et les transports dans le centre ville une priorité et décide de se lancer dans la réalisation d’un tramway. Des études de diagnostic et d’impact sur la circulation et les déplacements sont alors conduites par les services de la CUS et l’agence d’urbanisme tandis que la première « cellule tramway » de la CUS est créée en 1981 pour prendre en charge les études tramway. C’est compter sans les prochaines municipales qui introduiront un nouveau retournement dans la trajectoire du tramway strasbourgeois.

Les atermoiements du projet de tramway

Après les municipales de 1983, lorsque M. Rudloff succède à P. Pflimlin à la tête de la ville et de la CUS, le bilan du programme transport inscrit au dossier d’agglomération est mitigé. L’échangeur Ostwald/Illkirch, la pénétrante des Halles et la rocade Nord sont réalisés ou en voie d’être achevés ; le centre accueille de nouveaux parkings et certains secteurs historiques sont piétonnisés. En revanche, le projet de tramway n’a encore débouché sur aucune réalisation concrète. Trois raisons complémentaires sont invoquées pour expliquer ce bilan. D’abord, le désengagement financier de l’Etat retarde l’échéancier de la programmation. Ensuite, l’opération des Halles, grand centre commercial (et bureaux) démarrée dans les années 1970, renforce la résistance des commerçants du centre qui voient dans le tramway un danger pour leur activité et militent pour que l’usage du sol demeure le privilège de la voiture. Enfin, le dispositif prévu pour le centre est techniquement subordonné à la réalisation préalable du contournement Sud dont la construction ne démarrera finalement qu’en 1986 pour être mis en service en 1990 et en 1992 (Cuillier, 1994).

Sous la mandature de M. Rudloff, le projet de TCSP est maintenu, toujours dans l’esprit de résoudre les problèmes de capacité du centre. Et puis le VAL (Véhicule Automatique Léger) entre en circulation à Lille, les commerçants poursuivent leur pression, on commence par prévoir la traversée du centre par un tunnel court, puis un peu plus long… De tunnel en tunnel,

on en arrive à faire une étude comparative entre le VAL et le tramway. Le VAL séduit par sa technologie et son image alors plus moderniste que celle du tramway ; il séduit aussi parce que, souterrain, il n’empiète pas sur le territoire de la voiture. En 1985, la page est tournée : M. Rudloff décide que le TCSP de Strasbourg sera un « métro ». L’agence d’urbanisme abandonne les études et les plans de tramway sur lesquels elle travaille depuis plusieurs années pour se pencher sur le nouveau projet. En 1987, la CUS entérine la décision et accélère le processus. Dans la même année un contrat est conclu avec Matra pour la construction d’une première ligne, un autre est signé avec l’équipe de maîtrise d’œuvre qui démarre sa mission de conception, en 1988 le dossier préalable à l’enquête publique est prêt. Cette fois le projet semble bien engagé dans la voie de l’irréversibilité. Pourtant, ces différentes actions n’empêcheront pas les municipales de 1989 de provoquer une nouvelle rupture et de remettre le tramway à l’ordre du jour62.

Un tramway pour la ville comme programme électoral

Avec la décentralisation, les années 1980 sont également celles où les villes vont entrer de plein pied dans une logique de visibilité de l’action publique locale. Fortement médiatisés, les projets de TCSP seront identifiés, dans la décennie suivante, comme un outil phare de ces stratégies et, traités comme le signe d’un « vrai » projet politique local, ils vont occuper une place de choix dans les programmes électoraux63. Il importe de retenir que cela signifie aussi que, pour

les élus, la temporalité de la mise en service d’un TCSP est intimement liée à celle des échéances électorales.

A Strasbourg, les municipales de 1989 illustrent parfaitement l’amorce de cette nouvelle mouvance et la campagne électorale restera dans les annales comme celle de la bataille du VAL contre le tram. Marcel Rudloff, maire sortant, soutenu par les commerçants, défend son projet face à Catherine Trautmann, outsider, qui plaide pour le tramway. Elle met en avant le coût moindre de la technique tramway par rapport à celle du VAL et surtout, elle fait du tramway le vecteur d’un projet urbain tourné vers la requalification des espaces publics et l’embellissement de la ville (Breton, 1989-90). Contre toute attente, c’est C. Trautmann – et donc, le tramway – qui emporte les suffrages. Dès lors les efforts et les énergies sont immédiatement concentrés pour faire du tramway un projet à concrétiser avant les prochaines échéances municipales.

62 Pour une analyse de la période 1973-1989, les atermoiements du projet de tramway, les principales

prises de positions et les débats val/tram, ou plutôt le « pourquoi du non débat » se reporter à P. Breton (1989-90).

63 Cf. le n° spécial « 1995-2001 : ce qui a marqué le transport public » de la revue Transport public,

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