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Traitement anaérobie des effluents miniers (référence aux articles 6, 19 et 20)

3. Milieux anaérobies : précipitation de métaux et métalloïdes par les BSR

3.2 Traitement anaérobie des effluents miniers (référence aux articles 6, 19 et 20)

Nous venons de voir que le sulfure d’hydrogène peut convertir la forme la plus toxique du chrome, le Cr(VI), en Cr(III) moins toxique, par réduction chimique. Le produit de la respiration anaérobie du sulfate par les BSR peut également être utilisé pour faire précipiter efficacement de nombreux éléments toxiques souvent présents dans les effluents miniers, tels que As, Cu, Cd, Ni, Zn, Co. En général, les effluents miniers et industriels chargés en métaux sont traités par neutralisation à la chaux. Au cours de ce traitement, les métaux précipitent sous forme d’hydroxydes. Cependant, la plupart hydroxydes de métaux lourds sont plus

solubles à pH neutre que les sulfures formés par les mêmes métaux en conditions oxydantes (Tableau 4). De plus, le traitement à la chaux génère des volumes très importants de déchets. Tableau 4. Solubilité théorique de quelques métaux sous forme hydroxydes ou de sulfures, à pH 7 dans l’eau pure (de Vegt et al., 1996)

Métal Solubilité des hydroxydes

(mg.l-1)

Solubilité des sulfures

(mg.l-1) Cd 2,35 x 10-5 6,73 x 10-10 Cu 8,42 x 10-4 5,83 x 10-18 Fe 8,91 x 10-1 3,43 x 10-5 Pb 4,02 x 10-3 5,48 x 10-10 Ni 6,92 x 10-3 6,90 x10-8 Ag 13,3 7,23 x 10-12 Zn 1,1 2,31 x 10-7

Les sulfures de métaux précipitent à des valeurs de pH différentes, autorisant la récupération sélective de certains éléments de valeur sous une forme plus concentrée que dans les hydroxydes. Contrairement aux sulfures, les hydroxydes sont souvent hydratés et leur récupération par filtration est problématique. Des procédés utilisant le sulfure d’hydrogène produit par des BSR ont donc été développés, de l’échelle du laboratoire jusqu'à l’application industrielle (Huisman et al., 2006). La croissance des BSR induit une consommation de l’acidité et une production de sulfure d’hydrogène. Différentes configurations de procédés peuvent être envisagées. En général, lorsque l’effluent à traiter contient plusieurs métaux que l’on souhaite récupérer sélectivement, les étapes de production de sulfure d’hydrogène et de précipitation des métaux sont réalisées séparément. La solution chargée en sulfure issue du bioréacteur peut être mélangée à l’effluent minier brut afin de faire augmenter son pH jusqu’à une valeur précise permettant de faire précipiter un métal de valeur. Ensuite, l’effluent débarrassé de ses métaux mais riche en sulfate peut être injecté dans le bioréacteur. Lorsque le

substrat énergétique fourni aux BSR est de l’hydrogène (généralement un mélange (H2/CO2),

il est possible de faire buller le mélange gazeux sortant du bioréacteur, et enrichi en H2S, dans

le réacteur de précipitation. Nous avons testé cette configuration avec un bioréacteur pilote de

20 l (article 6), qui a produit de l’H2S utilisé pour récupérer sélectivement le cuivre et le zinc

dans un effluent minier réel. Les deux stratégies, mélange des liquides et bullage des gaz, ont été combinées lors d’une opération pilote au cours de laquelle nous avons mis en œuvre un bioréacteur de 200 l alimenté par un effluent minier réel (article 19). Lorsque la récupération sélective des métaux n’est pas rentable et que le seul objectif du traitement est d’éliminer efficacement les métaux, l’effluent peut être directement injecté dans le bioréacteur. Quand la solution à traiter n’est pas trop acide (pH 3-4), un temps de séjour relativement court peut être appliqué, et l’activité bactérienne maintient le pH à une valeur proche de la neutralité dans le bioréacteur. Nous avons détecté une population diverse de BSR dans un tel bioréacteur, utilisé pour éliminer simultanément le zinc et le fer dans un effluent (article 20) : des micro-organismes affiliés aux genres Desulfomicrobium, Desulfobacter, Desulfovibrio et

Desulfobulbus ont été mis en évidence grâce à un inventaire de séquences du gène dsrAB.

Lorsque l’effluent à traiter est très acide, il devient délicat de l’injecter directement dans un bioréacteur réalisant la sulfato-réduction. En effet, les BSR sont généralement sensibles à l’acidité. En conditions acides, le sulfure d’hydrogène se trouve majoritairement

sous sa forme non dissociée, l’H2S, qui pénètre facilement dans les cellules bactériennes et

rend toxiques pour les bactéries. Cependant, des activités bactériennes de sulfato-réduction ont été mises en évidence dans divers environnements acides (Praharaj et Fortin, 2004; Church et al., 2007). Au laboratoire, des BSR ont pu être cultivées à faible pH grâce à l’utilisation de substrats énergétiques n’appartenant pas au groupe des acides organiques : le glycérol, le méthanol ou l’hydrogène. Des bioréacteurs fonctionnant à pH acide, alimentés en continu avec du glycérol, ont été mis en œuvre pour précipiter du sulfure de zinc grâce à un consortium comprenant une BSR et une bactérie (Acidocella) consommant l’acétate produit au cours de la dégradation du glycérol (Kimura et al., 2006; Johnson et al., 2006). Les BSR détectées dans ces environnements acides appartiennent généralement au genre

Desulfosporosinus (Kimura et al., 2006; Church et al., 2007).

La mise en œuvre de BSR capables de produire de l’H2S en conditions acides serait

particulièrement intéressante pour la précipitation de sulfure d’arsenic. En effet, l’orpiment

As2S3, est très peu soluble à faible pH, mais forme des complexes solubles nommés

thioarsenites quand le pH augmente. Les données de solubilité sont liées aux équilibres suivants (Eary, 1992) :

H3AsO3 + 1,5 H2S => 0,5 As2S3 (am) + 3 H2O log K = -11,9 (1)

1,5 As2S3 (am) + 1,5 H2S => H2As3S6- + H+ log K = -5 (2)

Clarke et Helz (2000), ainsi que Wilkin et al. (2003), ont décrit d’autres équilibres impliqués dans la solubilité de l’orpiment à travers la formation de thioarsenite et

d’oxothioarsenites :

0,5 As2S3 (am) + 0,5 H2S + H2O = As(OH)(SH)S- + H+ log K = -9,4 (3)

0,5 As2S3 (am) + 2 H2O = As(OH)2S- + 0,5 HS- + 1,5 H+ log K = -18,9(4)

0,5 As2S3 (am) + 0,5 HS- + H2O = As(OH)S22- + 1,5 H+ log K = -13,8 (5)

0,5 As2S3 (am) + 1,5 HS- = AsS3H2- + 0,5H+ log K = -2 (6)

0,5 As2S3 (am) = 2,5 HS- + 1,5 H+ = As(SH)4- log K = 14,1 (7)

• Dans des solutions acides et peu concentrées en sulfure d’hydrogène, la réaction (1)

domine et les précipités d’As2S3 sont formés.

• En présence de sulfure en excès, les réactions (2) à (7) jouent un rôle dominant (Smieja and Wilkin, 2003). Ces réactions sont favorisées à pH croissant. En général, si

la concentration en sulfure d’hydrogène est supérieure à 1 mg.l-1, des thio-arsenites

solubles sont formés à pH neutre ou basique.

La précipitation du sulfure d’arsenic est un processus particulièrement intéressant, car il permet d’obtenir une phase solide contenant 60% en masse d’arsenic. Or, les procédés classiques utilisés pour traiter les eaux acides chargées en arsenic produisent des volumes importants de déchets, dans lesquels l’arsenic est dilué. La stabilisation puis le stockage de ces déchets sont coûteux. Il serait donc utile de développer un procédé qui produirait un déchet très concentré en arsenic. Nous avons entrepris la mise au point d’un procédé de précipitation biologique de l’arsenic sous forme de sulfure, dans le cadre du projet Européen

BioMine (6ème PCRD, NMP1-CT-500329-1, http:\\biomine.brgm.fr). Une population

bactérienne capable de réduire le sulfate à pH 4,5, contenant des organismes appartenant au genre Desulfosporosinus a été sélectionnée, puis utilisée pour ensemencer deux bioréacteurs à lit fixé de pouzzolane, dont le volume utile était égal à 400 ml. L’un d’entre eux était équipé de dispositifs permettant de faire des prélèvements à différentes hauteurs dans la colonne. Ces

bioréacteurs ont ensuite été alimentés en continu avec des milieux de culture dont le pH était compris entre 2 et 5. La photographie 13 montre l’accumulation du précipité d’orpiment, de couleur jaune, dans les colonnes. La nature du précipité a été confirmée par des

caractérisations effectuées au MEB-SDE (photographie 14) et par EXAFS. L’influence de

divers paramètres a été testée : la forme d’As présente dans l’alimentation, As(III) ou As(V), le substrat énergétique (glycérol ou hydrogène), la concentration en glycérol. La solution

d’alimentation a toujours contenu 100 mg.l-1 d’As total. La figure 12 montre l’évolution des

principaux paramètres dans la première colonne.

L’efficacité du bioréacteur, en termes d’élimination de l’arsenic, a été améliorée quand le temps de résidence et le pH de l’alimentation ont été diminués. Une très bonne efficacité d’élimination, correspondant à une concentration en As en sortie de bioréacteur inférieure à

1 mg.l-1, a pu être maintenue dans le bioréacteur pendant 35 jours lorsqu’il a été alimenté avec

une solution à pH 2, pour un temps de résidence égal à 48 h. Cependant, le bioréacteur ne fonctionnait pas de façon parfaitement stable au cours de cette période. En effet, une migration du front « jaune » de dépôts de sulfure, du bas de la colonne vers le haut, a été observée, ainsi qu’une chute progressive du pH en sortie de bioréacteur. Du point de vue purement chimique, la faible valeur de pH en entrée de bioréacteur a favorisé la précipitation de l’orpiment, ce qui explique la faible valeur de concentration en arsenic en sortie de colonne.

Photographie 13. Bioréacteurs utilisés pour étudier la précipitation du sulfure d’arsenic par l’hydrogène sulfuré

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 0 100 200 300 400 500 600 Temps (jours) pH , temps de résidence ( jours) 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

pH de l'alim Temps de résidence As total en sortie

As total mg.l

-1

AsV AsIII AsV

Figure 12. Précipitation de l’arsenic sous forme de sulfure dans un bioréacteur à lit fixé, évolution de la

concentration en As en sortie, pH de l’alimentation et temps de séjour.

Photographie 14. Observation au MEB de la phase solide (jaune) prélevée dans un bioréacteur à lit fixé au sein

duquel des bactéries sulfato-réductrices induisent la précipitation de sulfure d’arsenic. Longs bâtonnets enchevêtrés dans du As2S3 amorphe (barre d’échelle : 5 µm).

Cependant, les bactéries qui produisent le sulfure ne sont pas réellement actives à pH 2 : elles se développent et demeurent actives au-dessus de la zone de précipitation chimique, et leur inhibition progressive a induit une migration du front de précipitation vers le

haut (la sortie) du bioréacteur. Les zones de production de l’H2S peuvent également être

situées dans des niches protégées, à l’intérieur du bioréacteur, étant donné que le flux n’est pas réparti de façon parfaitement homogène dans le lit de pouzzolane. Des zones noires à pH

plus élevé, où l’H2S était produit, côtoient les dépôts de précipité jaune-orangé correspondant

aux chemins préférentiels du flux acide, où précipite le sulfure d’arsenic (photographie 15). Lorsque le pH de la solution d’alimentation était égal à 2,8, le pH en sortie de bioréacteur n’évoluait pas, ce qui suggère que l’activité bactérienne n’était pas inhibée. Cependant, l’efficacité du bioréacteur, liée à la cinétique de précipitation, était moins bonne. Une valeur optimale de pH, permettant d’améliorer la cinétique de précipitation de l’orpiment tout en préservant les zones d’activité bactérienne, pourrait être recherchée entre pH 2,0 et pH 2,8.

Photographie 15. Répartition des zones de précipitation du sulfure d’arsenic (jaune-orangé) et de

production d’H2S (noires) au démontage du bioréacteur, après 582 jours de fonctionnement.

La deuxième colonne, équipée de septa permettant d’effectuer des prélèvements à différentes hauteurs, a été utilisée pour comparer deux substrats énergétiques : le glycérol et l’hydrogène. Nous avions supposé que la cinétique de précipitation du sulfure d’arsenic pourrait être limitée par la vitesse de réduction du sulfate, qui était toujours très faible quand le glycérol était utilisé comme source d’énergie. La figure 13 montre que lorsque le glycérol a été remplacé par l’hydrogène, une amplification de l’activité de sulfato-réduction a effectivement été observée, mais que cette activation a eu pour conséquence une augmentation brutale et très importante de la concentration en arsenic en sortie de bioréacteur, pouvant s’élever jusqu’à 200% de la concentration en entrée. La production massive de sulfure d’hydrogène, accompagnée de l’augmentation de pH, a induit la

dissolution de l’orpiment accumulé dans la colonne, et la formation de complexes thio-arséniés (réactions 2 à 7). Ce phénomène a pu être amoindri par une diminution du temps de séjour et du pH en entrée de réacteur. Finalement, la vitesse maximale d’élimination de

l’arsenic au cours de cette expérience a atteint 2,5 mg.l-1.h-1. Cette valeur est plus élevée

que celles qui sont généralement données dans la littérature. Cependant, le procédé de précipitation de l’As par précipitation de sulfure est généralement utilisé pour traiter des

eaux très peu chargées en As (moins de 1 mg.l-1). Nos résultats sont originaux par le fait

qu’ils ont été obtenus avec des solutions contenant 100 mg.l-1 d’As.

Les profils de concentration en arsenic et de pH dans la colonne montrent que l’arsenic est précipité dans la première moitié du bioréacteur (Figure 14). La concentration en As en sortie de bioréacteur est liée à la solubilité de l’As dans les conditions de pH et de concentration en sulfure qui règnent dans le bioréacteur. C’est pour cette raison que l’élimination de l’As était complète dans le premier bioréacteur, lorsque le pH de l’alimentation était très faible (pH 2).

0 500 1000 1500 2000 2500 0 20 40 60 80 100 120 140 160 180 Temps (jours) SO4, m g /l 0 50 100 150 200 250 300 350

SO4 sortie SO4 entrée

As total sortie

A

s, mg/l

H2 Glycérol

Figure 13. Influence du substrat énergétique, glycérol ou hydrogène, sur la précipitation de l’arsenic sous

forme de sulfure dans un bioréacteur fonctionnant en continu. Concentration en arsenic dans l’alimentation : 100 mg.l-1.

Ainsi, lorsque le glycérol était utilisé comme substrat, le pH dans le bioréacteur était

proche de 5, et la concentration résiduelle en As comprise entre 5 et 10 mg.l-1. Avec le

substrat hydrogène, la concentration en arsenic était égale à 160 mg.l-1 pour un pH de 7,5,

et à 23 mg.l-1 pour un pH de 6,5.

Nous avons donc montré qu’il n’est pas souhaitable d’obtenir une activité de sulfato-réduction très élevée pour éliminer efficacement l’arsenic sous forme de sulfure. Il vaut mieux maintenir une activité de sulfato-réduction faible mais stable, à pH acide.

La composition bactérienne de l’inoculum et des bioréacteurs (phase liquide et biofilm lors du démontage) a été suivie en utilisant plusieurs méthodes de biologie moléculaire : inventaires de séquences d’ARNr 16S, de gènes dsrAB (gènes de la sulfite-réductase),

arrA (gènes de la réduction dissimilatrice de l’As(V)) et profils SSCP. L’inoculum,

appartenant aux genres Bacillus et Desulfosporosinus. Par la suite, une population plus diverse d’est développée dans les bioréacteurs, mais toutes les bactéries sulfato-réductrices détectées au cours de cette étude sont apparentées au genre Desulfosporosinus, auquel appartiennent presque toutes les BSR se développant dans des milieux acides (Kimura et al., 2006; Church et al., 2007). Les séquences correspondantes sont éloignées de séquences d’espèces caractérisées. Par ailleurs, les profils SSCP indiquent une bonne correspondance entre les populations présentes dans la phase liquide et celles qui sont fixées au support bactérien de pouzzolane.

0 50 100 150 200 250

Alim Bas S5 S4 S3 S2 S1 Sortie

As Total mg/l Gly - P1 Gly - P2 Gly - P3 Gly - P4 Gly - P5 Gly - P6 H2 - P7 H2 - P8 P7 P1 P2 P3 P4 P5 P6 P8 A 2 3 4 5 6 7 8 9

Alim Bas S5 S4 S3 S2 S1 Sortie

pH Gly - P1 Gly - P2 Gly - P3 Gly - P4 H2 - P7 H2 - P8 B

Figure 14. Précipitation de l’arsenic sous forme de sulfure dans un bioréacteur fonctionnant en continu.

Profils de concentration en arsenic (A) et de pH (B) dans le bioréacteur colonne. Bleu : substrat glycérol. Orange : substrat hydrogène.

Une séquence de gène arrA a pu être amplifiée à partir de l’ADN extrait de la population bactérienne qui a colonisé le second bioréacteur. Cette séquence est affiliée à la séquence arrA de la bactérie Desulfosporosinus Y5 (Liu et al., 2004) connue pour sa capacité à réduire l’As(V). Ce résultat suggère qu’au moins un des organismes appartenant au genre Desulfosporosinus ayant colonisé le bioréacteur est capable de réduire à la fois le sulfate et l’arsénate. Jusqu’à présent, aucun organisme capable de respirer l’As(V) en conditions acide n’a été décrit. Il serait donc particulièrement intéressant d’obtenir une souche possédant cette capacité. Nous avons isolé une BSR de la

population ayant colonisé le second réacteur. Cette bactérie, apparentée à

Desulfosporosinus Y5, est acido-tolérante mais ne semble pas posséder le gène arrA.

L’ensemble de nos travaux portant sur la bio-précipitation de sulfure d’arsenic a fait l’objet de communication à congrès (communications 93, 94 et 96, article de proceedings 29) et un article à soumettre dans une revue internationale est en cours de rédaction (102).

4. Projet de Recherche : Biogéochimie des réacteurs naturels et

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