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Transition énergétique et Etat : quelles évolutions ?

Un intérêt de la réflexion sur la transition énergétique est d’ouvrir un ordre de questionnement non seulement sur le rôle de l’Etat et de ses délégations locales, mais aussi sur la définition même de l’Etat. Dans une acception classique, l’Etat détient les fonctions d’administrateur du territoire, y compris dans ses dimensions écologiques : il veille que les potentiels de développement soient valorisés, et en même temps à ce que l’intégrité physique du territoire soit garantie. Il doit aussi veiller à ce que le développement ménage des équilibres socio-économiques, n’accroisse pas les disparités sociales et, d’une manière générale, n’affecte pas la santé publique. Dès lors qu’il détient également la responsabilité des impulsions économiques fondamentales ces différentes fonctions entrent dans une relation problématique. C’est le cas avec les choix énergétiques, puisque l’idée même d’autorité étatique est affectée, qu’elle soit réduite à une fonction d’arbitrage ou qu’elle retrouve un rôle de décision souveraine. L’introduction de l’expertise scientifique dans les délibérations politiques, mais aussi la responsabilité induite, de choisir pour le bien commun sur des enjeux fondamentalement incertains, crée une situation transitoire et inédite et une nouvelle pression que les politiques publiques. Ces phénomènes doivent attirer l’attention sur la nature de cet acteur institutionnel qu’est l’Etat et sur ses transformations. A travers ces questions, on pose celle de la spécificité des politiques énergétiques au sein des autres politiques industrielles. Plus largement, et dans une perspective philosophique, on donne une caractérisation empirique aux réflexions sur l’idée de souveraineté. Cette notion définit classiquement la nature du pouvoir de l’Etat et la façon dont il se légitime : il est souverain en ce qu’il se situe à l’origine de toute décision, et qu’il l’emporte par principe sur toute autre source de décision. C’est sur ces bases également que l’impartialité de l’Etat se fonde. Or ce modèle de la souveraineté, qui sert encore formellement de principe officiel de légitimité, est mis en question à travers les énergies et la transition énergétique. En effet, les politiques énergétiques doivent composer avec des décisions extérieures (qui influent sur le marché de l’énergie, mais introduisent aussi des facteurs de risque, comme quand un pays installe des centrales nucléaires ou des sites de stockage de déchets proches des frontières), avec des contraintes économiques (prix comparatif des filières et exigences de bas cout de l’énergie), et techniques (avancement relatif des technologies énergétiques selon les pays, et donc prix de revient des filières). Il s’agit donc là d’un en deçà de la souveraineté, d’éléments de décision qui tiennent à des contingences diverses, et qui doivent être intégrés aux processus de décision dits souveraines, mais dont on s’aperçoit qu’ils ne correspondent pas à ce modèle. Mais ces politiques doivent aussi composer avec un au-delà de la souveraineté : l’exigence paradoxale de croissance économique et de préservation de l’environnement, entre lesquelles aucun Etat n’a pu trancher. Il s’agit de principes qui semblent précéder ceux de la décision de l’Etat, lui fournir des justifications extérieures (généralement peu questionnées), mais qui eux aussi déplacent son rôle et sa nature. La philosophie, mais aussi la sociologie de l’Etat trouvent ainsi un terrain neuf et original pour repenser l’Etat et son action à la lumière

du cas concret que sont les politiques énergétiques, pour sortir du récit trop classique de la souveraineté. Elles peuvent également permettre d’interroger à nouveaux frais la façon dont, aujourd’hui, les pouvoirs publics gèrent la contradiction naissant de l’effritement de la souveraineté, au sens classique du terme, et du renforcement des attentes à l’égard de l’Etat pour ce qui touche au maintien d’une certaine cohésion sociale (notamment à travers l’établissement et le respect de règles communes) ou bien, encore, à travers la préservation d’un bien commun non discutable (comme la santé publique).

Chapitre 4 | Marché, régulations et modes de consommation

L’articulation entre marché, régulations et modes de consommation est marquée par quelques grands enjeux que se doivent de couvrir les SHS. Il s’agit en effet aujourd’hui de se préparer à la raréfaction des ressources épuisables à l’échelle du siècle pour faire face aux besoins croissants d’une économie mondiale en plein développement. Ce changement doit s’opérer aussi en tenant compte de la contrainte écologique induite par l’accumulation croissante de gaz à effet de serre dans l’atmosphère dont le secteur énergétique mondial est le principal responsable. Ce double enjeu survient dans un monde dont l’économie globale est dominée par la sphère financière ; la spéculation sur les énergies et les matières premières empêchent les prix de jouer leur traditionnel rôle de signaux de long terme (orientant les investissements dans les infrastructures de production et d’acheminement d’énergie) ; les secteurs de l’énergie ont en général été privatisés et libéralisés, favorisant l’entrée de nouveaux acteurs et laissant les décisions structurelles entre les mains de firmes géantes soumises au critère de valeur pour l’actionnaire (la fameuse « shareholder value »).

On peut dans ces analyses partir d’un double constat. Le premier, qui commence à être partagé, est qu’aucun régime climatique contraignant ne devrait se mettre en place au plan international à horizon d’une ou deux générations, compte tenu de différents facteurs géopolitiques : inexistence de géopolitique de l’Europe ; faiblesse de la gouvernance des Etats-Unis ; arrivée des grands pays émergents aux besoins énergétiques colossaux dans l’arène géopolitique. Le second est que la représentation partagée d’une raréfaction des ressources fossiles qui avait commencé à rencontrer l’intérêt des experts et de l’opinion publique est remise en question avec l’arrivée des pétroles et des gaz de schistes qui repoussent ou vont allonger de quelques décennies le plateau du « peak oil » et du « peak gas ».

Il est proposé de rassembler les enjeux de marché, de régulation et modes de consommation sous quatre thèmes :

• Les enjeux de coordinations entre (nouveaux) acteurs de ces (nouveaux) marchés, associés notamment à la libéralisation des secteurs du gaz et de l’électricité

• Le renouvellement de la géopolitique de l’énergie induit par la diversification des ressources énergétiques et l’émergence de nouveaux acteurs (arrivée des grands pays émergents)

• La nécessaire évolution des styles de vie et des modes de consommation de l’énergie

• Les enjeux d’accès à l’énergie pour une part significative de la population mondiale ainsi que ceux, croissant, de précarité énergétique liés aux effets conjoints de la crise économique, de la montée des prix de l’énergie et de l’inadaptation du parc de logements.