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— Comment on transforme les plantes sauvages en plantes

Dans le document DES GRAINES (Page 41-44)

La plupart des plantes qui servent à nos besoins ont été amé-liorées par les procédés de la culture, et il est probable que, si nous cherchions bien autour de nous, nous en trouverions beau-coup encore à améliorer. Voyons donc comment l'on doit procéder pour obtenir de bons résultats, et prenons pour exemple la carotte sauvage. Nous en avons déjà parlé dans nos Causeries sur l'agri-culture et l'hortil'agri-culture , et le mieux que nous puissions faire , c'est de nous reproduire textuellement :

Un homme d'un très grand mérite, M. Decaisne , n'admet pas que M. Vilmorin ait pu transformer la carotte blanche sauvage en carotte jaune ou rouge cultivée. « Pendant quatre années, écrivait M. Decaisne à un journal anglais, je me suis placé iden-tiquement dans les conditions indiquées par M. Vilmorin , et je n'ai rien observé du tout. Les carottes sauvages sont encore au-jourd'hui les carottes des champs.

« Je ne puis m'empêcher de croire que, lorsque M. Vilmorin les a vues changer de couleur, passer au jaune, au rouge, au pourpre, ces modifications provenaient d'hybridations accidentel-les. Des insectes peuvent avoir transporté le pollen des carottes cultivées sur les carottes sauvages, et avoir produit tous ces états intermédiaires. »

Il semble résulter, des essais de M. Decaisne , que ses carottes sauvages ne se sont pas modifiées sensiblement par la culture.

Nous avons été plus heureux que lui dans les nôtres. Les expérien-ces de M. Vilmorin , consignées dans le Bon jardinier, nous ayant intéressé vivement, nous primes le parti de les renouveler en

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gigue. Nous n'eûmes pas de peine à nous procurer de la graine de carotte sauvage que nous semâmes, à l'entrée de l'hiver, sur une planche de notre potager.

Au printemps, la levée fut très satisfaisante; le semis fut éclairci à propos, c'est-à-dire aussitôt qu'il y eut possibilité de sai-sir les jeunes plantes.Quand elles eurent pris un certain dévelop-pement, et qu'il devint facile de faire un choix parmi les pieds, tous ceux d'une couleur pâle, au feuillage très étalé et de l'as-pect le plus sauvage, furent sacrifiés; ceux, au contraire, dont les feuilles d'un vert assez foncé montraient quelque tendance à se redresser comme celles de nos carottes cultivées, furent soigneu-sement conservés. La seconde année, au moment du départ de la végétation, les racines furent arrachées.

Toutes étaient plus ou moins fourchues, pour nous servir d'un mot du métier; toutes aussi présentaient une couleur carnée ou plutôt rougeâtre dans le voisinage du collet. Les moins irréguliè-res furent replantées à titre de porte-graines. La semence, récol-tées vers le mois d'octobre, sur les ombelles principales, non sur celles des rameaux, nous donna une deuxième génération, dans laquelle nous fîmes un triage sévère. Les sujets qui conservaient trop de caractères sauvages furent supprimés, et nous ne gar-dâmes que ceux dont le feuillage, vif et redressé, se rapprochait de plus en plus des variétés cultivées. Ils noua donnèrent un certain nombre de racines régulières qui nous servirent de

semen-ceaux . La graine prise sur les ombelles principales, comme

pré-cédemment, nous donna à la troisième génération des racines d'une belle venue, d'un volume considérable, et ressemblant par la forme, la couleur et la grosseur, tantôt à la carotte blan-che à collet vert, tantôt à la carotte de Breteuil ou à celle des Vosges. Il ne restait plus trace de couleur rouge ou rosée sur au-cune d'elles.

Des circonstances indépendantes de notre volonté ne nous ont pas permis de pousser plus loin cet essai. Quoi qu'il en soit, il nous semble qu'en présence de pareils résultats il faut bien re-connaître à la carotte sauvage la faculté de se modifier prompte-ment et de s'améliorer au point de vue de l'horticulture, puisque toutes les carottes champêtres, dans leur jeunesse, peuvent être utilisées pour les besoins de la cuisine, tandis qu'il n'en est pas ainsi de la plante à l'état spontané. Nous n'avons obtenu, il est vrai, ni racines jaunes ni racines rouges; cependant la couleur du type a disparu : de rougeâtre qu'il était, il est devenu blanc

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dans les parties enterrées et vert dans les parties découvertes, et rien ne prouve que la modification ne pourrait pas se poursuivre, et que la couleur blanche des racines n'a pas une propension naturelle à passer au jaune clair d'abord, puis au jaune foncé, puis au rouge. Les praticiens ont pu remarquer que, si la carotte

d'Achicourt , qui est d'un beau jaune, ne donne jamais de racines

blanches, la carotte des Vosges, qui est blanche, donne parfois en retour des racines jaunâtres.

Que l'hybridation, par l'intermédiaire des insectes, soit possible, personne ne le conteste; mais toujours est-il que, dans le cas qui nous occupe, elle se présente bien rarement. Nous avons cultivé durant de longues années, et côte à côte, des porte-grai-nes de toutes les variétés de carottes, sans avoir observé de chan-gements de couleurs et de formes dus à l'hybridation. Nous n'avons pas vu la variété d'Altringham devenir blanche, ni la blanche à collet vert devenir rouge.

Nous affirmons donc de nouveau que la transformation de la carotte sauvage en carotte à grosse racine blanche est facile. Tout le monde, avec un peu de patience et de soins, peut s'en con-vaincre. Quant au changement de couleur en jaune, rouge ou violet,nous n'avons rien à dire puisque nous ne l'avons pas obtenu.

Qu'il y ait des plantes sauvages plus rétives que d'autres aux modifications par la culture, c'est un fait hors de doute, mais ce n'est pas une raison pour en nier la possibilité. Peut-être existe-t-il beaucoup de plantes à l'état de nature, dont les racines, insi-gnifiantes à première vue, sont susceptibles de prendre un fort développement. Quand, en cinq ans, on amène une racine de ca-rotte du volume d'une plume à écrire à mesurer de 5 à 6 cen-timètres de diamètre, on est tenté de soumettre à des essais de modification toutes les racines de nos plantes sauvages, de celles au moins qui sont inoffensives, et de chercher à savoir si la cui-sine ou l'industrie ne pourrait pas les utiliser.

D'après ce que nous venons de dire de la carotte, on sait com-ment il faut s'y prendre avec les plantes bisannuelles; avec les plantes annuelles, ce serait plus facile encore, les semis successifs deviendraient plus rapides. Les modifications principales ne por-teraient pas constamment sur les racines ; pourquoi n'attein-draient-elles pas aussi les feuilles ou les fruits? Il y a là devant nous et autour de nous un immense champ de recherches qu'on ne soupçonne guère, on personne n'ose s'aventurer et qui, pour-tant, nous semble plein d'attraits.

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4f. TRAITÉ DES GRAINES

Dans le document DES GRAINES (Page 41-44)