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Afin de reconduire la dimension subversive du roman, il importe également de trouver des solutions appropriées au deuxième élément le plus controversé du texte. Je propose donc de reprendre l’analyse sociolinguistique effectuée dans le premier chapitre et de mettre en contraste les différentes caractéristiques du slang et du jeune vernaculaire québécois. Penchons-nous d’abord sur l’attribut le plus complexe du slang américain : le slang marque l’adhésion du locuteur à une sous-culture qui se définit par opposition à la culture dominante, ce qui donne à son discours un ton de rébellion. Rappelons qu’Holden, par son appartenance à la jeune génération de son époque, se rattache à un groupe périphérique425 qui utilise le slang de manière particulièrement fréquente426.

Rappelons également que son affiliation à la classe élevée lui permet d’employer adroitement différents registres de langue. Cette double appartenance inscrit plus précisément son discours dans le vernaculaire des adolescents instruits du Nord-Est américain427.

421 « Chien », dans L. Bergeron, Dictionnaire de la langue québécoise, p. 128 : « En chien, comme le

chien – beaucoup. ».

422 J. D. Salinger, The Catcher in the Rye, p. 78. 423 Ibid., p. 212.

424 J. D. Salinger, The Catcher in the Rye, p. 22.

425 Voir L. Andersson et P. Trudgill, Bad Language, p. 65. 426 Ibid., p. 80.

J’ai exprimé plus haut pourquoi la langue de Brébeuf est une ressource plus adéquate que le joual pour traduire l’habile jeu de registres du narrateur. Or, l’une des caractéristiques principales de ce vernaculaire, soit l’utilisation du français et de l’anglais dans une même phrase, sert également à marquer l’appartenance du locuteur à une sous- culture québécoise jeune et éduquée428. Ce recours aux emprunts sème la controverse au

sein de la culture dominante, encore marquée par les combats de la Révolution tranquille. Mandia, qui analyse la langue des personnages des films de Dolan, soulève que

Le joual permettait au peuple aliéné de se libérer en attendant l’indépendance. Ce qui choque chez Dolan, malgré le fait que la classe ouvrière québécoise n’ait plus les mêmes contours que dans les années 1960, c’est que ce sont souvent les personnages issus de la bourgeoisie ou de la génération montante et non des personnages appartenant à la classe ouvrière qui pratiquent l’alternance des codes429 […].

Ainsi, la langue de Brébeuf offre une représentation linguistique réaliste, mais provoque des réactions négatives liées à la valeur symbolique et sociolinguistique des emprunts à l’anglais430. J’ai démontré à quel point les tensions diglossiques entre le

français et l’anglais ont marqué l’identité québécoise jusqu’à la Révolution tranquille. Encore aujourd’hui, la culture dominante tend à classer les emprunts en deux catégories : les anglicismes « d’assimilés » et les anglicismes « de snobisme »431. La première

catégorie existe parce qu’historiquement, une relation étroite lie les emprunts à l’ignorance, à la pauvreté et à la domination subie432. Les emprunts de la deuxième

catégorie n’ont rien avoir avec une mauvaise maîtrise du français. Ils servent de ressource stylistique au locuteur bilingue433. Dans une étude sociolinguistique réalisée en 1999,

Bouchard remarque que, déjà à l’époque, cette catégorie d’emprunts est surtout utilisée par « des jeunes des couches supérieures de la société434 » malgré l’existence

d’équivalents français et qu’elle est donc associée au snobisme. Plutôt que de combler

428 Voir M. Chevrier, « Les français imaginaires (et le réel franglais) »; M. Bock-Côté, « Le franglais : le

raffinement des colonisés »; Y. Mccan, « Dead Obies et le franglais : la réplique aux offusqués ».

429 V. Mandia, « Le septième art hors des frontières nationales », p. 118-119. 430 Voir C. Bouchard, On emprunte qu’aux riches, p. 11.

431 Voir P. Larrivée, cité dans V. Mandia, « Le septième art hors des frontières nationales », p. 117. 432 Voir C. Bouchard, On emprunte qu’aux riches, p. 15-16.

433 Voir P.-A. Mather, « Une analyse sociolinguistique du film Les Amours imaginaires de Xavier Dolan ». 434 C. Bouchard, On emprunte qu’aux riches, p. 16.

une lacune lexicale435, elle exprime une identité plurielle436 ou une proximité avec une

culture prestigieuse437, ici américaine.

Les conclusions de Bouchard me semblent encore valides aujourd’hui. En effet, les détracteurs de la langue de Brébeuf joignent souvent ces deux conceptions de l’anglicisme lorsqu’ils critiquent le vernaculaire de la jeune génération. Nathalie Petrowski s’exclame que « dissoudre la langue du conquérant dans sa langue maternelle comme un morceau de sucre dans le café, c’est s’élever au-dessus de la plèbe, c’est être suprêmement cool et en contrôle de sa propre aliénation438 ». Mathieu Bock-Côté écrit :

Les colonisés : on aurait préféré garder ce terme au musée de l’aliénation québécoise. Il redevient toutefois pertinent. Il ne désigne plus des Elvis Gratton à l’ancienne. Mais des gens comme il faut, qui se prennent plus souvent pour la crème de la jeunesse mondialisée, et qui ont décidé de parler français et anglais dans la même phrase pour nous le faire savoir. En franglisant, il croient envoyer un signal : nous sommes cosmopolites439.

Revenons ici au slang d’Holden. Ce dernier place le narrateur au cœur des deux grands conflits générationnels de son siècle, durant lesquels la jeune génération américaine utilise le vernaculaire pour marquer un puissant rejet des valeurs de leurs aînés et de la culture dominante. La langue de Brébeuf fonctionne d’une manière analogue, particulièrement en ce qui concerne l’utilisation du franglais. Un débat social se crée autour des œuvres de plusieurs jeunes artistes. Les chroniqueurs donnent une forte teneur politique à leur hybridité440. Petrowski, dans une chronique sur le roman Charlotte

before Christ, demande : « Soublière va-t-il continuer à dynamiter sa langue jusqu’à ce que mort linguistique s’ensuive ? Si c’est le cas, il ferait bien de rejoindre le Tea Party au plus vite.441 » Christian Rioux commente sur le vernaculaire de Dead Obies : « Que ce

créole soit de plus en plus revendiqué politiquement comme une langue à promouvoir dans un contexte où l’anglais est déjà la langue hégémonique, c’est, oui… un suicide.442 »

435 Voir C. Bouchard, On emprunte qu’aux riches, p. 35.

436 Voir P.-A. Mather, « Une analyse sociolinguistique du film Les Amours imaginaires de Xavier Dolan ». 437 Voir C. Bouchard, On emprunte qu’aux riches, p. 34.

438 N. Petrowski, « Charlotte anyways… ».

439 M. Bock-Côté, « Le franglais : le raffinement des colonisés ».

440 Voir M. Chevrier, « Les français imaginaires (et le réel franglais) »; M. Bock-Côté, « Le franglais : le

raffinement des colonisés »; Y. Mccan, « Dead Obies et le franglais : la réplique aux offusqués ».

441 N. Petrowski, « Charlotte anyways… ». 442 C. Rioux, « J’rape un suicide… ».

Or, les artistes dont il est question semblent trouver plus important d’inscrire leurs textes dans la réalité linguistique de leur époque que de prendre un parti politique et identitaire précis. Soublière affirme ainsi : « La réalité est comme ça, et il faut arrêter de se fermer les yeux. Je parle comme ça avec mes amis, les jeunes partout au Québec parlent comme ça.443 » Yes Mccan, du groupe Dead Obies, déclare :

On a couché ce langage-là sur disque parce qu’il était là. Autour de nous. Pour ma part, je ne l’ai jamais revendiqué comme langage du futur. Je ne l’ai jamais imposé à personne. J’ai juste mis ce mélange de couleurs-là dans ma palette parce que je retrouve ces teintes-là dans le paysage que je tente de peindre. M’importe si vous le trouvez laid, mon portrait444.

Chez ces jeunes artistes comme chez Salinger, la subversion de la forme dépasse celle du message.

L’emploi du franglais donne au discours un ton de rébellion parce que, comme le slang de Catcher, il inscrit ses locuteurs au sein d’un conflit de valeurs axé sur la langue. Bouchard écrivait en 1998 :

[…] il existe aujourd’hui un clivage dans la société québécoise entre les jeunes générations et les plus âgées dans le rapport qu’elles ont avec la langue, les quadragénaires formant un groupe intermédiaire. Les plus âgés, ceux qui étaient adultes ou adolescents dans les années 1950 et 1960, restent profondément marqués par la crise identitaire et la forte insécurité linguistique de cette époque, ils ne semblent pas très conscients des réels progrès dans la maîtrise du code normatif qui se sont réalisés dans les jeunes générations, leurs commentaires montrent qu’ils ont au contraire l’impression d’une dégradation445.

À l’époque, une séparation s’effectue entre la jeune génération et leurs aînés, membres de la culture dominante qui adhèrent à une idéologie protectionniste de la langue française. Une coupure similaire s’observe encore aujourd’hui, alors que plusieurs commentateurs continuent de souscrire à cette idéologie traditionnelle. Rioux parle ainsi de « l’anglicisation fulgurante de la métropole446 » montréalaise. Marc Chevrier affirme que

« [p]ar habitude, par réflexe congénital, le Québécois typique est celui qui ne peut faire deux ou trois phrases sans y mettre de l’anglais, un mot, une expression, une intonation, une tournure syntaxique, comme si le français ne pouvait se suffire à lui-même pour

443 A. Soublière, cité dans J. Lapointe, « Charlotte before Christ : brasser la cage ». 444 Y. Mccan, « Dead Obies et le franglais : la réplique aux offusqués ».

445 C. Bouchard, La Langue et le nombril, p. 9. 446 C. Rioux, « Servitude volontaire ».

exprimer quoi que ce soit447 ». Bock-Côté s’inquiète qu’« au quotidien, de plus en plus de

Québécois peinent à parler, à créer en français. Comme si chaque fois qu’ils voulaient dire quelque chose de fondamental, ou d’excitant, ou de transgressif, ils devaient passer à l’anglais448 ».

Pourtant, au moment où écrit Bouchard, l’avancée des conditions socioéconomiques449, la croissance du taux de scolarisation et les lois linguistiques450 des

soixante dernières années permettent déjà à la jeune génération de maîtriser mieux que jamais les codes de sa langue451. Selon la théoricienne, la langue courante se

« désanglicise » malgré les interférences du bilinguisme452. Shana Poplack tire des

conclusions similaires dans une étude plus récente. D’après ses recherches, les emprunts spontanés à l’anglais représentent moins de 1 % du vocabulaire des francophones. Ils sont souvent utilisés dans un contexte d’alternance codique, sont presque automatiquement francisés sur le plan grammatical et syntaxique et à peine 7 % d’entre eux entrent dans l’usage oral ou écrit. L’Office québécois de la langue française appuie d’ailleurs ces découvertes, qu’il inclut dans les annales de son colloque sur les anglicismes en octobre 2016453. Ainsi, les jeunes Québécois demeurent « plus détachés, moins angoissés par

rapport à la langue que ne l’étaient leurs parents et leurs grands-parents454 ». Ils affichent

une relation plus détendue avec l’anglais.

Ce clivage idéologique peut notamment être attribué à deux visions opposées du bilinguisme. Selon Wallace Lambert, le bilinguisme « soustractif » se manifeste dans un contexte diglossique. Pour le groupe dont la langue est hiérarchiquement « inférieure », l’apprentissage de la langue seconde « supérieure » peut mener à la perte de la langue maternelle455. C’est le cas au Québec avant les années 1960. Cette vision négative du

bilinguisme est décrite textuellement par certains commentateurs s’opposant à la langue

447 M. Chevrier, « Les français imaginaires (et le réel franglais) ». 448 M. Bock-Côté, « Le franglais : le raffinement des colonisés ». 449 Voir C. Bouchard, On emprunte qu’aux riches, p. 15-16. 450 Id., La Langue et le nombril, p. 13.

451 Ibid., p. 9. 452 Ibid., p. 13.

453 Voir S. Poplack, citée dans J.-B. Nadeau, « La fausse menace ». 454 C. Bouchard, La Langue et le nombril, p. 8.

455 Voir W. Lambert, cité dans H. Sierra Sallas, Le bilinguisme chez les familles montréalaises d’origine

de Brébeuf. Bock-Côté écrit par exemple : « Dans les faits, une langue mange progressivement l’autre. L’anglais bouffe le français456. » Chevrier renchérit :

L’anglais n’est donc pas une simple langue seconde, que l’on parle par culture et enrichissement personnels […]. Dès son tout jeune âge, le Québécois apprend, souvent de ses parents mêmes, que sa langue maternelle est une langue déjà seconde, sans avenir, handicapée et même handicapante, et qu’il faudra coûte que coûte se mettre à l’anglais s’il veut se tailler une place sous le soleil boréal nord-américain457. Or, les apports de la Révolution tranquille permettent aux nouvelles générations d’évoluer dans un environnement où le statut sociopolitique du français n’est plus inférieur. Les jeunes Québécois tendent donc à vivre un bilinguisme « additif ». Ce dernier se manifeste lorsque les deux langues en contact sont utilisées et valorisées. Le locuteur peut alors employer à la fois la langue maternelle et la langue seconde tout en maintenant son identité ethnolinguistique et en affichant une attitude positive envers chacune. Dans un tel contexte, l’apprentissage de la langue seconde est lié à un élargissement du répertoire linguistique458 et des ressources stylistiques459. C’est le cas

des locuteurs de la langue de Brébeuf, qui considèrent l’hybridité comme une force créative460. Dolan invite les Québécois à « arrêter d’avoir peur » et à « accepter la

richesse du bilinguisme461 ». Yes Mccan s’oppose à la vision du franglais comme « un

langage qui en remplacerait un autre ». Pour lui, il ne s’agit pas d’« une perte de langage », mais d’« un ajout462 ».

Le rappeur résume d’ailleurs parfaitement le rapport à la langue plus détendu des jeunes générations dans sa réponse « aux Christian Rioux et aux Mathieu Bock-Côté » :

Non, je ne suis pas personnellement inquiet pour la situation du français au Québec. Quand je sors de chez moi, il m’est possible d’être compris en français pas mal partout. […] Ça se peut que j’aille manger des dumplings dans Chinatown pis que le serveur ait de la misère, à un moment donné. C’est correct. Je ne me sens pas en danger. On se trouve un terrain commun. Je sais qui je suis, d’où je viens. Je ne ressens pas le besoin de m’affirmer dans la négation de l’autre pour survivre. Je ne me suis jamais senti minimisé, limité, ou entravé par le fait de vivre en français à

456 M. Bock-Côté, « Le franglais : le raffinement des colonisés ». 457 M. Chevrier, « Les français imaginaires (et le réel franglais) ».

458 Voir W. Lambert, R. Landry et R. Allard, cités dans H. Sierra Sallas, Le bilinguisme chez les familles

montréalaises d’origine mexicaine : soustracif ou additif ?, p. 6-7.

459 Voir V. Mandia, « Le septième art hors des frontières nationales », p. 111.

460 Voir P.-A. Mather, cité dans V. Mandia, « Le septième art hors des frontières nationales », p. 119. 461 X. Dolan, cité dans V. Mandia, « Le septième art hors des frontières nationales », p. 115-116. 462 Y. Mccan, « Dead Obies et le franglais : la réplique aux offusqués ».

Montréal. J’en remercie les combattants avant moi, parce que ça n’a pas toujours été le cas, ça été un combat, je le sais463.

Bien sûr, ces changements sont encore récents et le français reste minoritaire à l’échelle continentale. Le statut de la langue demeure une préoccupation constante au Québec464. L’attitude laxiste des nouvelles générations est souvent interprétée comme

une trahison au sein de la culture dominante. Certains commentateurs reprochent par exemple à Dolan de « trahir sa langue maternelle465 ». Rioux critique Dead Obies en

affirmant que « [s]elon eux, la défense du Québec est dépassée466 ». Qui plus est, l’aspect

générationnel de cette trahison est soulevé par plusieurs chroniqueurs. Petrowski décrit Charlotte before Christ comme « l’histoire d’une nouvelle génération d’enfants rois qui déserte les repères de l’ancienne, vomit le nationalisme pour mieux embrasser la culture américaine, […] tout cela en métissant sa langue d’anglais façon Radio Radio sans avoir la licence acadienne pour le faire467 ». Chevrier dépeint une « jeunesse avide

de succès, qui peine à apprendre un français grammatical » et qui « prend pour modèles des parvenus décomplexés, qui vont du français vers l’anglais souvent dans la même phrase, dont la fortune et la célébrité se sont édifiées dans le monde anglo-américain468 ».

Les jeunes artistes critiqués soulignent eux-mêmes la rupture générationnelle que l’on sent dans leurs œuvres. Soublière déclare : « Je ne veux rien enlever à la Révolution tranquille, mais pour moi ce n’est pas l’année zéro du Québec comme on nous la présente souvent469 ». Dolan décrit sa génération comme

[…] une minorité importante, suffisante pour apporter des changements importants et qui est très consciente des enjeux actuels, qui veut se détourner un peu des vieux tics entre francophones et anglophones au Québec […] et qui comprend que la protection de l’identité québécoise, ça commence par l’ouverture aux autres identités470.

Yes Mccan est plus catégorique :

Notre ambivalence de langage, notre hybride, notre mixité est d’abord un refus de prendre part à votre monde […] Dead Obies se donne le droit d’exister en dehors du

463 Y. Mccan, « Dead Obies et le franglais : la réplique aux offusqués ». 464 Voir C. Bouchard, La Langue et le nombril, p. 17.

465 V. Mandia, « Le septième art hors des frontières nationales », p. 113. 466 C. Rioux, « J’rape un suicide… ».

467 N. Petrowski, « Charlotte anyways… ».

468 M. Chevrier, « Les français imaginaires (et le réel franglais) ».

469 A. Soublière, cité dans J. Lapointe, « Charlotte before Christ : brasser la cage ».

paradigme, en-deçà de la superstructure anglo-franco qui gouverne la culture québécoise depuis des décennies, sans renouveau du discours, sans perspectives fraiches471.

Cette dernière citation me mène au nerf de la controverse qui entoure Catcher. Le slang du roman positionne le narrateur dans le conflit générationnel de son époque. Ce faisant, il remet en question l’autorité de la génération dominante. Il signale l’adhésion exclusive des membres de la génération rebelle à un nouveau code de valeurs. La langue de Brébeuf agit de façon similaire. Yes Mccan décrit le franglais comme un « langage codé », une « affaire d’initiés », un « terrain commun à moi et ceux qui participent à ma culture, qui partagent des valeurs et des expériences analogues aux miennes472 ». Il s’agit

ainsi d’une ressource de traduction ayant le potentiel de donner aux jeunes lecteurs québécois le sentiment d’avoir un accès privilégié au texte473, comme c’est le cas pour

l’original. Bien sûr, certaines attaques envers l’« American way of life » – notamment le patriotisme américain et l’échec des dirigeants sociaux de l’après-guerre à fournir un modèle d’avenir cohérent – ne peuvent être reconduites que de manière contextuelle et thématique dans le texte cible474. Cela étant dit, l’utilisation du franglais est certainement

une atteinte à la « Québécois way of life ».

En effet, selon Mela Sarkar, le discours dominant québécois tend à effacer la réelle complexité linguistique qui règne dans la province au profit de la notion d’unilinguisme francophone. Sarkar étudie le hip hop montréalais actuel, qui s’oppose selon elle à ce modèle en utilisant les ressources du langage oral et du multilinguisme, offrant un nouveau modèle d’identification sociale475. Or, si l’on se fie aux violentes

réactions rapportées ci-dessus, les conclusions de Sarkar peuvent être appliquées à d’autres formes artistiques impliquant l’utilisation du franglais. Tout comme celle du hip- hop montréalais, la langue de Brébeuf remet donc en question le modèle identitaire et culturel proposé par les figures d’autorité de l’idéologie traditionnelle. Pour reprendre les mots de Yes Mccan, le franglais est « un remaniement, c’est une création, une

471 Y. Mccan, « Dead Obies et le franglais : la réplique aux offusqués ». 472 Ibid.

473 Voir S. J. Whitfield, « Cherished and cursed », p. 595.

474 Notons que la condamnation des défauts de la société américaine est un thème récurrent de la littérature

québécoise depuis la Révolution tranquille (voir P. A. Bourque, « L’Américanité du roman québécois », p. 14-15).

475 Sarkar ne se limite pas à la question de l’hybridité linguistique entre le français et l’anglais, mais je me

rébellion476 ». Il est par conséquent porteur d’une dimension subversive qui le rend

particulièrement approprié à la traduction du slang de Catcher.

Qu’en est-il des autres caractéristiques de ce phénomène linguistique ? Le slang est de nature informelle. Dans Catcher, l’informalité est d’abord soulignée par une forte inscription de l’oralité dans le support écrit du roman. Le vernaculaire envahit par exemple la narration, procédé encore rare à l’époque. Dans le cadre d’une réactualisation du vernaculaire dans le texte cible, cet aspect innovateur peut difficilement être reconduit.

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