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Transmission du sida par l’allaitement maternel

Chapitre 2 : La situation de l’allaitement maternel dans les pays en voie de développement

B. Transmission du sida par l’allaitement maternel

« Chaque minute, une jeune femme contracte le VIH » : le constat est sans appel pour l’ONUSIDA, bien qu'au niveau mondial il y ait à peu près autant de femmes que d'hommes qui souffrent du VIH, il existe bien une inégalité entre les sexes en ce qui concerne le risque d’infection. Du fait de leur mauvaise situation économique et socio-culturelle, les femmes et les filles sont ainsi lésées dans un grand nombre de pays pour ce qui de négocier des rapports sexuels protégés et d’accéder à des informations et des services de prévention du VIH.

La proportion de femmes parmi les personnes infectées n’a d’ailleurs pas cessé d’augmenter : elles étaient 41% en 1997, puis près de 50% en 2002. D’après l’OMS, en Afrique subsaharienne, les trois- quarts des 15-24 ans vivant avec le VIH sont de sexe féminin.

ONUSIDA, OMS. Le Point sur l’épidémie mondiale de SIDA : 2004 Consultable sur

http://www.unaids.org/sites/default/files/en/media/unaids/contentassets/documents/unaidspublication/2004/GAR2004_fr.pdf

Le graphe 16 montre qu’en dépit d’une tendance à l’amélioration entre 2001 et 2012, la prévalence du VIH chez les femmes reste plus de deux fois supérieure à celle des hommes en Afrique subsaharienne.

Graphe 16 : Evolution de la prévalence du VIH selon les sexes en Afrique ONUSIDA. Rapport mondial : Rapport ONUSIDA sur l’épidémie mondiale de sida 2013.17

2. La transmission du VIH via le lait maternel

Une mère peut transmettre le virus du sida à son enfant de trois manières : in utero, pendant l’accouchement, ou via l’allaitement maternel. Comme le montre le tableau 18, si la femme pratique l’allaitement, le taux de transmission est évalué à en moyenne 5 à 10% in utero, 10 à 20% en intra

partum et 10 à 20% en post-partum. Nous verrons cependant plus bas qu’il est compliqué de savoir à

quel moment un enfant a été contaminé, et donc d’obtenir des chiffres fiables concernant les modes de transmission.

Moment de la transmission

Allaitement maternel non pratiqué Allaitement maternel pratiqué

Taux de

transmission(%) Part attribuable

Taux de

transmission(%) Part attribuable

In utero 5-10 1/3 5-10 1/5

Intra partum 10-20 2/3 10-20 2/5

Post-partum - - 10-20 2/5

Total 15-30 - 25-50 -

Tableau 19 : Estimation du risque de transmission mère-enfant du VIH en fonction du moment de l'infection. De Cock KM et al. Prevention of mother-to-child HIV transmissiion in resource-poor countries: translating research into policy and

practice. Journal of the American Medical Association, 2000, 283(9):1175–1182

Les premières suspicions concernant le passage du VIH dans le lait maternel datent de 1985, avec le cas d’une mère ayant été contaminée en post-partum précoce par transfusion, et qui l’aurait transmis à son enfant via l’allaitement maternel.

Ziegler JB et al. Postnatal transmission of AIDS-associated retrovirus from mother to infant. Lancet 1985 ; 1 : 896-98

On sait aujourd’hui que ce risque existe bel et bien, mais il est difficile de le chiffrer, les tests de dépistage ELISA ne permettant pas de savoir à quel moment les anticorps anti-VIH ont été transmis. Par ailleurs, qu’un enfant soit contaminé ou pas, il sécrète des anticorps contre le VIH en réponse à l'infection de sa mère, donc leur présence ne peut pas être interprétée comme un signe d'infection active.

En outre, une étude haïtienne a constaté que chez certaines femmes le VIH est détectable dans leur lait pendant toute la lactation, tandis que chez d’autres il n’est jamais retrouvé.

Ruff A, Coberly L, Halsey NA et al. Prevalence of HIV-1 DNA and p24 antigen in breast milk and correlation with maternal factors. J Acquir Immun Defic Syndr Hum Retrovirus 1994 ; 7 : 68-73

Afin d’évaluer le taux de transmission du virus du sida pendant l’allaitement, plusieurs études ont comparé des groupes d’enfants allaités et non allaités. C’est en reprenant cinq d’entre elles que Dunn a estimé en 1992 que l’allaitement était responsable d’en moyenne 14% des cas de transmission du VIH. Cependant ces études portaient sur des petits échantillons et présentaient de nombreux biais méthodologiques.

Dunn DT et al. Risk of human immunodeficiency virus type 1 transmission through breastfeeding. Lancet 1992 ; 340 : 585-88

D’autres études, plus récentes ont utilisé la technique de la PCR (Polymerase Chain Reaction) pour tenter de dépister de manière précoce la contamination. Elles se basent sur le principe que toute contamination détectée après six semaines est liée à l’allaitement, aboutissant à une transmission de 8 à 16.2% liée à l’allaitement.

Coutsoudis A et al. Are HIV-infected women who breastfeed at increased risk of mortality ? AIDS 2001 ; 15 : 653-5

Nduati R et al. Effect of breastfeeding and formula feeding on transmission of HIV-1 : a randomized clinical trial. JAMA 2000 ; 283 : 1167- 74.

Cependant, il a été démontré que la fiabilité d’une PCR n’est que de 55.8% chez un nourrisson de moins d’un mois, puis de 82.3% chez des enfants plus âgés.

Owens DK et al. A meta-analytic evaluation of the polymerase chain reaction for the diagnosis of HIV infection in infants. JAMA 1996 ; 275(17) : 1342-8

D’autres auteurs ont évalué en 2000 le risque de contamination par litre de lait maternel ingéré, et par jour d’allaitement. La probabilité de transmission du VIH par le biais du lait maternel était approximativement de 0,64 pour 1000 litres de lait maternel absorbés par l’enfant, soit de 1 contamination pour environ 1500 litres de lait maternel consommés. Les enfants ont consommé environ 150 litres de lait maternel pendant toute la durée de l’allaitement. La probabilité de transmission était de 28% pour 1000 jours d’allaitement, ce qui correspondait à environ 10% d’infections par année d’allaitement. Le risque évalué était donc semblable à celui pour un adulte d'être infecté par le VIH au cours d'un acte hétérosexuel non protégé.

Nduati R et al. Effects of breastfeeding and formula feeding on transmission of HIV-1 : a randomized trial. JAMA 2000 ; 283 : 1167-74 Précisons cependant que toutes les études citées précédemment n’ont pas fait de différence entre allaitement exclusif ou partiel et n’ont pas pris en compte la durée de l’allaitement. Or, on pense de nos jours que le risque de transmission du VIH pendant l’allaitement est fonction de la pratique d’allaitement plus que de l’allaitement en soi.

Ainsi, Illif et ses collaborateurs ont travaillé en 2005 sur trois groupes d’enfants, suivant qu’ils étaient exclusivement, essentiellement ou partiellement allaités. Le taux de transmission du VIH était de 5,1 % d’enfants par année d’allaitement chez ceux qui avaient été exclusivement allaités pendant les 3 premiers mois, contre 6,7 et 10,5 % dans les 2 autres groupes. Ils en ont conclu que l’introduction de solides ou d’un lait autre que le lait maternel avant 3 mois augmentait fortement le risque de transmission du VIH.

Iliff PJ et al. Early exclusive breastfeeding reduces the risk of postnatal HIV-1 transmission and increases HIV-free survival. AIDS 2005 ; 19 : 699-708

Une équipe américaine a fait un constat similaire en suivant 900 mères séropositives et non traitées entre 2002 et 2004. Ces dernières étaient séparées en deux groupes : l’un où elles allaitaient exclusivement pendant plus de quatre mois, l’autre où après quatre mois l’allaitement exclusif devenait partiel avec introduction de « préparations à base de céréales spécifiquement formulées et fortifiées pour des nourrissons de cet âge ». Quatre mois et demi après l’accouchement, le lait maternel de chacune a été recueilli.

Les plus fortes concentrations en VIH se trouvaient dans le lait des femmes qui avaient cessé d’allaiter à 4 mois, et à l’inverse, celles qui avaient continué au-delà de 4 mois de manière exclusive, présentaient les concentrations virales les plus faibles dans leur lait. Au final, un plus grand nombre de nourrissons a été infecté dans le groupe sevré après seulement 4 mois d’allaitement.

Kuhn L et al. , HIV-1 Concentrations in Human Breast Milk Before and After Weaning. Sci. Transl. Med. 5, 181ra51.2013

Ce caractère protecteur de l’allaitement exclusif peut être expliqué par la présence d’anticorps dans le lait maternel qui permettraient de protéger les muqueuses du bébé, limitant ainsi la transmission du virus ; alors qu’ au contraire , l'introduction d’aliments contenant potentiellement des contaminants ou des bactéries pourrait éroder cette barrière.

Cependant l’impact de la durée de l’allaitement sur le risque de transmission reste controversé, Leroy ayant constaté en 1998 par exemple que plus l'enfant est allaité longtemps, plus son risque d'être infecté en postnatal est important.

Leroy V et al. International multicentre pooled analysis of late postnatal mother-to-child transmission of HIV-1 infection. Ghent International Working Group on Mother-to- Child Transmission of HIV. Lancet 1998; 352: 597-600

Il existe d’autres facteurs qui peuvent influencer le taux de transmission par le lait maternel : d’abord les charges virales du plasma et du lait maternel, mais aussi la santé des seins. En effet une lésion type mastite ou abcès peut causer une augmentation du risque de contamination de l’enfant. Ainsi, d’après une étude conduite au Malawi, la présence d’une mastite dans les six premiers mois du post-partum doublerait le risque de transmission du VIH par le lait maternel.

Semba RD et al. HIV load in breast milk, mastitis, and mother- to-child transmission of HIV-1. Journal of Infectious Diseases, 1999, 180, 93-8

De plus, le statut nutritionnel de la mère, notamment une éventuelle carence en vitamine A, impacterait le risque de transmission du virus, mais cette relation reste controversée.

Il existe une hypothèse selon laquelle le virus pouvait être détruit par l'acide gastrique et les enzymes du système digestif du bébé. Ceci pourrait s'expliquer en partie par le fait qu’il a été démontré que la lactoferrine a une action inhibitrice sur le VIH.

Harmsen MC et al.Antiviral effects of plasma and milk proteins: lactoferrin shows potent activity against both human immunodeficiency

virus and human cytomegalovirus replication in vitro. Journal of Infectious Diseases.1995 Aug;172(2):380-8

Par ailleurs, aux Etats-Unis, des chercheurs ont découvert récemment que la protéine TNC (Tenascin- C), qui joue un rôle important au cours du développement fœtal et dans des processus de réparation tissulaire, serait capable de neutraliser le virus. En occupant les sites de fixation du VIH aux cellules, celle-ci empêcherait alors sa pénétration. Le système immunitaire des bébés combattrait alors bien plus facilement ce virus neutralisé.

Fouda G et al. Tenascin-C is an innate broad-spectrum, HIV-1–neutralizing protein in breast milk. Proceedings of the National Academy of

Sciences of the United States of America.2013 Nov 5;110(45):18220-5.

3. Prévention de la transmission mère/enfant du SIDA

On arrive de nos jours à réduire sensiblement le risque de transmission du VIH de la mère à l’enfant (jusqu’à 5% voire moins) grâce à l’utilisation d’antirétroviraux en prévention. L’ONUSIDA estime d’ailleurs que si ces progrès se poursuivent, il sera possible de fournir des services de prévention de cette transmission à 90% des femmes enceintes vivant avec le VIH d’ici 2015.

Les efforts d’ores et déjà accomplis en matière d’accès au traitement préventif par antirétroviraux ont permis de diminuer le nombre de nouvelles infections d’enfants dans les pays en voie de développement : ils étaient 260 000 en 2012, soit 35% de moins qu’en 2009.

Malheureusement, le nombre d’enfants nouvellement infectés par le VIH atteint encore aujourd’hui un niveau inacceptable. De plus, ils bénéficient d’une couverture de traitement bien inférieure aux adultes car l’intensification des services de traitement a été beaucoup plus lente dans leur cas.

4. Allaitement et SIDA : les recommandations officielles

Compte tenu du risque de transmission du virus du SIDA par le lait maternel, l’OMS émet les recommandations suivantes :

« Dans les régions où les maladies infectieuses et la malnutrition sont les principales causes de décès des enfants et le taux de mortalité infantile élevé, l'allaitement maternel doit être conseillé aux femmes enceintes, y compris à celles qui sont atteintes par le VIH. La raison en est que les risques d'infection virale par le lait maternel chez un nourrisson restent plus faibles que les risques de décès occasionnés par d'autres facteurs si celui-ci n'était pas nourri au sein. ».

Ainsi, dans les pays en voie de développement, où les maladies infectieuses et la malnutrition sont sources d'une mortalité élevée, le risque lié à l'alimentation au lait artificiel est considéré comme supérieur à celui de contamination par le VIH par le biais de l'allaitement.

Depuis 2009, l’OMS recommande également que les mères séropositives ou leurs enfants prennent des antirétroviraux pendant l’allaitement pour éviter la transmission du VIH.

VI. Le poids du contexte socioculturel dans les pays en voie de développement

L’allaitement maternel relève d’un processus biologique conditionné par les comportements socioculturels, accusant le seuil entre nature et culture.

Si cette influence est tout aussi présente dans les pays développés que ceux en voie de développement, nous verrons que le contexte y est tout autre.

1) Rituels et Coutumes autour de l’allaitement maternel

Quelle que soit la société à laquelle on s’intéresse, le lait maternel n’est pas perçu seulement comme un simple liquide biologique, et sécrète également des fantasmes, des idéologies, qui sont à l’origine de traditions et rituels fortement ancrés.

L’allaitement maternel se vit dans une culture donnée, dans un environnement humain qui a ses codes. Des comportements alimentaires autour du bébé très disparates existent selon les populations, pour s’adapter à cette culture. Si des attitudes paraissent évidentes pour une communauté, elles peuvent paraitre irrationnelles pour d’autres.